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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date : 20111018


Dossier : IMM-2142-11

Référence : 2011 CF 1178

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

 

ENTRE :

 

ELIAS BECHARA ZAKHOUR

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               En ce qui a trait à la présente demande, le demandeur, un citoyen du Liban, a demandé l’asile sur le fondement de l’article 96 parce qu’il craint d’être persécuté du fait de ses croyances religieuses et opinions politiques, et sur le fondement de l’article 97 parce qu’il craint d’être exposé à un risque à cause du Hezbollah au Liban, s’il devait retourner dans ce pays. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile du demandeur parce qu’elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité, fondée sur de nombreuses conclusions d’invraisemblance. Pour les motifs exposés ci-après, j’estime que les règles de droit applicables aux conclusions d’invraisemblance n’ont pas été respectées et je conclus donc qu’une erreur susceptible de contrôle a été commise dans la décision.

 

[2]               Voici les éléments de preuve présentés par le demandeur, à l’appui de sa demande d’asile, relevés dans la décision visée par le contrôle :

Le 26 novembre 2006, un convoi de trois véhicules est arrivé au poste de contrôle. Le conducteur du premier véhicule s’est identifié comme faisant partie du Hezbollah et a poursuivi sa route jusqu’à ce que le demandeur d’asile, pointant son fusil en sa direction, l’enjoigne de s’arrêter. Le demandeur d’asile a ensuite inspecté les véhicules et a découvert que l’un d’eux transportait des armes.

 

Le demandeur d’asile a appelé son superviseur, Chawky Damen (ci‑après Chawky), un musulman chiite, qui s’est entretenu brièvement avec le groupe du Hezbollah avant de le laisser poursuivre sa route. Peu après, le demandeur d’asile a questionné Chawky quant aux raisons pour lesquelles il avait fait preuve d’indulgence envers ces hommes du Hezbollah qu’il avait sommés d’arrêter. Chawky a alors laissé entendre au demandeur d’asile que ce dernier s’en faisait pour rien.

 

Le 1er décembre 2006, le demandeur d’asile a signalé l’incident à son patron du quartier général de Zahlé, un chrétien du nom de Ziad. Celui‑ci a acquiescé à la demande de mutation du demandeur d’asile, qui souhaitait travailler au commissariat du quartier général, n’étant plus à l’aise de continuer d’exercer ses fonctions au poste de contrôle de Dahr El Baydar, notamment en raison de l’incident du 26 novembre et du fait qu’il était le seul chrétien à y travailler.

 

Le 3 décembre 2006, tandis qu’il rassemblait ses effets personnels au poste de contrôle, le demandeur d’asile a été confronté par Chawky, qui lui a fait savoir qu’il s’était mis dans le pétrin. Chawky a également cherché à savoir si le quartier général avait affecté le demandeur d’asile au poste de contrôle à titre d’espion. Le demandeur d’asile a quitté les lieux sans répondre.

 

Le 8 ou le 9 décembre 2006, le maire de la municipalité a avisé le père du demandeur d’asile que son fils était recherché par certaines personnes. Le père du demandeur d’asile a informé son fils de la situation et lui a demandé de s’installer au commissariat, puisqu’il soupçonnait le Hezbollah d’être à sa poursuite. Pour sa protection et sa sécurité, Ziad a permis au demandeur d’asile de s’installer au quartier général.

 

(Décision, par.  4 à 8)

 

[3]               S’agissant de la preuve présentée par le demandeur, voici les conclusions d’invraisemblance de la SPR qui sont, à mon avis, au cœur du rejet de la demande d’asile du demandeur :

« Si Chawky et le Hezbollah se croyaient réellement menacés par le demandeur d’asile et s’ils souhaitaient par conséquent lui faire du mal, le tribunal estime que les membres du Hezbollah, dont Chawky, se seraient vengés bien avant »; [] « À la lumière de la preuve documentaire décrivant la présence soutenue du Hezbollah dans la région, le tribunal estime raisonnable que Chawky ou tout autre membre du Hezbollah ait facilement pu trouver le demandeur d’asile pendant la période allant du 3 au 8 ou 9 décembre, c’est‑à‑dire entre la date à laquelle Chawky a proféré ses menaces et celle à laquelle le maire aurait avisé le père du demandeur d’asile. Ils n’avaient qu’à suivre le demandeur d’asile à sa sortie du travail » (décision, au par. 19); et « De toute évidence, les membres du Hezbollah savaient que le demandeur d’asile travaillait comme policier, et Chawky savait qu’il avait été muté au quartier général à Zahlé; il ne restait qu’à installer une équipe de surveillance à proximité du commissariat. Le tribunal estime non crédible le récit du demandeur d’asile selon lequel le Hezbollah déploierait des agents dans les rues d’une municipalité de la taille de Mreijat (environ 200 habitants, selon le demandeur d’asile) afin de le retrouver » (décision, au par. 20).

 

 

[4]               J’estime qu’aucun des énoncés d’invraisemblance cités n’est conforme aux règles de droit applicables aux conclusions défavorables, ainsi qu’il est énoncé aux paragraphes 10 et 11 de la décision Vodics c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 783 :

En ce qui a trait aux conclusions défavorables sur la crédibilité en général et les conclusions d’invraisemblance en particulier, le juge Muldoon a énoncé, dans la décision Valtchev c. Canada (MCI), 2001 CFPI 776 [aux paragraphes 6 et 7] :

 

Le tribunal a fait allusion au principe posé dans l’arrêt Maldonado c. M.E.I., [1980] 2 C.F. 302 (C.A.) à la page 305, suivant lequel lorsqu’un revendicateur du statut de réfugié affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques sauf s’il existe des raisons de douter de leur véracité. Le tribunal n’a cependant pas appliqué le principe dégagé dans l’arrêt Maldonado au demandeur et a écarté son témoignage à plusieurs reprises en répétant qu’il lui apparaissait en grande partie invraisemblable. Qui plus est, le tribunal a substitué à plusieurs reprises sa propre version des faits à celle du demandeur sans invoquer d’éléments de preuve pour justifier ses conclusions.

 

Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le demandeur d’asile le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les demandeurs d’asile proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].

 

[Souligné dans l’original]

 

 

Il n’est pas difficile de comprendre que, en toute justice pour la personne qui jure de dire toute la vérité, des motifs concrets s’appuyant sur une preuve forte doivent exister pour qu’on refuse de croire cette personne. Soyons clairs. Dire qu’une personne n’est pas crédible, c’est dire qu’elle ment. Donc, pour être juste, le décideur doit pouvoir exprimer les raisons qui le font douter du témoignage sous serment, à défaut de quoi le doute ne peut servir à tirer des conclusions. La personne qui rend témoignage doit bénéficier de tout doute non étayé.

 

 

[5]               Par conséquent, en l’espèce, et selon la preuve au dossier, la SPR devait : premièrement, établir clairement ce à quoi on pouvait raisonnablement s’attendre à l’égard de la réponse du Hezbollah envers les actes du demandeur; ensuite, tirer des conclusions de fait quant à la réponse manifestée par le Hezbollah; et, enfin, conclure si la réponse cadre avec ce à quoi on pouvait raisonnablement penser. Ce processus d’analyse critique n’a pas été suivi en l’espèce. Pour ces motifs, je conclus que les conclusions d’invraisemblance de la SPR sont des hypothèses non fondées et que, par conséquent, la décision visée par le contrôle n’est pas justifiée au regard des faits et du droit.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que

la décision visée par le contrôle soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2142-11

 

INTITULÉ :                                       ELIAS BECHARA ZAKHOUR c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 17 OCTOBRE 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 18 OCTOBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Claire Houkayem

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Orlagh O'Kelly

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goulet & Associés

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

 

 

 

 

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