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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20110921


Dossier : T-308-11

Référence : 2011 CF 1088

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 21 septembre 2011

En présence de monsieur le protonotaire Roger R. Lafrenière

 

ENTRE :

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS,
COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

 

demanderesse

 

et

 

IIC ENTERPRISES LTD.
FAISANT AFFAIRE SOUS LA RAISON SOCIALE
DE CHEETAH'S NIGHTCLUB

 

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (la SOCAN), a déposé une requête ex parte en application des articles 210 et 369 des Règles des Cours fédérales (les Règles) en vue d’obtenir la réparation suivante :

 

a)                  en application de l’article 210 des Règles, un jugement par défaut contre la défenderesse suivant l’ébauche de jugement jointe en tant qu’annexe « A » à l’avis de requête;

b)                  les dépens liés à la présente requête, lesquels sont fixés à un montant de 3 000 $, ou tout autre montant que la Cour estimera juste;

c)                  toute autre réparation que la Cour estimera juste.

 

La nature de la demande de la SOCAN contre la défenderesse

 

[2]               La SOCAN est une société à but non lucratif, de même qu’une société de gestion au sens de l’article 67 de la Loi sur le droit d’auteur. Son activité consiste à octroyer des licences en vue de l’exécution en public et de la communication au public par télécommunication au Canada d’œuvres musicales ou dramatico-musicales. Les redevances ou les droits que la SOCAN est autorisée à percevoir pour l’exécution en public d’œuvres musicales par l’entremise d’artistes-interprètes en personne ont été approuvés par la Commission du droit d’auteur conformément à la Loi sur le droit d’auteur et ils sont publiés chaque année dans la Gazette du Canada sous la forme du Tarif 3.C.

 

[3]               Le Tarif 3.C exige que le titulaire d’une licence déclare chaque année les chiffres applicables à la SOCAN, et il autorise cette dernière ou son mandataire à examiner les livres et les registres du titulaire en tout temps durant les heures de bureau habituelles et de vérifier les droits que ce dernier doit payer.

 

[4]               La défenderesse, IIC Enterprises Ltd., exploite un club de divertissement pour adultes appelé Cheetah’s Nightclub, à Kelowna (Colombie-Britannique), dans lequel elle présente au public des prestations d’œuvres musicales sous forme de musique enregistrée. Depuis 2005, la défenderesse est autorisée par la SOCAN, aux termes du Tarif 3.C, à exécuter en public au club des œuvres musicales faisant partie du répertoire de la SOCAN.

 

[5]               Le 27 octobre 2005, la défenderesse a déclaré à la SOCAN que, pour l’année 2005, le nombre estimatif de jours d’ouverture de l’établissement était de 114, et le nombre de places debout et assises autorisé de 232. Elle a également déclaré que, pour 2006, le nombre estimatif de jours d’ouverture de l’établissement serait de 312, et que le nombre de places assises serait le même.

 

[6]               D’après le Tarif 3.C, les dispositions du paragraphe 68.2(3) de la Loi sur le droit d’auteur et les chiffres estimatifs que la défenderesse a fournis en 2005 et en 2006, le montant total des droits de licence provisoires que doit la défenderesse pour les années 2005 à 2011 s’élève à 21 628,54 $. La SOCAN prétend que la défenderesse n’a payé à ce jour que la somme de 1 245,18 $ au titre des droits provisoires applicables à 2005 et qu’elle n’a déclaré aucune donnée depuis octobre 2005.

 

[7]               La SOCAN allègue qu’en dépit de demandes répétées, la défenderesse a refusé de payer les droits en souffrance et de déclarer tous les chiffres pertinents.

 

[8]               Dans la demande de réparation, la SOCAN demande qu’un jugement au montant de 20 383,36 $ soit rendu contre la défenderesse, soit le solde du montant estimatif des redevances à payer selon le Tarif 3.C ou, subsidiairement, des dommages-intérêts préétablis, au sens du paragraphe 38.1(4) de la Loi sur le droit d’auteur, d’un montant de trois à dix fois celui des redevances à payer, relativement aux redevances additionnelles jugées payables à la suite d’une comptabilisation et d’une vérification.

 

La requête en jugement par défaut

 

[9]               Saisie d’une requête en jugement par défaut, la Cour est tenue de répondre à deux questions : premièrement, la partie défenderesse est-elle en défaut et, deuxièmement, existe-t-il une preuve qui étaye l’action de la partie demanderesse : Chase Manhattan Corp c. 3133559 Canada Inc 2001 CFPI 895.

 

[10]           Pour ce qui est de la première question, en l’espèce la demanderesse doit établir que la défenderesse a reçu via signification à personne la déclaration et que le délai prévu pour la signification et le dépôt d’une défense a expiré.

