[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2011
En présence de monsieur le juge Pinard
ENTRE :
et
HJ HEINZ COMPANY AUSTRALIA LTD.
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Le 20 octobre 2010, la demanderesse, McCallum Industries Limited, a déposé, en vertu de l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13, modifiée (la Loi), un avis de demande visant à faire radier du registre des marques de commerce (le registre) la marque de commerce OX & PALMde HJ Heinz Company Australia Ltd, la défenderesse.
[2] Le siège social de la société McCallum Industries Limited (McCallum) se trouve en Nouvelle‑Zélande. Le 10 août 1995, McCallum a déposé une demande d’enregistrement au Canada pour la marque de commerce PALM & Device à l’égard des marchandises spécifiques [traduction] « viandes et produits de viande, y compris produits de viande transformée et en conserve ». McCallum a commencé à employer la marque de commerce en 1998 lorsqu’elle a commencé à vendre des marchandises étiquetées PALM & Device. Ces marchandises ont depuis lors toujours été vendues au Canada. Des étiquettes portant la marque de commerce PALM & Device sont apposées sur les boîtes de toutes les marchandises vendues au Canada. Le 14 juillet 2003, la demande de marque de commerce PALM & Device a été approuvée et enregistrée.
[3] La société HJ Heinz Company Australia Ltd. (Heinz) est australienne. Le 11 décembre 2002, Heinz a déposé une demande d’enregistrement de la marque de commerce OX & PALM au Canada pour les marchandises spécifiques « viandes et viandes transformées, nommément viande salée et viande en conserve », fondée sur son emploi et sur l’enregistrement de ladite marque de commerce en Australie depuis le 30 avril 1976. Cette demande n’a fait l’objet d’aucune opposition. Le 20 octobre 2005, la demande d’enregistrement de Heinz a été accueillie.
[4] Le 6 juin 2006, McCallum a déposé une deuxième demande en vue de faire enregistrer la marque de commerce « NEW ZEALAND PREMIUM QUALITY & Dessin » (NZPQ), qui se fondait sur l’emploi de la marque depuis le 22 novembre 2003. Dès la date de son premier emploi, NZPQ a été ajoutée aux étiquettes sur lesquelles la marque de commerce PALM & Device apparaissait déjà. Le 19 février 2009, la demande de marque de commerce de McCallum a été accueillie et NZPQ a été inscrite au registre pour les marchandises spécifiques « [v]iande et produits de viande en conserve, nommément hachis de bœuf salé, bœuf et oignon, bœuf et chili, bœuf et adobo, bœuf et calderatta, bœuf et ail, viandes froides en conserve à base de mouton, bœuf salé en conserve, mouton en conserve, tartinades de foie ».
[5] Le 20 octobre 2010, McCallum a déposé, en vertu de l’article 57 de la Loi, le présent avis de demande visant à faire radier la marque de commerce déposée OX & PALM de Heinz.
[6] Les historiques et les chiffres des ventes au Canada des deux parties sont les suivants.
I. L’apparition des marques de la demanderesse sur le marché canadien
[7] Depuis 1998, la demanderesse vend divers produits de viande dans tout le Canada sous la marque de commerce PALM & Device. La demanderesse publicise au Canada la marque PALM & Device depuis 1999, et la marque NZPQ depuis son apparition sur le marché canadien en 2003, en fournissant des publicités à ses distributeurs, détaillants et grossistes pour qu’il les expose.
[8] La demanderesse vend ses produits qui portent les marques de commerce PALM & Device et NZPQ par l’intermédiaire de trois distributeurs canadiens situés en Colombie‑Britannique et en Ontario. Ces distributeurs s’occupent de vendre les marchandises à divers grossistes canadiens, lesquels les revendent à divers détaillants en alimentation d’origine ethnique orientale, chinoise et philippine, ainsi qu’à quelques grandes chaînes de détaillants au Canada, pour qu’elles soient finalement achetées par les consommateurs.
[9] Les chiffres annuels des ventes de PALM & Device augmentent généralement. Depuis 2005, ces chiffres augmentent constamment. Les ventes des marchandises étiquetées NZPQ ont fluctué.
II. L’apparition de la marque de la défenderesse sur le marché canadien
[10] La défenderesse fabrique et emballe ses produits OX & PALM en Australie. Ces produits sont vendus aux États‑Unis depuis plus de 15 ans et, selon la défenderesse, certains Canadiens d’origine philippine en visite aux É.‑U. rapportent ces produits au Canada.
[11] Les produits, une fois fabriqués et emballés, sont expédiés en Amérique du Nord par le distributeur de la défenderesse aux États‑Unis, Mangal’s Meat Distribution, qui expédie les produits destinés à la consommation canadienne à la grossiste Centennial Food Service – World à Calgary. Les parties ne sont pas d’accord sur la date de la première vente de produits OX & PALM par la défenderesse au Canada.
[12] La demanderesse croit que la première vente de marchandises OX & PALM au public canadien n’a pas eu lieu avant le 26 janvier 2011. Quant à elle, la défenderesse allègue que sa première vente de marchandises OX & PALM au Canada a eu lieu en juillet 2010.
[13] Le 27 juillet 2010, la défenderesse a vendu à Mangal’s Meat Distribution une cargaison de 1 660 boîtes de bœuf salé clairement étiquetées OX & PALM. À cette date, la cargaison avait été expédiée à Centennial Food Service – World à Calgary. La cargaison est finalement arrivée à Vancouver le 28 août 2010.
[14] La défenderesse prétend que Centennial Food Service – World vendait les marchandises à des magasins familiaux et à des détaillants plus importants dans tout le Canada. Certains éléments de preuve font état des ventes réelles de produits étiquetés OX & PALM dans l’Ouest canadien. La demanderesse allègue quant à elle que la cargaison de produits OX & PALM de la défenderesse a été distribuée après le 28 août 2010 à des détaillants canadiens, à savoir essentiellement des magasins ethniques plus petits ciblant la population philippine du Canada.
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[15] Les dispositions suivantes de la Loi sur les marques de commerce sont pertinentes pour décider si la marque de commerce de la défenderesse doit être radiée du registre :
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[16] La défenderesse soulève la question initiale de savoir si la demanderesse a qualité pour présenter la présente demande en vertu de l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce. Par conséquent, il convient d’abord de décider si la demanderesse est une « personne intéressée » en vertu de l’article 57 de la Loi, selon la définition figurant à l’article 2.
[17] Si la demanderesse est considérée être une « personne intéressée », il convient de répondre aux questions suivantes, qui ont été soumises par la demanderesse, pour que la marque de commerce de la défenderesse soit radiée du registre :
I. La marque de commerce OX & PALM était‑elle non enregistrable à la date de l’enregistrement du fait que, à cette date, la marque de commerce OX & PALM créait de la confusion avec la marque de commerce déposée PALM & Device de la demanderesse? À cet égard, la demanderesse invoque les alinéas 12(1)d) et 18(1)a) de la Loi.
II. Est‑il vrai que la défenderesse n’était-elle pas la personne qui avait le droit d’obtenir l’enregistrement de la marque de commerce OX & PALM, parce que, à la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque de commerce OX & PALM, la marque de commerce OX & PALM créait de la confusion avec la marque de commerce PALM & Device de la demanderesse? À cet égard, la demanderesse invoque l’alinéa 16(2)a) et les paragraphes 17(1) et 18(1) de la Loi.
III. La marque de commerce OX & PALM de la défenderesse est-elle invalide du fait qu’elle n’était pas distinctive à la date de l’introduction de la présente demande? À cet égard, la demanderesse invoque l’alinéa 18(1)b) et l’article 2 de la Loi.
[18] À l’audience tenue devant moi, l’avocat de la demanderesse a retiré la question de l’abandon de la marque de commerce OX & PALM ainsi que toutes les questions portant sur la marque de commerce NZPQ de la demanderesse, que celle‑ci avait initialement soulevées dans l’avis de demande et dans ses observations écrites.
