[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 23 juin 2011
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX
ENTRE :
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COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER DU LITTORAL NORD DE QUÉBEC ET DU LABRADOR INC.
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Introduction et contexte factuel
[1] La Compagnie de chemin de fer du Littoral nord de Québec et du Labrador (QNS ou le transporteur) est une entreprise de compétence fédérale exploitant une ligne ferroviaire entre des points situés au Labrador et des points situés à Sept‑Îles et ses environs (Québec) (la ligne). Elle transporte principalement du minerai de fer provenant de quatre mines de la région de Schefferville, dont celle de la Compagnie minière IOC (IOC), qui est propriétaire à 100 % de QNS. Par ailleurs, la majorité des actions de IOC appartiennent à Rio Tinto Limited.
[2] New Millennium Capital Corp. (NMC) est une nouvelle société minière qui exploite une mine de minerai de fer près d’Emeril (Labrador) et qui a besoin de QNS pour transporter son minerai de fer. Les parties reconnaissent que NMC n’a pas d’autre choix que de recourir à QNS pour transporter son fret; la ligne est la seule voie principale de chemin de fer de la région, sous réserve de certaines voies de transfert reliées à la ligne. NMC est ce qu’on appelle un expéditeur captif.
[3] Après que les négociations sur les prix et les conditions de transport, qui avaient commencé vers la fin de 2008, eurent été rompues entre les parties, NMC a invoqué les dispositions de la Loi sur les transports au Canada (L.C. 1996, ch. 10) (la Loi) portant sur l’arbitrage. Le mandat de l’arbitre est limité; celui‑ci doit choisir entre la dernière offre de l’expéditeur et la dernière offre du transporteur. L’arbitre n’a pas le pouvoir d’établir un prix différent ou intermédiaire. En l’espèce, l’arbitre a choisi la dernière offre de NMC.
[4] QNS sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 18e juin 2010. Elle soulève trois motifs. En premier lieu, elle fait valoir que les dispositions en matière d’arbitrage de la Loi violent l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits (L.C. 1960, ch. 44), lequel est rédigé comme suit :
Interprétation de la législation
2. Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme
…
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations; [Notre soulignement] |
Construction of law
2. Every law of Canada shall, unless it is expressly declared by an Act of the Parliament of Canada that it shall operate notwithstanding the Canadian Bill of Rights, be so construed and applied as not to abrogate, abridge or infringe or to authorize the abrogation, abridgment or infringement of any of the rights or freedoms herein recognized and declared, and in particular, no law of Canada shall be construed or applied so as to
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[5] QNS soutient que le régime obligatoire établi par la Loi quant au déroulement de l’arbitrage la prive du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale. En particulier, elle fait valoir que les délais prévus par la Loi ne lui ont pas permis de réfuter convenablement la preuve présentée contre elle par NMC. Elle donne deux exemples précis : 1) QNS a reçu les réponses volumineuses de NMR à ses interrogatoires, conformément au paragraphe 163(4) de la Loi, tard dans la soirée du vendredi 28 mai 2010, alors que l’audition débutait le lundi suivant et que le délai pour le prononcé de la décision était fixé au 7 juin 2010; 2) la procédure établie par la Loi ne reconnaissait pas le droit de QNS de présenter une contre‑preuve.
[6] Le deuxième motif de contestation du régime législatif porte sur les paragraphes 165(4) et 165(5) de la Loi, selon lesquels la décision de l’arbitre n’énonce pas les motifs, mais que sur demande de toutes les parties dans les trente jours suivant la décision de l’arbitre, l’arbitre donne par écrit les motifs de sa décision. NMC n’a pas fait cette demande de sorte qu’il n’existe aucun motif écrit de la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire. De plus, il n’y a pas de transcription de l’audience tenue par l’arbitre. QNS soutient qu’il est contraire à la justice fondamentale que son droit à des motifs écrits dépende du consentement de l’expéditeur proposé, puisque cela l’empêche de comprendre la décision de l’arbitre et fait en sorte que celle‑ci ne peut faire l’objet d’un examen approprié lors d’un contrôle judiciaire.
[7] Le troisième motif de contestation soulevé par QNS porte sur la conduite de l’arbitre qui, étant donné les circonstances particulières de l’espèce, donne lieu, selon elle, à une crainte raisonnable de partialité. Cette allégation repose sur le fait que l’arbitre, avocat d’expérience dans un grand cabinet de Vancouver, a été nommé à titre d’arbitre unique par l’Office des transports du Canada (l’Office) le 21 avril 2010, alors qu’il représentait personnellement et simultanément, à titre d’avocat au dossier, la partie poursuivante dans une action introduite le 1er mars 2010 à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, et où l’intimée était Rio Tinto Alcan Inc., une société contrôlée par Rio Tinto Inc., tout comme IOC et QNS.
[8] La présente demande de contrôle judiciaire est particulière du fait que mon collègue, le juge Kelen, a rendu une décision dans Compagnie des chemins de fers nationaux de Canada c. Canada (Procureur général), 2007 CF 371 (Western Canadian Coal), une affaire fondée sur l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits dans laquelle CN contestait une décision arbitrale pour les motifs suivants : 1) le délai rapide prévu pour le dépôt de documents et la réponse à un avis d’arbitrage n’accordait pas à CN suffisamment de temps pour préparer sa cause ou pour connaître la preuve qu’elle devait réfuter, 2) les dispositions en matière d’arbitrage ne prévoyaient aucun critère juridique intelligible devant être appliqué par l’arbitre lorsqu’il rend sa décision, et 3) ces dispositions privaient CN d’un accès aux motifs de l’arbitre.
[9] Le juge Kelen a conclu que la Déclaration canadienne des droits s’appliquait au processus décisionnel de l’arbitrage, mais que ce processus n’était pas incompatible avec l’alinéa 2e). À son avis, 1) CN disposait de suffisamment de temps pour préparer sa cause et connaître la preuve qu’elle devait réfuter; 2) les dispositions suivant lesquelles la décision de l’arbitre n’énonce pas les motifs à moins que toutes les parties ne le demandent ne violaient pas les principes de droit administratif applicables énoncés dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker); 3) la Politique nationale des transports énoncée à l’article 5 de la Loi prévoyait un critère juridique permettant à l’arbitre de rendre sa décision. Aucun appel n’a été interjeté à l’encontre de la décision du juge Kelen.
[10] La décision du juge Kelen dans Western Canada Coal soulève une question de courtoisie judiciaire, principe dont j’ai exposé les grandes lignes dans Almrei c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1025, (Almrei), aux paragraphes 61 et 62.
Le principe de courtoisie judiciaire est bien reconnu par la magistrature canadienne. Appliqué dans des décisions rendues par les juges de la Cour fédérale, ce principe signifie qu’une décision essentiellement semblable qui est rendue par un juge de notre Cour devrait être adoptée dans l’intérêt de favoriser la certitude du droit. Je cite les causes suivantes :
• Haghighi c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 272;
• Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461;
• Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 446;
• Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283;
• Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1008;
• Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1005;
• Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., (1996), 67 C.P.R. (3d) 377;
• Bell c. Cessna Aircraft Co., [1983] 149 DLR (3d) 509 (C.A. C.‑B.)
• Glaxco Group Ltd. et al. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social et al., 64 C.P.R. (3d) 65;
• Steamship Lines Ltd. c. M.R.N., [1966] R. C. de l’É. 972.
Il y a plusieurs exceptions au principe de courtoisie judiciaire qui est exposé ci‑dessus; ce sont les suivantes :
1. Les cas où l’ensemble de faits ou les éléments de preuve ne sont pas les mêmes pour les deux causes;
2. Les cas où la question à trancher est différente;
3. Les cas où la décision antérieure n’a pas examiné la loi ou la jurisprudence qui auraient donné lieu à un résultat différent, c’est‑à‑dire lorsque la décision était manifestement erronée;
4. Les cas où la décision suivie créerait une injustice.
[11] Sauf accord entre les parties à l’effet contraire, l’alinéa 165(1)c) de la Loi limite la durée de vie d’une décision arbitrale à un an ou moins. La date à laquelle la décision arbitrale commence à s’appliquer est prévue au paragraphe 165(6) de la Loi. C’est la date à laquelle la demande a été reçue par l’Office, soit, en l’espèce, le 7 avril 2010. Elle cesse donc de s’appliquer le 7 avril 2011. La décision faisant l’objet du présent contrôle n’a donc plus d’effet. En fait, aucun minerai de fer n’a été livré par NMC ni dans des trains‑bloc, ni dans des charges d’un seul wagon pendant que la décision était applicable.
