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Date : 20110928


Dossier : IMM-1019-11

Référence : 2011 CF 1115

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

MARCIA KING

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

        MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Marcia King, par laquelle elle conteste une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a rejeté sa demande d’asile au motif que celle-ci avait fait l’objet d’un désistement. Les parties reconnaissent que Mme King ne s’est pas présentée à l’audience de mise au rôle qui avait été fixée au 10 janvier 2011 par la Commission, ainsi qu’à l’audience quant au désistement de la demande, qui avait été fixée au 24 janvier 2011. Des avis relatifs à ces audiences ont respectivement été envoyés le 16 décembre 2010 et le 13 janvier 2011 par la poste régulière aux dernières adresses connues de Mme King.  

 

[2]               Il appert du dossier que Mme King a changé d’adresse à deux reprises dans la période où la Commission a tenté de l’aviser des audiences. Mme King affirme sous serment que, dans les deux cas, elle a informé la Commission de ses changements d’adresse, mais elle n’a produit une preuve documentaire corroborante seulement qu’au sujet de son deuxième déménagement. Mme King déclare dans son affidavit qu’elle n’a pas reçu de copie de l’avis de la Commission relativement à l’audience de mise au rôle et qu’elle a reçu l’avis de l’audience relative au désistement de la demande une semaine après la date à laquelle elle avait été fixée.

 

[3]               Mme King n’était pas représentée, jusqu’à ce qu’elle reçoive l’avis tardif de la Commission quant à l’audience relative au désistement; elle a alors retenu les services de Me Rocco Galati pour qu’il agisse en son nom. Me Galati a envoyé une lettre par télécopieur à la Commission le 1er février 2011, dans laquelle il mentionnait que Mme King n’avait pas reçu d’avis quant à l’audience de mise au rôle et qu’elle avait reçu un avis quant à l’audience sur le désistement une semaine après la date fixée pour celle-ci. Me Galati a demandé la tenue d’une nouvelle audience de mise au rôle.

 

[4]               Le 2 février 2011, la Commission a avisé Mme King que sa demande avait été déclarée avoir fait l’objet d’un désistement. Rien dans le dossier n’indique que la lettre envoyée par Me Galati le 1er février 2011 a été examinée par la Commission et la Commission n’a pris aucune mesure pour accéder à sa demande visant à ce qu’une nouvelle audience soit tenue.

 

La question en litige

[5]               La Commission a-t-elle commis une entorse à l’équité procédurale en ce qui concerne l’envoi de l’avis à Mme King?

 

Analyse

[6]               La question déterminante dans la présente instance concerne le principe d’équité procédurale et la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

 

[7]               Au cours de l’audience relative à la présente demande, j’ai soulevé la question du moment auquel le désistement a effectivement été prononcé et, plus particulièrement, celle de savoir s’il a été prononcé avant ou après que la Commission ait reçu la lettre envoyée par Me Galati le 1er février 2011. Il s’agissait d’une question pertinente, parce que si la Commission a pris sa décision avant de recevoir les observations du conseil, on pourrait affirmer qu’elle était dessaisie de l’affaire et ne pouvait se pencher sur ces observations. Toutefois, si elle a pris sa décision le 2 février 2011, la Commission avait l’obligation d’examiner les observations présentées par Me Galati avant de prononcer le désistement de la demande. En l’absence d’un affidavit de la Commission, la seule inférence raisonnable que l’on peut tirer est que la lettre envoyée par Me Galati le 1er février2011 n’a pas été examinée avant que la lettre de décision soit signée, le 2 février 2011. Compte tenu de ces questions, j’ai invité les avocats des parties à me formuler leurs observations par écrit.

 

[8]               Le 19 août 2011, l’avocat du défendeur a écrit à la Cour pour aviser qu’un document important avait été omis du dossier certifié du tribunal (le DCT) de la Commission. De plus, l’avocat du défendeur a présenté un affidavit souscrit par Michael Chelsky, greffier adjoint de la Commission, qui divulguait, pour la première fois, que la décision et les motifs prononcés par la Commission quant au désistement avaient été omis par inadvertance du DCT. Ce document divulguait que Joel Bousfield, commissaire, avait déclaré que la demande de Mme King avait fait l’objet d’un désistement le 24 janvier 2011, car cette dernière [traduction] « n’a pas comparu » ce jour-là.

 

[9]               Il est inquiétant de constater que le document le plus important dont la Commission avait possession n’était pas inclus dans son DCT. La Cour et les parties concernées se fondent sur l’exhaustivité des dossiers produits par les tribunaux administratifs. Il semblerait que si cette question n’avait pas été soulevée par la Cour, la disparité que l’on retrouve dans la preuve aurait entraîné une erreur dans la décision relative à la présente demande. 

 

[10]           Il ne fait maintenant aucun doute, selon le dossier corrigé, que la lettre de Me Galati envoyée le 1er février 2011 a été reçue après que la Commission ait rendu sa décision quant au désistement. Conformément à l’arrêt Tambwe-Lubemba c. Canada (MCI), [2000] A.C.F. no 1874 (QL) (CAF), 264 N.R. 382 rendu par la Cour d’appel fédérale (invoqué pour la première fois par l’avocat du défendeur dans ses observations additionnelles du 19 août), la Commission était dessaisie de l’affaire après le 24 janvier 2011 et n’aurait pu se pencher sur la lettre que Me Galati a envoyée le 1er février, même si M. Bousfield avait vu cette lettre. 

 

[11]           Toutefois, l’affaire ne s’arrête pas là. J’ai devant moi l’affidavit de Mme King, dans lequel elle déclare qu’elle n’a pas reçu l’avis relatif à la tenue de l’audience de mise au rôle, en dépit du fait qu’elle ait fourni au Conseil un avis de changement d’adresse. Elle déclare aussi qu’elle a reçu l’avis de la Commission relatif à l’audience quant au désistement sept jours après la date à laquelle l’audience avait été fixée. 

