[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2011
En présence de monsieur le juge Martineau
ENTRE :
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LE COMMISSAIRE ADJOINT DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, IAN MCCOWAN, ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision (la décision contestée) rendue au troisième palier de la procédure de griefs de Service correctionnel du Canada (SCC) le 18 décembre 2009 dans le dossier n° V40A00033184 par le commissaire adjoint Ian McCowan (le commissaire adjoint défendeur), qui a rejeté quatre des cinq questions soulevées par M. Jason Lewis (le demandeur) au motif qu’elles n’avaient pas été soulevées aux paliers inférieurs de la procédure de griefs.
[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, j’ai conclu que la décision contestée devrait être annulée.
CONTEXTE
[3]
En
mai 2008, alors qu’il était en isolement par suite d’un incident survenu
dans son unité, le demandeur a sollicité son transfèrement de l’Établissement Warkworth,
un établissement à sécurité moyenne situé en Ontario, à l’Établissement Cowansville,
au Québec, afin qu’il puisse être mis fin à son isolement.
[4] En juin 2008, soit neuf jours après avoir présenté sa demande de transfèrement, le demandeur a été blanchi et son isolement a été levé, car des renseignements nouvellement reçus indiquaient qu’il n’avait pas pris part à l’incident.
[5] Le 2 septembre 2008, l’agente de libération conditionnelle intérimaire (ALCI) Amanda Benett s’est servie de l’Échelle de réévaluation du niveau de sécurité (ÉRNS) pour calculer la cote de sécurité du demandeur (cote de sécurité des délinquants - CSD), qui est ainsi passée à « moyenne » (son pointage ayant augmenté de 19,5 à 25). La CSD du demandeur est ensuite passée à « maximale » le 6 juillet 2009, lorsqu’une deuxième réévaluation du niveau de sécurité a été faite au moyen de l’ÉRNS par l’agente de libération conditionnelle intérimaire Lisa Charles. Bien qu’il ait formulé un autre grief contre la réévaluation du 6 juillet 2009 dans le dossier n° V40A00034604, le demandeur n’a cessé de prétendre que cette deuxième réévaluation avait eu une incidence défavorable sur l’Évaluation en vue d’une décision (ÉD) visée par le présent contrôle, et vice-versa.
[6] Le 3 octobre 2008, l’ALCI Amanda Benett et le gestionnaire de l’Évaluation et des interventions (GEI), Cal MacAusland, ont donné suite à la demande de transfèrement du demandeur en procédant à une ÉD. L’ÉD énonçait deux recommandations au regard des décisions à prendre : (1) une recommandation de refus de la demande de transfèrement interpénitentiaire du demandeur (décision 76); (2) une recommandation, reposant sur les résultats de la réévaluation selon l’ÉRNS du 2 septembre 2008, consistant à faire passer le pointage d’adaptation du demandeur à l’établissement de « faible » à « moyenne » (décision 77). Le demandeur prétend ne pas avoir été consulté au cours du processus d’ÉD ni avoir reçu de copie des renseignements ayant servi à arrêter les décisions. Le 5 mars 2009, les deux recommandations ont été entérinées par la directrice intérimaire Angie Vankoughnett.
[7] Le 3 avril 2009, le demandeur a déposé un grief au premier palier à l’encontre de l’ÉD du 3 octobre 2008, alléguant que celle‑ci n’avait pas été effectuée dans le délai prévu par la Directive du commissaire no 710 et demandant le retrait de l’ÉD défavorable de son dossier dans le Système de gestion des délinquants (SGD). Le 17 juin 2009, le grief a été accueilli en partie. Bien qu’il ait été reconnu que la demande de transfèrement n’avait pas été traitée dans le délai imparti, la demande de suppression de l’ÉD du SGD a été refusée parce que le demandeur n’avait pas retiré sa demande de transfèrement.
[8] Dans la réponse au grief de premier niveau, il est également signalé que le demandeur avait refusé de voir le GEI MacAusland le 2 juin 2009, au moment où celui-ci tentait de le rencontrer pour en savoir plus au sujet de ses préoccupations. Le demandeur prétend que son refus s’explique par le fait que le GEI MacAusland avait lui-même pris part à la réalisation de l’ÉD contestée.