II. La procédure d’arbitrage prévue par la Loi
[12] Les dispositions en matière d’arbitrage de la Loi figurent aux articles 161 à 170.
[13] Je reproduis ci‑dessous, en ordre chronologique et selon ce qui s’applique à l’espèce, la procédure établie par ces dispositions :
i. NMC devait donner avis à QNS qu’elle entendait recourir à l’arbitrage de l’Office au moins cinq jours avant de présenter sa demande d’arbitrage. NMC a donné son avis à QNS le 19 mars 2010 [paragraphe 161(3)], ce qui excède considérablement le délai prescrit par la Loi.
ii. NMC a présenté à l’Office sa demande d’arbitrage, qui contenait sa dernière offre, mais sans mention de sommes d’argent pour le prix de transport du fret. La demande de NMC a été présentée le 7 avril 2010 [paragraphe 161(2)].
iii. L’expéditeur et le transporteur devaient présenter chacun leur dernière offre, en y incluant la mention de sommes d’argent pour le transport du fret, dans les dix jours suivant la demande de NMC au titre du paragraphe 161(2). Cela a été fait le 16 avril 2010.
iv. QNS devait présenter sa demande à l’Office au titre de l’article 162.1 dans les cinq jours suivant la troisième étape. QNS a présenté une demande à l’Office le 19 avril 2010. Dans cette demande, le transporteur soutenait que l’Office ne devait pas renvoyer la question à un arbitre parce que 1) la procédure d’arbitrage établie par la Loi viole l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, 2) la demande de NMC était théorique et prématurée parce que NMC n’était pas en mesure d’expédier son minerai de fer vu que la mine était encore en développement, 3) NMC n’était pas un expéditeur au sens de la Loi, et 4) la demande de NMC était invalide parce qu’elle ne respectait pas le paragraphe 161(2). Le 14 octobre 2010, soit après que la décision d’arbitrage ait été rendue le 18 juin 2010, l’Office a rejeté toutes les prétentions de QNS. QNS n’a pas demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision devant la Cour d’appel fédérale.
v. La question doit être soumise à l’arbitre dans les cinq jours suivant la troisième étape. Cela a été fait le 21 avril 2010 [paragraphe 162(1)].
vi. L’arbitre et les parties ont participé à une conférence préparatoire le 29 avril 2010. Il a été convenu que l’audience aurait lieu entre le 31 mai et le 4 juin 2010, et que pour respecter le délai de 60 jours prévu à l’alinéa 165(1)b), la décision devait être rendue le 7 juin 2010, sauf accord entre les parties à l’effet contraire. Les parties ont convenu que la décision de l’arbitre serait rendue au plus tard le 8 juin 2010, parce que le 7 juin 2010 était un dimanche. Comme nous le verrons, les parties ont par la suite convenu de reporter au 18 juin 2010 la date à laquelle la décision d’arbitrage devait être rendue. L’audience a commencé le lundi 31 mai 2010 et a duré quatre jours. Elle a repris le 14 juin et s’est poursuivie jusqu’au 17 juin 2010.
vii. Les renseignements que les parties ont l’intention de présenter à l’arbitre à l’appui de leurs dernières offres doivent être échangés dans les 15 jours suivant la cinquième étape. Ces renseignements ont été simultanément échangés le 6 mai 2010. [paragraphe 163(3)]
viii. Dans les sept jours suivant la septième étape, chaque partie peut adresser à l’autre des interrogatoires écrits auxquels il doit être répondu dans les quinze jours suivant leur réception. Chaque partie a adressé des interrogatoires écrits à l’autre partie le 13 mai 2010 [paragraphe 163(4)].
ix. Les réponses aux interrogatoires écrits ont été échangées tard dans la soirée du 28 mai 2010.
x. L’audience présidée par l’arbitre a commencé le lundi 31 mai 2010 et a duré quatre jours. Elle a repris le 14 juin 2010 et s’est poursuivie pendant quatre autres jours pour se terminer le 17 juin 2010.
xi. L’arbitre a rendu sa décision le 18 juin 2010, soit 72 jours après que NMC ait présenté sa demande, le 19 mars 2010.
III. Autres dispositions législatives
[14] Il convient de mentionner certaines autres dispositions qui complètent le régime d’arbitrage établi par la Loi.
· Comme je l’ai mentionné, la décision de l’arbitre, qui doit être rendue par écrit, consiste à choisir entre la dernière offre de l’expéditeur et celle du transporteur [165(1)].
· Sauf accord entre les parties à l’effet contraire, la décision de l’arbitre doit être rendue de manière à être applicable à celles‑ci pendant un an, ou le délai inférieur indiqué, eu égard aux négociations ayant eu lieu entre les parties avant l’arbitrage; le paragraphe 165(6) prévoit que, sauf accord entre les parties à l’effet contraire, la décision de l’arbitre est définitive et obligatoire, s’applique aux parties à compter de la date de la réception de la demande d’arbitrage par l’Office, soit, en l’occurrence, le 7 avril 2010. La décision arbitrale étant limitée à un an, elle a cessé de s’appliquer le 7 avril 2011, comme je l’ai indiqué.
· J’ai également mentionné que le paragraphe 165(4) prévoit que « [l]a décision de l’arbitre n’énonce pas les motifs », et que le paragraphe 165(5) prévoit que « [s]ur demande de toutes les parties à l’arbitrage présentée dans les trente jours suivant la décision de l’arbitre […] l’arbitre donne par écrit les motifs de sa décision ».
· Le paragraphe 165(3) prévoit que le transporteur inscrit, sans délai après la décision de l’arbitre, les prix ou conditions liés au transport dans un tarif public, sauf si les dispositions d’un contrat confidentiel s’appliquent.
· Le paragraphe 164(1) prévoit que « [d]ans un cas d’arbitrage entre un expéditeur et un transporteur, l’arbitre tient compte des renseignements que lui fournissent les parties à l’appui de leurs dernières offres et, sauf accord entre les parties à l’effet de restreindre la quantité des renseignements à fournir à l’arbitre, des renseignements supplémentaires que celles‑ci lui ont fournis à sa demande ».
· Le paragraphe 164(2) prévoit que « [s]auf accord entre les parties à l’effet contraire, l’arbitre tient également compte de la possibilité pour l’expéditeur de faire appel à un autre mode de transport efficace […] des marchandises [de l’expéditeur] ainsi que de tout autre élément utile ».
· Le paragraphe 163(1) prévoit que l’Office peut établir les règles de procédure applicables à l’arbitrage dans les cas où les parties et l’arbitre ne peuvent s’entendre sur la procédure. Ces règles ont été appliquées en l’espèce. Cependant, elles sont assujetties aux délais prescrits par la loi.
· Le paragraphe 163(5) prévoit que, si une partie dissimule de façon déraisonnable des renseignements que l’arbitre juge ultérieurement pertinents, l’arbitre tient compte de cette dissimulation dans sa décision. [Non souligné dans l’original.]
IV. Précisions sur la procédure suivie
[15] Comme je l’ai mentionné, NMC n’a pas donné à QNS le court avis de cinq jours qu’elle allait déposer une demande d’arbitrage. Elle lui a en fait donné un avis plus long, soit 19 jours, avant de devoir faire l’offre prévue à la première phase de l’arbitrage.
[16] L’arbitre a été nommé par l’Office le 21 avril 2010. Il a tenu une conférence préparatoire le 29 avril 2010, dont les résultats peuvent être résumés comme suit :
· L’affaire ferait l’objet d’une audience.
· Les délais prévus par la Loi ont été confirmés.
· Il a été convenu que les deux parties feraient entendre des experts et que les rapports d’experts devraient normalement faire partie des renseignements devant être échangés le 6 mai 2010.
· Quant aux interrogatoires écrits, il a été convenu que ni les interrogatoires écrits ni les réponses ne seraient présentés à l’arbitre avant l’audience, et que chaque partie serait libre de choisir les réponses aux interrogatoires écrits qu’elle souhaitait inclure dans sa preuve.
· Les parties devaient discuter d’une date pour procéder à l’échange des listes des témoins et à l’échange des résumés des déclarations des témoins, et pour décider si les témoins témoigneraient en groupe ou individuellement.
· Un échéancier a été établi pour la présentation d’observations sur l’admissibilité d’éléments portant sur les négociations antérieures à l’arbitrage, étant donné que celles‑faisaient l’objet d’une entente de confidentialité. QNS s’est opposée à la preuve que NMC entendait présenter à cet égard. L’arbitre a tranché en faveur de QNS.
