[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2011
En présence de monsieur le juge Near
ENTRE :
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MARIA ESTHER CASTANON GARCIA, PEDRO ANTONIO MENDEZ CASTANON et LESLI MENDEZ CASTANON
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 28 janvier 2011 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).
[2] La demande sera rejetée pour les motifs énoncés ci‑dessous.
I. Les faits
[3] Maria Esther Castanon Garcia (la demanderesse principale) et ses deux enfants, Pedro Antonio Mendez Castanon et Lesli Mendez Castanon, sont citoyens du Mexique. Ils sont arrivés au Canada le 8 février 2009 et ont demandé l’asile le jour suivant. La demanderesse principale prétend craindre avec raison d’être persécutée et courir un danger aux mains de son époux, Pedro Mendez Moctezuma.
[4] L’union de fait entre la demanderesse principale et Pedro a débuté en 1992. La couple a eu deux enfants, nés en 1993 et 1997, puis s’est marié le 27 novembre 2000. Au fil du temps, Pedro est devenu de plus en plus violent. Il a commencé à frapper et à menacer la demanderesse principale. En particulier, il a menacé de la tuer et de lui enlever les enfants. Ayant pris conscience de la situation, le fils a tenté d’intervenir et s’est fait frapper par son père.
[5] En 2007, la demanderesse principale a demandé de l’aide au Système pour le développement intégral de la famille (le DIF). Un avis de convocation a été envoyé à Pedro, mais ce dernier a disparu avant que des mesures ne puissent être prises. Pedro est revenu en 2008 et a brutalisé la demanderesse principale au point où elle a dû être hospitalisée. Pedro a continué de harceler la famille après la sortie de l’hôpital de la demanderesse principale. Les enfants avaient peur d’aller à l’école, parce qu’ils craignaient de le voir.
[6] Le 27 janvier 2009, la demanderesse principale a déposé une dernière plainte avec l’aide du DIF. Le résultat de cette démarche n’est pas connu, puisque la demanderesse principale est partie pour le Canada avec ses enfants douze jours plus tard. Elle suppose que rien n’a été fait, mais elle n’a pas fait de suivi auprès des autorités.
II. La décision faisant l’objet du contrôle
[7] La Commission a conclu que la demanderesse principale n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État. Elle a examiné les éléments de preuve faisant état de la corruption au sein de la force policière au Mexique ainsi que des initiatives mises en place pour lutter contre la violence familiale, notamment l’adoption d’une nouvelle loi fédérale. Il ressort de la preuve documentaire que l’État n’est pas en mesure de protéger parfaitement les victimes de violence familiale au Mexique, mais que les autorités déploient de vastes efforts pour corriger la situation.
[8] Dans ces circonstances, la demanderesse principale a pu demander et obtenir l’aide des autorités. Elle a quitté le Mexique après la deuxième plainte et avant qu’une enquête ne soit effectuée en bonne et due forme. Il n’y a aucune raison de croire que la police n’a pas agi de bonne foi en répondant aux allégations de violence familiale de la demanderesse principale. En conséquence, la Commission a jugé que la protection offerte par l’État était adéquate.
III. Les questions en litige
[9] La présente demande soulève les deux questions suivantes :
a) Était‑il raisonnable pour la Commission de conclure que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État?
b) La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne rendant pas une décision indépendante au sujet des demandeurs mineurs?
IV. La norme de contrôle
[10] Le caractère adéquat de la protection de l’État est une question mixte de droit et de fait susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 2007 Carswell Nat 950, au paragraphe 38; Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 119, 88 Imm. L.R. (3d) 81, aux paragraphes 26 et 27.)
[11] Tel qu’il a été établi dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47, « le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »
V. Analyse
Première question : Était‑il raisonnable pour la Commission de conclure que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État?
[12] La protection des réfugiés est une forme de protection auxiliaire qui ne doit être invoquée que dans les cas où le demandeur d’asile a tenté en vain d’obtenir la protection de son État d’origine (voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] 2 A.C.S. no 74, aux paragraphes 709 et 724; Hinzman, précité, aux paragraphes 41 à 44). Pour réfuter la présomption de protection de l’État, le demandeur doit présenter une preuve claire et convaincante de l’insuffisance ou de l’inexistence de cette protection (Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, 2008 Carswell Nat 605, au paragraphe 38).
(i) La corruption au Mexique
[13] Les demandeurs allèguent qu’il n’était pas raisonnable pour la Commission de consacrer une partie de ses motifs à une analyse de la corruption au Mexique, puisque cet aspect n’est pas pertinent aux fins de l’examen de la protection offerte par l’État dans un cas de violence familiale. Selon eux, même en l’absence de corruption, l’État pourrait être incapable d’offrir une protection adéquate aux victimes de violence familiale.
[14] Le défendeur maintient toutefois que la capacité de l’État d’offrir une protection aux victimes de crimes en général est pertinente dans le cadre de l’examen global effectué par la Commission. Cette dernière avait d’ailleurs précisé que son analyse de la corruption ne serait pas forcément déterminante lorsqu’elle a entrepris d’examiner la protection offerte par l’État aux victimes de violence familiale.
[15] Je suis persuadé qu’il était raisonnable pour la Commission d’établir un contexte en examinant l’impact de la corruption policière au Mexique sur la capacité de l’État d’offrir une protection aux victimes de crimes en général. Fait plus important encore, la Commission a analysé de façon approfondie les mesures mises en place pour contrer la violence faite aux femmes dans ce pays. Cette analyse, que viennent appuyer les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, a un poids considérable et constitue l’élément principal sur lequel la Commission s’est fondée pour conclure que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État. Le fait d’inclure une analyse de la corruption lorsque d’autres facteurs pertinents ont été pris en compte ne confère pas un caractère déraisonnable à la décision.
(ii) L’efficacité de la législation
[16] Les demandeurs allèguent également que la Commission n’aurait pas dû fonder sa décision sur l’existence d’une nouvelle loi, étant donné que la preuve montre que cette loi n’est pas appliquée de façon concrète et n’est pas efficace. Les demandeurs affirment que la protection de l’État doit être appréciée sur le terrain, surtout dans les cas de violence envers les femmes (voir Gilvaja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 598, 2009 Carswell Nat 1725). Les demandeurs se sont référés à plusieurs éléments de la décision qui qualifient l’efficacité de la réforme législative, soit que « le financement soutenu à l’échelle de l’État et de la municipalité demeure un problème » et qu’« il n’y a pas suffisamment de services pour protéger les victimes et leur offrir des soins ».
[17] Comme le défendeur le fait valoir, la Commission a nommé plusieurs mesures législatives prises par les autorités pour traiter directement le problème de la violence familiale. Elle a également effectué une analyse approfondie des défis liés à la mise en œuvre de la nouvelle législation. La Commission a expressément tenu compte d’éléments de preuve contradictoires en soulignant l’écart entre la législation proposée et sa mise en œuvre. Ce point ressort clairement lorsque la Commission, dans sa conclusion, fait allusion à l’approche utilisée pour apprécier l’ensemble de la preuve. La protection offerte par l’État doit être adéquate, sans être nécessairement parfaite (voir Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 99 D.L.R. (4th) 334, 18 Imm. L.R. (2d) 130, au paragraphe 7).
[18] En outre, la conclusion selon laquelle les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État est étayée par les circonstances particulières de l’affaire. Dans un État démocratique comme le Mexique, les demandeurs doivent démontrer qu’ils ont épuisé tous les recours qui s’offraient à eux avant de demander l’asile (Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 124 F.T.R. 160, 1996 Carswell Nat 2216 (C.A.F.), au paragraphe 5). La demanderesse a sollicité la protection de la police à deux occasions. Après la première plainte, la police a émis un avis de convocation. Aucune mesure n’a été prise, parce que Pedro avait disparu et l’avis ne l’a pas empêché de revenir deux ans plus tard, mais cela ne constitue pas une preuve d’inaction de la part des autorités. La demanderesse principale n’a pas attendu le résultat de la deuxième plainte. Il était raisonnable pour la Commission de conclure que la demanderesse principale avait accès à une protection.
[19] Comme la Commission a tenu compte de la preuve concernant l’inefficacité de la législation ainsi que des circonstances corroborantes, sa conclusion selon laquelle les demandeurs n’ont pas fourni une preuve claire et convaincante réfutant la présomption de protection de l’État faisait partie des issues possibles acceptables.
Deuxième question : La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne rendant pas une décision indépendante au sujet des demandeurs mineurs?
[20] Les demandeurs soutiennent que la Commission n’a pas agi de manière raisonnable en n’appréciant pas séparément la question de savoir si les demandeurs mineurs risquaient d’être persécutés à leur retour au Mexique. Pour étayer cet argument, les demandeurs invoquent la violence subie par le fils et la peur que ressentaient les deux enfants à la perspective de voir leur père, Pedro, en allant à l’école.
[21]
Le
défendeur affirme qu’il était correct de joindre les demandes d’asile, puisqu’elles
étaient essentiellement fondées sur les mêmes faits. La conclusion selon
laquelle la demanderesse principale n’a pas réfuté la présomption de protection
de l’État s’appliquait donc également aux demandes des mineurs.
[22] Le défendeur cite en exemple la décision Gilbert c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1186, 2010 Carswell Nat 4462. Dans cette affaire, la Cour s’est penchée sur une question similaire, à savoir si la Commission aurait dû rendre une décision indépendante à l’égard des demandeurs mineurs dans une demande d’asile fondée sur un cas de violence envers l’épouse et les enfants. La décision tient compte du fait que la demanderesse principale n’a jamais demandé que la demande de son fils soit traitée différemment. Au paragraphe 26, le juge John O’Keefe tire la conclusion suivante :
[26] […] Les demandes d’asile jointes des demandeurs ont été rejetées au motif qu’ils pouvaient se prévaloir de la protection de l’État. La Commission n’a pas commis d’erreur en estimant implicitement que le demandeur mineur pourrait et pouvait se prévaloir de cette même protection à l’encontre de l’agent de persécution.
[23] Je souscris à l’opinion du défendeur et à la conclusion rendue dans Gilbert, précitée, en ce qu’il était raisonnable pour la Commission de ne pas effectuer un examen indépendant des demandes d’asile des mineurs. Toutes les demandes étaient fondées sur des faits assez similaires, la crainte de continuer à subir des menaces et des mauvais traitements aux mains de Pedro après le retour au Mexique. Les questions propres aux enfants ont été abordées par la demanderesse principale, laquelle n’a pas exprimé le désir qu’elles soient traitées séparément.
VI. Conclusion
[24] Il était raisonnable pour la Commission de conclure que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État. La Commission n’était pas tenue de rendre une décision indépendante à l’égard des demandeurs mineurs.
[25] En conséquence, la demande sera rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
Juriste-traducteur et traducteur-conseil
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1451-11
INTITULÉ : MARIA ESTHER CASTANON GARCIA et autres c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 8 SEPTEMBRE 2011
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : LE 20 SEPTEMBRE 2011
COMPARUTIONS :
Lindsey Weppler
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POUR LES DEMANDEURS |
Khatidja Moloo
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jacqueline M. Lewis Blanshay & Lewis Toronto (Ontario)
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |