[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2011
En présence de M. le juge Russell
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La Cour est saisie d’une demande présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision en date du 16 novembre 2010 (la décision) par laquelle une agente d’immigration désignée (l’agente) du Haut-Commissariat du Canada à Pretoria, en Afrique du Sud, a refusé la demande du demandeur en vue d’être soustrait à l’application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi, en raison de l’existence de motifs d’ordre humanitaire, et a refusé de reconnaître au demandeur le statut de résident permanent.
CONTEXTE
[2] Le demandeur est un citoyen du Zimbabwe âgé de dix-huit ans. Son répondant et tuteur à l’instance est son père, Lameck Zingano, un citoyen canadien (le répondant). L’épouse du répondant, la belle-mère du demandeur, était corépondante pour sa demande de résidence permanente (la corépondante). Le demandeur vit actuellement au Zimbabwe avec sa grand‑mère paternelle.
[3] En 1999, le répondant a quitté le Zimbabwe pour aller étudier aux Pays-Bas. Il a rencontré la corépondante en ligne en 2000 et ils se sont rencontrés en personne la même année aux États-Unis. Ils se sont épousés en 2001. Après avoir donné naissance au premier enfant issu de son union avec le répondant, la corépondante a parrainé le répondant en tant que membre de la catégorie du regroupement familial. Le répondant s’est vu octroyer le statut de résident permanent au Canada en 2002 et il est devenu citoyen canadien en septembre 2005.
[4] Le répondant n’a pas inscrit le nom du demandeur comme fils dans sa demande de résidence permanente, et ce, malgré le fait que le demandeur avait près de dix ans à l’époque. En raison de cette omission, on a par la suite refusé de délivrer au demandeur un visa de résident temporaire et un visa de résident permanent. Le demandeur n’a pas fait l’objet d’un contrôle lors de l’examen de la demande de résidence permanente du répondant en 2002. Depuis 2003, le répondant envoie de l’argent aux membres de sa famille au Zimbabwe. Depuis 2005, il téléphone régulièrement au Zimbabwe pour parler au demandeur. Le répondant s’est rendu au Zimbabwe de décembre 2006 à janvier 2007.
[5] En 2007, le demandeur a été reçu en entrevue par le personnel de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) à Harare, au Zimbabwe, au sujet de sa demande de visa de résident temporaire, et a déclaré qu’il avait les coordonnées de sa mère biologique, qui habitait au Mozambique.
[6] En 2006, le répondant a présenté sa première demande de parrainage du demandeur à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. Cette demande a été refusée parce que le demandeur était exclu de façon permanente de la catégorie du regroupement familial par application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement. Aucun appel de cette décision n’a été interjeté et aucune demande de contrôle judiciaire n’a été introduite. Le répondant a présenté en 2007 une demande de visa de résident temporaire pour le demandeur et cette demande a également été rejetée. En 2008, le répondant a présenté une nouvelle demande visant l’obtention du statut de résident permanent pour le demandeur. Après que cette demande eut été refusée, encore une fois sur le fondement de l’alinéa 117(9)d), le demandeur a, en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi, demandé une dispense fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. La demande a été soumise au Haut-Commissariat à Pretoria.
[7] L’agente a examiné la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (la demande CH) le 16 novembre 2010. Le même jour, elle a refusé la demande de dispense après avoir conclu que les raisons d’ordre humanitaire invoquées n’étaient pas impérieuses au point de justifier, à l’égard du demandeur, une dispense de l’application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement. Le demandeur en a été avisé par lettre datée du 16 novembre 2010.
LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[8] La décision qui a été rendue en l’espèce consiste en la lettre du 16 novembre 2010 de l’agente et les notes du STIDI versées au dossier.
[9] L’agente a tout d’abord fait observer que le demandeur était exclu de façon permanente de la catégorie du regroupement familial par application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement, étant donné que le répondant ne l’avait pas déclaré dans sa demande de 2002. Le demandeur était exclu de façon permanente [traduction] « indépendamment des raisons pour lesquelles le répondant ne l’a jamais déclaré ». L’agente a conclu que les explications fournies par le répondant au sujet des raisons pour lesquelles il n’avait pas déclaré le demandeur n’étaient pas crédibles, ajoutant que les raisons pour lesquelles le nom du demandeur ne figurait pas sur la demande de 2002 ne changeaient rien au fait que le demandeur était exclu de façon permanente.
[10] L’agente a refusé d’accorder une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) parce qu’elle estimait que [traduction] « les raisons d’ordre humanitaire invoquées en l’espèce ne sont pas impérieuses au point de justifier de lever tout ou partie des critères et obligations applicables prévus par la Loi ». À l’appui de sa demande CH, le répondant invoquait l’instabilité politique qui régnait au Zimbabwe, l’insuffisance des soins médicaux et les possibilités d’éducation limitées qui y seraient offertes au demandeur.
[11] L’agente a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il entretenait des liens suffisamment étroits avec le répondant pour justifier l’octroi d’une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Elle a fait observer que le répondant avait laissé le demandeur derrière lui au Zimbabwe en 1999, alors que le demandeur n’avait que cinq ans. Elle a également constaté que le répondant n’avait rendu visite au demandeur qu’une seule fois au cours des dix années qui s’étaient écoulées depuis son départ du Zimbabwe, et que cette visite remontait au voyage qu’il a effectué de décembre 2006 à janvier 2007. Elle s’est dite préoccupée par le fait qu’il n’y avait pas de photos de cette visite où l’on pouvait voir le répondant en compagnie du demandeur, ajoutant qu’elle ne pouvait affirmer avec certitude que le demandeur et le répondant s’étaient effectivement rencontrés à cette occasion.
[12] L’agente a également conclu qu’aucune explication n’avait été fournie pour justifier le fait que le répondant avait attendu jusqu’en 2006 pour déposer la première demande de statut de résident permanent pour le demandeur. Elle a fait observer que le répondant avait obtenu le statut de résident permanent et qu’il était donc en mesure de parrainer le demandeur en 2002. Elle a également souligné que les sommes d’argent que le répondant avait envoyées au Zimbabwe à compter de mai 2003 étaient modestes.
[13] L’agente a également conclu que les membres de la famille du répondant au Canada n’avaient jamais rencontré le demandeur et qu’ils n’avaient jamais fait d’efforts en ce sens. Même si, suivant l’expérience de l’agente, beaucoup d’autres Zimbabwéens s’étaient rendus dans des pays voisins pour rencontrer des membres de leur famille vivant à l’étranger – ils avaient été contraints d’agir ainsi en raison de la situation politique au Zimbabwe –, les membres de la famille du répondant ne l’avaient pas fait. Dans l’esprit de l’agente, il n’y avait aucune excuse qui justifiait que les membres de la famille canadienne du demandeur n’aient pas cherché à rencontrer ce dernier en personne.