· La question de la confidentialité a été soulevée par NMC, qui a insisté pour que tous les documents soient gardés confidentiels, conformément à l’article 167 de la Loi, surtout que IOC était propriétaire à 100 % de QNS et que Rio Tinto Limited était l’actionnaire contrôlant de IOC. NMC souhaitait préserver la confidentialité à l’égard de ces deux entités parce que NMC ferait concurrence à IOC sur le marché mondial du minerai de fer. QNS a indiqué que cela n’était pas possible étant donné qu’une partie du personnel concerné par l’arbitrage était employée par IOC.
· La question de la contre‑preuve a été soulevée, c’est‑à‑dire si chacune des parties était libre de présenter des renseignements additionnels après l’échange du 6 mai. L’arbitre a conclu que chaque partie pouvait s’adresser à lui en vue d’obtenir une ordonnance l’autorisant à ce faire dans le cas où cette preuve n’aurait pas pu être raisonnablement communiquée plus tôt. Le 25 mai 2010, QNS a demandé l’autorisation de présenter en contre‑preuve des documents supplémentaires. L’avocat de NMC s’y est opposé. Des observations ont été présentées à l’arbitre. L’arbitre a rejeté la demande d’autorisation de QNS de présenter des éléments de contre‑preuve sur les tarifs de porte ouverte de BC Rail (TPO). Il a également rejeté la demande d’autorisation de QNS de présenter des éléments de preuve additionnels sur l’analyse comparative des données sur les minerais métalliques tirée d’un document américain intitulé Public Use Waybill Sample (PUWS) au sujet de laquelle les experts de NMC avaient fait des commentaires. Il a expliqué que les deux questions auraient pu raisonnablement être soulevées plus tôt et qu’elles pourraient raisonnablement être abordées en contre‑interrogatoire. L’arbitre a autorisé QNS à présenter des éléments de contre‑preuve sur le recours à Wabush Mines, qui expédie des marchandises pour QNS, comme éléments de comparaison.
[17] L’étendue des renseignements échangés entre les parties le 6 mai 2010 mérite un commentaire. Chacune des parties a présenté une abondance de renseignements, dont un exposé des raisons pour lesquelles sa dernière offre devait être choisie par l’arbitre.
[18] L’exposé de NMC comportait 35 pages au total, et les documents qu’elle a transmis à QNS comportaient 35 onglets, incluant une copie de tous ses rapports d’experts. Cinq de ces rapports portaient sur des études de faisabilité faites dans le cadre de trois projets de mine de fer dans lesquels l’entreprise était alors engagée dans la région de Labrador/Schefferville, notamment le projet minier connu sous le nom de Projet de minerai de fer à enfournement direct (PMFED); il s’agit de la mine de NMC devant fournir le minerai de fer visé par l’arbitrage. Trois autres de ces rapports étaient accessoires. Ils consistaient en une étude sur l’impact économique du PMFED et en deux études faites par un expert et portant sur les Premières nations de la région visée et sur certaines questions environnementales. Les principaux rapports d’expert de NMR étaient les suivants :
a. Une analyse de la capacité de QNS de transporter les marchandises du PMFED.
b. Un rapport de QNS sur la gestion des opérations ferroviaires.
c. Une étude sur les coûts ferroviaires, sur laquelle reposait le calcul du prix de la dernière offre de NMC.
d. Un rapport sur les questions économiques ayant trait à l’établissement des prix devant être payés par QNS pour le transport du minerai du PMFED.
e. Une analyse comparative des taux ferroviaires exigés pour le transport du minerai de fer.
f.
Une estimation des
coûts de transport du minerai de fer par QNS entre Emeril Junction et Arnaud
Junction.
[19] Les renseignements communiqués par QNS comportaient également des observations détaillées sur le contexte et l’objet de sa demande. Elles s’étendaient sur plus de 25 pages, soit 99 paragraphes, étayées par trois volumes de renseignements envoyés à NMC, dont les rapports d’expert d’Oliver Wyman Inc. sur l’analyse comparative des taux établis, et de M. Tretheway sur la formule appropriée d’établissement des prix liés au transport par QNS du minerai de fer de NMC. M. Tretheway préconisait dans ce cas d’abandonner l’idée d’un prix établi sur [traduction] « la base de coûts ferroviaires variables à long terme au profit d’un prix que QNS établirait selon une approche d’établissement des coûts tenant compte des particularités du projet ». Selon lui, la méthode réglementaire d’établissement des prix sous‑évaluerait les coûts réellement supportés par QNS pour le transport des marchandises de NMC. Il a indiqué qu’au contraire, sa méthode tenait compte de tous les coûts qui seraient engagés par QNS, incluant les coûts liés aux nouveaux investissements, au maintien des niveaux de services offerts aux expéditeurs existants, et à une plus grande marge de sécurité relative au coût en capital.
[20] Le processus d’arbitrage a atteint une autre étape importante le 13 mai 2010, alors que chaque partie a adressé à l’autre des interrogatoires écrits. NMC a posé 140 questions à QNS sur des sujets tels que les rapports d’experts, les coûts supportés par QNS, les dépenses, les ressources, les opérations ferroviaires, les employés ou dirigeants communs à IOC, QNS et Rio Tinto Limited, les études de capacité, les taux exigés des autres clients utilisant la ligne de QNS, les décisions arbitrales dans les dossiers opposant QNS et Wabush Mines, ainsi que les négociations intervenues entre NMC et QNS.
[21] QNS a adressé 562 interrogatoires écrits à NMC, dont certains consistaient en des questions multiples couvrant tous les aspects du dossier de renseignements transmis par NML, en particulier les rapports d’expert de NMC sur l’établissement des prix, l’établissement des coûts, la capacité de la voie principale et certaines questions économiques.
[22] Le 28 mai 2010, chaque partie a donné à l’autre ses réponses aux interrogatoires écrits. Au vu du dossier, je constate que QNS a refusé de répondre aux interrogatoires qui lui étaient adressés sur des sujets tels que les coûts variables à long terme, les états des résultats, les dépenses en capital, les budgets pro forma, la consommation de carburant, les augmentations de la productivité, les prix exigés des autres clients de la ligne, les résultats des arbitrages précédents avec Wabush Mines concernant le transport de minerai de fer et les détails des négociations auxquelles elle avait participé avec NMC.
[23] Le 20 mai 2010, l’avocat de QNS a écrit à l’avocat de NMC à propos des derniers éléments de l’échéancier, à savoir les interrogatoires auxquels il devait être répondu au plus tard le 28 mai 2010, le début de l’audience le 31 mai 2010 et la date à laquelle l’arbitre devait rendre sa décision, soit le 8 juin 2010. Il a fait valoir que les délais antérieurs du 6 mai (échange de renseignements) et du 13 mai (échange d’interrogatoires écrits) ne donnaient pas suffisamment de temps à QNS pour préparer et déposer son dossier de renseignements, et que l’échéancier ne lui permettait pas d’analyser les renseignements et de préparer sa cause. Il a proposé que les parties prolongent les délais réglementaires [traduction] « afin que nous puissions préparer et présenter convenablement notre défense et notre cause ».
[24] Il a demandé une réponse immédiate et a envoyé une copie de la lettre à l’arbitre. NMC n’a pas répondu immédiatement, mais les choses ont changé lorsque les avocats respectifs des parties ont répondu à la proposition que l’arbitre leur avait faite le 25 mai 2010, à savoir que les parties discutent de la liste de leurs témoins respectifs et du temps qui pourrait être alloué aux témoignages. Les deux parties ont présenté des observations par écrit ou oralement.
[25] Le 28 mai 2010, l’arbitre a indiqué que les parties avaient évalué à 18,5 heures le temps nécessaire pour l’audition des témoins. Il a suggéré de réduire le temps alloué aux témoins ou de continuer l’audience dans la semaine du 7 juin 2010. Il a proposé que les rapports d’expert lors des interrogatoires principaux soient considérés comme déjà lus. De nombreuses discussions ont eu lieu ce jour‑là et les jours suivants entre les avocats et l’arbitre. Il a surtout été question de proroger le délai prévu par la loi relativement à la décision de l’arbitre. En particulier, le 29 mai 2010, l’arbitre a soulevé des questions de pertinence. Il a dit que les questions principales étaient soulevées dans les onglets 20 à 25 des observations écrites de NML, et dans les onglets 5 et 6 des observations écrites de QNS, et qu’il convenait de leur consacrer la plus grande partie du temps. Il a exprimé un doute quant au caractère litigieux des renseignements généraux et a mis en question la nécessité pour les parties d’assigner les dirigeants des sociétés.
