[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 5 octobre 2011
En présence de monsieur le juge Rennie
ENTRE :
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ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Le demandeur cherche à faire annuler une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 8 décembre 2010, portant qu’il n’a ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). L’élément déterminant de cette décision est le fait que le demandeur n’a pas produit une preuve crédible et digne de foi au soutien de sa demande. Malgré le caractère raisonnable de bon nombre des conclusions, la décision est viciée quant à un aspect important. En conséquence, la présente demande est accueillie.
Les faits
[2] Le demandeur, un citoyen de la Turquie, a demandé l’asile en application de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR sur la foi de son identité – il est un Kurde alevi. En Turquie, le fait d’être alevi le distingue des musulmans et le fait d’être kurde le distingue des Turcs. Il a demandé l’asile parce qu’il a été persécuté par différentes personnes, notamment des policiers turcs, en raison de ses activités politiques favorables aux alevis et aux Kurdes. En outre, il a soutenu que des allégations d’appartenance à Ergenekon, une organisation kémaliste soupçonnée de vouloir renverser le gouvernement en place, ont été formulées contre lui. Il a affirmé qu’il avait été interrogé par la police au sujet de ses activités politiques au sein du Demokratik Toplum Partisi (DTP) lorsqu’il est retourné en Turquie après un séjour en Azerbaïdjan où il faisait des études universitaires. Il a affirmé également que son soutien à un candidat politique du parti appelé Cumhuriyet Halk Partisi (CHP) et le fait qu’il était membre de l’Ataturku Thought Association (ADD) et, à une époque, le dirigeant de son aile jeunesse, ont amené la police à s’intéresser à lui.
[3] Le demandeur a dit qu’il avait été attaqué par des ressortissants turcs lors du festival de Norouz à Bakou, en Azerbaïdjan, et qu’il avait ensuite été interrogé par la police lorsqu’il est retourné en Turquie. Il a indiqué que le parti « pro‑islamique » appelé Adalet Kalkinma Partisi (AKP) s’oppose au CHP et que, à cause de son soutien à ce dernier, il avait reçu des menaces de mort par téléphone de fondamentalistes de l’AKP. Le demandeur a dit aussi qu’il avait été détenu et interrogé au sujet de ses activités politiques et que, bien qu’il ait été libéré sans qu’aucune accusation ne soit portée contre lui, il avait été battu par la police pendant sa détention.
[4] Le demandeur a produit des documents au soutien de sa demande; une lettre de Sevket Kose, le membre du CHP qu’il a soutenu; sa carte de membre de l’ADD; une copie de la lettre envoyée au père du demandeur par le chef Adiyaman, dans laquelle ce dernier écrit que le demandeur est recherché par la police pour être interrogé (mais pas le mandat lui‑même); une lettre d’Aziz Akar, le frère du demandeur qui habite ailleurs en Turquie; une lettre du Toronto Kurdish Community and Information Centre indiquant que le demandeur fréquente le centre.
[5] La Commission a reconnu que le demandeur était un Kurde alevi, mais elle a considéré que l’élément déterminant de sa demande était le fait qu’il « n’a pas établi sa demande d’asile au moyen d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi. Il n’a pas établi, au moyen d’éléments de preuve crédibles, qu’il avait un profil politique ni qu’il a été persécuté ». La Commission a donc rejeté la demande.
La décision faisant l’objet du contrôle
[6] La décision de la Commission est fondée sur la jurisprudence et la plus grande partie de son raisonnement est justifié, transparent et intelligible. En ce qui concerne la crédibilité, la Commission a conclu :
Lorsqu’un demandeur d’asile jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter. La détermination de la crédibilité de la preuve du demandeur d’asile est fondée sur la prépondérance des probabilités. Je conclus que le demandeur d’asile n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi établissant un profil politique et une crainte fondée de persécution s’il est renvoyé en Turquie aujourd’hui.
[7] La Commission a ensuite analysé longuement la plupart des éléments de la demande et elle a noté le fait que le demandeur s’était réclamé à nouveau de la protection de la Turquie avant de venir au Canada, son retard à demander l’asile et son absence de participation aux activités politiques des alevis au Canada. Ces conclusions de fait ne sont pas contestées.