 

[11]           Le paragraphe 130(1) des Règles prévoit divers modes de signification à personne à une personne morale, y compris le mode prévu par une cour supérieure de la province où cette signification est effectuée. Le sous-alinéa 4-3(2)b)(iv) des Supreme Court Civil Rules de la Colombie-Britannique autorise à signifier un document de la manière prévue par la Business Corporations Act, laquelle permet de signifier un document en l’envoyant par courrier recommandé à l’adresse postale du siège social de la compagnie mentionnée dans le registre des sociétés.

 

[12]           Selon l’affidavit de signification de Jennifer Lundeen souscrit le 17 mars 2011, une copie de la déclaration a été transmise par courrier recommandé à l’adresse postale du siège social de la défenderesse. Une personne du nom de Dharampal Singh en a accusé réception le 4 mars 2011. Je suis donc d’avis que la déclaration a été signifiée à personne à la défenderesse.

 

[13]           Comme rien n’indique qu’une défense a été déposée dans le délai prescrit à l’article 204 des Règles, ou qu'une prorogation de délai a été demandée, je conclus que la défenderesse est en défaut.

 

[14]           Pour ce qui est de la seconde question, il ressort de la preuve déposée dans le cadre de la présente requête que la SOCAN détient ou administre le droit d’exécution en public au Canada, ainsi que celui d’autoriser et de permettre l’exécution en public de la quasi-totalité des œuvres musicales à succès qui ont cours au Canada. Il existe un droit d’auteur au Canada sur les œuvres musicales faisant partie du répertoire de la SOCAN.

 

[15]           La défenderesse a obtenu de la SOCAN une licence visée au Tarif 3.C (Clubs de divertissement pour adultes) en vue de l’exécution en public des œuvres musicales faisant partie du répertoire de la demanderesse au Cheetah’s Nightclub pour les années 2005 et 2006. La SOCAN a établi, selon la prépondérance de la preuve, que la défenderesse est restée ouverte entre 2005 et la date de délivrance de la déclaration (la période visée par la demande) et au-delà de cette date, sauf pour une période temporaire de rénovations en 2007. Pendant toute la période visée par la demande, la défenderesse a présenté, autorisé et permis l’exécution en public d’œuvres musicales faisant partie du répertoire de la SOCAN au Cheetah’s Nightclub sous forme de musique enregistrée, mais elle a omis d’acquitter les redevances provisoires prévues par le Tarif 3.C pour les années 2006 à 2011, inclusivement.

 

[16]           La demanderesse a formulé des hypothèses raisonnables au sujet du nombre de jours pendant lesquels le Cheetah’s Nightclub a été ouvert au cours de la période visée par la demande, et ce, en prenant pour base le nombre estimatif de jours que la défenderesse avait déclaré pour l’année 2006. Dans les circonstances, je suis d’avis que la défenderesse doit à la demanderesse la somme de 20 383,36 $ au titre des redevances provisoires exigibles, droits applicables selon le Tarif 3.C incluses.

 

Les dommages-intérêts préétablis

 

[17]           Aux termes du paragraphe 38.1(4) de la Loi sur le droit d’auteur, la société de gestion visée à l’article 67 peut, au lieu de se prévaloir de tout autre recours en vue d’obtenir un redressement pécuniaire prévu par la Loi, choisir de recouvrer des dommages-intérêts préétablis dont le montant équivaut de trois à dix fois le montant des redevances applicables à payer. La SOCAN a fait ce choix et sollicite une ordonnance en vue de recouvrer des dommages-intérêts préétablis dont le montant équivaut à sept fois celui des redevances applicables.

 

[18]           Pour exercer le pouvoir discrétionnaire que lui accorde le paragraphe 38.1(4) de la Loi sur le droit d’auteur, la Cour est tenue de prendre en considération tous les facteurs pertinents, dont : a) la bonne ou mauvaise foi de la défenderesse, b) le comportement des parties avant l’instance et au cours de celle-ci, et c) la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles du droit d’auteur en question.

 

[19]           La SOCAN a énuméré un certain nombre de facteurs qui justifieraient l’octroi de dommages-intérêts préétablis supérieurs au minimum prescrit. Premièrement, la défenderesse a fait montre d’un mépris total, pendant un temps prolongé, à l’égard des conditions dont était assortie la licence que la demanderesse lui a accordée. Deuxièmement, la défenderesse a effrontément continué d’annoncer et d’exécuter en public des œuvres musicales faisant partie du répertoire de la SOCAN. Troisièmement, la défenderesse a fait systématiquement abstraction des lettres, des appels et des visites de la SOCAN, et s’est soustraite à la signification de documents. Quatrièmement, la défenderesse a poursuivi ses activités de contrefaçon après avoir été avisée de la présente action. Je conclus que la conduite de la défenderesse est un signe manifeste de mauvaise foi, tant avant l’instance qu’au cours de celle-ci.

 

[20]           Même si la conduite de la défenderesse mérite d’être sanctionnée, la Cour est tenue de mettre en corrélation les faits de l’affaire et l’objet fondamental des dommages-intérêts préétablis. Elle doit se demander en quoi leur attribution favoriserait la réalisation des objectifs du droit et quelle est la somme la moins élevée qui permettrait d’atteindre l’objet visé. Toute somme supérieure serait injustifiée.

