[traduction française certifiée, non révisée]
Ottawa (Ontario), le 7 octobre 2011
En présence de monsieur le juge Pinard
Entre :
et
et PARKE, DAVIS & COMPANY LLC
Motifs de l’ordonnance et ordonnance
[1] Il s’agit d’un appel interjeté par les défenderesses à l’encontre de l’ordonnance discrétionnaire prononcée le 23 août 2011 par Madame Milczynski, protonotaire responsable de la gestion de cette instance, à l’égard de la requête de la demanderesse visant à obliger que l’on réponde à des questions soulevées lors des interrogatoires préalables. Parmi les 41 questions présentées à la protonotaire, une seule (la question numéro 342) est visée par le présent appel :
[traduction]
En ce qui a trait à chaque demande de brevet déposée par des compagnies pharmaceutiques depuis le début des années 1980 dans laquelle des revendications englobaient des inhibiteurs de l’ECA ayant une tête polaire constituée de THIQ, dont Warner‑Lambert a connaissance, veuillez indiquer le moment où Warner‑Lambert a eu connaissance de la demande de brevet et produire tout document qui indique que Warner‑Lambert a eu cette connaissance.
[2] La demanderesse a institué la présente action en invalidation de brevet au moyen d’une déclaration datée du 4 août 2009 et modifiée le 12 mars 2011. Elle sollicite une ordonnance déclarant que le brevet canadien no 1,331,615 (le brevet 615) et le brevet canadien no 1,341,330 (le brevet 330) et chacune de leurs revendications sont invalides, nuls et sans effet. La demanderesse sollicite également une déclaration de non‑contrefaçon à l’égard des brevets 330 et 615, qui ont été déposés au Canada le 30 septembre 1981.
[3] En ordonnant de répondre à la question, la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire de limiter la question à la période se terminant en 1984 et à l’obligation de faire des efforts raisonnables pour y répondre :
[traduction]
En ce qui a trait à chaque demande de brevet présentée par des compagnies pharmaceutiques jusqu’en 1984 dans laquelle des revendications englobaient des inhibiteurs de l’ECA ayant une tête polaire constituée de THIQ, dont Warner‑Lambert a connaissance, veuillez faire des efforts raisonnables pour indiquer le moment où Warner‑Lambert a eu connaissance de la demande de brevet et produire tout document qui indique que Warner‑Lambert a eu cette connaissance.
[4] Il est bien établi que les décisions discrétionnaires des protonotaires ne devraient pas être modifiées en appel à moins qu’elles ne portent sur des questions ayant une influence déterminante sur la décision finale ou qu’elles ne soient entachées d’une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits. De plus, il est rare que la décision faisant suite à une requête relative à un interrogatoire préalable portera sur une question ayant une influence déterminante sur la décision finale (Apotex Inc. c. Sanofi‑Aventis, 2011 CF 52, par. 13 et 14; Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2008 CF 281, par. 50 à 57, confirmé par 2008 CAF 287).
[5] De plus, dans le cas d’une ordonnance interlocutoire rendue par le protonotaire chargé de la gestion d’une instance, il faut faire preuve de retenue à l’endroit de ce dernier, et la partie requérante doit s’acquitter d’un « lourd fardeau » pour faire annuler cette ordonnance (voir J2 Global Communications, Inc. c. Protus IP Solutions Inc., 2008 CF 759, par. 14, confirmé par 2009 CAF 41).
[6] En l’espèce, les défenderesses soutiennent que la décision de la protonotaire est [traduction] « entachée d’une erreur flagrante » parce que la question en cause n’est pas pertinente et a une portée excessive et que, de toute façon, l’ordonnance de la protonotaire ne respecte pas le principe de la proportionnalité, étant donné que la question en cause impose un fardeau important aux défenderesses.
[7] Pour sa part, la demanderesse fait valoir que ladite question est pertinente parce que, comme l’indiquent les actes de procédure, un élément du caractère évident des brevets en cause est que d’autres scientifiques du domaine sont arrivés à la même invention à peu près à la même époque. La demanderesse prétend de plus que la question est pertinente, dans la mesure où elle se rapporte à la période se terminant au 30 septembre 1981, pour étayer ses prétentions quant à l’état de la technique pertinent. Enfin, la demanderesse soutient que les défenderesses n’ont présenté aucun élément de preuve à l’appui de leur prétention que la question visée par l’ordonnance impose un [traduction] « fardeau très lourd » ou « onéreux », et que leurs observations à cet égard relèvent entièrement de la décision discrétionnaire de la protonotaire responsable de la gestion de l’instance.
[8] Je suis d’accord avec la demanderesse qu’aucune observation des défenderesses ne peut être retenue une fois que la question en cause est correctement comprise. En concluant ainsi, je souscris au raisonnement contenu aux paragraphes 16 à 23 des « Observations écrites en réponse » qui ont été déposées. Ces observations figurent à l’annexe jointe aux présents motifs.
[9] Je conclus donc que les défenderesses n’ont manifestement pas réussi à s’acquitter du lourd fardeau de démontrer que la décision interlocutoire de la protonotaire représente un « cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé » (voir par exemple Bande de Sawridge c. Canada, [2002] 2 C.F. 346, p. 354 (C.A.); Bande indienne d’Ermineskin et al. c. Sa Majesté la Reine du chef du Canada et al., 2002 CAF 331, par. 7; Apotex Inc. c. Sa Majesté la Reine du chef du Canada et al., 2006 CF 850, par. 15).
[10] Par conséquent, l’appel des défenderesses est rejeté avec dépens.
ORDonnance
L’appel interjeté par les défenderesses à l’encontre de l’ordonnance rendue par la protonotaire Milczynski, le 23 août 2011, à l’égard de la requête de la demanderesse visant à obliger que l’on réponde à des questions soulevées lors des interrogatoires préalables est rejeté avec dépens.
Traduction certifiée conforme
Édith Malo, LL.B.
ANNEXE
OBSERVATIONS ÉCRITES EN RÉPONSE
(Appel interjeté par les défenderesses à l’encontre de l’ordonnance de la protonotaire Milczynski)
[traduction]
16. Comme nous l’avons mentionné précédemment, Apotex a prétendu que le caractère évident des brevets 615 et 330 est établi par le fait que d’autres sont arrivés à l’invention à peu près à la même époque. Warner‑Lambert a nié cette prétention et avancé des faits contraires.
17. L’allégation d’Apotex à cet égard sera avérée si celle‑ci peut établir que Warner‑Lambert, une société qui œuvrait dans le domaine à cette époque, était au courant des demandes de brevets qui englobaient l’essence de l’invention revendiquée par les scientifiques de Warner‑Lambert. Il sera donc très difficile pour Warner‑Lambert de nier au procès que d’autres sont arrivés à des brevets à l’égard des inhibiteurs de l’ECA ayant une tête polaire constituée de THIQ à peu près à la même époque qu’elle. Si Warner‑Lambert persiste à le faire, Apotex pourra utiliser cet élément pour discréditer toute allégation, de fait ou d’expert, qui sont contraires à ces faits.
18. La question est également pertinente à un second niveau. Le fait que Warner‑Lambert, une société qui œuvrait dans le domaine à cette époque, était au courant des antériorités pertinentes étaierait la prétention d’Apotex selon laquelle lesdites antériorités faisaient partie des connaissances du destinataire versé dans l’art à la date pertinente. Ainsi, dans la mesure où la question se rapporte à la période se terminant en septembre 1981, la question est d’autant plus pertinente.
19. Comme nous l’avons déjà mentionné, il est probable que l’on conclura que le destinataire versé dans l’art est un scientifique qui œuvrait dans l’industrie à l’époque2. Comme Warner‑Lambert employait plusieurs scientifiques de ladite industrie, le fait que ceux‑ci connaissaient les antériorités pertinentes est probant quant à savoir si un destinataire versé dans l’art aurait connu ces antériorités3.
20. Par conséquent, il est raisonnable de conclure que la réponse à la question visée par l’ordonnance pourrait soulever d’autres questions susceptibles d’étayer la thèse d’Apotex ou de nuire à celle de Warner‑Lambert. La question répond au critère de la pertinence à l’étape des interrogatoires préalables.
Apotex Inc. c. Sanofi‑Aventis, 2011 CF 52, par. 18.
21. La protonotaire a reconnu la pertinence de cette question. Ce faisant, elle n’a commis aucune erreur manifeste. C’est pourquoi sa décision ne devrait pas être modifiée en appel.
22. Les observations de Warner‑Lambert quant à la portée excessive de l’ordonnance s’expliquent également par le motif principal invoqué au soutien de la pertinence de la demande de renseignements d’Apotex. Compte tenu du délai entre le dépôt d’une demande de brevet et sa divulgation au public, il est logique d’étendre la période visée par la question d’un certain nombre d’années suivant la date à laquelle les demandes de brevets en cause ont été déposées au Canada 4. Ainsi, la protonotaire n’a pas commis d’erreur manifeste en ordonnant que la réponse à la question soit limitée à la période se terminant en 1984.
23. Les observations de Warner‑Lambert quant au fardeau et à la proportionnalité sont également sans fondement. Une partie ne peut simplement prétendre qu’elle a subi un préjudice sans présenter une preuve suffisante. Par ailleurs, pour ce qui est de la requête ci‑après, la protonotaire Milczynski a exercé son pouvoir discrétionnaire et a limité la question à l’obligation de faire des recherches raisonnables. Warner‑Lambert n’a pas réussi à s’acquitter du lourd fardeau qui incombe à la partie cherchant à faire infirmer une décision discrétionnaire d’un protonotaire, et plus particulièrement du protonotaire responsable de la gestion de l’instance. Quoi qu’il en soit, l’absence de preuve est fatale pour le fardeau dont doit s’acquitter Warner‑Lambert, quelle que soit la norme de contrôle.
Bande indienne Wewayakum c. Bande indienne Wewayakai, [1991] A.C.F. no 213, par. 47 (1re inst.)
____________________
2 Voir p.ex. Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CF 676, par. 85 et Les Laboratoires Servier c. Apotex Inc., 2008 CF 825, par. 103.
3 À cet égard, le fait que Warner‑Lambert s’appuie sur une jurisprudence antérieure qui n’obligeait pas de répondre à des questions sur ce que connaissaient les inventeurs n’est pas utile. La question vise à savoir ce que connaissait Warner‑Lambert, non ce que seuls connaissaient les inventeurs, pour la bonne raison que les connaissances que pourrait avoir Warner‑Lambert sont plus probantes quant aux connaissances du destinataire versé dans l’art. De même, dans la mesure où les inventeurs avaient connaissance des antériorités pertinentes avant la date de l’invention établie par la Cour au procès, cette connaissance est nettement pertinente compte tenu l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, par. 70 et 71.
4 Cette approche n’est pas différente de la reconnaissance par la Cour que l’état de la technique peut être prouvé, au besoin, par des publications postérieures qui constituent des éléments de preuve de l’art antérieur (voir Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc., 2009 CF 991, par. 420 à 423).
cour fédérale
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑1252‑09
Intitulé : APOTEX INC. c.
WARNER‑LAMBERT COMPANY LLC et PARKE, DAVIS & COMPANY LLC
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 4 octobre 2011
Motifs de l’ordonnance
et ordonnance : le juge Pinard
DATE DES MOTIFS : Le 7 octobre 2011
Comparutions :
Benjamin Hackett
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pour la demanderesse
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Andrew Bernstein Alexandra Peterson
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pour les défenderesses
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Goodmans LLP Toronto (Ontario)
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pour la demanderesse
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Torys LLP Toronto (Ontario)
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pour les défenderesses
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