[8] En ce qui concerne la crainte subjective, la Commission a statué que les interrogatoires menés par la police n’étaient ni sérieux, ni menaçants ni systématiques et qu’ils ne satisfaisaient pas au critère prévu par la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6 (la Convention) :
Par définition, la crainte est subjective, alors que le bien-fondé de cette crainte est un élément objectif. Il faut tenir compte d’éléments tant subjectifs qu’objectifs pour correspondre à la définition, et l’absence de preuve quant à l’élément subjectif justifie le rejet de la demande d’asile. Le fait que le demandeur d’asile se soit réclamé de la protection de l’État ne reflète pas une véritable crainte subjective causée par les événements de 2004.
[9] La Commission a également noté l’absence de document corroborant les activités politiques du demandeur au sein du DTP :
Le demandeur d’asile a déclaré qu’il faisait partie du Demokratik Toplum Partisi [parti de la société démocratique – DTP]. Il n’a pas de carte de membre pour le prouver. Questionné à savoir pourquoi il n’a pas obtenu de lettre de la part de ses anciennes relations du parti pour confirmer ses activités au parti, ou encore du Halkın Demokrasi Partisi [parti de la démocratie du peuple – HADEP], avec lequel il était également associé, le demandeur d’asile a répondu qu’il n’a pas pu obtenir quoi que ce soit, mais n’a fourni aucune preuve démontrant qu’il a tenté d’obtenir des documents appuyant ses déclarations. Il n’a aucun contact. J’estime qu’il est irréaliste que le demandeur d’asile n’ait pas été en mesure d’obtenir de preuve corroborant son profil politique, et je conclus qu’il a exagéré ou enjolivé son implication dans ces partis politiques en vue d’étoffer sa demande d’asile. Le fait que le récit du demandeur d’asile soit jugé invraisemblable ou qu’il manque de crédibilité, ou encore que les documents validant ses dires font défaut ou que le demandeur d’asile n’a pas tenté d’obtenir de tels documents, sont des raisons valables pour motiver une évaluation de la crédibilité du demandeur d’asile.
[10] Enfin, il n’y avait aucune preuve d’un mandat d’arrêt visant le demandeur et ce dernier a franchi les contrôles frontaliers canadiens et turcs sans aucun incident. Dans l’ensemble, le demandeur n’a pas présenté une preuve crédible et digne de foi à la Commission.
[11] Le demandeur soutient cependant que l’erreur fondamentale commise par la Commission tient au fait qu’elle n’a pas examiné le principal fondement de sa demande, à savoir sa crainte d’être persécuté en raison de ce qui a été appelé l’enquête Ergenekon, une enquête gouvernementale dont le but avoué est de mettre au jour un complot visant à renverser le gouvernement, mais que le demandeur décrit comme une campagne menée par le gouvernement (islamiste) afin de persécuter les tenants de la laïcité. Comme cet aspect était crucial pour sa demande d’asile, le membre devait évaluer son profil à la lumière du risque posé par cette enquête. Pour conclure qu’un demandeur n’a pas un profil politique, il faut implicitement que la question de la perspective soit abordée. La Commission devait mettre sa conclusion selon laquelle il n’avait aucun profil dans le contexte du risque auquel il était exposé. Le demandeur pouvait être perçu comme faisant partie d’Ergenekon puisqu’il était un Kurde alevi, peu importe son profil politique. N’ayant pas fait allusion à la source du risque, à savoir que le demandeur était visé par l’enquête Ergenekon parce qu’il était un Kurde alevi, la Commission ne pouvait pas conclure qu’il ne courait aucun risque en conséquence.
[12] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’une nouvelle décision soit rendue.
[13] Aucune question n’a été proposée à des fins de certification et aucune n’est soulevée en l’espèce.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié afin de faire l’objet d’un nouvel examen par un membre différent de la Section de la protection des réfugiés. Aucune question n’a été proposée à des fins de certification et la Cour estime qu’aucune n’est soulevée en l’espèce.
« Donald J. Rennie »
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-53-11
INTITULÉ : ERDAL AKAR c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 20 juillet 2011
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : Le 5 octobre 2011
COMPARUTIONS :
POUR LE DEMANDEUR
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Kevin Doyle |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |