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Date : 20111018


Dossier : IMM-1078-11

Référence : 2011 CF 1175

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

MANWINDER SINGH SOHAL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La justice naturelle requiert qu’une personne dispose d’une occasion raisonnable de présenter ses arguments ou de répondre aux arguments avancés contre elle. Il est possible que l’intéressé ne parle pas la langue du tribunal. Dans un tel cas, il a droit à un interprète. La question posée dans la présente procédure de contrôle judiciaire est de savoir si l’interprétation a été déficiente au point que M. Sohal n’a pas bénéficié d’une occasion raisonnable de présenter ses arguments.

 

[2]               Une mesure d’expulsion avait été prononcée contre M. Sohal, un résident permanent depuis 1992, en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), après qu’il eut été déclaré coupable d’agression armée. Il a interjeté appel devant la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada. Il a témoigné avec l’aide d’un interprète du pendjabi à l’anglais. Il était représenté par un avocat qui, lui-même, ne parlait pas le pendjabi, ni sans doute d’ailleurs le commissaire.

 

[3]               Le 25 janvier 2009, la SAI a rejeté son appel. Il n’a pas déposé de demande de contrôle judiciaire, mais s’est adressé plus tard à un autre avocat, qui a prié la SAI de rouvrir la procédure d’appel au motif que les services d’interprétation fournis au cours de l’audience avaient été déficients au point de constituer un manquement à la justice naturelle.

 

[4]               Le fondement juridique d’une demande de réouverture d’un appel est l’article 71 de la LIPR, ainsi formulé :

 L’étranger qui n’a pas quitté le Canada à la suite de la mesure de renvoi peut demander la réouverture de l’appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle.

 The Immigration Appeal Division, on application by a foreign national who has not left Canada under a removal order, may reopen an appeal if it is satisfied that it failed to observe a principle of natural justice.

 

[5]               C’est le refus de la SAI de rouvrir l’appel qui est l’objet de la présente procédure de contrôle judiciaire.

 

LA DEMANDE DE RÉOUVERTURE DE L’APPEL

 

[6]               Au cœur de la demande de réouverture déposée devant la SAI était l’affidavit de Sarb Sandhu, un interprète agréé parlant couramment le pendjabi et l’anglais. Il justifie d’une grande expérience et, depuis 1982, travaille comme interprète et traducteur à la CISR, ainsi qu’à la Cour provinciale et à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, et ailleurs. Il a même vérifié des traductions au nom de la CISR.

 

[7]               M. Sandhu a examiné l’enregistrement de l'audience et énumère ce qui d’après lui constitue des erreurs. Le commissaire de la SAI qui a décidé de ne pas rouvrir l’appel n’était pas celui qui avait instruit l’appel à l’origine. Il a cité la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, de la Cour d'appel fédérale et de la Cour fédérale selon laquelle des erreurs d’interprétation qui empêchent une partie de donner sa version des faits peuvent constituer un manquement à la justice naturelle. Cependant, les erreurs doivent être importantes.

 

[8]               Le commissaire a relevé que le ministre n’avait pas mis en doute l’autre texte proposé par M. Sandhu. Il s’est exprimé ainsi : « J’admets que ce vérificateur, étant donné qu’il faut du temps pour soigneusement évaluer la formulation précise qui s’impose, a, dans son opinion professionnelle, choisi des formulations différentes pour les exprimer dans son affidavit. »

 

[9]               Cependant, le commissaire concluait, se fondant sur quelques passages cités, que les différences entre les deux versions étaient négligeables ou qu’elles ne conduiraient pas à un malentendu.

 

[10]           Selon le commissaire, M. Sohal n’avait pas prouvé que l’interprétation n’était pas continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante, ni qu’il n’avait pas été en mesure de donner sa version des faits en raison d’erreurs d’interprétation. Les prétendues erreurs d’interprétation n’étaient rattachées à aucun aspect des motifs de la SAI qui aurait pu raisonnablement conduire à la décision défavorable dont M. Sohal souhaitait la révision.