[14] L’agente a conclu que, même si le répondant affirmait que le demandeur ne pouvait compter sur sa mère biologique pour l’aider, aucun élément de preuve n’avait été présenté pour le démontrer. L’agente a fait observer que le demandeur avait fourni les coordonnées de sa mère biologique lors de son entrevue pour sa demande de visa de résident temporaire en 2007.
[15] Enfin, l’agente a conclu qu’il était dans l’intérêt supérieur du demandeur qu’il continue à vivre au Zimbabwe avec sa grand-mère paternelle. Le demandeur connaissait sa grand-mère depuis toujours, de sorte qu’il était préférable pour lui qu’il continue à demeurer avec elle plutôt que de se retrouver au Canada avec des membres de sa famille qu’il n’avait jamais rencontrés. L’agente a ajouté que, même si elle n’était pas idéale, la situation au Zimbabwe s’était améliorée et ne constituait pas un obstacle à ce que le demandeur y demeure et continue à habiter chez sa grand-mère.
QUESTIONS EN LITIGE
[16] Le demandeur a formellement soulevé les questions suivantes :
a. L’agente a‑t‑elle insisté de façon abusive sur le fait que le répondant n’a pas déclaré le demandeur dans sa demande de 2002?
b. La conclusion de l’agente suivant laquelle le répondant et le demandeur n’entretenaient pas des liens étroits était‑elle raisonnable?
c. La conclusion de l’agente suivant laquelle le demandeur bénéficiait de conditions de vie acceptables au Zimbabwe était‑elle déraisonnable?
[17] Le demandeur a également soulevé la question suivante dans ses actes de procédure :
a. Le droit du demandeur à l’équité procédurale a‑t‑il été violé?
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES
[18] Dans son argumentation écrite, le demandeur applique les dispositions suivantes de la Loi :
Objet en matière d’immigration
3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :
…
d) de veiller à la réunification des familles au Canada;
[…]
Visa et documents
11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visas et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.
[…]
Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger
25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. |
Objectives — immigration
3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are
…
(d) to see that families are reunited in Canada;
…
Application before entering Canada
11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.
…
Humanitarian and compassionate Considerations — request of foreign national
25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.
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[19] Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent en l’espèce :
Catégorie
116. Pour l’application du paragraphe 12(1) de la Loi, la catégorie du regroupement familial est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents sur le fondement des exigences prévues à la présente section.
Regroupement familial
117. (9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes : […]
d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.
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Family class
116. For the purposes of subsection 12(1) of the Act, the family class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of the requirements of this Division.
Excluded relationships
117. (9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if
…
(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined. |
NORME DE CONTRÔLE
[20] Dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] ACS no 9, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En effet, lorsque la norme de contrôle applicable à la question qui lui est soumise est bien arrêtée par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. C’est seulement lorsque cette recherche s’avère infructueuse que la cour de révision se livre à une analyse des quatre facteurs pertinents pour l’analyse relative à la norme de contrôle.
[21] Dans Baker c Canada, [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 61 et 62, la Cour suprême du Canada a statué que la norme de contrôle applicable aux décisions CH était celle de la décision raisonnable simpliciter. Cette approche a été suivie par la Cour d’appel fédérale dans Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 (voir également Lee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 413). Plus précisément, s’agissant de la première question, la Cour suprême du Canada a déclaré, dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 61, qu’il ne rentre pas dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve. Cette approche a été suivie par le juge Michel Shore dans Lupsa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1054, qui déclare, au paragraphe 4 : « La Cour ne doit pas intervenir à la légère dans la façon dont un agent d’immigration exerce son pouvoir discrétionnaire et il ne lui revient pas de pondérer à nouveau les facteurs pertinents axés sur les faits de l’espèce, qui relève exclusivement de l’agent d’immigration ». Comme les trois premières questions portent sur le pouvoir discrétionnaire dont jouit l’agent d’immigration lorsqu’il statue sur une demande CH, la norme de contrôle applicable à ces questions est celle de la décision raisonnable.
[22] La juridiction qui procède au contrôle d’une décision en appliquant la norme de la décision raisonnable s’attache, dans son analyse, « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartenait pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».
[23] S’agissant de la quatrième question, le demandeur soulève la question de la possibilité de répondre et celle de la suffisance des motifs. Ces deux questions ont trait à l’équité procédurale (voir Malveda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 447, Rafieyan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 727, et Adil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 987). Dans Syndicat canadien des employés de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 RCS 539, la Cour suprême du Canada a jugé que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale était celle de la décision correcte. De plus, dans Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53, la Cour d’appel fédérale a déclaré que « la question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation ». La norme de contrôle applicable à la quatrième question est celle de la décision correcte.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Le demandeur
Le droit à l’équité procédurale du demandeur a été violé
Le demandeur s’est vu refuser la possibilité de répondre
[24] Le demandeur soutient que les conclusions auxquelles l’agente est arrivée étaient déraisonnables parce qu’elles étaient fondées sur une violation de son droit à l’équité procédurale. L’agente ne lui a pas demandé d’explications au sujet des éléments de preuve qu’il avait présentés et elle ne lui a pas demandé de combler les lacunes de la preuve sur les points au sujet desquels elle avait des réserves.
[25] Le demandeur se fonde sur Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, pour faire valoir que l’agent a l’obligation de demander des éclaircissements lorsque ses réserves ne découlent pas directement d’une obligation imposée par la Loi. Lorsque l’agent ne réclame pas d’éclaircissements, comme c’est le cas en l’espèce, il y aura violation du droit à l’équité procédurale du demandeur en raison du déni de son droit de répondre.
[26] Le Guide OP-4 Traitement des demandes présentées en vertu de l’article 25 de la LIPR, sous la rubrique « Points à prouver », explique qu’« il est bon d’éclaircir des circonstances possibles d’ordre humanitaire si ceux-ci [sic] ne sont pas bien exposés ». De plus, l’arrêt Baker, précité, démontre que les droits de participation qui ont exigés lorsque les intérêts d’un enfant sont en jeu sont étendus. Le demandeur affirme que Del Cid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 326, nous enseigne que l’agent doit réclamer des éléments de preuve complémentaires lorsqu’il estime que ceux qui lui ont été soumis à l’appui de l’argument invoqué au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant sont insuffisants. Il ressort de ces précédents qu’en l’espèce, l’agente avait l’obligation de se renseigner sur les aspects de l’affaire au sujet desquels elle estimait que la preuve était insuffisante.