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A. « Personne intéressée »
[19] En vertu de l’article 57 de la Loi, la Cour fédérale a une compétence exclusive, sur demande de « toute personne intéressée », pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée parce que, à la date de la demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque. Cette définition a été interprétée de manière large (John Labatt Ltd. c. Carling Breweries Ltd. (1974), 18 C.P.R. (2d) 15 [Labatt]).
[20] La défenderesse allègue que la demanderesse n’a pas qualité de « personne intéressée » au sens de l’article 2 de la Loi parce que la demanderesse ne s’est jamais opposée à l’enregistrement d’OX & PALM, qu’elle a attendu jusque vers la fin du délai de 5 ans prévu au paragraphe 17(2) de la Loi pour introduire la présente demande et qu’elle n’a pas établi que son entreprise avait subi un préjudice par suite de l’enregistrement d’OX & PALM. Je suis d’accord.
[21] La demanderesse doit d’abord établir qu’elle est atteinte ou a des motifs d’appréhender qu’elle sera atteinte par l’inscription d’OX & PALM dans le registre (article 2 de la Loi). Il s’agit d’une question de fait. La personne qui cherche à faire radier l’inscription doit prouver que celle-ci constitue pour elle un obstacle, comme il est dit dans Fairmont Resort Properties Ltd. c. Fairmont Hotel Management, L.P. (2008), 67 C.P.R. (4th) 404 [Fairmont] au paragraphe 51, dans lequel l’extrait suivant de Labatt, précité, à la page 25 est cité avec approbation :
Pour être une « personne intéressée », il faut avoir des motifs raisonnables de craindre de subir un préjudice par suite de l’enregistrement de la marque de commerce. La personne qui cherche à faire radier l’inscription doit prouver que celle-ci constitue pour elle un obstacle.
[22] La demanderesse doit démontrer qu’elle subirait un préjudice si la marque de commerce demeurait dans le registre, et le fait d’exploiter le même type d’entreprise que la défenderesse ne constitue pas une preuve suffisante de préjudice. De plus, la croissance continue de l’entreprise contredit la conclusion qu’un préjudice quelconque a eu lieu par suite de l’enregistrement. Tout cela est corroboré par Coronet Wallpaper (Ontario) Ltd. c.o.b. as Crown Wallpaper c. Wall Paper Manufacturers, Ltd. (1983), 77 C.P.R. (2d) 282, à la page 283:
[traduction]
Le demandeur a les mêmes activités commerciales que
le défendeur, mais cela ne suffit pas pour le rendre « intéressé ».
Il doit exister des motifs raisonnables d’appréhender qu’il sera atteint par la
marque de commerce CROWN.
[. . .]
Rien n’indique que l’emploi du nom commercial ou de la marque CROWN a causé un préjudice au demandeur. Au contraire, comme il a été bien démontré, l’entreprise du demandeur n’a cessé de croître depuis sa création.
[23] Par conséquent, un demandeur n’a pas qualité de « personne intéressée » si l’enregistrement de la marque de commerce du défendeur ne diminue ou ne limite d’aucune façon ses droits, qui ne seraient pas plus grands, même si la marque de commerce contestée était radiée du registre, comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans Branko Mihaljevic c. Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie‑Britannique (1990), 34 C.P.R. (3d) 54, aux pages 56 et 57:
Une personne est intéressée au sens de l’article 2 [de la Loi] s’il y a raisonnablement lieu de craindre qu’elle subira un préjudice quelconque si une marque de commerce n’est pas supprimée du registre. En l’espèce, que les marques de commerce de l’intimée demeurent ou non dans le registre, la situation de l’appelant demeure la même : il sera incapable d’employer sa marque parce que la radiation des marques de commerce n’aura pas d’incidence sur l’existence de la marque officielle « Expo ». La présence des marques de commerce de l’intimée dans le registre ne diminue et ne limite en rien les droits de l’appelant, qui ne seraient pas plus étendus si ces marques de commerce étaient radiées. On ne peut donc dire que l’appelant est une « personne intéressée » au sens de l’article 2 de la Loi. Voir William Powell v. The Birmingham Vinegar Brewery Co. Ltd., [1984] A.C. 8; Richfield Oil Corp. v. Richfield Oil Corp. of Canada Ltd. [1955] R.C.É. 17; John Labatt Ltd. v. Carling Breweries Ltd. (1974), 18 C.P.R. (2d) 15.