[9] Le 23 juin 2009, le demandeur a déposé un grief au deuxième palier pour demander le déblocage du compte rendu relatif à son transfèrement et le rétablissement du pointage de l’ÉRNS qu’il avait avant le 2 septembre 2008. Le 26 août 2009, le grief de deuxième palier a été rejeté en totalité au motif que l’augmentation de la cote de sécurité et d’adaptation à l’établissement du demandeur était due au fait que son comportement était source constante d’inquiétude et qu’aucune information additionnelle ne permettait d’accéder à la demande du demandeur.
[10] Le 8 octobre 2009, le demandeur a déposé un grief au troisième palier dans lequel il formulait un certain nombre d’allégations que la décision contestée a résumées en cinq questions. Les quatre questions d’importance pour les besoins du présent contrôle judiciaire ont été rejetées en application du paragraphe premier de la Directive du commissaire (DC) no 081, parce qu’elles n’avaient pas été soulevées au palier inférieur. La disposition invoquée prévoit ce qui suit :
Objectif de la politique1. Favoriser le règlement rapide et équitable des plaintes et des griefs des délinquants au plus bas palier possible et d’une manière conforme à la loi. |
Policy objective1. To support the resolution of offender complaints and grievances promptly and fairly at the lowest possible level in a manner that is consistent with the law.
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[11] Plus particulièrement, dans son grief de troisième niveau, le demandeur soutenait : 1) que le GEI MacAusland avait pris part, en tant qu’analyste, dans l’étude du grief de premier niveau alors qu’il participait à l’ÉD du 3 octobre 2008; 2) que la directrice adjointe Vankoughnett (responsable de l’établissement) avait répondu au grief de premier niveau, qui portait sur une décision qu’elle avait elle‑même rendue; 3) que l’ALCI Benett avait consulté le dossier du demandeur dans le SGD alors qu’il ne faisait plus partie des dossiers dont elle était responsable au moment où l’ÉD du 3 octobre 2008 avait été effectuée; 4) que le prononcé de la décision 77 du 5 mars 2009 reposait sur un calcul de son pointage selon l’ÉRNS effectué après la décision de non-lieu et la levée de son isolement et inexact.
[12] Il convient de préciser que les défendeurs en cause n’ont déposé aucun affidavit pour contredire la version des faits donnée par le demandeur ni fait d’allégations en ce sens.
ARGUMENTS DES PARTIES
[13] Le demandeur soutient que la décision contestée a été prise en violation de l’équité procédurale et du principe audi alteram partem, étant donné que les recommandations du résumé administratif préparé le 12 décembre 2009 par l’analyste Dwight Lalonde ne lui avaient pas été communiquées avant que la décision en question ne soit rendue. Le demandeur prétend que s’il avait pu prendre connaissance de l’information sur laquelle la décision était basée, il aurait été en mesure d’expliquer au décideur pourquoi il lui avait été impossible de soulever les questions aux paliers inférieurs.
[14] Le demandeur prétend que le commissaire adjoint a non seulement manqué à l’obligation d’équité procédurale que lui impose la common law, mais aussi à l’obligation prévue au paragraphe 27(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, ch 20 (la LSCMLC), qui prévoit que le décideur doit communiquer au délinquant « tous les renseignements entrant en ligne de compte dans [la décision] ».
[15] Dans le même ordre d’idées, le demandeur soutient que le paragraphe 80(3) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 (le RSCMLC) oblige le commissaire à « transmettre au délinquant copie de sa décision motivée aussitôt que possible après que le délinquant a interjeté appel ».
[16] Le demandeur ajoute que le commissaire adjoint a commis une erreur en décidant qu’il pouvait recourir au paragraphe premier de la DC 081 pour rejeter des questions qui n’avaient pas été soulevées plus tôt. Selon lui, en rejetant ces questions, le commissaire adjoint a commis une erreur en agissant contrairement au paragraphe 47 de la DC 081, lequel énonce que ce n’est que si « une partie d’une plainte ou d’un grief est jugée futile, vexatoire, offensante ou entachée de mauvaise foi, [que] le décideur peut rejeter la plainte ou le grief en partie ou en totalité ». De plus, le demandeur avance que suivant le paragraphe 37 de la DC 081, le décideur est tenu de « veiller à ce que le plaignant reçoive, par écrit, une réponse complète à toutes les questions soulevées dans sa plainte ou son grief ».