[27] Le demandeur affirme qu’il a été privé de la possibilité de répondre à l’égard des éléments de preuve sur lesquels l’agente s’est fondée, selon lesquels son répondant avait attendu jusqu’en 2006 avant de présenter une demande de résidence permanente pour son compte. Suivant le demandeur, cette situation soulevait une question que le répondant n’avait pas prévue et qui ne découlait pas d’une obligation imposée par la Loi. L’agente avait donc l’obligation de se renseigner. L’agente a violé le droit du demandeur de répondre en ne lui réclamant pas des éclaircissements au sujet des raisons du délai. Le répondant affirme que, si on lui avait demandé d’expliquer ce délai, il aurait expliqué qu’il avait été mal conseillé par un consultant en immigration.
[28] Le droit de répondre du demandeur a également été violé en raison du fait que l’agente n’a pas exprimé ses réserves au demandeur ou au répondant au sujet du nombre peu élevé de visites au Zimbabwe. Si l’agente lui avait fait part de ses réserves, le répondant aurait été disposé à lui soumettre d’autres éléments de preuve au sujet de ses visites. Il affirme qu’il n’a pu le faire parce qu’il ignorait que l’agente était préoccupée par cette question.
[29] L’agente a également fait défaut s’exprimer ses réserves au demandeur ou au répondant au sujet de l’absence de photos de la visite du répondant au Zimbabwe en décembre 2006 et janvier 2007. Le demandeur s’est ainsi vu privé de la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agente. Celle‑ci avait l’obligation de faire part de ses préoccupations à ce sujet au demandeur, étant donné qu’il ne pouvait raisonnablement prévoir que l’absence de photos poserait problème. L’avocat avait informé le répondant que l’enquête porterait essentiellement sur la démonstration de l’existence d’un soutien continu et de contacts suivis, ce qu’il avait tenté de faire en soumettant des éléments de preuve sur les visites et les appels téléphoniques effectués et les sommes d’argent envoyées à sa famille au Zimbabwe.
[30] L’agente n’a également pas fait part au demandeur de ses réserves au sujet des sommes peu élevées que le répondant a envoyées aux membres de sa famille au Zimbabwe, privant ainsi le demandeur d’une autre possibilité de répondre. Le demandeur affirme que, si l’agente l’avait invité à répondre, il aurait expliqué que les sommes d’argent envoyées étaient en fait assez importantes, compte tenu du taux d’inflation au Zimbabwe à l’époque. Il aurait par ailleurs démontré que le Zimbabwe avait imposé des restrictions sur l’envoi de sommes d’argent provenant de l’étranger et que, pour compenser, le répondant avait acheté des aliments pour le demandeur en ligne. Il aurait également démontré que ses dépenses étaient peu élevées étant donné qu’il habitait chez sa grand-mère. Le demandeur affirme que les réserves exprimées par l’agente à ce propos n’étaient pas fondées et qu’il aurait pu y répondre si elle lui avait demandé des explications.
[31] Le demandeur a été privé de la possibilité de répondre étant donné que l’agente ne lui a pas fait part de ses réserves au sujet du fait qu’il n’avait pas rencontré sa belle-famille canadienne. Si elle l’avait fait, il lui aurait présenté des éléments de preuve suivant lesquels le répondant était apatride jusqu’en 2006, le coût du transport aérien pour la famille s’élevait à environ 10 000 $ et les membres de la famille avaient choisi de consacrer les ressources dont ils disposaient pour envoyer de l’argent au demandeur au lieu de dépenser cet argent pour voyager.
[32] Enfin, l’agente n’a pas exprimé au demandeur ses réserves au sujet de ses contacts avec sa mère biologique. Si elle l’avait fait, il lui aurait expliqué la situation.
La décision était insuffisamment motivée
[33] Le demandeur affirme également que son droit à l’équité procédurale a été violé du fait que l’agente n’a pas motivé suffisamment sa décision. Ses motifs étaient insuffisants parce qu’ils ne permettaient pas de savoir, vu les éléments de preuve relatifs à l’instabilité politique et à la pauvreté au Zimbabwe, comment elle était arrivée à sa conclusion que les conditions de logement du demandeur étaient adéquates. L’agente n’a pas sérieusement examiné les éléments de preuve portant sur la situation au Zimbabwe, de sorte que les motifs qu’elle a exposés ne satisfaisaient pas à l’obligation qui lui était imposée d’être réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur du demandeur.
La décision était déraisonnable.
La conclusion de l’agente suivant laquelle le demandeur et le répondant n’entretenaient pas de liens étroits était déraisonnable
[34] Le demandeur affirme que la conclusion tirée par l’agente au sujet des rapports qu’il entretenait avec son répondant est déraisonnable, et ce, pour plusieurs raisons.
[35] Premièrement, l’agente n’a pas tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait ou elle s’est méprise à leur sujet. Le demandeur affirme qu’en analysant leur relation, l’agente n’a pas tenu compte ses conversations téléphoniques avec le répondant et des lettres qu’ils s’envoyaient. De plus, lorsqu’elle a examiné le temps écoulé entre le moment où le répondant avait obtenu la résidence permanente et celui où il avait présenté pour la première fois une demande de résidence permanente pour le demandeur, l’agente n’a pas tenu compte des éléments de preuve que le répondant aurait présentés si on les lui avait demandés.
[36] Deuxièmement, l’agente a fondé sa conclusion sur la relation qui existait entre le répondant et le demandeur sur la conclusion erronée qu’ils ne s’étaient pas suffisamment rendu visite. Cette conclusion s’explique par le manquement à l’équité procédurale dont il a été question précédemment. Si le demandeur s’était vu accorder la possibilité de répondre, le répondant aurait soumis en preuve des tampons apposés sur des passeports et des visas indiquant qu’il avait rendu visite au demandeur en 1999‑2000 et 2008‑2009. Or, l’agente n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve ainsi que de ceux que le répondant lui aurait soumis pour démontrer qu’il n’aurait pas pu se rendre au Zimbabwe. Si l’agente avait demandé des explications, on aurait pu répondre à ces préoccupations.
[37] Troisièmement, le demandeur affirme que la conclusion tirée par l’agente au sujet de sa relation avec le répondant était erronée parce qu’elle ne tenait pas compte des éléments de preuve établissant la régularité de leurs contacts, et notamment de ceux qui démontraient que le répondant avait entrepris des démarches pour obtenir des visas d’entrée au Canada pour le demandeur en 2006, 2007 et 2008. De plus, les conclusions tirées au sujet de la solidité de leurs liens accordaient une importance exagérée au fait qu’aucune photo n’avait été prise lors de la visite du répondant en décembre 2006. Comme le demandeur s’était vu refuser la possibilité de répondre, il n’avait pas eu l’occasion de présenter des éléments de preuve, et l’omission de tenir compte des éléments de preuve qu’il aurait présentés rend la conclusion de l’agente déraisonnable.
[38] Quatrièmement, la conclusion suivant laquelle les liens que le demandeur entretenait avec le répondant n’étaient pas suffisamment étroits est déraisonnable parce qu’elle reposait sur la conclusion déraisonnable que les sommes d’argent que le répondant avait envoyées au Zimbabwe étaient relativement modestes. Le demandeur affirme qu’il n’y a aucun élément de preuve qui étaye cette conclusion, malgré le fait qu’il a soumis à l’appui de sa demande une liste indiquant les sommes envoyées. Cette conclusion méconnaissait également les éléments de preuve contenus dans la lettre dans laquelle le répondant avait signalé que le taux d’inflation était très élevé au Zimbabwe.
[39] Cinquièmement, la conclusion tirée par l’agente au sujet de la relation qui existait entre le demandeur et son répondant accordait une importance exagérée au fait que le demandeur n’avait pas rencontré sa belle-famille canadienne et que la prolongation de leur séparation n’entraînerait aucune difficulté. Cette conclusion méconnaissait les privations que le demandeur et sa belle‑famille avaient connues en raison de son absence ainsi que les affidavits souscrits par le répondant et la corépondante dans lesquels ces derniers affirmaient qu’une prolongation de la séparation entraînerait des difficultés. Se fondant sur Pedro Enrique Juarez Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302, à la page 305, le demandeur affirme que les renseignements contenus dans ces affidavits sont réputés être véridiques. Il était donc déraisonnable de la part de l’agente de les ignorer. La conclusion de l’agente suivant laquelle la famille ne subirait aucune difficulté ne cadre pas avec les tentatives répétées du répondant en vue de faire venir le demandeur au Canada. Le demandeur soutient que l’agente a également fait fi des éléments de preuve présentés au sujet des restrictions financières qui empêchaient les membres de sa famille de lui rendre visite au Zimbabwe. Mentionnons à cet égard des relevés des revenus des membres de sa famille, la nécessité de s’occuper des enfants du répondant et de la corépondante au Canada, de même que l’affidavit suivant lequel le répondant avait été inapte au travail pendant un certain temps en raison de problèmes de santé.
[40] Pour toutes ces raisons, l’agente a fondamentalement mal évalué la solidité des rapports que le demandeur et son répondant au Canada entretenaient en ne tenant pas compte des éléments de preuve qui lui avaient été soumis et omettant de faire part au demandeur de préoccupations qui ne pouvaient être prévues.
La conclusion de l’agente suivant laquelle les conditions de vie du demandeur au Zimbabwe étaient acceptables était déraisonnable
[41] Le demandeur affirme également que la conclusion de l’agente suivant laquelle ses conditions de vie au Zimbabwe étaient acceptables est déraisonnable parce qu’elle reposait sur la conclusion que la situation s’était améliorée au Zimbabwe, que sa mère biologique était présente dans sa vie et qu’il était dans son intérêt supérieur de demeurer au Zimbabwe, des conclusions qui étaient toutes déraisonnables.
[42] La conclusion que la situation s’était améliorée au Zimbabwe ne cadrait d’aucune façon avec les affirmations que le répondant avait faites dans les observations qu’il avait formulées à l’appui de la demande CH au sujet du taux de chômage, de l’inflation, de la situation en ce qui concerne les soins de santé et les normes sanitaires. Cette conclusion était également déraisonnable parce que l’agente n’avait pas été suffisamment réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur du demandeur.
[43] Le seul élément de preuve portant sur le rôle que la mère biologique du demandeur jouait dans sa vie dont disposait l’agente était les coordonnées de cette mère que le demandeur avait soumises lors de son entrevue de 2007 relative à sa demande de visa de résident temporaire. L’agente n’a pas tenu compte de l’affidavit dans lequel le répondant affirmait que la mère biologique du demandeur n’était pas disponible pour s’occuper de lui. L’affidavit du répondant est plus récent que les coordonnées de la mère, et il faut donc privilégier l’information contenue dans l’affidavit. De plus, le demandeur habite chez sa grand-mère paternelle. L’ensemble de la preuve semble indiquer que la mère biologique du demandeur l’a abandonné. Au lieu de se fonder sur les éléments de preuve suivant lesquels le demandeur pouvait communiquer avec sa mère biologique, ce dont l’agente aurait dû se préoccuper était la question de savoir si la mère du demandeur était apte et disposée à s’occuper de lui de façon adéquate, ce qui, de toute évidence, n’était pas le cas. Le demandeur affirme également que l’agente lui a imposé un fardeau de preuve dont il lui était impossible de s’acquitter en l’obligeant à prouver que sa mère n’avait joué aucun rôle dans sa vie. La conclusion tirée par l’agente à cet égard était donc déraisonnable.
[44] Le demandeur affirme également qu’il était déraisonnable de la part de l’agente de conclure qu’il était dans son intérêt supérieur de demeurer au Zimbabwe avec sa famille élargie au lieu d’habiter au Canada avec sa belle-famille, qu’il n’a jamais rencontrée. Cette conclusion reposait sur une généralisation sans nuance suivant laquelle il est courant dans la culture zimbabwéenne que les enfants vivent avec leurs grands-parents. Le demandeur signale les propos suivants que j’ai tenus dans Ponniah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1016, au paragraphe 10 : « Ne constituent pas des facteurs pertinents les suppositions découlant de généralisations culturelles, particulièrement celles ayant trait à des questions secondaires ». Ce stéréotype culturel n’était appuyé sur aucun des éléments de preuve dont disposait l’agente et, si elle lui en avait fait part, le demandeur lui aurait expliqué que ni son répondant ni l’épouse de ce dernier n’étaient Zimbabwéens, de sorte que cette généralisation ne s’appliquait pas eux de toute façon.
[45] La conclusion suivant laquelle il était dans l’intérêt supérieur du demandeur de vivre avec sa famille élargie était également déraisonnable parce que l’agente ne disposait d’aucun élément de preuve sur l’identité des personnes constituant sa famille élargie ou sur la façon dont ils pourraient l’aider. Dans Ebonka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 80, au paragraphe 25, le juge Michael Kelen a expliqué qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de se baser sur une relation au sujet de laquelle il n’y avait que peu d’éléments de preuve tendant à indiquer qu’une séparation ne créerait pas de difficultés pour le demandeur, alors que la preuve établit clairement l’existence d’une relation. Selon le demandeur, il se trouve dans une telle situation. En outre, affirmer qu’il est dans son intérêt supérieur de continuer à vivre au Zimbabwe contredit l’alinéa 3(1)a) de la Loi, selon lequel la Loi a notamment pour objet de veiller à la réunification des familles au Canada.