 

[21]           Compte tenu des facteurs que je viens d’énumérer, ainsi que de l’absence de toute circonstance atténuante, je conclus qu’il convient en l’espèce d’attribuer des dommages-intérêts préétablis qui équivalent à six fois les droits de licence impayés. Ce montant élevé devrait servir à dissuader de manière suffisante la défenderesse, ainsi que d’autres parties, qui tentent de tirer impunément profit des œuvres musicales faisant partie du répertoire de la demanderesse. Cette mesure servira à rappeler à tous les titulaires de licence les conséquences potentiellement graves du fait de ne pas se conformer à l’obligation de produire un rapport annuel et de ne pas acquitter les droits de licence applicables que prévoit le Tarif 3.C. Les dommages-intérêts dont disposent les titulaires d’un droit d’auteur en vertu de la Loi sur le droit d’auteur remplissent une fonction importante et ne doivent pas être traités comme les autres frais d’exploitation d’une entreprise.

 

Les intérêts avant jugement

 

[22]           La SOCAN sollicite des intérêts avant jugement à partir de la date à laquelle la cause d’action a pris naissance, plutôt qu’à partir de la date de la déclaration.

 

[23]           Le paragraphe 36(2) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que des intérêts avant jugement peuvent être attribués de la manière suivante :

Intérêt avant jugement – Fait survenu dans une province

 (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi fédérale, et sous réserve du paragraphe (2), les règles de droit en matière d’intérêt avant jugement qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale et dont le fait générateur est survenu dans cette province.

 

[24]           Étant donné qu’en l’espèce la cause d’action a pris naissance en Colombie-Britannique, le texte de loi qui régit le calcul des intérêts avant jugement est la Court Order Interest Act, R.S.B.C. 1996, chapitre 79 :

[traduction

Intérêt sur jugement :

1 (1) Sous réserve de l’article 2, le tribunal ajoute à tout jugement pécuniaire un montant d’intérêt calculé sur le montant à payer, et ce, au taux que le tribunal estime approprié dans les circonstances, entre la date à laquelle la cause d’action a pris naissance et la date de l’ordonnance.

 

 

[25]           Selon la SOCAN, la cause d’action relative aux droits de licence de chaque année a pris naissance le 1er février de chaque année car les droits de licence provisoires qui s’appliquaient à chacune des années étaient à payer le 31 janvier de l’année en question, mais ils ne l’ont pas été. Cela est possible, mais les dommages-intérêts préétablis sont attribués « au lieu [...] de tout autre recours en vue d’obtenir un redressement pécuniaire » prévu par la Loi sur le droit d’auteur. En optant pour des dommages-intérêts préétablis, la SOCAN a essentiellement renoncé à son droit de poursuivre sa réclamation concernant les droits de licence provisoires, ainsi que les intérêts applicables. En bref, la SOCAN ne peut avoir à la fois le beurre et l’argent du beurre.

 

[26]           Quoi qu’il en soit, pour les motifs qui suivent, je ne suis pas disposé à accorder des intérêts avant jugement pour la période précédant la délivrance de la déclaration. Premièrement, la SOCAN n’a pas établi qu’elle possède un droit contractuel ou légal d’exiger des intérêts sur des droits de licence en souffrance. Deuxièmement, la SOCAN a considérablement tardé à engager la présente action en vue de recouvrer des droits de licence remontant à 2006. Troisièmement, la demande de dommages-intérêts préétablis n'a été faite et n’a été concrétisée qu’au moment où l’instance a été engagée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La défenderesse paiera à la demanderesse des dommages-intérêts préétablis, conformément à la Loi sur le droit d’auteur, d’un montant de 122 300,22 $, soit six fois les droits de licence provisoires de 20 383,37 $ (TPS/TVH incluses) que doit la défenderesse à la demanderesse en vertu du Tarif 3.C pour les années 2005 à 2011.

 

2.                  La défenderesse paiera à la demanderesse des intérêts avant jugement simples au taux de 2,5 % sur le montant mentionné ci-dessus au paragraphe 1, relativement à la période qui s’étend du 23 février 2011 jusqu’à la date du jugement.

 

3.                  La défenderesse paiera sans délai à la demanderesse ses dépens afférents à la présente requête, lesquels sont fixés par la présente à 3 000 $ plus la TVH, soit un montant total de 3 360 $.

 

4.                  Le présent jugement portera intérêt au taux de 3,0 % par année à compter de la date à laquelle il sera rendu.

 

 

« Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-308-11

 

INTITULÉ :                                                   SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE c. IIC ENTERPRISES LTD., FAISANT AFFAIRE SOUS LA RAISON SOCIALE DE CHEETAH’S NIGHTCLUB

 

 

REQUÊTES EXAMINÉES SUR DOSSIER À VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE :                                  
LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 21 SEPTEMBRE 2011

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

 

Christopher S. Wilson

Esther Jeon

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

S.O.

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bull Housser & Tupper

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

S.O.

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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