Cour fédérale |
|
Federal Court |
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Montréal (Québec), le 17 août 2011
En présence de monsieur le juge Beaudry
ENTRE :
|
|
|
|
||
et
|
|
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
|
|
|
||
|
|
|
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision défavorable de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 26 octobre 2010.
[2] Pour les motifs qui suivent, la demande sera accueillie.
[3] La Commission admet que la demanderesse a établi de manière convaincante son identité, ses craintes et les motifs sous-jacents à ces craintes (voir le paragraphe 10 de la décision). La demande de la demanderesse a été rejetée au motif qu’il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Abuja.
[4] La demanderesse est une citoyenne du Nigeria âgée de 24 ans. Après être retournée de Lagos à son village de l’état d’Ebonyi en 2002, la famille de la demanderesse a été confrontée par les aînés du village au sujet de l’excision de mutilation génitale féminine (MGF) de leurs quatre filles, dont la demanderesse. Après que la première fille eut saigné à mort par suite de l’excision, la mère de la demanderesse a aidé la demanderesse et ses deux sœurs cadettes à fuir à Lagos. Les trois filles ont survécu dans les rues et ont fini par vivre sous un pont, en accomplissant des tâches comme du lavage de vaisselle et de la coiffure.
[5] En octobre 2005, la demanderesse a rencontré « Auntie » (l’agente), qui lui a offert de l’aider à voyager pour travailler comme coiffeuse en échange de la remise de ses revenus. Au terme de la première année, la demanderesse serait libérée de sa dette.
[6] Après être parvenue à un accord avec l’agente, la demanderesse s’est rendue en Turquie avec l’agente, où elle a été laissée aux soins d’un homme qui la gardait enfermée dans un appartement avec d’autres Africains, qu’il ne laissait jamais sortir. Après environ six mois, la demanderesse a été amenée à un bateau avec d’autres Africains, et ils ont pris la mer pour la Grèce. Malheureusement, le bateau a coulé et il n’y a eu que quatre survivants : deux hommes africains, le capitaine du bateau et la demanderesse. Les survivants ont finalement été secourus par un autre bateau, et ils se sont rendus auprès d’un agent à Athènes, qui a exigé que la demanderesse commence à travailler comme prostituée. Lorsque celle-ci a refusé, elle a été enfermée au sous-sol d’une résidence pendant cinq mois, au cours desquels elle a été violée à répétition par plusieurs hommes et nourrie une seule fois par jour. Elle a finalement accepté la demande de l’agent et a commencé à travailler comme prostituée.
[7] En octobre 2006, la demanderesse a fui à Londres avec l’aide d’une personne nommée Paul, qui lui avait été présentée par une autre prostituée et qui a fait tous les préparatifs de voyage, notamment en lui obtenant un passeport français. Bien qu’elle ait entendu que sa sœur aînée vivait à Londres, la demanderesse n’a pas pu la retrouver, et elle a donc été incapable de payer à Paul le prix du voyage.
[8] Paul l’a ramenée en Grèce, et la demanderesse est retournée auprès d’un agent furieux, n’ayant nulle part d’autre où aller. Elle a été envoyée à Rodos, en Grèce, où elle a été gardée par des gardes du corps et forcée de continuer à travailler comme prostituée. Elle est tombée enceinte et a eu un avortement à la demande de l’agent. Elle s’est enfuie une deuxième fois en mai 2007. Elle a rencontré un homme nommé Christian, qui est devenu son copain et avec qui elle a vécu jusqu’en mars 2008, mais les hommes de l’agent ont battu Christian et ont exigé qu’il leur rende la demanderesse. Christian a disparu.
[9] La demanderesse a quitté la maison de Christian et s’est tenue dans le secteur du port jusqu’à ce qu’elle se lie d’amitié avec une femme ukrainienne nommée Nadia qui l’a prise sous son aile et lui a présenté un ami qui a pris des dispositions pour que la demanderesse fuie au Canada. La demanderesse est arrivée au Canada le 24 mai 2008, enceinte d’environ sept mois, et elle a demandé l’asile.
[10] La question à trancher dans le cadre de la présente demande est celle du caractère raisonnable de la PRI.
[11] Les deux parties soutiennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 51 et 62). La Cour est d’accord.
[12] La demanderesse craint que son agent ne la retrouve si elle était renvoyée. Elle craindrait également que les aînés du village ne la retrouvent pour pratiquer sur elle une MGF. Elle n’a personne sur qui compter au Nigeria parce que sa famille l’a désavouée. Elle a très peu d’instruction et elle ne sait ni lire ni écrire.
[13] La Cour estime que les propos du juge Mosley dans la décision Cartagena c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 FC 289, au paragraphe 11, s’appliquent en l’espèce :
[11] […]La preuve psychologique est capitale lorsqu’il s’agit de déterminer si la PRI est raisonnable; on ne peut en faire fi (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 97 F.T.R. 139, [1995] A.C.F. no 1044). Le tribunal n’a pas évalué à fond le caractère raisonnable des endroits proposés comme PRI viable en fonction de la situation de M. Cartagena et de la fragilité de son état d’esprit.
[14] La demanderesse souffre de stress physique et émotionnel (voir le rapport de son médecin, à la page 456 du dossier du tribunal). Elle est une mère monoparentale, sans instruction et analphabète. Elle n’a aucun soutien familial. L’analyse exposée par la Commission pour conclure qu’il existait une PRI pour la demanderesse à Abuja est déraisonnable parce qu’elle ne tient pas compte de la situation personnelle spécifique de la demanderesse.
[15] Lors de l’évaluation du deuxième volet du critère, une PRI doit être raisonnable pour le demandeur en cause dans le contexte du pays en question (Cartagena, paragraphe 9, où la décision Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, est citée).
[16] Les parties n’ont pas proposé de question à certifier, et aucune ne se pose.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour faire l’objet d’une nouvelle décision par un tribunal différemment constitué de la Commission. Aucune question n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Evelyne Swenne, traductrice-conseil
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6848-10
INTITULÉ : SARA OKAFOR et MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 17 août 2011
DATE DES MOTIFS : Le 17 août 2011
COMPARUTIONS :
|
|
Catherine Brisebois |
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
|
|
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec) |
POUR LE DÉFENDEUR
|