Cour fédérale |
|
Federal Court |
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Calgary (Alberta), le 21 septembre 2011
En présence de monsieur le juge Zinn
ENTRE :
|
ALONSO ELENES GAONA, SUSANA GASTELUM OCHOA et ALONSO ELENES GASTELUM
|
|
|
demandeurs
|
|
et
|
|
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
|
|
|
défendeur |
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, de la décision de refuser aux demandeurs la possibilité de présenter au Canada leur demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (demande CH).
[2] Les demandeurs, Alonso Elenes Gaona, son épouse, Susana Gastelum Ochoa et leur fils de 12 ans, Alonso Elenes Gastelum, sont citoyens du Mexique. N’est pas visé par la demande leur fils qui est né au Canada, Pierre-Alexandre Elenes, qui a aujourd’hui près de deux ans.
[3] Les demandeurs sont arrivés au Canada en 2005. Leur demande d’asile a été refusée en 2006. Une demande d’ERAR récente a également été rejetée. Leur demande de contrôle judiciaire de la décision d’ERAR, entendue en même temps que la présente demande, sera rejetée.
[4] Des nombreuses questions soulevées dans le mémoire écrit, seulement deux ont été traitées à l’audience et une seule, à mon avis, mérite un examen sérieux :
- L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son appréciation des faits en ne pondérant pas correctement les facteurs favorables invoqués par les demandeurs, l’amenant ainsi à rendre une décision déraisonnable?
- L’agent a‑t‑il appliqué le mauvais critère dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants en se contentant de déterminer ce qui était adéquat pour eux?
[5] Les demandeurs font valoir que l’agent n’a pas tenu compte de tous les facteurs favorables relatifs à leur demande CH. Ils se réfèrent à la décision de l’agent, où il est indiqué en partie que :
1. les demandeurs sont des personnes qui travaillent fort et qui ont démontré une volonté de s’intégrer au marché du travail canadien;
2. les demandeurs se sont intégrés dans la collectivité en s’impliquant dans des organismes communautaires, en faisant du bénévolat et en participant à d’autres activités communautaires;
3. les demandeurs ont déposé des lettres du service de police de Calgary qui démontrent qu’ils ont un bon dossier civil au Canada;
4. les demandeurs ont déposé des lettres de soutien qui montrent qu’ils se sont faits beaucoup d’amis durant leur séjour au Canada et que des personnes ont recommandé qu’on leur accorde la résidence permanente.
[6] Dans le cadre d’une demande CH, le critère consiste non pas à savoir si les demandeurs sont dignes de demeurer au Canada, mais plutôt s’ils feront face à des difficultés inhabituelles, injustes ou excessives en étant obligés de quitter le Canada pour faire leur demande de résidence permanente à l’étranger, comme le prévoit la norme. La question n’est pas de savoir si les demandeurs sont méritants. Le juge Paul Rouleau a fait la déclaration suivante dans Nazim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 125, au paragraphe 15 :
La possibilité de présenter une demande fondée sur des considérations humanitaires a pour but de prévoir un recours en cas de difficultés inhabituelles, injustes ou excessives. Il ne s’agit pas de savoir si le demandeur apporterait ou apporte vraiment une contribution positive à la collectivité canadienne. En examinant s’il existe des considérations humanitaires, les agents d’immigration doivent déterminer s’il existe une situation particulière dans le pays d’origine de la personne et si un renvoi peut causer des difficultés indues. C’est au demandeur qu’il appartient de prouver à l’agent qu’il existe une situation particulière dans son pays et que sa situation personnelle eu égard à cette situation particulière justifie l’exercice favorable de son pouvoir discrétionnaire.
[7] Il était raisonnable pour l’agent de conclure que les facteurs favorables invoqués par les demandeurs ne constituaient pas des difficultés inhabituelles, injustes ou excessives advenant leur renvoi du Canada. L’agent s’est référé à la section 5.16 du guide IP 5, qui précise qu’une décision favorable peut être justifiée « si le demandeur se trouve au Canada depuis assez longtemps en raison de circonstances indépendantes de sa volonté ». [Non souligné dans l’original.] En l’espèce, les demandeurs demeurent au Canada depuis au moins 2006 par choix, et non en raison de circonstances indépendantes de leur volonté. Il m’apparaît donc que l’agent n’a pas négligé de pondérer adéquatement les facteurs favorables à l’appui de la demande et qu’il n’a pas rendu une décision déraisonnable, même à la lumière de l’établissement de ces demandeurs au Canada.
[8] L’agent a effectivement analysé l’intérêt supérieur des deux enfants mineurs; j’estime néanmoins que son analyse ne satisfait pas aux exigences établies dans la jurisprudence.
[9] En ce qui concerne Alonzo, le fils de 12 ans, l’agent a déclaré qu’il [traduction] « serait manifestement dans son intérêt supérieur de demeurer au Canada ». L’agent apprécie ensuite l’impact qu’un retour au Mexique aurait sur Alonzo et conclut qu’un renvoi au Mexique ne va pas [traduction] « à l’encontre » de son intérêt. Quant au benjamin, Pierre-Alexandre, l’agent a jugé qu’il était dans son intérêt supérieur de [traduction] « préserver l’unité familiale, où il reçoit le soutien émotionnel, physique et financier de ses parents ». Cela n’a rien d’étonnant. Nous aurions affaire à un cas pour le moins inhabituel s’il était dans l’intérêt supérieur d’un bébé d’être séparé de ses parents et de sa famille. Contrairement au raisonnement suivi au sujet de l’aîné, l’agent ne tire aucune conclusion à savoir s’il est davantage dans l’intérêt supérieur du bébé de demeurer au Canada que d’être renvoyé au Mexique. L’agent n’évalue pas clairement ni précisément quel serait l’impact sur Pierre-Alexandre d’un renvoi au Mexique avec ses parents. L’agent aurait dû d’abord tenir compte de l’intérêt supérieur de Pierre-Alexandre et apprécier ensuite si un renvoi du Canada irait à l’encontre de cet intérêt, à un point tel qu’il faudrait autoriser la famille à demeurer au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.
[10] L’agent a reconnu que les éléments de preuve [traduction] « démontrent qu’il existe des problèmes de corruption, de violence et de violation des droits de la personne au Mexique ». L’agent a déclaré que [traduction] « [c]e sont des risques que courent malheureusement toutes les personnes qui habitent au Mexique ». Il s’agit donc de risques auxquels Pierre-Alexandre serait exposé s’il retournait là‑bas. L’agent aurait tenu compte de ces éléments s’il s’était montré vigilant et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant. Il ne l’a pas fait. Il n’a pas tenu compte de l’intérêt de l’enfant, en tant que citoyen canadien, à ne pas être renvoyé dans un tel environnement. Je conclus donc que l’intérêt de l’enfant n’a pas été analysé correctement. Autrement dit, l’analyse de l’impact sur l’enfant d’un renvoi au Mexique est déficiente et, pour cette raison, la demande sera accueillie.
[11] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la demande CH est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision. Il n’y a aucune question à certifier.
« Russel W. Zinn »
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
Juriste-traducteur et traducteur-conseil
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-885-11
INTITULÉ : ALONSO ELENES GAONA et autres c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : CALGARY (ALBERTA)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 19 SEPTEMBRE 2011
DATE DES MOTIFS : LE 21 SEPTEMBRE 2011
COMPARUTIONS :
POUR LE DEMANDEUR
|
|
Camille Audain
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Calgary (Alberta)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Myles J. Kirvan Sous‑procureur général du Canada
|
POUR LE DÉFENDEUR
|