[24] En l’espèce, rien n’indique que la demanderesse a des motifs raisonnables d’appréhender qu’elle sera atteinte par l’inscription d’OX & PALM dans le registre. En particulier, rien n’indique que l’enregistrement d’OX & PALM constitue de quelque façon un obstacle pour la demanderesse; aucune preuve n’a été présentée relativement à un exemple quelconque de confusion entre les marques OX & PALM et PALM & Device et rien ne démontre que la demanderesse a subi un préjudice quelconque. Au contraire, j’ai tendance à me ranger du côté de la défenderesse qui affirme que les faits, lorsqu’on les considère dans leur ensemble, prouvent que la demanderesse ne pouvait pas avoir des motifs raisonnables d’appréhender d’être atteinte, et qu’elle n’a en fait pas été atteinte, par l’inscription d’OX & PALM dans le registre depuis cinq ans. Il convient de noter plus particulièrement que :
- l’examinateur n’a jamais déclaré que la marque OX & PALM était similaire à la marque de commerce PALM & Device de la demanderesse et qu’elle créait de la confusion avec celle‑ci;
- les ventes et les recettes pour les produits de viande associés avec PALM & Device ont augmenté constamment de 2005, l’année de l’enregistrement de la marque OX & PALM, jusqu’à 2010;
- 2010 a été la meilleure année de la demanderesse en ce qui a trait aux ventes et aux recettes pour les produits de viande PALM & Device;
- la demanderesse continue de vendre ses produits en 2011;
- la demanderesse ne s’est jamais opposée à la demande relative à la marque OX & PALM de la défenderesse avant son enregistrement au Canada;
- la demanderesse a attendu près de cinq ans après l’enregistrement de la marque de commerce OX & PALM pour introduire la présente procédure en radiation.
[25] En ce qui concerne le retard de la demanderesse pour introduire la présente procédure en radiation, il est incompatible avec la conduite d’une partie qui se perçoit comme une « personne atteinte » ou qui a des motifs raisonnables d’appréhender qu’elle sera atteinte par l’inscription de la marque de commerce OX & PALM dans le registre. La demanderesse ne s’est pas opposée à l’enregistrement et elle a attendu le dernier jour avant l’échéance du délai de cinq ans prévu au paragraphe 17(2) de la Loi pour introduire la présente procédure en radiation, comme dans Fairmont, précité. Aux paragraphes 54 et 55, le juge Frederick E. Gibson de la Cour a déclaré ce qui suit :
[53] Ainsi que nous l’avons déjà signalé, la demanderesse ne s’est pas opposée à l’enregistrement des marques Fairmont Hotels et je n’adhère pas à l’assertion de M. Knight suivant laquelle cet oubli est le fait de quelqu’un d’autre, et non de lui. La demanderesse a attendu jusqu’à la veille de l’expiration du délai de cinq ans suivant l’enregistrement des marques Fairmont Hotels pour introduire la présente instance.
[55] En bref, la demanderesse ne s’est tout simplement pas comportée comme si elle se percevait comme une personne qui est atteinte ou qui a des motifs valables d’appréhender qu’elle serait atteinte par l’inscription des marques Fairmont Hotels dans le registre ou, du reste, par l’emploi du mot « Fairmont », […]
[26] Dans ce contexte, que la marque de commerce OX & PALM de la défenderesse demeure ou non dans le registre, il ne semble pas que son enregistrement a réduit ou limité de quelque façon les droits de la demanderesse relativement à sa marque de commerce PALM & Device, ni qu’il les réduira ou limitera. La situation de la demanderesse demeurera probablement la même.
[27] Il se peut que chacun des points précédents, considérés un à un, ne permette pas à lui seul de refuser à la demanderesse la qualité requise pour introduire la présente demande, mais lorsqu’on les considère dans leur ensemble, ils étayent à mon avis de manière importante la conclusion que la demanderesse n’a pas démontré qu’elle est une « personne intéressée » au sens de l’article 57 de la Loi. Par conséquent, j’ai de sérieux doutes quant à la question de savoir si la demanderesse a la qualité requise pour introduire la présente demande en vertu de l’article 57 de la Loi.