[26] Comme je l’ai mentionné, l’audience a commencé le 31 mai 2010 et s’est poursuivie jusqu’au 4 juin 2010. Voyant que le temps manquait et que l’avocat de QNS n’était pas disponible pendant la semaine du 7 juin 2010, les parties ont convenu que l’audience reprendrait le 12 juin 2010 et que l’arbitre pourrait rendre sa décision le 18 juin 2010. Des observations finales écrites et verbales ont été présentées le 17 juin par les deux parties.
V. Analyse
a) La norme de contrôle
[27] Les deux parties conviennent que les questions de justice naturelle et d’équité procédurale ne sont pas assujetties à une analyse de la norme de contrôle. Dans ce domaine, la Cour contrôle les décisions des tribunaux administratifs selon la norme de la décision correcte.
[28] L’avocat de QNS soutient que la question de savoir si la procédure prévue par la Loi en matière d’arbitrage viole l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits soulève également une question d’équité procédurale à laquelle s’applique la norme de la décision correcte. L’avocat de NMC soutient que la Cour n’a pas été dûment saisie de cette question parce qu’elle n’a pas été soumise à l’arbitre, mais qu’advenant qu’elle m’ait été dûment soumise, elle devrait être contrôlée selon la norme de la décision correcte. C’est la norme que le juge Kelen a appliquée dans l’affaire Western Canadian Coal (voir par. 16). Si je devais me pencher sur la question de savoir si le régime législatif en matière d’arbitrage contrevient à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, je reconnais que la norme applicable serait celle de la décision correcte.
(b) Les questions préliminaires
[29] Premièrement, l’avocat de NMC a soutenu que la question de savoir si les dispositions de la Loi sur les transports au Canada étaient sans effet n’avait pas été dûment soumise à la Cour. NMC n’a pas prétendu que la Déclaration canadienne des droits ne s’appliquait pas à QNS en ce sens que le processus d’arbitrage ne visait pas à déterminer [traduction] « les droits et les obligations » de QNS, qui est une condition préalable à l’application de l’alinéa 2e).
[30] L’avocat de NMC a soutenu que QNS n’avait présenté aucun élément de preuve ou argument à l’arbitre à cet égard. Il est également vrai que QNS a soumis la question à l’Office le 19 avril 2010, et que l’Office ne s’est prononcé que le 14 octobre 2010, et a rejeté la question parce qu’elle avait déjà été tranchée par le juge Kelen dans l’affaire Western Canadian Coal. Je mentionne également que QNS n’a pas interjeté appel de la décision de l’Office à la Cour d’appel fédérale, comme le prévoit l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C., 1985, ch. F‑7).
[31] Je me pencherai maintenant sur la question de savoir si le régime d’arbitrage est sans effet parce qu’il prive une personne du droit à une audition impartiale de sa cause selon les principes de la justice fondamentale. Le procureur général fédéral et tous les procureurs généraux provinciaux ont été avisés conformément à l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales et aucun d’eux n’est intervenu, alors que certains l’ont fait dans l’affaire Western Canadian Coal. La preuve présentée par QNS démontrait comment les délais prévus par le processus d’arbitrage ne lui permettaient pas de faire convenablement la preuve de ses prétentions et de réfuter les éléments de preuve de la partie adverse. Ce critère est bien connu en common law et, quoi qu’il en soit, QNS aurait pu le faire valoir sans invoquer la Déclaration canadienne des droits. De plus, il est bien établi en droit que l’article 7 de la Charte des droits et libertés ou l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits trouvent leur source dans la common law (voir Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 RCS 177). Je dispose d’une preuve suffisante pour trancher la question. Enfin, la question a été pleinement débattue devant moi.
[32] La deuxième question soulevée est celle du caractère théorique. Elle se pose du fait que la décision arbitrale qui liait QNS et NMC a cessé de s’appliquer le 7 avril 2011, peu après que la Cour ait mis l’affaire en délibéré.
[33] La Cour a le pouvoir discrétionnaire de statuer sur une affaire théorique dans certaines circonstances. C’est le cas lorsqu’il est probable que la question sous‑jacente au litige qui oppose les parties demeure actuelle. Le différend entre QNS et NMC au sujet des prix appartient à cette catégorie pour ce qui est de la contestation fondée sur la Déclaration canadienne des droits que soulève QNS, de la question de l’audition impartiale, ainsi que de la négation du droit aux motifs. En termes pratiques, à moins que les parties ne parviennent à un règlement négocié pour la période postérieure au 7 avril 2011, NMC n’aura d’autre choix que de déposer une nouvelle demande d’arbitrage.
[34] Cependant, la troisième question, soit celle de la partialité de l’arbitre découlant du fait que celui‑ci agissait en même temps comme avocat de la partie poursuivante dans une affaire contre Rio Tinto Alcan, filiale de Rio Tinto Limited, donne lieu à des considérations différentes. La réparation qui s’attache à une conclusion de partialité est l’annulation de la décision – en l’espèce, la décision arbitrale favorable à NMC. Comme celle‑ci a cessé de s’appliquer, il n’y a rien à annuler.
[35] De plus, il n’existe aucune autre réparation qui pourrait s’attacher à une conclusion de partialité parce que NMC n’a expédié aucun minerai de fer par la ligne de QNS pendant que la décision arbitrale était en vigueur. Je remarque également que l’arbitre a cessé de représenter la partie poursuivante dans une affaire portée devant la Cour suprême de la C.‑B. avant de rendre sa décision en l’espèce. Dans les circonstances, il ne servirait à rien de trancher la question de la partialité. Toute décision à cet égard serait purement théorique. La question de la partialité est rejetée en raison de son caractère théorique.
c) La Déclaration canadienne des droits
[36] Le processus législatif menant à une décision arbitrale sur les offres finales, qui consiste simplement dans le choix par l’arbitre entre la dernière offre de l’expéditeur et celle du transporteur, en ce qui a trait aux prix et aux conditions de transport, est‑il incompatible avec l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits et est‑il par conséquent sans effet à l’égard des parties?
Le contexte
[37] Le contexte dans lequel le processus d’arbitrage des offres finales, applicable entre un expéditeur donné et un transporteur donné, a été introduit en droit fédéral sur le transport ferroviaire est important.
[38] L’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office national des transports), [1996] 1 C.F. 355 est instructive.
[39] Dans cette affaire, le CN soutenait que les dispositions relatives à l’arbitrage des offres finales contrevenaient au partage des compétences établi par la Constitution parce que le législateur fédéral empiétait sur le paragraphe 92(13), portant sur les droits civils et de propriété, une matière relevant de la compétence exclusive des provinces.
[40] Le juge Marceau a rédigé les motifs de la Cour. Il a indiqué que l’arbitrage avait été introduit dans la Loi de 1987 sur les transports nationaux « pour servir de nouvelles visées et de nouvelles politiques relatives au système des transports ». Ces nouvelles visées et ces nouvelles politiques consistaient dans la déréglementation des prix exigés pour le transport de la plupart des marchandises, y compris le minerai de fer.
[41] Il a fait les remarques suivantes sur les nouvelles dispositions en matière d’arbitrage :
‑ Il est vrai que les dispositions contestées visent les relations contractuelles de nature commerciale qu’entretiennent des expéditeurs et des transporteurs, qu’elles introduisent un recours en cas de litige opposant des parties privées sans mettre en cause de questions d’intérêt public, et qu’elles créent un mécanisme qui ne confère qu’au début un rôle direct à l’Office, la décision de l’arbitre étant définitive et exécutoire.
‑ Mais il est bien établi en droit, en l’absence de spéciosité, que des dispositions législatives qui portent sur un sujet relevant de la compétence du gouvernement fédéral peuvent avoir une incidence sur des questions relevant de la compétence des provinces, y compris les droits civils et de propriété.
‑ Les dispositions d’arbitrage de la LTN 1987 établissent un moyen de fixer des prix dans des cas spéciaux et, en tant que telles, font partie intégrante de tout le dispositif législatif choisi par le Parlement pour réglementer les prix du transport dans le nouveau contexte économique et commercial qui prévaut à l’heure actuelle au Canada.
‑ Ces dispositions visent expressément les différends portant sur les prix du transport de marchandises ou les conditions imposées à leur égard, des questions qui font partie intégrante de l’exploitation des chemins de fer.
‑ Le règlement rapide, simple et hors cour de ces différends, grâce à une intervention indirecte de l’Office, constitue sans aucun doute un moyen "un moyen important" d’atteindre l’objet et le but de la nouvelle Loi de 1987 sur les transports nationaux qui, ainsi qu’il est dit de manière plus détaillée à l’article 3 […] de cette dernière, vise, en fait, à rendre l’industrie ferroviaire, en particulier, plus efficace et plus concurrentielle, et le système de transport, en général, plus économique. [Non souligné dans l’original.]
[42] Dans une affaire antérieure, Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office national des transports) [1994] ACF no 859 (Handyside), la Cour d’appel fédérale a fait la même remarque, au paragraphe 9, à savoir que le législateur voulait que le processus d’arbitrage soit « pratique et expéditif », et qu’il ne soit pas aisé d’y faire obstacle.
[43] Dans Cie. des chemins de fer nationaux du Canada c. Moffatt, 2001 C.A.F. 281, le juge Rothstein, maintenant juge à la Cour suprême du Canada, a écrit :
L’arbitrage est offert en dernier recours lorsqu’une compagnie de chemin de fer et un expéditeur n’arrivent pas à s’entendre sur les prix ou les conditions du transport. En réalité, suivant les alinéas 161(2)a) et b), la dernière offre faite par l’expéditeur et la plus récente offre faite par le transporteur à l’expéditeur doivent être soumises à l’Office en vue de leur renvoi à un arbitre. Il serait incongru que la dernière offre et l’offre la plus récente visant un acheminement direct soient renvoyées pour arbitrage, puis que l’arbitre soit tenu de n’examiner que la portion du mouvement effectuée par rail. [Non souligné dans l’original.]
[44] Dans l’affaire Western Canadian Coal, le juge Kelen a décrit les dispositions en matière d’arbitrage de la Loi sur les transports au Canada dans les termes suivants :
L’arbitrage a été décrit comme [traduction] « une forme d’arbitrage à risque intentionnellement élevé » qui favorise le règlement et assouplit les positions finales. L’arbitrage règle des différends isolés à l’égard des prix qu’un transporteur facture pour une période d’une année dans les cas où les parties ne peuvent s’entendre. La tâche de l’arbitre consiste à choisir la plus raisonnable des deux offres présentées. Comme l’indique l’alinéa 165(6)a) de la Loi, la décision de l’arbitre a pour but d’apporter une finalité au différend. La durée limitée de l’effet obligatoire de la décision pour les parties est étroitement liée au cadre limité dans lequel l’arbitrage a lieu. La question soulevée par la demanderesse est de savoir si, en vertu de ce cadre limité, le régime d’arbitrage prive illicitement la demanderesse de la possibilité adéquate de préparer et de présenter sa cause. [Non souligné dans l’original.]
Les principes
[45] Dans l’arrêt Singh, la juge Wilson a tranché la question de l’équité procédurale dont bénéficiait un revendicateur du statut de réfugié en vertu de la Loi sur l’immigration en s’appuyant sur l’article 7 de la Charte. Elle a dit que tous les avocats s’entendaient pour dire que la notion de « justice fondamentale » qui figure à l’article 7 de la Charte englobait au moins la notion d’équité en matière de procédure énoncée par le juge en chef Fauteux dans l’arrêt Duke c. La Reine, [1972] R.C.S. 917, une décision fondée sur l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, qu’elle a citée :
En vertu de l’art. 2(e) de la Déclaration des droits, aucune loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer de manière à le priver d’une « audition impartiale de sa cause selon les principes de justice fondamentale ». Sans entreprendre de formuler une définition finale de ces mots, je les interprète comme signifiant, dans l’ensemble, que le tribunal appelé à se prononcer sur ses droits doit agir équitablement, de bonne foi, sans préjugé et avec sérénité, et qu’il doit donner à l’accusé l’occasion d’exposer adéquatement sa cause. [Non souligné dans l’original.]
[46] La juge a déclaré que la question à laquelle la Cour suprême du Canada devait répondre dans cette affaire était la suivante :
La procédure d’arbitrage des revendications du statut de réfugié énoncée dans la Loi satisfait‑elle à ce critère d’équité en matière de procédure? Offre‑t‑elle à la personne qui revendique le statut de réfugié une possibilité suffisante d’exposer sa cause et de savoir ce qu’elle doit prouver? [Non souligné dans l’original.]
[47] Elle a conclu que sous le régime de la Loi sur l’immigration alors en vigueur le revendicateur du statut de réfugié ne bénéficiait d’aucune de ces possibilités.
[48] Dans l’arrêt Singh, le juge Beetz est parvenu au même résultat en appliquant l’alinéa 2e) de la Charte qui confère le droit à « une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale », et il a ajouté :
Ces principes n’exigent pas la tenue d’une audition dans tous les cas. Le contenu de la justice fondamentale sur le plan de la procédure dans un cas donné dépend de la nature des droits en cause et de la gravité des conséquences pour les personnes concernées. Les menaces à la vie ou à la liberté de la part d’une puissance étrangère sont pertinentes en ce qui concerne le genre d’audition justifiée dans les circonstances. [Non souligné dans l’original.]
[49] Selon lui, le statut de réfugié avait été refusé à l’appelant sans que celui‑ci ait pu bénéficier d’une audition complète à aucun moment au cours de la procédure d’examen. Il estimait également que les droits accordés à un réfugié au sens de la Convention « sont d’une importance vitale pour les appelants », et il a ajouté :
De plus, lorsque la vie ou la liberté peut dépendre de conclusions de fait et de la crédibilité, la possibilité de soumettre des observations écrites, même assortie de la possibilité de répondre par écrit aux allégations de fait et de droit défavorables, est insuffisante. [Non souligné dans l’original.]
[50] Dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 C.S.C. 1 (Suresh), qui reposait sur l’article 7 de la Charte, la Cour suprême du Canada devait déterminer si la procédure d’expulsion établie par la Loi sur l’immigration était constitutionnelle. Le Canada avait accordé à M. Suresh le statut de réfugié au sens de la Convention. Le ministre envisageait de l’expulser au Sri Lanka, alors que M. Suresh avait convaincu la Commission de l’immigration qu’il craignait avec raison d’être persécuté par le gouvernement de ce pays.
[51] La question soumise à la Cour portait sur les garanties procédurales dont M. Suresh pouvait se prévaloir. La Cour a estimé « utile d’examiner la notion d’équité procédurale en common law dont madame le juge L’Heureux‑Dubé a fait état dans l’arrêt Baker » (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S, 817 (Baker)), mais non pas comme une fin en soi, car « les règles de common law n’acquièrent pas le statut de règles constitutionnelles; elles servent à clarifier les principes constitutionnels qui s’appliquent en l’espèce ».
[52] Avant de procéder à l’analyse des facteurs énoncés dans Baker, la Cour suprême du Canada a souligné que « dans une instance semblable à celle dont nous sommes saisis […] nos propositions doivent être appliquées en tenant compte du contexte de chaque situation factuelle particulière ». [Non souligné dans l’original.]
[53] La Cour suprême du Canada a alors examiné les facteurs analysés dans Baker afin de déterminer non seulement s’il avait été satisfait à l’obligation d’équité en vertu de la common law, mais également si la garantie accordée était conforme aux exigences de l’article 7 de la Charte.
[54] Au paragraphe 115 de sa décision, la Cour suprême du Canada a précisé que « [l]’obligation d’équité — et par conséquent les principes de justice fondamentale — exigent en fait que la question soulevée soit tranchée dans le contexte de la loi en cause et des droits touchés ». Elle a ajouté ceci :
Plus précisément, pour décider des garanties procédurales qui doivent être accordées, nous devons tenir compte, entre autres facteurs, (1) de la nature de la décision recherchée et du processus suivi pour y parvenir, savoir « la mesure dans laquelle le processus administratif se rapproche du processus judiciaire », (2) du rôle que joue la décision particulière au sein du régime législatif, (3) de l’importance de la décision pour la personne visée, (4) des attentes légitimes de la personne qui conteste la décision lorsque des engagements ont été pris concernant la procédure à suivre et (5) des choix de procédure que l’organisme fait lui‑même : Baker, précité, par. 23‑27. Cela ne signifie pas qu’il est exclu que d’autres facteurs et considérations entrent en jeu. Cette liste de facteurs n’est pas exhaustive même pour circonscrire l’obligation d’équité en common law : Baker, précité, par. 28. Elle ne l’est donc forcément pas pour décider de la procédure dictée par les principes de justice fondamentale. [Non souligné dans l’original.]
[55] La Cour suprême du Canada a estimé que, 1) comme la décision était grave, de par sa nature, nécessitant l’évaluation et la pondération des risques, elle devait conserver un caractère discrétionnaire en ce qui avait trait à l’évaluation des antécédents, des dangers actuels et du comportement futur, d’où sa conclusion que la décision ne militait ni en faveur de l’application de garanties procédurales particulièrement strictes, ni en faveur de l’application de garanties particulièrement laxistes.
[56] Il en allait autrement de la nature du régime législatif, qui requérait des garanties procédurales solides parce qu’« il existe une disparité troublante » entre les garanties accordées lors de la révision d’une attestation ministérielle et l’absence de garantie à l’alinéa 53(1)b), qui ne prévoyait ni audience, ni communication de motifs par écrit ou de vive voix, ni droit d’appel – aucune procédure en fait.
[57] L’importance du droit visé militait en faveur de garanties accrues parce que, plus l’incidence de la décision sur la vie de l’intéressé est grande, « plus les garanties procédurales doivent être importantes afin que soient respectées l’obligation d’équité en common law […] ». Le dernier facteur – le choix de la procédure – a été laissé par le législateur au ministre, mais il s’agit d’un facteur qui devait être concilié avec les autres facteurs.
[58] La Cour suprême du Canada a conclu, au paragraphe 121 :
Après pondération de ces facteurs et de toutes les circonstances, nous estimons que les garanties procédurales dictées par l’art. 7 en l’espèce ne vont pas jusqu’à obliger la ministre à tenir une audience ou une instance judiciaire complète. Elles commandent toutefois davantage que la procédure que requiert l’al. 53(1)b) de la Loi — c’est‑à‑dire aucune — et que celle dont M. Suresh a bénéficié. [Non souligné dans l’original.]
[59] En particulier, la Cour suprême du Canada a conclu qu’une personne susceptible, par application de l’alinéa 53(1)b), d’être expulsée vers un pays où elle risque la torture :
doit être informée des éléments invoqués contre elle […] sous réserve […] de l’existence d’autres motifs valables d’en restreindre la communication [...] tous les éléments sur lesquels la ministre fonde sa décision doivent être communiqués à l’intéressé, y compris […] [toute] recommandation [...] à la ministre. [Non souligné dans l’original.]
[60] Deuxièmement, la justice fondamentale exigeait que M. Suresh ait l’occasion de réfuter la preuve présentée à la ministre, y compris les documents qu’elle avait reçus de ses fonctionnaires. La Cour a dit, au paragraphe 122, que, puisqu’ils n’avaient pas eu accès documents :
M. Suresh et son avocate [...] ne savaient pas sur quels facteurs axer leurs arguments et [...] n’ont pas eu l’occasion de corriger les inexactitudes ou erreurs de qualification que pouvaient comporter les faits. La justice fondamentale exige que la personne visée par l’ordonnance soit autorisée à présenter des observations par écrit, après avoir eu la possibilité d’examiner les éléments invoqués contre elle. La ministre doit alors examiner tant ces observations que celles présentées par ses fonctionnaires. [Non souligné dans l’original.]
[61] Troisièmement, le ministre doit donner les motifs écrits de sa décision, motifs qui « doivent exposer clairement et étayer rationnellement sa conclusion qu’il n’existe pas de motifs sérieux de croire que la personne […] sera torturée ou exécutée ou subira quelque autre traitement cruel ou inusité, dans la mesure où cette personne a fait valoir qu’elle s’exposait à un tel sort [...][L]es motifs doivent également préciser les raisons pour lesquelles la ministre croit que l’intéressé constitue un danger pour la sécurité du Canada, comme l’exige la Loi ».
[62] Dans l’arrêt Baker, l’appelante, citoyenne de la Jamaïque, était entrée au pays à titre de visiteur en 1981 et y vivait depuis. Elle n’avait jamais obtenu le statut de résidente permanente, mais elle avait subvenu illégalement à ses besoins en travaillant pendant onze ans comme domestique vivant à la maison de ses employeurs. Elle avait quatre enfants nés au Canada.
[63] En 1992, une ordonnance d’expulsion a été prise contre elle lorsqu’on a découvert qu’elle avait travaillé illégalement au Canada et qu’elle avait séjourné au pays après l’expiration de son visa.
[64] En 1993, Mme Baker a demandé d’être dispensée de l’obligation de présenter sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada, pour des raisons d’ordre humanitaire. Elle a soumis des observations étayées par une lettre de son médecin et par une lettre d’un travailleur social et de la Société d’aide à l’enfance; elle a déclaré qu’elle était la seule à pouvoir prendre soin de deux de ses enfants nés au Canada. Sa demande de dispense a été rejetée en avril 1994 parce qu’il n’y avait pas suffisamment de raisons d’ordre humanitaire. Elle a été déboutée devant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale, mais a été autorisée à interjeter appel à la Cour suprême du Canada, qui a infirmé les décisions des juridictions inférieures. L’un des motifs qu’elle invoquait pour faire annuler la décision de l’agent de l’immigration reposait sur l’équité procédurale; les procédures prescrites par la Loi étaient insuffisantes, soutenait‑elle. En particulier, elle a relevé les lacunes suivantes : 1) il n’y avait pas eu d’entrevue orale devant le décideur, 2) aucun motif écrit n’avait été donné, et 3) il existait une crainte raisonnable de partialité de la part du décideur. Les parties reconnaissaient que l’obligation d’équité procédurale s’appliquait aux décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, parce que, bien qu’elles soient de nature administrative, elles touchent « les droits, privilèges ou biens d’une personne ».
[65] La juge L’Heureux‑Dubé a précisé que « [l]’existence de l’obligation d’équité, toutefois, ne détermine pas quelles exigences s’appliqueront dans des circonstances données » [non souligné dans l’original]. Elle a écrit :
Comme je l’écrivais dans l’arrêt Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, à la p. 682, « la notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas ». Il faut tenir compte de toutes les circonstances pour décider de la nature de l’obligation d’équité procédurale : Knight, aux pp. 682 et 683; Cardinal, précité, à la p. 654; Assoc. des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, le juge Sopinka. [Non souligné dans l’original.]
[66] Elle a ajouté que l’obligation d’équité est souple et variable, mais que la jurisprudence avait dégagé plusieurs critères à appliquer pour définir les droits procéduraux requis par l’obligation d’équité dans des circonstances données [non souligné dans l’original] :
Je souligne que l’idée sous‑jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur. [Non souligné dans l’original.]
[67] Elle a ensuite mentionné les facteurs qui ont été analysés dans l’arrêt Suresh, précité. Étant donné que la décision était d’une nature très différente de celle d’une décision judiciaire, en ce qu’elle supposait l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire étendu et l’examen de facteurs multiples, et une exception aux règles normales du régime législatif selon lequel les demande de résidence permanente doivent être faites de l’extérieur du Canada, combiné au fait qu’il n’existait pas de procédure d’appel et que la Loi sur l’immigration donnait au ministre la possibilité de choisir la façon de traiter les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire, la juge était d’avis que, même si certains facteurs indiquaient des exigences moins strictes qu’en matière judiciaire, l’obligation d’équité procédurale commandait plus qu’une garantie minimale. Selon elle, « les circonstances nécessitent un examen complet et équitable des questions litigieuses » […] et [Mme Baker doit] « avoir une possibilité valable de présenter les divers types de preuves qui se rapportent à [son] affaire et de les voir évalués de façon complète et équitable ».
[68] Dans les circonstances, aucune audience n’était requise. Aucune entrevue n’était non plus requise. L’occasion de présenter des observations écrites était suffisante.
Conclusions sur cette question
[69] Les éléments d’une audition impartiale de sa cause, selon les principes de la justice fondamentale requièrent un certain niveau de garanties procédurales. Il s’agit de savoir si les dispositions en matière d’arbitrage de la Loi empêchaient QNS de bénéficier d’une occasion suffisante de faire valoir sa preuve et de connaître celle qu’elle devait réfuter.
[70] Il est bien établi que la notion d’équité procédurale, ou de garanties procédurales prévues par la loi, est éminemment variable et que son contenu (ou exigences réelles) est tributaire du contexte particulier de chaque cas; c’est pourquoi il faut tenir compte de toutes les circonstances pertinentes.
[71] Le paragraphe 163(1) de la Loi prévoit que « [l]’Office peut établir les règles de procédure applicables à l’arbitrage dans les cas où les parties et l’arbitre ne peuvent s’entendre sur la procédure ».
[72] L’Office a élaboré un document intitulé « Procédures d’arbitrage en vertu de la Partie IV de la Loi sur les transports au Canada ». L’objet de ce document est de présenter des lignes directrices en matière de procédure qui serviront à guider les arbitres et les parties ayant recours à l’arbitrage. L’arbitre peut y recourir et les adopter lorsque les parties ne peuvent s’entendre sur le déroulement de l’arbitrage.
[73] Ce document accorde une place centrale à la conférence préparatoire. En l’espèce, l’arbitre a tenu une conférence préparatoire conformément aux règles de procédure de l’Office.
[74] Les délais prévus par la Loi pour l’exécution des étapes procédurales complètent les règles de procédure de l’Office. Ni les parties ni l’arbitre ne peuvent les modifier. Seul le début du processus accorde une certaine latitude. Comme je l’ai mentionné, NMC n’a pas donné avis de son intention de recourir au processus d’arbitrage seulement cinq jours avant de présenter sa demande. Elle a donné amplement de temps à QNS. La fin du processus permet également une certaine latitude. Selon la Loi, le processus doit prendre fin au plus tard soixante jours après le dépôt de la demande d’arbitrage de l’expéditeur. Toute prorogation de délai nécessite le consentement des deux parties. NMC et QNS ont toutes deux consenti à proroger le délai puisqu’il n’aurait pas été possible de terminer l’audition de la preuve et des plaidoiries.
[75] À mon avis, les étapes établies par la Loi sont suffisantes pour assurer une audition impartiale selon les principes de justice fondamentale. Font partie de ces étapes, l’avis de la seule question en litige, soit celle de savoir quelle offre est la plus raisonnable, l’échange de renseignements, y compris les rapports d’experts et les interrogatoires écrits sur ces renseignements (une forme de communication préalable), la production en preuve des renseignements communiqués et finalement, l’audience, les témoignages et les contre‑interrogatoires, et les plaidoiries.
[76] Cette procédure se situe au haut de l’échelle des exigences en matière d’équité procédurale.
[77] Selon mon interprétation, la seule et véritable question dont je suis saisi consiste à savoir la brièveté des délais peuvent transformer un processus législatif équitable en un processus non équitable. En l’espèce, cette contrainte n’a pas empêché les parties de présenter l’ensemble de leur preuve et de connaître la preuve qu’elles devaient réfuter. Plusieurs facteurs justifient cette conclusion. Les parties avaient consacré beaucoup de temps aux négociations sur les prix et les conditions des services; les conditions de services n’étaient pas contestées; QNS avait déjà participé comme expéditeur à deux autres arbitrages; la grande quantité de renseignements échangés, y compris les rapports d’expert et les interrogatoires indiquait que les parties connaissaient bien les questions en litige; une lecture des plaidoiries montre que les parties avaient pu procéder à un examen complet et équitable des questions litigieuses et qu’elles avaient eu une possibilité valable d’y répondre, qu’elles avaient raisonnablement exercé la latitude dont elles disposaient au début et à la fin du processus quant à la prorogation des délais; il ne s’agit pas d’un cas où l’une des parties a déraisonnablement refusé de proroger un délai et ainsi porté atteinte au droit de l’autre partie de faire valoir sa preuve; les deux parties sont expérimentées et disposent de ressources considérables. Bref, les délais serrés, qui reflètent l’objectif du législateur de parvenir rapidement à une décision arbitrale – d’une durée de vie courte, sauf accord entre les parties à l’effet contraire – n’ont pas empêché chacune des parties de présenter à l’arbitre une preuve complète et détaillée afin que celui‑ci puisse choisir l’une ou l’autre des dernières offres. Je conclus que le régime législatif ne violait pas l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits. QNS a eu droit à une audition impartiale de sa cause
d) La disposition relative à l’absence de motifs
[78] L’article 165 de la Loi sur les transports au Canada est rédigé en partie comme suit :
1. L’arbitre rend sa décision en choisissant la dernière offre de l’expéditeur ou celle du transporteur. 2. Sera rendue par écrit. 3. La décision de l’arbitre n’énonce pas les motifs. 4. Sur demande de toutes les parties à l’arbitrage… l’arbitre donne par écrit les motifs de sa décision. [Notre soulignement] |
5. The decision of the arbitrator in conducting an FOA shall be the selection of the final offer of either the shipper or the carrier. 6. Shall be in writing. 7. No reasons shall be set out in the decision of the arbitrator. 8. If requested by all the parties to the arbitrations… the arbitrator shall give reasons for decision. [Emphasis added] |
[79] Comme je l’ai mentionné, QNS a demandé à l’arbitre de motiver sa décision, mais NMC ne l’a pas fait. Par conséquent, l’arbitre n’a donné aucun motif.
[80] QNS soutient que, dans les circonstances de l’espèce, l’obligation d’équité exige que le décideur donne les motifs de sa décision.
[81] Dans l’affaire Western Canadian Coal, le juge Kelen s’est penché sur la même question, et ce dans le même contexte que celui de l’espèce. Il a conclu que l’absence de motifs justifiant une décision arbitrale, dans le contexte d’un arbitrage d’offres finales, ne violait pas l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits. Il a analysé la question aux paragraphes 48 à 55 de ses motifs :
[48] Dans l’arrêt Baker, précité, la juge L’Heureux‑Dubé a fait des commentaires sur la nature contextuelle de l’enquête sur la question de savoir si des motifs sont requis dans une situation donnée :
¶43 À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l’obligation d’équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l’espèce où la décision revêt une grande importance pour l’individu, dans des cas où il existe un droit d’appel prévu par la loi, ou dans d’autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise. Cette exigence est apparue dans la common law ailleurs. [Non souligné dans l’original.]
[49] Dans la présente affaire, il y a en litige une forme d’arbitrage des différends qui s’applique suivant un cadre législatif qui établit expressément que les motifs ne sont pas énoncés sauf si les parties y consentent. Il y a en jeu des intérêts purement commerciaux plutôt que des libertés fondamentales personnelles. Il n’y a aucun droit d’appel à l’égard de la décision de l’arbitre. La décision est définitive et obligatoire. De plus, les délais convenus doivent être respectés. L’arbitre n’est pas lié par des précédents et, par conséquent, les questions à trancher par l’arbitre ne transcendent pas les intérêts des parties en cause. Il faut, pour que la Cour impose que soient énoncés des motifs dans le contexte d’un arbitrage mené en vertu de la Loi, que le demandeur démontre qu’il y a certaines « autres circonstances » qui l’exigent.
[50] Bien qu’il n’y ait pas de possibilité en vertu de la Loi d’interjeter un appel à l’égard de la décision de l’arbitre, la décision est assujettie au contrôle judiciaire puisqu’elle est une décision administrative. La demanderesse soutient que l’absence de motifs rend inopérante sa possibilité de demander un contrôle judiciaire.
[51] Il est manifeste pour la Cour qu’il existe plusieurs raisons imposant un régime d’arbitrage « sans motifs ». D’abord, la délivrance de motifs peut retarder la décision qui, suivant la Loi, doit être rendue rapidement. L’objet de l’arbitrage consiste à régler un différend contractuel et à imposer aux parties des conditions obligatoires pour une période limitée n’excédant pas une année.
[52] Le processus d’arbitrage a pour but d’apporter une certitude et une finalité à un différend contractuel. Des motifs incitent à la présentation de demandes de contrôle judiciaire, ce qui crée de l’incertitude pendant une période d’un an ou plus. La Cour est convaincue que le Parlement a prévu un régime sans motifs parce que :
1. le processus d’arbitrage a pour but d’être rapide, peu coûteux, définitif et obligatoire;
2. étant donné qu’il ne peut choisir un juste milieu « raisonnable » entre les deux offres ou une position de compromis, l’arbitre n’a pas à rationaliser sa décision. Sa décision est évidente, à savoir que l’offre qu’il choisit est considérée plus raisonnable que l’autre offre compte tenu des facteurs pertinents;
3. l’absence de motifs encourage de plus les parties à arriver à s’entendre sur un contrat négocié avant l’arbitrage ou du moins les force à s’imposer une discipline pour tempérer leur offre respective. Chaque partie se rend compte que son offre doit être le plus « raisonnable » possible pour qu’elle soit choisie.
[53] Dans la décision Hudson’s Bay Company c. British Columbia (Labour Relations Board), (1996), 31 B.C.L.R. (3d) 317, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a reconnu qu’un arbitrage visant le règlement d’un différend peut prendre de nombreuses formes. À l’égard d’un « arbitrage d’un différend » où les fonctions de l’arbitre à titre de substitut pour la négociation collective et les décisions arbitrales prennent la forme d’une convention collective et servent le même objet, la Cour suprême de Colombie‑Britannique a dit que la décision de l’arbitre ne contient habituellement pas des motifs de décision : voir le paragraphe 20 où on cite l’ouvrage de J. M. Brown et de David M. Beady, Canadian Labour Arbitration, 3rd Edition (Agincourt, Ontario: Canada Law Book, 1988), à la page 1‑1.