L’agente a insisté de façon abusive sur le fait que le répondant n’avait pas déclaré le demandeur dans sa demande de résidence permanente de 2002
[46] Comme nous l’avons déjà souligné, le demandeur est exclu de façon permanente de la catégorie du regroupement familial par application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement. Il affirme que le paragraphe 25(1) de la Loi peut être invoqué pour le soustraire à l’application de l’alinéa 117(9)d). De plus, se fondant sur De Guzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, le demandeur affirme que, lorsqu’il envisage la possibilité de soustraire une personne à l’application de cet alinéa pour des raisons d’ordre humanitaire, l’agent doit évaluer tous les facteurs ayant trait aux raisons d’ordre humanitaire, y compris l’intérêt supérieur de l’enfant. Il signale également que l’agent chargé d’examiner une telle demande doit être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant.
[47] Le demandeur soutient que l’agent qui examine une demande d’exemption de l’application de l’alinéa 117(9)d) fondée sur des raisons d’ordre humanitaire commet une erreur lorsqu’il accorde une importance exagérée au fait que l’enfant n’a pas été déclaré par rapport à l’objet de l’alinéa 3(1)d) de veiller à la réunification des familles au Canada. À l’appui de cet argument, le demandeur cite David c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 546, Hurtado c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 552, Sultana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 533, et Krauchanka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 209.
[48] Le demandeur affirme également que le rejet de sa demande CH est déraisonnable lorsque l’enfant qui n’a pas été déclaré n’est par ailleurs pas interdit de territoire au Canada. Lorsque l’enfant qui n’a pas été déclaré n’est pas interdit de territoire, le fait qu’il n’a pas été déclaré est sans importance pour ce qui est de la demande du parent qui ne l’a pas déclaré. Dans ce type d’affaires, l’objectif de principe que sous-tend l’alinéa 117(9)d) ¾ à savoir s’assurer que des demandeurs ne cherchent pas par la suite à parrainer des membres de leur famille qui sont interdits de territoire ¾ ne tient pas, et il est normalement justifié d’accorder une dispense pour des raisons d’ordre humanitaire; un refus sera normalement considéré comme déraisonnable.
[49] En l’espèce, le demandeur n’était pas interdit de territoire lorsque le répondant a présenté sa demande de résidence permanente en 2002. Une dispense fondée sur des raisons d’ordre humanitaire était donc justifiée dans son cas et le refus de lui accorder cette dispense était déraisonnable.
[50] L’importance exagérée que l’agente a accordée au fait que le répondant n’avait pas déclaré le demandeur est démontrée par sa déclaration que [traduction] « [le demandeur] demeure exclu de façon permanente de la catégorie du regroupement familial et ne peut donc être parrainé, et ce, indépendamment des raisons pour lesquelles [le répondant] ne l’a jamais déclaré ». Le demandeur affirme que cette importance exagérée est également démontrée par le peu de cas que l’agente a fait de la relation qu’il avait avec son père et de sa situation au Zimbabwe, comme le confirment par ailleurs les conclusions déraisonnables que l’agent a tirées sur ces questions.
Le défendeur
[51] Le défendeur affirme que, dans le cas de toutes les demandes CH, c’est au demandeur qu’il incombe de présenter tous les faits pertinents à l’appui de sa demande. Dans le cas qui nous occupe, l’agente a respecté toutes les garanties procédurales auxquelles le demandeur avait droit, a tenu compte de tous les faits portés à sa connaissance et a tiré des conclusions raisonnables de la preuve.
Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale
[52] Le défendeur affirme qu’en matière d’équité procédurale, la question à se poser dans chaque cas est en fin de compte si la personne visée par la décision a véritablement eu l’occasion de faire valoir son point de vue. Le défendeur soutient que le droit à l’équité procédurale du demandeur n’a pas été violé et que le demandeur a eu amplement l’occasion de soumettre sa preuve à l’agente, mais qu’il a choisi de ne pas lui présenter tous les éléments de preuve. En l’espèce, il incombait clairement au demandeur de démontrer qu’une dispense fondée sur des raisons d’ordre humanitaire était justifiée dans son cas.
[53] Se fondant sur l’arrêt Kisana, précité, le défendeur soutient que l’agente n’était pas tenue de signaler au demandeur les lacunes de son dossier ou de lui indiquer les failles de sa preuve en ce qui concerne sa relation avec sa belle-famille canadienne. Suivant le défendeur, le demandeur avait en main tous les éléments de preuve pertinents. Il lui appartenait donc d’expliquer clairement la nature de la relation et rien ne l’empêchait de soumettre d’autres éléments à l’examen de l’agente. Le défendeur affirme, en se fondant sur Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, que c’est à ses risques et périls que le demandeur néglige de présenter sa preuve, comme c’est le cas en l’espèce.
L’agente n’a pas insisté à tort sur le fait que le répondant n’avait pas déclaré le demandeur en 2002
[54] L’agente n’a pas accordé une importance exagérée au fait que le répondant n’avait pas déclaré le demandeur dans sa demande de résidence permanente de 2002. La non-déclaration d’un enfant est une considération d’intérêt public devant entrer en ligne de compte dans l’appréciation d’une demande CH; il était par conséquent approprié que l’agente prenne ce facteur en considération dans son analyse. À l’appui de cette proposition, le défendeur invoque Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1292.
[55] Le défendeur affirme que la déclaration, dans la décision de l’agente, selon laquelle [traduction] « [le demandeur] est exclu de façon permanente de la catégorie du regroupement familial et ne peut donc être parrainé, et ce, indépendamment des raisons pour lesquelles [le répondant] ne l’a jamais déclaré » ne représente pas l’essentiel de ses motifs. Il ne s’agit qu’un des nombreux facteurs dont elle a tenu compte. L’agente a simplement signalé que l’explication fournie par le répondant n’était pas convaincante et cette observation n’a pas eu d’effet déterminant sur la décision.
[56] Le défendeur affirme également que le caractère raisonnable de l’exemption de l’application de l’alinéa 117(9)d) fondée sur des raisons d’ordre humanitaire n’a rien à avoir avec la question de savoir si l’enfant qui n’a pas été déclaré est interdit de territoire ou non. Le défaut de déclarer des personnes à charge constitue un facteur d’intérêt public pertinent, que l’enfant à charge qui n’a pas été déclaré soit interdit de territoire ou non. En l’espèce, c’est à bon droit que l’agente a tenu compte du fait que le répondant n’avait pas déclaré le demandeur dans sa demande de 2002.
L’agente n’a pas commis d’erreur dans son évaluation des relations entre le répondant et le demandeur
[57] La conclusion de l’agente suivant laquelle les rapports que le demandeur et le répondant entretenaient n’étaient pas étroits au point de justifier une exemption fondée sur des raisons d’ordre humanitaire était raisonnable étant donné qu’elle reposait sur l’ensemble de la preuve dont elle disposait. Les relations entre le demandeur et le répondant constituaient un élément crucial de la décision relative aux raisons d’ordre humanitaire dans le cas qui nous occupe. En s’attardant au temps que le répondant avait laissé s’écouler avant de demander que le statut de résident permanent soit octroyé au demandeur, l’agente tenait compte d’éléments de preuve pertinents.
[58] Le demandeur a attaqué le caractère raisonnable de la conclusion de l’agente suivant laquelle les sommes d’argent envoyées par le répondant au Zimbabwe étaient relativement modestes, mais l’agente disposait d’éléments de preuve suivant lesquels le revenu combiné du ménage du répondant et la corépondante était de 130 000 $. Elle disposait également d’une liste des sommes d’argent envoyées par le répondant au Zimbabwe, dont aucune ne dépassait 544 $. De plus, bien que le demandeur eût pu lui soumettre d’autres éléments de preuve au sujet des sommes d’argent envoyées, il ne peut maintenant tenter de le faire dans le cadre du présent contrôle judiciaire.
[59] Le défendeur affirme également qu’il était loisible à l’agente de tenir compte du fait que le répondant et la famille canadienne du demandeur n’avaient pas rendu visite à ce dernier au Zimbabwe lorsqu’elle a examiné les rapports qu’ils entretenaient entre eux. L’agente a pris en considération le fait que la corépondante et ses enfants n’avaient pas rendu visite au demandeur en raison de circonstances indépendantes de leur volonté lorsqu’elle a signalé que les membres de la famille auraient pu se rencontrer dans un pays voisin. De plus, les revenus relativement élevés de la famille n’appuient pas l’argument du demandeur qu’il existait des obstacles financiers qui empêchaient sa famille canadienne de lui rendre visite en Afrique.
La conclusion tirée par l’agente au sujet de la situation du demandeur au Zimbabwe était raisonnable
[60] Le défendeur soutient finalement que la conclusion tirée par l’agente au sujet de la situation du demandeur au Zimbabwe était raisonnable et qu’elle était fondée sur l’ensemble de la preuve dont elle disposait. L’agente a tenu compte de l’ensemble de la preuve qui lui avait été soumise et elle a mentionné dans sa décision les arguments formulés par le répondant au sujet de la situation économique au Zimbabwe, de l’instabilité politique et de la possibilité de se faire instruire et de recevoir des soins médicaux. L’agente n’avait pas l’obligation de comparer la situation du Zimbabwe avec celle du Canada et « le fait que [le demandeur] pourrait […] se trouver mieux au Canada, sur le plan du confort en général ou celui des possibilités futures, ne saurait […] être concluant dans une décision en matière de motifs d’ordre humanitaire qui a pour objet de voir s’il y a des difficultés excessives » (Vasquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 91, au paragraphe 43). Le défendeur affirme également qu’il n’appartient pas à la Cour d’examiner si l’agente a accordé suffisamment de poids à ce facteur.
[61] Dans l’ensemble, l’agente a examiné de façon adéquate la question des difficultés. Elle a tenu compte de la période pendant laquelle le répondant avait été absent de la vie du demandeur, de l’ampleur de leurs échanges, de l’importance des sommes envoyées par le répondant au Zimbabwe et du fait que le demandeur habitait chez sa grand-mère paternelle. Citant Yue c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 717, le défendeur affirme qu’il s’agit là de facteurs qui, selon ce que notre Cour a conclu, ne justifient pas une intervention judiciaire.
ANALYSE
[62] Le demandeur affirme que, si seulement l’agente lui avait posé plus de questions ou lui avait fait part de ses réserves, il aurait pu lui soumettre plus de renseignements, ce qui aurait modifié fondamentalement la perception qu’elle avait des rapports qu’il entretenait avec les membres de sa famille au Canada. Il soutient qu’il était inéquitable sur le plan de la procédure de la part de l’agente de ne pas lui exprimer ses réserves au sujet de sa demande et de ne pas lui accorder la possibilité d’y répondre.
[63] Je crois que le demandeur méconnaît la nature du processus en adressant de tels reproches à l’agente. Ainsi que le défendeur le souligne, dans le contexte d’une demande CH, le demandeur a le fardeau d’établir que l’exemption est justifiée et l’agent n’est pas tenu de signaler au demandeur les lacunes de sa demande ou de lui réclamer d’autres observations (Kisana, précité, au paragraphe 45). Bon nombre de questions soulevées par le demandeur dans la présente demande de contrôle judiciaire ne sont rien de plus qu’une demande adressée à la Cour pour qu’elle change la loi et qu’elle fasse reposer le fardeau de la preuve sur l’agente, ce qui ne peut être fait. Les faits confirmant la nature des rapports du demandeur étaient entre les mains de ce dernier et de sa famille. C’est au demandeur qu’il incombait d’établir la nature des rapports qu’il entretenait avec les membres de sa famille au Canada. Il devait, pour ce faire, démontrer comment il nourrissait et entretenait ces liens, établir la nature des rapports qu’il avait avec son père sur le plan affectif et psychologique et les obstacles auxquels ils étaient confrontés lorsqu’ils utilisaient les ressources dont ils disposaient pour communiquer ou s’entraider.
[64] Il n’y avait aucune limite aux renseignements que le demandeur pouvait présenter pour justifier la nature de ses relations et il lui était loisible de soumettre des éléments supplémentaires en tout temps avant la décision définitive. Le demandeur et sa famille regrettent maintenant de ne pas avoir soumis davantage d’éléments à l’agente et ils ont tenté de présenter à la Cour ce qu’ils auraient pu dire et faire en reprochant à l’agente de ne pas leur avoir accordé la possibilité de lui soumettre ces renseignements. Cet aspect de leur demande doit être rejeté. Ainsi que la Cour d’appel l’a expliqué, le demandeur qui néglige d’exposer toute sa cause le fait à ses risques et périls (Owusu, précité, au paragraphe 8).
[65] Dans Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 94, le juge Frederick Gibson a tenu les propos suivants au paragraphe 11 :
Le fardeau de preuve incombe au demandeur dans le cadre d’une demande fondée sur des raisons humanitaires. Dans Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), le juge Muldoon a écrit ce qui suit, au paragraphe 7, au sujet du contrôle judiciaire de la décision d’un agent des visas:
Le requérant a le fardeau de convaincre l’agent des visas de tous les éléments positifs contenus dans sa demande. L’agent des visas n’a pas à attendre ni à offrir au requérant une deuxième chance ou même plusieurs autres chances de le convaincre d’éléments essentiels que le requérant peut avoir omis de mentionner.