[28] Cependant, à l’instar du juge Gibson dans Fairmont, au paragraphe 57, je suis attentif au fait que le critère de la « personne intéressée » est peu exigeant, comme l’indique une série de décisions. Par exemple, dans Unitel Communications Inc. c. Bell Canada (1995), 61 C.P.R. (3d) aux pages 12 à 23, l’exigence relative à la « personne intéressée » constitue un critère de minimis qui existe pour faire échec aux demandes pour nuisance. Par conséquent, je statuerai sur les autres questions en jugeant le bien-fondé de l’avis de demande.
B. Les deux premières questions litige soulevées par la demanderesse
[29] Pour trancher les deux premiers points litigieux soulevés par la demanderesse, qui concernent l’enregistrabilité et le droit à l’enregistrement, il convient de décider si les marques OX & PALM et PALM & Device créent de la confusion. Il s’agit d’une question de fait.
[30] La confusion est définie au paragraphe 6(1) de la Loi. Le critère traditionnel relativement à la confusion est celui de la première impression et du souvenir vague, comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, (2006), 49 C.P.R. (4th) 401 [Veuve Clicquot] à la page 415 :
[20] Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue du nom Cliquot sur la devanture des boutiques des intimées ou sur une de leurs factures, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce VEUVE CLICQUOT et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques. [...]
[31] Pour déterminer la question de la confusion, le paragraphe 6(5) de la Loi établit, outre les circonstances de l’espèce, un certain nombre de facteurs dont il doit être tenu compte, soit :
a. le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle chacune est devenue connue;
b. la période pendant laquelle chacune des marques a été en usage;
c. le genre de marchandises, services ou entreprises;
d. la nature du commerce;
e. le degré de ressemblance dans la présentation ou le son, ou dans les idées que les marques suggèrent.
[32] Pour évaluer la confusion, le poids qu’il convient d’accorder à chacun de ces facteurs varie (voir Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc. (2006), 49 C.P.R. (4th) 321 [Mattel], au paragraphe 54; Veuve Clicquot, au paragraphe 21; et Beverley Bedding & Upholstery Co. c. Regal Bedding Ltd (1980), 47 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.), confirmé par 60 C.P.R. (2d) 70 (C.A.F.) [Beverley Bedding]).
[33] Il est de jurisprudence constante que, pour déterminer le degré de ressemblance, les marques de commerce doivent être comparées dans leurs totalités et non disséquées dans leurs différents éléments. C’est l’impression d’ensemble laissée par les marques dans l’esprit du consommateur ordinaire qu’il faut examiner (voir Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. et al. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 à la page 426 (C.A.F)).
C. Les facteurs énoncés au paragraphe 6(5)
a. Le caractère distinctif inhérent des marques et la mesure dans laquelle chacune d’elles est devenue connue
[34] Le caractère distinctif peut être acquis ou inhérent. Une marque de commerce distinctive distingue le produit, ce qui permet aux consommateurs d’identifier la source du produit étiqueté (Pink Panther Beauty Corp. c. United Artists Corp., (1998), 80 C.P.R. (3d) 247 [United Artists], au paragraphe 24). Le caractère distinctif est, en vertu de la Loi, une condition préalable à l’enregistrement.
[35] La demanderesse croit que sa marque de commerce PALM & Device est distinctive à cause de son étiquetage, de la publicité et des ventes effectuées dans tout le Canada. Elle soutient que, depuis 2005, les consommateurs canadiens associent le mot « palm » seulement à ses produits de bœuf en conserve, faisant valoir à l’appui ses chiffres de ventes et son étiquette, qui met bien en évidence le mot « palm » dans un coucher de soleil, et elle rejette tout caractère distinctif à la marque de commerce OX & PALM de la défenderesse.
[36] Cependant, la défenderesse estime que la marque OX & PALM est distinctive : l’accent doit être mis sur le premier mot de la marque de commerce, soit « ox », parce que le mot « palm » est un terme usuel sur le marché.