[54] Le procureur général du Canada a renvoyé la Cour à l’arrêt Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1977] 2 C.F. 646, dans lequel le juge Strayer a dégagé ce qui suit :
1. les principes de justice fondamentale n’ont jamais obligé les tribunaux à motiver leurs décisions lorsqu’une loi ne l’exige pas expressément (paragraphe 39);
2. la Cour peut procéder au contrôle judiciaire d’une décision en l’absence de motifs dans les cas où la décision est manifestement absurde ou lorsque les faits qui ont été présentés au tribunal exigeaient manifestement un résultat différent ou étaient dénués de pertinence, mais ont apparemment eu un effet déterminant sur le résultat;
3. la décision était fondée sur une erreur de droit évidente (paragraphe 40);
4. il n’est pas nécessaire d’avoir des motifs pour démontrer que la décision est illicite lorsqu’il peut être démontré que la décision est manifestement abusive, manifestement illicite ou explicable que par une hypothèse de mauvaise foi (paragraphe 43);
5. bien que l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits exige une « audition impartiale », l’absence de motifs de décision n’a pas d’effet sur l’« audition ».
[55] De plus, les deux procureurs généraux soutiennent que l’absence de motifs n’empêche pas la Cour d’annuler des décisions qui constituent un abus de compétence. Si, par exemple, l’arbitre établit lui‑même les conditions du transport au lieu de choisir l’une des deux offres, la décision est manifestement erronée et est assujettie à l’intervention de la Cour. À l’égard des manquements à l’équité procédurale au cours du processus d’arbitrage, la preuve par affidavit serait probablement plus concluante que des motifs écrits de la décision de l’arbitre.
[82] L’avocat de la demanderesse soutient que je ne devrais pas appliquer la décision de mon collègue pour les motifs suivants :
a. Il était inapproprié pour le juge Kelen de renvoyer à la décision Williams, puisqu’elle a été rendue dans un contexte différent et qu’elle était antérieure à l’arrêt Baker. Il a cité la décision du juge Campbell dans Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [2000] A.C.F. no 888.
b. Dans l’affaire, Western Canadian Coal, la Cour a conclu à tort que l’absence de motifs était justifiée parce que [traduction] « le but était de mettre fin à un différend contractuel ». L’avocat de QNS soutient qu’[traduction] « il ne s’agit pas d’une raison valable pour empêcher l’accès au contrôle judiciaire et soustraire la décision arbitrale au contrôle légitime de la Cour ».
c. Dans cette affaire, la Cour s’est trompée dans son analyse en affirmant qu’étant donné que l’arbitre ne pouvait pas choisir un juste milieu entre les deux offres, il n’avait pas à rationaliser sa décision. L’avocat soutient que les renseignements qui sont soumis à l’arbitre sont hautement spécialisés et font appel à des compétences particulières, si bien que les parties ont le droit de savoir si l’arbitre a compris les raisons sous‑tendant leurs offres respectives et la preuve qui lui est soumise.
d. L’avocat de QNS fait remarquer qu’il existe des critères juridiques que l’arbitre doit examiner et appliquer, par exemple la conformité avec la Politique nationale des transports et les facteurs énoncés au paragraphe 164(2), ou s’il a tiré une conclusion défavorable parce que QNS aurait dissimulé des renseignements et si cette conclusion respectait le critère de raisonnabilité énoncé au paragraphe 163(5) de la Loi. Enfin, l’avocat a fait valoir que l’absence de motifs rendait pratiquement nulle la possibilité pour les parties de contester la décision, puisqu’il est impossible d’apprécier la rationalité de la décision de l’arbitre.
Conclusion sur la question
[83] Pour les motifs qui suivent, il convient d’analyser l’argument de QNS selon lequel la loi prévoit que les deux parties doivent demander des motifs pour que des motifs soient donnés, et que, en l’espèce, l’application de cette exigence contrevient à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ainsi qu’aux exigences en matière d’équité procédurale. J’ai indiqué au tout début que le paragraphe 165(5) prévoit que l’arbitre est tenu de donner les motifs écrits de sa décision, à la condition toutefois que toutes les parties à l’arbitrage le demandent. Il ne s’agit pas d’un cas où la loi interdit de donner des motifs écrits. Qui plus est, en l’espèce, QNS n’a relevé aucune erreur que l’arbitre aurait faite en choisissant la dernière offre de NMC. Autrement dit, il nous semble que l’argument de QNS est hautement théorique, en ce qu’il rend impossible d’un point de vue pratique de comprendre pourquoi, sans motifs, QNS ne pourrait pas dans le cadre d’un contrôle judiciaire contester les erreurs précises commises par l’arbitre. L’arbitre a expliqué pourquoi il n’entendait pas donner carte blanche aux parties pour l’admission de la contre‑preuve et il a expliqué pourquoi il rejetait la demande de récusation de QNS. Il a indiqué aux parties les éléments de preuve cruciaux sur lesquels ils devaient porter leur attention.
[84] Je souscris pour l’essentiel à l’analyse du juge Kelen. C’est à raison qu’il a conclu que l’arrêt Baker ne disait pas que l’équité exigeait des motifs en toutes circonstances. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Baker, a souligné que l’obligation de motiver une décision dépendait des circonstances. La juge L’Heureux‑Dubé a énoncé deux facteurs précis : l’importance de la décision pour la personne visée et l’existence d’un droit d’appel prévu par la loi. Elle a énoncé un troisième facteur, celui des « autres circonstances », lorsque l’équité exige de donner des motifs écrits. La question devient alors de savoir si dans le contexte précis d’un arbitrage, l’équité requiert des motifs.
[85] Je souscris au raisonnement du juge Kelen selon lequel, en raison des caractéristiques particulières de l’arbitrage, l’équité n’exige pas que des motifs écrits soient donnés sauf si toutes les parties le demandent. Ces caractéristiques particulières sont : 1) la durée limitée pendant laquelle la décision d’arbitrage s’applique – une période maximale d’un an sauf accord entre toutes les parties, 2) la nature de l’objet restreint de l’arbitrage – régler un différend sur le prix du transport entre un expéditeur ferroviaire donné et un transporteur ferroviaire donné lorsque les seuls intérêts sont ceux des deux parties en cause et que l’arbitre n’a que deux possibilités selon sur la preuve présentée par chacune des parties – la dernière offre de l’expéditeur et la dernière offre du transporteur – le juge Kelen avait raison de statuer qu’il s’agissait d’un arbitrage de différends et non d’un arbitrage entre des droits, 3) l’intention du législateur que le processus d’arbitrage soit rapide, simple et pratique, et 4) dans la présente affaire, le fait admis que NMC se trouvait dans une situation d’expéditeur captif pour les services ferroviaires de QNS et le changement radical que représentait la méthode d’établissement des coûts ferroviaires préconisée par QNS par rapport à une méthode d’établissement des prix pour les services offerts à NMC que l’arbitre a de toute évidence rejetée. Ces objectifs ont été reconnus par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire du CN de 1996 et dans les décisions Handyside et Moffat.
[86] Je ne suis pas d’accord que le recours à la décision Williams était erroné, et que sur les principes généraux, cette décision a été supplanté par Baker. La décision de la Cour d’appel fédérale dans Williams, particulièrement en ce qui a trait à la vitalité du processus de révision judiciaire, demeure valable aujourd’hui (voir les paragraphes 15, 20 et 21, motifs du juge Strayer).
[87] Je ne suis pas d’accord avec l’avocat de QNS que la décision récente de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 190, [2008] 1 RCS 190 imposait implicitement une obligation voulant que les décisions faisant l’objet d’un contrôle judiciaire soient motivées. La Cour a eu l’avantage de disposer du dossier complet soumis à l’arbitre, y compris des conclusions finales exhaustives et, sur la foi de la preuve par affidavit, elle a pu raisonnablement apprécier les paramètres de la décision de l’arbitre.
[88] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée avec dépens.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens, calculés au taux maximum prévu dans la colonne IV du tarif des Cours fédérales.
Traduction certifiée conforme
Édith Malo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑1131‑10
INTITULÉ : COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER DU LITTORAL NORD DE QUÉBEC ET DU LABRADOR INC. c. NEW MILLENNIUM CAPITAL CORP.
DATES DE L’AUDIENCE : Les 23, 24, 25 et 30 mars 2011
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE LEMIEUX
DATE DES MOTIFS : Le 23 juin 2011
COMPARUTIONS :
Rébecca St‑Pierre Fabrice Vil
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POUR LA DEMANDERESSE
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Jean E. Clerk Forrest C. Hume
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POUR LA DÉFENDERESSE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocats
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POUR LA DEMANDERESSE |
Heenan Blaikie, s.n.c.r.l. Montréal (Québec)
Forest C. Hume Law Corp. Vancouver (C.‑B.) |
POUR LA DÉFENDERESSE
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