[17] Enfin, le demandeur prétend que le commissaire adjoint (Politiques) et défendeur a outrepassé les pouvoirs qui lui ont été délégués en exerçant le pouvoir décisionnel prévu au paragraphe 80(3) du RSCMLC. Il soutient que si le commissaire adjoint a été autorisé à exercer les attributions que confère le paragraphe 80(2) du RSCMLC au commissaire, aucune disposition ne l’autorise à rendre une décision au nom de ce dernier.
[18] Les défendeurs soutiennent que la décision contestée est correcte et raisonnable, à savoir que le demandeur ne peut présenter au palier national des allégations qui n’ont pas été présentées aux paliers inférieurs puisque ses arguments dans la procédure de grief en cause ne concernaient à l’origine que le délai nécessaire pour terminer l’ÉD relative à sa demande de transfèrement. À l’appui de cet argument, les défendeurs allèguent qu’il est bien établi dans la jurisprudence qu’un plaignant devrait épuiser la procédure interne de règlement des griefs relativement à toute nouvelle allégation avant de solliciter un contrôle judiciaire : McMaster c Canada (Procureur général), 2008 CF 647, aux paragraphes 24 et 25; Olah c Canada (Procureur général), 2006 CF 1245, aux paragraphes 13 et 14.
[19] En ce qui concerne la délégation de pouvoirs par le commissaire, les défendeurs soutiennent que les paragraphes 5 et 29 de la DC 081 autorisent ce dernier à déléguer son pouvoir décisionnel en conformité avec les dispositions de la LSCMLC.
CADRE LÉGISLATIF ET RÉGLEMENTAIRE
[20] Les dispositions législatives applicables sont les suivantes :
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992 ch 20
Communication de renseignements au délinquant
27. (1) Sous réserve du paragraphe (3), la personne ou l’organisme chargé de rendre, au nom du Service, une décision au sujet d’un délinquant doit, lorsque celui-ci a le droit en vertu de la présente partie ou des règlements de présenter des observations, lui communiquer, dans un délai raisonnable avant la prise de décision, tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle-ci, ou un sommaire de ceux-ci.
(2) Sous réserve du paragraphe (3), cette personne ou cet organisme doit, dès que sa décision est rendue, faire connaître au délinquant qui y a droit au titre de la présente partie ou des règlements les renseignements pris en compte dans la décision, ou un sommaire de ceux-ci.
(3) Sauf dans le cas des infractions disciplinaires, le commissaire peut autoriser, dans la mesure jugée strictement nécessaire toutefois, le refus de communiquer des renseignements au délinquant s’il a des motifs raisonnables de croire que cette communication mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite.
Procédure de règlement
90. Est établie, conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96u), une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire.
[...]
Règlements
96. Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements :
[...]
u) fixant la procédure de règlement des griefs des délinquants; [...] |
Information to be given to offenders
27. (1) Where an offender is entitled by this Part or the regulations to make representations in relation to a decision to be taken by the Service about the offender, the person or body that is to take the decision shall, subject to subsection (3), give the offender, a reasonable period before the decision is to be taken, all the information to be considered in the taking of the decision or a summary of that information.
Idem
(2) Where an offender is entitled by this Part or the regulations to be given reasons for a decision taken by the Service about the offender, the person or body that takes the decision shall, subject to subsection (3), give the offender, forthwith after the decision is taken, all the information that was considered in the taking of the decision or a summary of that information.
Exceptions
(3) Except in relation to decisions on disciplinary offences, where the Commissioner has reasonable grounds to believe that disclosure of information under subsection (1) or (2) would jeopardize (a) the safety of any
person, the Commissioner may authorize the withholding from the offender of as much information as is strictly necessary in order to protect the interest identified in paragraph (a), (b) or (c).
[...]
Grievance procedure
90. There shall be a procedure for fairly and expeditiously resolving offenders’ grievances on matters within the jurisdiction of the Commissioner, and the procedure shall operate in accordance with the regulations made under paragraph 96(u).
[...]
Regulations
96. The Governor in Council may make regulations
[...]
(u) prescribing an offender rievance procedure;
[...]
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Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620
Directive du commissaire no 081
Objectif de la politique1. Favoriser le règlement rapide et équitable des plaintes et des griefs des délinquants au plus bas palier possible et d’une manière conforme à la loi.
[...]
5. Décideur : membre du personnel qui répond à une plainte ou à un grief présenté à tout palier du processus de règlement des plaintes et griefs (normalement le surveillant, le directeur de l’établissement, le sous-commissaire régional ou le commissaire, ou encore leur représentant).
[...]
29. La décision du commissaire ou de son représentant constitue l’étape finale du processus de règlement des plaintes et griefs.
[...]
Réponses
37. Le décideur doit veiller à ce que le plaignant reçoive, par écrit, une réponse complète à toutes les questions soulevées dans sa plainte ou son grief.
[...]
Rejet des plaintes ou des griefs
47. Si une partie d’une plainte ou d’un grief est jugée futile, vexatoire, offensante ou entachée de mauvaise foi, le décideur peut rejeter la plainte ou le grief en partie ou en totalité. Lorsqu’un élément de la plainte ou du grief concerne une question urgente, le décideur doit répondre à cette partie dans les délais prescrits. Dans les autres cas, le décideur a deux possibilités :
a. il peut répondre aux parties de la plainte ou du grief qui ne sont pas futiles, vexatoires, entachées de mauvaise foi ou offensantes, et rejeter les autres parties (en indiquant le motif de sa décision); b. il peut rejeter la plainte ou le grief en totalité et le retourner au délinquant en indiquant le motif du rejet et en lui demandant de reformuler sa plainte ou son grief et d’en éliminer les parties inappropriées s’il désire que sa plainte ou son grief soit examiné. |
Policy objective1. To support the resolution of offender complaints and grievances promptly and fairly at the lowest possible level in a manner that is consistent with the law.
[...]
5. Decision-maker: the staff member who responds to a complaint or grievance at any level of the complaint or grievance process (normally the supervisor, Institutional Head, Regional Deputy Commissioner or Commissioner, or their delegate).
[...]
29. The decision of the Commissioner or his/her delegate constitutes the final stage of the complaint and grievance process.
[...]
Responses
37. The decision-maker will ensure that grievers are provided with complete, written responses to all issues raised in complaints and grievances.
Rejection of Complaints or Grievances
47. If portions of a complaint or grievance are considered frivolous, vexatious, offensive or not made in good faith, the decision-maker may reject the entire grievance or portions thereof. Where any element of the complaint or grievance relates to an urgent matter, the decision-maker must respond to that portion within the required timeframes. Otherwise the decision-maker has two options:
a. he/she may respond to the portions of the complaint or grievance that are not frivolous, vexatious, made in bad faith or offensive and reject the inappropriate portions (indicating the rationale for this); or b. he/she may reject the entire grievance and return it to the offender indicating the rationale for rejection and requiring the offender to re-draft the complaint or grievance eliminating the inappropriate portions if the offender wishes the complaint or grievance to be reviewed. |
ANALYSE
[21] La Cour a traité de la question de la délégation de pouvoirs du commissaire au commissaire adjoint intérimaire pour le traitement d’un grief au troisième palier ou le prononcé d’une décision définitive dans le cadre de la procédure de règlement des griefs dans l’affaire Mennes c McClung et al., [2001] ACF no 1830, aux paragraphes 20 à 27. En se fondant notamment sur le paragraphe 2(2) et les articles 97 et 98 de la LSCMLC, ainsi que sur la DC 081 et la note imprimée au bas de la décision de la commissaire (grief au troisième palier – palier national), la Cour avait conclu que « ni la Loi non plus que le Règlement n’exigent que le commissaire du Service correctionnel du Canada examine séparément ou directement les plaintes, qu’elles soient présentées au troisième palier d’appel ou à tout autre palier » et que la commissaire adjointe intérimaire dans cette affaire « disposait du pouvoir nécessaire en vertu des sources susmentionnées lorsqu’elle a rendu sa décision finale au cours de la procédure de grief conformément aux paragraphes 80(2) et 80(3) du Règlement ».
[22] En l’espèce, le pouvoir a été délégué au commissaire adjoint (Politiques) et défendeur qui, suivant les décisions précitées, a été dûment autorisé à trancher le grief présenté par le demandeur. Il reste à décider si le commissaire adjoint a manqué à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur ou commis une erreur susceptible de contrôle en statuant sur le grief.
[23] Nul ne conteste que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale et d’interprétation de la loi est la décision correcte, alors que le bien‑fondé des décisions rendues par le SCC en matière de griefs des délinquants devrait être contrôlé selon la norme de la raisonnabilité : Tehrankari c Canada (Procureur général), 2011 CF 628, au paragraphe 24.