 

[11]           La SAI faisait aussi observer que, même si l’avocat de M. Sohal dans la procédure d’appel ne parlait pas le panjabi, il n’avait pas pour autant exprimé de préoccupations à propos de la traduction anglaise de la preuve. Il s’exprimait ainsi, au paragraphe 21 de sa décision :

Sans égard à la question de savoir s’il parlait le penjabi et pouvait contrôler la qualité de l’interprétation pendant l’audience, il devait savoir si les réponses du demandeur aux questions étaient erronées, incomplètes ou indiquaient que le demandeur était embrouillé. Il ne conviendrait pas qu’un conseil s’empêche d’approfondir des divergences, par crainte, peut-être, que d’autres questions fassent davantage de tort que de bien, pour ensuite chercher un recours en demandant une réouverture, en raison de ces différences.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[12]           Il ne fait aucun doute que la Cour n’est pas tenue de déférer, voire ne doit pas déférer, à la décision ici contestée dès lors qu’il s’agit de questions touchant la justice naturelle (soit lesdites questions dépassent le champ de la norme de contrôle, voir l’arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539; soit la norme de contrôle est la décision correcte; voir l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392).

 

[13]           Cependant, puisque la question posée ici concerne la qualité de l’interprétation, et compte tenu de la vaste expérience de la CISR, je me suis demandé au cours de l’audience si la décision devrait être évaluée selon la norme de raisonnabilité. L’avocat du ministre n’était pas disposé à aborder cet aspect et présumait que la norme de contrôle était la décision correcte. J’ai procédé à un examen selon cette norme et n’ai décelé aucun manquement à la justice naturelle. Par conséquent, la question de la norme de contrôle portant sur la qualité de l’interprétation, plutôt que sur le droit à l’interprétation, devra attendre sa résolution à une autre fois.

 

LES POINTS LITIGIEUX

 

[14]           À mon avis, la présente affaire soulève trois points. Il faut d’abord se demander s’il y a eu manquement à la justice naturelle. Cet aspect dépend de la qualité de l’interprétation du pendjabi à l’anglais et inversement. Le deuxième point est de savoir si le demandeur a renoncé à aux droits qu'il avait peut-être par ailleurs, en ne dénonçant pas aussitôt que possible la qualité de l’interprétation. Le troisième point est plus technique. Il concerne l’absence d’une preuve par affidavit.

 

[15]           Les deux parties reconnaissent que les doutes sur la qualité de l’interprétation doivent être exprimés dans les plus brefs délais. Des nuances ont été évoquées, en fonction de la connaissance que le demandeur avait de la langue du tribunal, qu'il s'agisse de l’anglais ou du français, et en fonction de la connaissance que l’avocat du demandeur avait de la langue de celui-ci, en l’occurrence le pendjabi. Cependant, il n’est pas nécessaire d’examiner ce point car, selon moi, il n’y avait aucun objet de plainte.

 

[16]           Pareillement, compte tenu de ma décision, il n’est pas nécessaire de se demander si MM. Sohal et Sandhu auraient dû déposer des affidavits devant la Cour. À l’évidence, la preuve produite par M. Sandhu devant la SAI était en forme d’affidavit, et cet affidavit fait partie intégrante du dossier.

 

[17]           Une décision de principe portant sur les questions d’interprétation dans le contexte du droit de l’immigration et des réfugiés est la décision Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 371, [2000] A.C.F. n° 309 (QL), appel rejeté : 2001 CAF 191, [2001] 4 C.F. 85, demande d’autorisation d’en appeler à la Cour suprême rejetée : [2001] C.S.C.R. n° 435 (QL). M. Mohammadian était un Kurde d’Iran. La première audition de sa demande d'asile avait dû être reportée parce que l’interprète et M. Mohammadian ne pouvaient pas communiquer l’un avec l’autre. Il semble qu’il existe quatre variantes de la langue kurde, en fonction du pays où l’on réside, à savoir la Turquie, l’Iran, l’Iraq ou la Syrie. Lorsque l’audience a repris la première fois, l’interprète était un Kurde d’Iran. Il n’y a pas eu de difficultés. À la troisième audience, il y avait un autre interprète. Il semble y avoir eu quelques difficultés mineures au cours de l’audience, mais aucune objection n’avait alors été formulée. Cette affaire compte parmi un grand nombre où l’on a jugé que la qualité de l’interprétation aurait dû être mise en doute au cours de l’audience même parce qu’il était évident au demandeur qu’il y avait des difficultés entre lui et l’interprète.