 

[12]           Le défendeur souligne l’absence de corroboration concernant la prétention de Mme King voulant que celle-ci ait avisé la Commission de son premier changement d’adresse. Néanmoins, cette dernière a manifestement fourni à la Commission l’avis relatif à son changement d’adresse pour son deuxième déménagement et reconnaît avoir reçu tardivement l’avis de la Commission concernant l’audience sur le désistement. Il est aussi clair qu’elle a réagi rapidement afin de retenir les services d’un conseil chevronné pour intervenir en son nom dès qu’elle fut avisée tardivement de l’audience relative au désistement. 

 

[13]           Compte tenu du fait que la Commission a omis de produire un DCT complet dans la présente affaire et des affirmations solennelles de Mme King, le fait que la Commission refuse d’entendre sa cause sur le fond, en invoquant la prétendue régularité de ses pratiques administratives, est quelque peu surprenant. J’ai été convaincu que Mme King a établi qu’elle n’avait pas été avisée de la tenue de l’audience sur le désistement avant la date de sa comparution. Cette conclusion repose en partie sur la décision rendue par le juge John D. Richard dans Zaouch c. Canada (MCI), [1996] A.C.F. no 982 (QL) (1ere inst.), 64 A.C.W.S. (3d) 844, où celui-ci a conclu :

6    Il est évident que le requérant a changé d’adresse dans les premiers jours suivant son arrivée au Canada. La preuve fournie par l’intimé pour montrer l’adresse subséquente sert simplement à établir un fait qui n’est pas contesté : selon l’ordinateur de la Commission, le requérant résidait sur la rue Saint-André. En l’absence de toute preuve indiquant que le requérant avait fourni l’adresse de la rue Saint-André, il n’y a pas lieu de rejeter ce qu’il a déclaré sous serment, savoir que la nouvelle adresse se trouvait sur la rue Saint‑Denis et que l’avis avait été envoyé à la mauvaise adresse, vraisemblablement à la suite d’une erreur d’écriture de la part de la Commission.

 

[…]

 

11    Comme je l’ai indiqué, le requérant a droit, en l’absence de toute circonstance tendant à susciter un doute, au bénéfice de sa preuve non contestée selon laquelle il avait fait part à la Commission de sa bonne adresse. Il s’ensuit que l’avis de l’audience de désistement a été envoyé à la mauvaise adresse, et que, de ce fait, le requérant s’est vu privé d’une audience équitable, en accord avec les règles de justice naturelle, pour déterminer s’il s’était désisté ou non de sa revendication du statut de réfugié.

 

12    La Section du statut de réfugié a commis une erreur en fondant sa décision de ne pas réouvrir la revendication sur la conclusion que le requérant n’avait pas prouvé qu’il avait pris les mesures voulues pour faire part de son adresse à la Commission. Rien ne prouve que l’erreur n’a pas été commise par la Commission elle-même; il n’y a aucune raison de douter de la crédibilité du requérant ou de cet élément de preuve; il n’y a donc pas lieu de s’opposer à la réouverture de la revendication du statut de réfugié du requérant.

 

 

[14]           En plus de ce qui précède, je conclus que Mme King s’est conduite de manière exemplaire en retenant immédiatement les services de Me Galati dès qu’elle fut avisée de l’audience sur le désistement, mais avant qu’elle reçoive l’avis de la décision quant au désistement, et que cette conduite invalide la prétention du défendeur portant qu’elle a simplement ignoré les avis qu’elle a reçus.

 

[15]           L’équité procédurale exigeait que Mme King soit avisée en temps utile de la tenue de ces audiences : voir Keymanesh c. Canada, 2006 CF 641, [2007] 2 R.C.F. 206. Il ne s’agit pas d’une question de crédibilité. L’équité exige un avis suffisamment détaillé, que Mme King n’a pas reçu. Par conséquent, la décision de la Commission sera annulée.  

 

[16]           Je souscris à l’argument de Me Galati voulant qu’il ne servirait à rien que la Commission se prononce à nouveau sur la question du désistement. Compte tenu de mes conclusions, il est manifestement évident que Mme King n’avait pas l’intention de se désister de sa demande. Conformément à la décision rendue par la juge Sandra J. Simpson dans la décision Atwal c. Canada (MCI), 157 F.T.R. 258, au paragraphe 29, [1998] A.C.F. no 1693 (QL) (1ere inst.), la présente affaire est renvoyée à la Commission pour qu’une audience quant au bien-fondé de la demande d’asile de la demanderesse soit tenue devant un autre commissaire. 

 

[17]           L’octroi de dépens pourrait être approprié dans la présente affaire. Me Galati aura dix jours pour présenter ses observations écrites concernant les dépens, et l’avocat du défendeur disposera de sept jours pour produire une réponse. Aucune des observations ne devra dépasser cinq pages. 

 

[18]           Quant à la décision de la présente affaire, la question posée par Me Galati à des fins de certifications est théorique. Le défendeur a refusé de proposer une question à des fins de certification et aucune question ne sera certifiée. 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la décision de la Commission quant au désistement est annulée. La Commission devra tenir une audience quant au bien-fondé de la demande d’asile présentée par la demanderesse devant un tribunal différemment constitué de la Commission. 

 

LA COUR MET EN DÉLIBÉRÉ la question d’un éventuel octroi de dépens en attendant la réception d’observations écrites additionnelles des parties.

 

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1019-11

 

INTITULÉ :                                       KING c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (ON)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 août 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 28 septembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rocco Galati

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Teresa Ramnarine

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rocco Galati Law Firm

Toronto (ON)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (ON)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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