[37] La défenderesse soutient avec raison que l’accent est habituellement mis sur le premier mot de la marque de commerce aux fins de la distinction (Conde Nast Publications Inc. c. Union des éditions modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183 à la page 188). Cependant, récemment, dans Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27 [Masterpiece], au paragraphe 64, la Cour suprême du Canada, tout en faisant ressortir l’importance du premier mot dans la marque de commerce, a précisé que la meilleure démarche à suivre consiste à déterminer si un aspect de la marque de commerce est frappant ou unique. Néanmoins, l’existence de marques de tiers utilisant un terme commun diminue l’importance des droits de propriété qu’il est possible d’attacher à un mot comme « palm » (Molnlycke Aktiebolag c. Kimberly-Clark of Canada Ltd. (1982), 61 C.P.R. (2d) 42)).
[38] La preuve révèle également que PALM est un patronyme connu au Canada. Il est possible de soutenir que les consommateurs en lisant le mot PALM ne perçoivent aucun lien entre PALM & Device et OX & PALM.
[39] De plus, comme l’affirme la défenderesse, OX & PALM est un syntagme inventé qui a un caractère inhérent suffisamment distinctif pour coexister dans le registre avec la marque PALM & Device de la demanderesse et les autres marques de commerce de tiers pour des produits de viande qui contiennent le mot PALM ou des dessins de palmier. Au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque OX & PALM ainsi qu’à la date de l’enregistrement, OX & PALM était la seule marque de commerce dans le registre qui combinait les mots OX et PALM pour des produits de viande. Dans le registre, parmi les huit marques de commerce de tiers qui contiennent le mot OX ou un dessin de bœuf et les 25 marques de commerces de tiers contenant le mot PALM ou un dessin de palmier et qui ont trait à des produits de viande, le syntagme inventé OX & PALM est distinct en ce qui a trait aux produits de viande. Par conséquent, l’accent de la marque de commerce de la défenderesse étant sur le mot OX, sa marque présente un élément distinctif important, en dépit de l’affirmation de la demanderesse.
[40] Je crois que la demanderesse exagère lorsqu’elle soutient que le mot « palm » est strictement associé à ses produits dans l’esprit des consommateurs canadiens. La preuve n’étaye pas une affirmation d’une telle ampleur.
b. La période pendant laquelle chacune des marques a été employée
[41] Plus la période pendant laquelle les marques de commerce ont coexisté sans véritable confusion est longue, plus il est difficile pour le demandeur de démontrer la probabilité de confusion. La demanderesse invoque Miss Universe, Inc. c. Bohna (1994), 58 C.P.R. (3d) 381, à l’appui de sa prétention selon laquelle le fait qu’elle utilise PALM & Device depuis plus longtemps justifie une protection plus étendue, mais la longueur de cette période et la notoriété de sa marque de commerce ne se comparent pas à la marque célèbre Miss Universe. La longueur de la période pendant laquelle une marque est en usage est prise en considération, mais elle n’est pas déterminante en l’espèce.
c. Le genre de marchandises, services ou entreprises
[42] Le genre des marchandises des parties est similaire, étant du bœuf en conserve, de prix bas similaire et de qualité équivalente, ce qui est favorable à une conclusion de confusion, mais ce facteur n’est pas en soi déterminant (United Artists, au paragraphe 26, et Governor and Co. c. Hallmark Cards, Inc (2003), 30 C.P.R. (4th) 231).
d. La nature du commerce
[43] La nature du commerce des deux parties est également très similaire, comme la demanderesse l’a souligné : les deux parties ciblent le même consommateur final (Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc. (1992), 44 C.P.R. (3d) 289), et leurs produits se trouvent dans les mêmes types de magasins (United Artists), à un prix comparable (Masterpiece et Mattel).
e. Le degré de ressemblance dans la présentation ou le son, ou dans les idées que les marques suggèrent
[44] Le degré de ressemblance est le facteur dominant, auquel il est accordé le plus de poids (Beverley Bedding, au paragraphe 149). Les marques de commerce doivent être comparées dans leur ensemble, et non en examinant séparément leurs éléments constitutifs. L’existence de similarités ne signifie pas que la confusion est probable.
[45] La demanderesse invoque la décision British Columbia Hydro and Power Authority c. Consumers’ Gas Co. (2000), 9 C.P.R. (4th) 280, dans laquelle il a été statué que les syntagmes « power smart » et « energy smart » créaient de la confusion, à l’appui de sa prétention que la ressemblance dans le son et dans les idées entre PALM & Device et OX & PALM justifie une conclusion de confusion. Cependant, dans la présente affaire, la place de l’élément commun n’est pas la même dans la marque de commerce de chacune des parties, la marque de la défenderesse commençant par OX et non par PALM.
[46] La défenderesse a raison d’affirmer qu’en l’espèce, les marques OX & PALM et PALM & Devices n’ont que peu de ressemblance l’une avec l’autre. Ce facteur l’emporte sur tout chevauchement ayant trait aux marchandises ou aux voies de commercialisation.
[47] En ce qui concerne la présentation, le mot PALM est le seul élément commun entre les deux marques, mais il est également utilisé par d’autres entités. Les divers éléments de dessin de PALM & Device, décrits par la demanderesse, soit [traduction] « une image de coucher de soleil, avec un palmier, partiellement montré de chaque côté du coucher de soleil », ne se retrouvent pas dans la marque OX & PALM, mais de nouveau d’autres entités les ont en commun, en particulier l’image d’un palmier. De plus, le mot OX est le premier mot dans OX & PALM et il n’est pas contenu dans la marque de la demanderesse.
[48] De plus, les marques ne se ressemblent pas dans le son. Le mot PALM est le dernier du syntagme inventé OX & PALM. Par conséquent, lorsqu’on prononce la marque, le premier élément entendu est OX.
[49] Enfin, à l’inverse de la marque de commerce PALM & Device, la marque de commerce OX & PALM n’évoque pas nécessairement les tropiques, car elle est dépourvue des divers dessins (coucher de soleil, palmier, soleil couchant).
[50] J’estime donc que, lorsque la marque de commerce OX & PALM est examinée dans sa totalité et comparée à PALM & Device, les marques de commerce n’ont que peu de ressemblance l’une avec l’autre, dans la présentation, le son ou les idées.
D. Les autres circonstances de l’espèce
[51] Outre les facteurs énoncés au paragraphe 6(5), les autres circonstances de l’espèce peuvent également être prises en considération pour évaluer la confusion.
[52] La défenderesse fait valoir que l’examinateur, lors de l’examen de la marque PALM & DEVICE de la demanderesse dans le cadre de la demande d’enregistrement de la marque de commerce OX & PALM ainsi que de la rédaction de sa décision, n’a pas estimé qu’OX & PALM créait de la confusion avec PALM & Device et a par ailleurs reconnu que PALM était associé aux produits de viande : il s’agit de faits pertinents favorables à une conclusion d’absence de confusion entre les marques de commerce. Je suis d’accord. L’examinateur, qui agit pour le compte du registraire des marques de commerce, connaît suffisamment le droit en matière de marques de commerce pour évaluer au quotidien l’enregistrabilité des marques de commerce (voir Masterpiece au paragraphe 112).
[53] De plus, la longue coexistence des enregistrements de marques de commerce OX & PALM et PALM & DEVICE aux États‑Unis depuis 1998 milite en faveur d’une conclusion d’absence de confusion entre les marques de commerce.
[54] En conclusion, eu égard aux facteurs du paragraphe 6(5) et aux autres circonstances de l’espèce susmentionnées, quoiqu’il existe des similarités entre PALM & Device et OX & PALM, je n’estime pas que ces similarités justifiaient une conclusion de confusion à la date où l’enregistrement de la marque de la défenderesse a été accordé.
E. La troisième question soulevée par la demanderesse
[55] La demanderesse allègue que l’enregistrement de la marque OX & PALM par la défenderesse est invalide du fait que, selon l’alinéa 18(1)b) et l’article 2 de la Loi, la marque n’était pas distinctive au moment de l’introduction de la présente instance.