[24] Pour décider si le demandeur a été traité équitablement au cours de la procédure de règlement des griefs, la Cour doit déterminer si la procédure suivie par le décideur satisfait au degré d’équité requis de façon générale en matière administrative (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Gallant c Canada (Sous‑commissaire, Service correctionnel Canada, [1989] ACF no 70 (CA)), et respecte les droits procéduraux reconnus aux délinquants par les dispositions législatives et réglementaires applicables.
[25] Il est de jurisprudence constante que le paragraphe 27(1) de la LSCMLC accorde en outre au délinquant le droit de recevoir tous les renseignements pertinents avant que ne soit prise la décision relative à une demande de transfèrement, bien que l’étendue de ce droit varie lorsque la décision est de nature plus ou moins discrétionnaire (Leblanc c Canada (Procureur général), 2006 CF 1337, aux paragraphes 20 à 22; Mallette c Canada (Procureur général), 2004 CF 151, aux paragraphes 39 à 42). Dans le même ordre d’idées, alors qu’elle contrôlait la décision rendue par la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles, la Cour a statué, au paragraphe 20 de la décision Mymryk c Canada (Procureur général), 2010 CF 632, qu’en application des obligations de communication que la loi impose au SCC (comme celles énoncées aux articles 27 et 141 de la LSCMLC) lorsque celui-ci rend une décision qui le concerne, le délinquant a le droit de recevoir un résumé de l’information pertinente lorsque le SCC établit la nécessité de refuser la communication de certains renseignements (paragraphes 27(3) et 141(4) de la LSCMLC). Ainsi que le mentionne la Cour dans cette décision, ce point de vue est conforme à la conclusion à laquelle est arrivée la Cour suprême au paragraphe 95 de l’arrêt May c Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, à savoir que « le par. 27(1) de la LSCMLC impose au SCC une lourde obligation de communication ».
[26] Ayant examiné le résumé administratif rédigé au troisième palier, la Cour est convaincue que le décideur s’est entièrement appuyé sur les recommandations qui y sont faites et que ces recommandations ont eu sur lui une influence défavorable. Puisque rien n’indique que les paragraphes 27(2) et (3) de la LSCMLC (qui permettent de refuser la communication d’information dans certaines situations) s’appliquent en l’espèce, il est clair que le défaut du SCC de suivre la procédure établie par la loi a empêché le demandeur de préciser les questions qu’il avait soulevées à l’encontre de l’ÉD, ce qui a entraîné une violation du droit du demandeur à un traitement équitable.
[27] Quoi qu’il en soit, dans l’affaire qui nous occupe, les défendeurs ne contestent pas la portée de l’obligation d’agir équitablement en common law, ni les obligations prévues à l’article 27 de la LSCMLC. Ils contestent plutôt le fait que les questions soulevées par le demandeur au troisième palier s’écartent de l’allégation qu’il a faite au départ dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, allégation qui concernait le délai nécessaire à la réalisation de l’ÉD du 3 octobre 2008.
[28] Il est néanmoins évident que toutes les questions soulevées par le demandeur dans son grief, tant au deuxième qu’au troisième palier, se rapportaient à l’ÉD contestée dont le demandeur avait demandé la suppression de son dossier dans le SGD par suite de la levée de son isolement. En fait, les questions du demandeur concernaient soit les personnes ayant pris part aux décisions aux divers paliers de la procédure de règlement des griefs, soit la décision 77 et l’information sur laquelle cette décision s’appuyait, à savoir la réévaluation selon l’ÉRNS établie le 2 septembre 2008. Le fait que le demandeur ait demandé le retrait de l’ÉD qui lui était défavorable de son dossier dans le SGD indique qu’il contestait également le contenu de l’ÉD. En outre, il est évident que la réévaluation selon l’ÉRNS, qui sert à établir le niveau de sécurité approprié pour l’ensemble de la peine purgée par le délinquant, est de nature continue et fournit des renseignements de référence pour les décideurs du SCC. Par conséquent, la question soulevée par le demandeur dans son grief de troisième niveau relativement à la réévaluation selon l’ÉRNS n’était pas entièrement nouvelle.
[29] Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que la Cour a déclaré à de multiples occasions (voir par exemple : Condo c Canada (Procureur général), 2003 CAF 99; Giesbrecht c Canada, [1998] ACF no 621; Collin c Canada (Procureur général), 2006 CF 544; McMaster c Canada (Procureur général), 2008 CF 647; Olah c Canada (Procureur général), 2006 CF 1245; Établissement Ferndale, précité, aux paragraphes 52 à 58), que la procédure interne de règlement des griefs du SCC constitue une autre voie de recours appropriée qu’il convient généralement d’emprunter avant de solliciter un contrôle judiciaire. Toutefois, il n’est pas opportun pour les défendeurs, en l’espèce, de s’en remettre à cette jurisprudence puisque, à mon sens, tous les aspects du grief du demandeur ont fait l’objet d’une décision en interne.
[30] Par ailleurs, il importe de souligner que chaque appel interjeté en vertu de la procédure de règlement des griefs du SCC donne lieu à un examen de novo et sa portée ne peut être restreinte aux allégations soulevées dans le cadre du grief de premier niveau. Dans Tyrrell c Canada (Procureur général), 2008 CF 42, la juge Snider a déclaré, aux paragraphes 37 et 38 :
La procédure de règlement des griefs prévue par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, est régie par le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620, articles 74 à 82. Le juge Rothstein a décrit cette procédure dans la décision Giesbrecht c. Canada, [1998] A.C.F. no 621, au paragraphe 10 (1re inst.) (QL) :
Les griefs doivent être traités rapidement et les directives du commissaire fixent des délais [...] Un détenu peut interjeter appel d’une décision sur le fond au moyen de la procédure de grief et un tribunal d’appel peut substituer sa décision à celle du tribunal dont la décision est contestée.
(voir également Wild c. Canada, 2006 CF 777, paragraphe 9).
En d’autres termes, à chaque palier plus élevé de la procédure de règlement des griefs, le décideur peut substituer sa décision à celle qui a été rendue au palier inférieur. Par conséquent, il s’agit en théorie d’un « appel », mais la nature de la procédure de règlement des griefs permet à chaque décideur subséquent de considérer le grief comme un examen de novo et d’accepter de nouveaux éléments de preuve (voir, par exemple, Besse c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [1999] A.C.F. no 1790, paragraphe 5 (C.A.) (QL)).
[31] Ainsi, compte tenu des circonstances, je suis d’accord avec le demandeur pour dire qu’il est contraire à la logique et à l’objet de la procédure de règlement des griefs des délinquants établie à l’article 90 de la LSCMLC et aux articles 74 à 82 du RSCMLC de demander au demandeur de retourner à la case départ s’il souhaite soulever l’une ou l’autre des questions susmentionnées afin de contester l’ÉD. Par ailleurs, les défendeurs n’ont pas allégué avoir subi de préjudices et aucune preuve n’indique qu’ils en aient subi, alors qu’il est clair que le demandeur en a subi un.
[32] Par conséquent, je conclus que le SCC a également omis de se conformer au paragraphe 37 de la DC 081, qui prévoit que le décideur doit veiller à ce que le plaignant reçoive une réponse complète « à toutes les questions soulevées » dans son grief. Il s’ensuit que la décision contestée est déraisonnable.
[33] Compte tenu des motifs exposés ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie. De plus, le demandeur, qui se représente lui‑même, a demandé à la Cour de lui adjuger les dépens de sa demande. Conformément au pouvoir discrétionnaire dont la Cour est investie et vu que les réponses aux griefs des deuxième et troisième niveaux ont en quelque sorte forcé le demandeur à solliciter le présent contrôle judiciaire, j’estime raisonnable de lui accorder une somme globale de 350 $, payable sans délai, au titre des dépens.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
2. La décision rendue au troisième palier de la procédure de griefs le 18 décembre 2009 dans le dossier n° V40A00033184 est annulée et renvoyée au Service correctionnel du Canada pour qu’il rende une décision conformément aux présents motifs.
3. Le demandeur aura droit à une somme globale de 350 $, payable sans délai, au titre des dépens.
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-241-10
INTITULÉ : JASON LEWIS
ET
LE COMMISSAIRE ADJOINT DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, IAN MCCOWAN,
ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 18 octobre 2011
MOTIFS DU JUGEMENT : Le juge Martineau
DATE DES MOTIFS : Le 31 octobre 2011
COMPARUTIONS :
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POUR LE DEMANDEUR (POUR SON PROPRE COMPTE)
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Toni Abi Nasr |
POUR LES DÉFENDEURS
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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POUR LE DEMANDEUR (POUR SON PROPRE COMPTE) |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec) |
POUR LES DÉFENDEURS
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