Dans Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), le juge Heald, encore une fois en contexte de révision judiciaire de la décision d’un agent des visas, mais alors qu’étaient invoquées des considérations humanitaires, a écrit ce qui suit au paragraphe 10 :
Le requérant prétend avoir droit à ce qu’il soit tenu compte de toute la preuve pertinente dans le cadre de sa demande invoquant des considérations humanitaires. Je suis d’accord. Cependant, le fardeau de la preuve à cet égard incombe alors au requérant. Il a la responsabilité de porter à l’attention de l’agent des visas toute preuve pertinente relative à des considérations humanitaires.
[66] Je suis conscient qu’il existe des situations dans lesquelles l’agent aurait l’obligation de se renseigner davantage et de réclamer des éclaircissements. Le juge Richard Mosley offre quelques balises à ce propos au paragraphe 24 de la décision Hassani, précitée :
Il ressort clairement de l’examen du contexte factuel des décisions mentionnées ci‑dessus que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John, deux décisions citées par la Cour dans Rukmangathan, précitée.
[67] Vu les faits de la présente affaire, je ne crois pas que cette exemption s’applique en l’espèce. Je ne crois pas non plus que le demandeur ne pouvait anticiper les éléments sur lesquels l’agente s’est fondée pour tirer ses conclusions au sujet des rapports qu’entretenaient les membres de la famille. La Cour d’appel fédérale a posé les principes fondamentaux applicables en pareil cas dans l’arrêt Kisana, précité :
33 On trouve bon nombre des facteurs dont l’agent doit tenir compte pour se prononcer sur une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire dans les lignes directrices établies par le ministre à l’intention des agents d’immigration. Le juge Décary les mentionne au paragraphe 7 de ses motifs dans l’arrêt Hawthorne, précité, et le juge Evans les cite au paragraphe 30 de ses motifs concourants. Parmi ces facteurs, mentionnons les difficultés que pourrait occasionner la séparation géographique des membres de la famille. Pour examiner ce facteur, l’agent devrait tenir compte des liens réels qu’entretiennent les membres de la famille, c’est-à-dire les relations actuelles par opposition au simple lien biologique, de la question de savoir s’il y a eu des périodes de séparation auparavant et, dans l’affirmative, pendant combien de temps et pourquoi, du degré de soutien psychologique et émotif par rapport aux autres membres de la famille, de la possibilité pour la famille de se retrouver ensemble dans un autre pays, de la dépendance financière et des circonstances particulières des enfants.
[...]
45 Il est bien établi en droit que le contenu de la notion d’équité procédurale est variable et tributaire du contexte particulier de chaque affaire (Baker, précité, au paragraphe 21; et Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, [2002] 2 C.F. 413). La question à se poser dans chaque cas est, en fin de compte, celle de savoir si la personne dont les intérêts sont en jeu a eu « une occasion valable de présenter [sa] position pleinement et équitablement » (Baker, précité, au paragraphe 30). Dans le cas des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire, il est de jurisprudence constante que le demandeur a le fardeau d’établir que l’exemption est justifiée et que l’agent n’est pas tenu de signaler les lacunes de la demande et de réclamer d’autres observations (voir, par exemple, la décision Thandal, précitée, au paragraphe 9). Dans l’arrêt Owusu, précité, notre Cour a expliqué que l’agent chargé de se prononcer sur une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire n’a aucune obligation positive de s’enquérir davantage de l’intérêt supérieur des enfants lorsque la question est soulevée de façon « trop indirecte, succincte et obscure » (au paragraphe 9). Dans cette affaire, les raisons d’ordre humanitaire étaient exposées dans une lettre de sept pages dans laquelle la seule allusion à l’intérêt supérieur des enfants se trouvait dans la phrase suivante : [traduction] « S’il [M. Owusu] était forcé de retourner au Ghana, il n’aurait aucun moyen de subvenir aux besoins pécuniaires de sa famille et il vivrait dans un état de peur constante chaque jour de sa vie » (au paragraphe 6).
[…]
56 Certes, l’agente aurait pu poser davantage de questions pour recueillir de plus amples renseignements sur la situation des jumelles en Inde, mais, comme nous le verrons, elle n’était nullement tenue de le faire en l’espèce. Il se peut que les questions précises et étroites que l’on constate à la lecture des notes versées au STIDI ne constituaient probablement pas la façon la plus efficace de recueillir des renseignements auprès de ces demandeurs, surtout si l’on tient compte du peu d’éléments de preuve documentaire qu’ils avaient soumis. Toutefois, le vide, s’il en est, s’explique par le défaut des appelants de s’acquitter du fardeau de la preuve qui leur incombait. Dans ces conditions, les techniques d’entrevue défaillantes de l’agente, si tel est le cas, constituent, à mon avis, un facteur insuffisant pour justifier une intervention de notre part.
[68] On trouve au paragraphe 33 de l’arrêt Kisana une liste des facteurs dont l’agent doit tenir compte pour se prononcer sur une demande CH. En l’espèce, l’agente a tenu compte des facteurs mentionnés à ce paragraphe. Le paragraphe 33 permettait également au demandeur de connaître les éléments qu’il devait aborder dans sa demande. Le demandeur a consulté un conseiller juridique pour préparer sa demande CH. Les renseignements qui ont été soumis à l’agente ne correspondent pas à ceux dont dispose présentement la Cour. Je ne crois pas que l’on puisse reprocher à l’agente de ne pas avoir tenu compte de faits ou d’explications qui n’avaient pas été portés à sa connaissance.
[69] Il y a d’autres aspects des arguments du demandeur qui ne sont pas tout simplement pas exacts lorsqu’on considère la décision dans son ensemble. Ainsi, on ne trouve en fait à mon avis aucune indication permettant de penser que l’agente a accordé une importance exagérée à l’omission du répondant de déclarer le demandeur dans la première demande présentée par le répondant en 2002. Je crois que, sur ce point, le défendeur a raison.
[70] Il était loisible à l’agente de tenir compte du défaut du répondant de déclarer comme il le devait le demandeur, étant donné qu’il s’agit d’un facteur d’intérêt public dont on doit tenir compte pour évaluer les raisons d’ordre humanitaire (voir la décision Li, précitée, au paragraphe 33 et l’arrêt Kisana, précité, au paragraphe 27).
[71] L’examen de la décision rendue au sujet de l’évaluation des facteurs d’ordre humanitaire ne justifie pas l’allégation du demandeur que l’agente a accordé une importance exagérée au défaut du répondant de le déclarer au moment où il a été admis au Canada.
[72] Le seul exemple illustrant que l’agente avait [traduction] « particulièrement insisté sur l’omission de déclarer le demandeur » était l’affirmation suivante de l’agente :
[traduction] L’intéressé demeure exclu de façon permanente de la catégorie du regroupement familial et ne peut donc être parrainé, et ce, indépendamment des raisons pour lesquelles le répondant ne l’a jamais déclaré [...]