[56] Le caractère distinctif peut être acquis ou inhérent. En d’autres mots, selon l’article 2 de la Loi, il y a deux façons dont une marque de commerce devient distinctive, soit en distinguant véritablement les produits, soit en étant adaptée à les distinguer ainsi.
[57] La demanderesse soutient que la défenderesse n’a pas employé sa marque de commerce avant janvier 2011, ayant effectué une seule livraison au Canada au cours de l’été 2010 et les premières ventes d’OX & PALM ayant été enregistrées en janvier 2011. Par conséquent, la demanderesse soutient que, lorsque l’avis de demande a été déposé en octobre 2010, la défenderesse n’avait pas employé sa marque de commerce et la marque n’était donc pas distinctive au moment de l’introduction de la présente instance.
[58] La défenderesse soutient à l’inverse que sa marque de commerce OX & PALM est adaptée à distinguer et que de toute façon elle avait employé sa marque avant l’introduction de la présente instance puisqu’elle a vendu ses produits en juillet 2010.
[59] Une marque qui est adaptée à distinguer est une marque qui possède un caractère distinctif inhérent, sans égard à son emploi (Astrazeneca AB c. Novopharm Ltd. (2003), 24 C.P.R. (4th) 326).
[60] En l’espèce, j’estime que la marque de commerce OX & PALM est « adaptée à [...] distinguer ainsi » pour les motifs suivants :
- comme il est indiqué précédemment, OX & PALM est un syntagme inventé qui était, le 20 octobre 2010 (et avant cette date), et est encore la seule marque de commerce dans le registre qui combine les mots OX et PALM pour des produits de viande;
- de plus, le bœuf salé OX & PALM est populaire et est connu de la collectivité philippine au Canada depuis au moins 15 ans (affidavit de David Wooby, aux paragraphes 16 et 17).
[61] Par ailleurs, comme la défenderesse l’a déclaré avec raison, la preuve démontre l’« emploi » au Canada de la marque de commerce OX & PALM avant l’introduction de la présente procédure en radiation, le 20 octobre 2010. En particulier :
- en juillet 2010, il y a eu une vente de produits OX & PALM de Heinz dans la pratique normale du commerce au cours de laquelle un conteneur d’expédition contenant 1 660 boîtes de bœuf salé OX & PALM a été livré à Centennial Food Service, le destinataire canadien;
- les marchandises vendues s’élevaient à 79 989,53 $US;
- le 28 août 2010, la cargaison est arrivée au port de Vancouver;
- dans la pratique normale du commerce, Centennial Food Service a pris possession de la cargaison de produits OX & PALM quelques jours après son arrivée à Vancouver;
- Centennial Food Service a alors vendu les produits de bœuf salé OX & PALM à ses clients au Canada. Les clients de Centennial/acheteurs de produits OX & PALM comprennent des petits magasins familiaux et des détaillants plus importants au Canada, surtout dans l’Ouest canadien.
[62] Enfin, comme j’ai conclu que la marque OX & PALM ne crée pas de confusion avec la marque PALM & Device, les ventes de produits PALM & Device effectuées par la demanderesse le 20 octobre 2010 ou antérieurement à cette date ne rendent pas non distinctive la marque de commerce OX & PALM de la défenderesse.
[63] En conclusion, étant donné que l’enregistrement de la marque de commerce OX & PALM de la défenderesse est jugé valide, la demande de radiation déposée par la demanderesse en vertu de l’article 57 de la Loi est rejetée, avec dépens.
JUGEMENT
La demande est rejetée avec dépens.
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1702-10
INTITULÉ : McCALLUM INDUSTRIES LIMITED c. HJ HEINZ COMPANY AUSTRALIA LTD.
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 7 septembre 2011
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : Le juge Pinard
DATE DES MOTIFS : Le 26 octobre 2011
COMPARUTIONS :
Timothy C. Bourne
Jaimie M. Bordman POUR LA DEMANDERESSE
Ahmed Bulbulia
John S. Macera POUR LA DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ridout & Maybee LLP POUR LA DEMANDERESSE
Ottawa (Ontario)
Macera & Jarzyna LLP POUR LA DÉFENDERESSE
Ottawa (Ontario)