 

[18]           S’agissant du droit à l’interprétation, M. le juge Pelletier avait, en première instance, appliqué l’arrêt rendu par la Cour suprême dans une affaire criminelle, R c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951. Il avait jugé que l’article 14 de la Charte s’appliquait et que l’interprétation devrait être continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante. La norme d’interprétation est élevée, mais il n’est pas nécessaire qu’elle soit élevée jusqu’à requérir la perfection. Si une violation de cette norme est prouvée, il n’est pas nécessaire de prouver un préjudice réel. Cette manière de voir s’accorde parfaitement avec un arrêt antérieur de la Cour suprême, Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643.

 

[19]           Appel fut interjeté du jugement Mohammadian sur des questions certifiées. S’exprimant pour la Cour d'appel, M. le juge Stone a répondu ainsi aux trois questions certifiées :

a.       l’interprétation fournie aux demandeurs doit-elle être continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante? Oui.

b.      Les demandeurs doivent-ils démontrer qu’ils ont subi un préjudice réel suite à la violation de la norme d’interprétation pour que la Cour puisse intervenir face à la décision de la SSR? Non.

c.       Lorsqu’il est raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur le fasse, comme c’est le cas lorsqu’il a de la difficulté à comprendre l’interprète, le demandeur doit-il présenter ses objections au sujet de la qualité de l’interprétation devant la SSR afin de pouvoir soulever la question de la qualité de l’interprétation comme motif justifiant le contrôle judiciaire? Oui.

 

[20]           Dans la présente affaire, et contrairement à l'affaire Mohammadian, le problème, s’il y en a un, ne semble pas résider dans le pendjabi parlé par l’interprète, mais plutôt dans ses traductions vers l’anglais et depuis l’anglais.

 

[21]           La question ici est de savoir si l’interprétation a été « compétente », c’est-à-dire conforme à une norme suffisamment élevée pour garantir que justice a été faite et paraisse avoir été faite, sans qu’il soit perdu de vue que l’interprétation n’a pas à être parfaite.

 

[22]           Après réflexion, l’anglais aurait pu être meilleur, mais je reconnais avec la SAI que la langue était satisfaisante et n’a nullement préjudicié à M. Sohal. Je me permettrai de donner un exemple. M. Sandhu écrivait dans son affidavit, au point n° 25 :

[TRADUCTION]

 

Par ailleurs, au cours des questions posées au demandeur, le mot « évidence », en anglais, est toujours rendu à tort par le mot « proof » alors qu’il existe en pendjabi un mot exprès et exact.

 

[23]           C’est là sûrement une distinction qui ne présente pas de différence. La rubrique de l’article 957 dans le Rogets International Thesaurus, 6e édition, un outil pédagogique particulièrement utile (MacKay c. Canada (Procureur général), 2010 CF 856, 372 F.T.R. 299, [2010] A.C.F. n° 1016 (QL)), est intitulé « EVIDENCE, PROOF ». Les noms principaux sont « evidence », « proof », « reasons to believe » et « manifestation ». Les principaux exemples de verbes sont « evince », « show », « testify », « give evidence » et « prove ».

 

[24]           S’agissant de la qualité de l’interprétation, comme l’écrivait le juge en chef Lamer dans l’arrêt Tran, précité, à la page 978 :

[…] le principe de la compréhension linguistique qui sous-tend le droit à l’assistance d’un interprète ne devrait toutefois pas être élevé au point où ceux qui parlent ou comprennent difficilement la langue des procédures, peu importe que ce soit le français ou l’anglais, reçoivent ou paraissent recevoir des avantages injustes par rapport à ceux qui parlent couramment la langue du prétoire.

 

[Propos appliqués par M. le juge de Montigny dans la décision Bal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1178, [2008] A.C.F. n° 1460 (QL), au paragraphe 27.]

 

Voir aussi une décision plus récente du juge de Montigny, Dhaliwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1097, au paragraphe 18.


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS,

LA COUR STATUE comme suit :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1078-11

 

INTITULÉ :                                       MANWINDER SINGH SOHAL c. MSPPC

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 12 OCTOBRE 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 18 OCTOBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jasdeep A. Mattoo

 

POUR LE DEMANDEUR

Kim Sutcliffe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kang & Company

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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