[73] Cette déclaration ne fait pas partie des principaux motifs exposés par l’agente au sujet des facteurs d’ordre humanitaire. De plus, l’agente signalait simplement que les explications fournies par le répondant pour expliquer pourquoi il n’avait pas déclaré le demandeur n’étaient pas convaincantes. Il ne s’agit que d’une observation parmi les nombreuses autres formulées dans le cadre de l’examen de la preuve présentée par le demandeur. Il ne s’agit pas d’une conclusion décisive sur la solidité de la demande CH, et il ne s’agit pas non plus d’un facteur qui l’a emporté sur les autres ou qui a eu une influence déterminante sur le résultat final.
[74] De plus, le fait que le demandeur soit ou non interdit de territoire n’a aucune incidence sur le caractère raisonnable de l’évaluation faite par l’agente des facteurs d’ordre humanitaire. Le défaut de déclarer le demandeur est une question d’intérêt public, indépendamment du statut du demandeur (voir les décisions Li et Yue, précitées, et Sandhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 156).
[75] Cela étant dit, il y a certains aspects de la décision que la Cour trouve troublants, et j’estime qu’il est nécessaire de les examiner pour décider s’ils rendent la décision déraisonnable. Je suis en particulier préoccupé par l’analyse que l’agente a faite de l’intérêt supérieur de l’enfant (le demandeur). Il ressort clairement de la décision que l’agente a tenu compte de la situation qui existait au Zimbabwe pour examiner cette question. Voici ses conclusions finales à cet égard :
[traduction] Même si elle n’est pas idéale, la situation au Zimbabwe s’est améliorée. Bien que le représentant de l’intéressé affirme qu’il est dans l’intérêt supérieur de ce dernier de vivre avec son père au Canada, je ne suis pas de cet avis, étant donné que j’estime qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’intéressé de se retrouver en fait avec sa famille élargie au Zimbabwe, qu’il connaît et qui s’en est occupé pendant la plus grande partie de sa vie plutôt que d’habiter au Canada avec des membres de sa famille avec lesquels il n’a eu que des contacts limités pendant la plus grande partie de sa vie et qui comptent trois personnes qu’il n’a jamais rencontrées en personne.
[76] L’avocate du défendeur a admis devant la Cour qu’elle ne connaît aucun élément de preuve soumis à l’agente qui permette de conclure que la situation s’est améliorée au Zimbabwe. Après avoir examiné moi-même le dossier, il me semble que les conclusions et les affirmations formulées par l’agente au sujet du Zimbabwe sont totalement inexactes et arbitraires. Non seulement la situation au Zimbabwe [traduction] « n’est pas idéale », mais en réalité elle ne pourrait être pire. Aucun élément de preuve ne permet d’affirmer que la situation s’est améliorée ou qu’on puisse espérer qu’elle s’améliore dans un avenir rapproché. En fait, on s’inquiète de plus en plus à l’échelle internationale du fait que la situation socioéconomique se détériore, que le système d’enseignement est en train de s’effondrer et que la violence est à la hausse.
[77] Je suis conscient du fait que, pour évaluer la situation du demandeur, l’agente n’était pas tenue de procéder à une analyse comparative de la situation du demandeur au Zimbabwe avec sa situation éventuelle au Canada. Ainsi que je l’ai souligné dans la décision Vasquez, précitée, au paragraphe 43 :
Le fait que les enfants puissent se trouver mieux au Canada, sur le plan du confort en général ou celui des possibilités futures, ne saurait, à mon avis, être concluant dans une décision en matière de motifs d’ordre humanitaire qui a pour objet de voir s’il y a des difficultés excessives.
[78] Je suis également conscient du fait qu’il n’appartient pas à la Cour de décider si l’agente a accordé un poids suffisant à ce facteur.
[79] Ce qui me préoccupe, c’est que l’agente n’offre aucun motif pour justifier sa conclusion que la situation au Zimbabwe s’est améliorée – et l’avocate du défendeur n’a pas réussi à invoquer de tels motifs – et qu’elle semble ne pas être au courant des éléments de preuve dont elle disposait et qui dressaient un portrait de la situation réelle au Zimbabwe.
[80] L’agente a elle-même considéré que la situation au Zimbabwe était un facteur important dans son analyse et il devait évidemment en être ainsi, s’agissant de l’évaluation de l’intérêt supérieur du demandeur. Je crois que l’analyse incorrecte que l’agente a faite de la situation constitue une erreur très importante qui rend sa décision déraisonnable. Je ne puis affirmer que l’agente serait arrivée à la même conclusion au sujet de l’intérêt supérieur du demandeur si elle avait tenu compte de ce que la preuve révélait au sujet de la dégradation de la situation au Zimbabwe et de ce à quoi le demandeur devait s’attendre s’il continue à y vivre. En conséquence, j’estime que la présente affaire doit être réexaminée.
[81] Je suis également préoccupé par la conclusion de l’agente suivant laquelle [traduction] « il est possible que [le demandeur] ait effectivement des contacts avec sa mère [biologique] ». Il ressort clairement des éléments de preuve présentés par le répondant que le demandeur n’a aucun contact avec sa mère biologique et rien dans le dossier ne tend à indiquer le contraire. Le fait que le demandeur puisse avoir les coordonnées de sa mère biologique ne signifie pas qu’elle joue ou jouera un rôle dans sa vie. Si l’agente estimait qu’on ne pouvait pas croire le répondant sur ce point, elle aurait alors dû l’interroger pour vérifier sa crédibilité. Son défaut de l’interroger rend déraisonnable son affirmation que le demandeur pouvait compter sur sa mère biologique. Là encore, ce facteur rend la décision critiquable en ce qui concerne l’analyse par l’agente de l’intérêt supérieur du demandeur. Cette conclusion revêtait une importance capitale et il n’y a aucun élément de preuve qui justifiait la conclusion tirée par l’agente.
[82]
Les avocats ont convenu
qu’il n’y avait aucune question à certifier et la Cour est du même avis.
JUGEMENT
1. La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour être réexaminée par un autre agent.
2. Il n’y a aucune question à certifier.
3. L’intitulé est modifié pour indiquer que le demandeur est « Salim Tafadzwa Zingano, représenté par son tuteur à l’instance Lameck Zingano ».
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-626-11
INTITULÉ : SALIM TAFADZWA ZINGANO
et
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 28 septembre 2011
ET JUGEMENT : MONSIEUR LE JUGE RUSSELL
DATE DES MOTIFS : Le 1er novembre 2011
COMPARUTIONS :
Daniel Kingwell POUR LE DEMANDEUR
Sally Thomas POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mamann Frankel Sandaluk LLP POUR LE DEMANDEUR
Avocats
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada