Cour fédérale |
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Federal Court |
Date : 20110811
Dossier : IMM-5174-10
Référence : 2011 CF 988
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 11 août 2011
En présence de monsieur le juge Russell
ENTRE :
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et
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MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur |
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) pour que la Cour prononce une ordonnance de mandamus, obligeant le défendeur à décider si la demanderesse fait partie de la catégorie du regroupement familial à titre d’épouse d’un citoyen canadien et si la résidence permanente au Canada devrait lui être accordée.
CONTEXTE
[2] La demanderesse est résidente permanente des États-Unis depuis 2004. Son époux est citoyen canadien. Ni la demanderesse, ni son époux n’ont de dossier judiciaire et les deux sont des personnes en règle. Depuis 2004, elle utilise sa carte de résidente permanente des É.‑U. et son passeport somalien pour traverser la frontière canado-américaine.
[3] L’époux de la demanderesse désirait qu’elle vienne au Canada et il a déposé une demande de parrainage d’un époux auprès de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) à Mississauga en juillet 2008. La demande a été approuvée le 20 août 2008 et son traitement a débuté au consulat du Canada à Buffalo en septembre 2008. La demanderesse a joint les renseignements figurant sur son passeport somalien dans le cadre de sa demande.
[4] La demanderesse plaide qu’au début de 2009, elle satisfaisait à toutes les exigences pour l’établissement au Canada. Elle a fait plusieurs demandes de renseignements sur l’état d’avancement de sa demande pour lesquelles elle n’a obtenu aucune réponse. Elle soutient que le délai pour l’obtention de son visa a été d’une longueur déraisonnable.
[5] Le défendeur conteste la version des faits de la demanderesse et présente le calendrier détaillé suivant concernant le processus lié à sa demande. La demande a été déposée au Centre de traitement des demandes à Mississauga le 20 juin 2008. CIC a fait sa première demande par téléphone auprès de la demanderesse concernant des documents manquants en juillet 2008, à laquelle la demanderesse a répondu en août 2008. La demande a été reçue à Buffalo le 3 septembre 2008. CIC a présenté une deuxième demande pour documents manquants le 30 septembre. CIC a effectué un examen préliminaire le 16 octobre 2008 et a envoyé une troisième demande pour documents manquants, incluant des attestations de la vérification des antécédents, un certificat de relevé d’empreintes digitales du FBI, un certificat de police de l’Éthiopie et des résultats médicaux. CIC a reçu certains de ces documents le 12 janvier 2009. En réponse à la demande de renseignement sur l’état d’avancement du dossier, CIC a envoyé une quatrième demande de renseignements manquants en mai 2009, à laquelle la demanderesse s’est conformée en juin 2009. En juin 2010, CIC a envoyé les formulaires médicaux à remplir à la demanderesse parce que ses formulaires de 2008 étaient expirés. En octobre 2010, CIC a envoyé une cinquième demande de renseignements manquants à la demanderesse, lui rappelant d’envoyer ses formulaires médicaux − ce qu’elle a fait en novembre 2010. Selon le défendeur, la réception des formulaires médicaux le 22 novembre 2010 a permis de compléter le dossier dans l’attente d’un passeport acceptable de la demanderesse. Le 14 janvier 2011, CIC a envoyé une lettre à cet effet à l’avocat de la demanderesse. Une copie du Bulletin opérationnel 190, daté du 12 mars 2010, avait été jointe à la lettre et disait que les passeports somaliens ne sont pas acceptables pour les visas de résidence permanente.
[6] La demanderesse et le défendeur notent que, le 20 janvier 2011, la demanderesse s’est rendue au bureau de CIC à Buffalo pour le dernier stade du traitement de sa demande de visa de résidente permanente. CIC l’a avisée qu’on ne pouvait pas lui délivrer son visa pour deux raisons : elle n’avait pas de titre de voyage acceptable et, comme le note le Bulletin opérationnel 190, son passeport somalien ne constituait pas une preuve fiable d’identité ou de nationalité et ne pouvait pas être utilisé dans le but d‘obtenir un visa de résidente permanente. Le défendeur déclare qu’il a été conseillé à la demanderesse de se procurer un visa de rentrée aux États-Unis, qu’elle pouvait obtenir à titre de résidente permanente.
[7] La demanderesse est retournée au Canada le même jour, utilisant son passeport somalien et sa carte de résidente permanente des États-Unis pour traverser la frontière. Elle soutient avoir fait cela [traduction] « un grand nombre de fois » sans que [traduction] « personne ne lui dise qu’il n’était pas permis d’utiliser un passeport somalien ». Le défendeur indique que la demande de résidence permanente au Canada demeure ouverte en attendant la réception d’un titre de voyage acceptable.
[8] Depuis l’audition du contrôle judiciaire dans cette affaire le 12 avril 2011, la demanderesse a reçu son visa de résidente permanente. Toutefois, elle désire toujours que la Cour tranche la question des dépens. Dans les observations écrites présentées après l’audience, les avocats ont abordé la question des dépens.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[9] Les questions suivantes découlent de la présente demande :
i) Le défendeur a-t-il manqué à son obligation de traiter la demande de résidence permanente de la demanderesse dans un délai raisonnable?
ii) Le défendeur devrait-il accepter la carte de résidente permanente des États-Unis de la demanderesse en tant que pièce d’identité ou titre de voyage valide aux fins de l’alinéa 50(1)c) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement);
iii) Une ordonnance de mandamus constitue-t-elle une réparation appropriée en l’espèce?
iv) La présente demande est-elle devenue théorique au motif qu’un visa de résidente permanente a été délivré à la demanderesse?
v) Les dépens devraient-ils être adjugés à la demanderesse?
LES DISPOSITIONS PERTINENTES
[10] Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :
Objet en matière d’immigration
3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :
[…]
f) d’atteindre, par la prise de normes uniformes et l’application d’un traitement efficace, les objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral après consultation des provinces;
[…] |
Objectives — immigration
3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are
[…]
(f) to support, by means of consistent standards and prompt processing, the attainment of immigration goals established by the Government of Canada in consultation with the provinces;
[…]
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[11] Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent en l’espèce :
ARGUMENTS
La demanderesse
La cause de la demanderesse remplit les conditions du critère à respecter pour la prononciation d’une ordonnance de Mandamus
[12] Dans Kalachnikov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 777, au paragraphe 11, la juge Judith Snider de notre Cour a passé en revue les conditions à remplir pour prononcer une ordonnance de mandamus en matière d’immigration. Voici ce qu’elle a écrit :
L’ordonnance de mandamus est une mesure discrétionnaire de redressement en equity (voir l’arrêt Khalil c. Canada (Secrétaire d’État), [1999] 4 C.F. 661 (C.A.)), soumise aux conditions préalables ci-après énoncées.
1. Il existe une obligation légale d’agir à caractère public;
2. L’obligation doit exister envers le demandeur;
3. Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :
a) le demandeur a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à l’obligation;
b) il y a eu une demande préalable d’exécution de l’obligation, une période raisonnable pour se conformer à la demande et un refus postérieur qui peut être exprès ou tacite; il y a eu par exemple un délai déraisonnable;
4. Le demandeur n’a aucun autre recours.
5. La « balance des inconvénients » joue en faveur du demandeur (voir à cet égard l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), confirmé par [1994] 3 R.C.S. 1100 et la décision Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 1998, [1999] 2 C.F. 33 (1re inst.)).
[13] La demanderesse fait valoir que le critère propre à l’ordonnance de mandamus a été rempli en l’espèce.
[14] L’obligation envers la demanderesse ne consiste pas nécessairement à accorder une dispense ministérielle, mais plutôt à rendre une décision concernant sa demande de dispense ministérielle. Le libellé du Règlement possède un caractère impératif, et non discrétionnaire, et un des objectifs déclarés de la Loi est le regroupement familial, particulièrement dans les situations semblables à celle de la demanderesse.
La demanderesse remplit les conditions pour le critère de délai déraisonnable
[15] Dans Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)(1998), [1999] 2 C.F. 33, [1998] A.C.F. no 1553 (CF) (QL), au paragraphe 23, La juge Danièle Tremblay-Lamer de notre Cour a énoncé les trois conditions requises pour qu’un délai soit jugé déraisonnable :
(i) le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;
(ii) le demandeur et son conseiller juridique n’en sont pas responsables;
(iii) l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante.
[16] La demanderesse fait valoir qu’elle satisfait à toutes ces exigences. En l’espèce, le délai devrait être calculé à partir d’août 2008, l’époque à laquelle la demande de parrainage a été envoyée au consulat du Canada à Buffalo. Presque trois ans et sept mois ont passé depuis ce temps. Sur le site Web de CIC, on trouve une estimation selon laquelle 30 pour cent des demandes des personnes appartenant à la catégorie du regroupement familial sont traitées dans un délai de quatre mois et 80 pour cent, dans un délai de dix mois. Le délai pour le traitement du dossier de la demanderesse excède manifestement ce délai. Selon la demanderesse, sa demande aurait dû être traitée dans un délai maximum de dix mois.
[17] La demanderesse fait valoir que la jurisprudence de la Cour fédérale établit qu’un délai de trois ans et sept mois est déraisonnable. Par exemple, dans Dee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 46 Imm. L.R. (2d) 278, [1998] A.C.F no 1767 (C.F. 1re inst.) (QL), un délai de trois ans et demi a été considéré déraisonnable; dans Mohamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 195 FTR 137, [2000] A.C.F. no 1677 (QL), Hanano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 998, et Manivannan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1392, quatre ans; et dans Bhatnager c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] A.C.F. no 924 (QL) et Latrache c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 201 FTR 234, [2001] A.C.F. no 154 (QL), quatre ans et demi.
[18] La demanderesse fait également valoir que le délai n’est pas seulement déraisonnable, il contrevient également à l’objectif figurant à l’alinéa 3(1)f) de la Loi, qui est : « d’atteindre, par la prise de normes uniformes et l’application d’un traitement efficace, les objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral après consultation des provinces. »
Le défendeur
Les conditions préalables à la prononciation d’une ordonnance de Mandamus n’ont pas été remplies
[19] La demanderesse fait valoir qu’en l’espèce, les conditions nécessaires pour une ordonnance de mandamus n’ont pas été remplies et que l’ordonnance de mandamus demandée n’est pas fondée et est prématurée. La demande de la demanderesse ne sera complète que lorsqu’elle aura fourni un titre de voyage acceptable, ce que la demanderesse a omis de fournir sans justification. Elle ne peut plus s’appuyer sur son passeport somalien. En vertu de l’article 50.1 du Règlement, le ministre a décidé en 2010 que les passeports somaliens ne constituent pas des preuves fiables d’identité ou de nationalité aux fins du paragraphe 50(1). Un avis public à cet effet a été publié dans le Bulletin opérationnel 190, qui a été envoyé à la demanderesse par courriel, avant sa venue au consulat du Canada à Buffalo en janvier 2011.
Il n’y a pas eu de délai déraisonnable
[20] Le défendeur fait valoir que le délai pour le traitement de la demande de résidente permanente n’était pas déraisonnable. La demanderesse a omis à plusieurs reprises de fournir les documents nécessaires et cinq rappels lui ont été envoyés. Le défendeur a fait tout ce qui était en son pouvoir pour traiter cette demande. Tant que la demanderesse n’aura pas fourni un document qui respecte les exigences du Règlement, comme un titre de voyage pour rentrer aux États-Unis, la résidence permanente ne pourra lui être accordée. Elle n’a fourni aucune preuve de son incapacité à obtenir un tel document.
Mémoire supplémentaire de la demanderesse
[21] La demanderesse soutient que l’agent d’immigration désigné qui était chargé de ce dossier depuis le 3 septembre 2008 ne l’a pas avisée que son passeport somalien n’était plus acceptable avant janvier 2011.
[22] La demanderesse fait valoir que sa carte de résidente permanente des États-Unis devrait être considérée comme une pièce d’identité valide aux termes de l’alinéa 50(1)c). Le ministre n’a exprimé aucun doute sur l’identité de la demanderesse. Elle aurait dû devenir résidente permanente du Canada le 20 janvier 2010.
[23] La demanderesse soutient également que CIC a manqué à son obligation de fournir une raison pour le rejet de sa carte de résidente permanente des États-Unis en tant que document acceptable. Suivant ce que le juge Frederick Gibson de notre Cour a affirmé dans Popal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 184 F.T.R. 161, [2000] 3 C.F. 532 :
42 En outre, le défendeur n’a fourni absolument aucune explication, du moins devant la Cour, au sujet du rejet de certains autres papiers d’identité que le demandeur principal avait présentés à l’entrevue du 20 avril 1998. La phrase pertinente figurant dans la lettre que le défendeur a envoyée au demandeur principal le 14 septembre 1998 est la suivante :
[traduction] Nous avons conclu que ces documents [sans autres précisions] ne satisfont pas aux exigences de l’immigration en ce qui a trait à l’établissement de votre identité.
Cela ne constitue absolument pas une explication ou un motif. Le défendeur avait peut-être bien des motifs valables de rejeter le permis de conduire de l’Afghanistan du demandeur principal auquel était joint une traduction, son permis de conduire de l’Ontario et sa carte d’assurance-maladie de l’Ontario en tant que « papiers d’identité acceptables », mais aucune explication et aucun motif n’ont été donnés. De même, aucune explication et aucun motif n’ont été donnés au sujet du rejet de l’affidavit dans lequel le frère du demandeur principal confirmait l’identité du demandeur principal. Je ne suis pas prêt à reconnaître que la phrase suivante de la lettre que le défendeur a envoyée au demandeur principal le 22 juin 1999 équivaut à une explication ou à un motif :
[traduction] Les papiers d’identité que vous avez soumis ne satisfont pas aux exigences du paragraphe 46.04(8) de la Loi sur l’immigration.
Cela ne constitue pas une explication ou un motif […].
43 Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)7, Mme le juge L’Heureux-Dubé, dans le contexte d’une demande d’établissement présentée au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, a dit ce qui suit à la page 848 :
44. Je suis convaincu que l’on peut dire exactement la même chose dans ce cas-ci. Je paraphraserai le juge L’Heureux-Dubé en disant qu’il serait injuste à l’égard d’une personne ou de personnes visées par une décision telle que celle-ci, si essentielle pour l’avenir du demandeur principal et des membres de sa famille, de ne pas leur expliquer pourquoi elle a été prise. Cela étant, je suis également convaincu que le défendeur a commis une erreur susceptible de révision en ne fournissant pas de motifs pour justifier le rejet des divers papiers d’identité qui lui avaient été remis, à part le certificat de mariage et le carnet d’identité, pour lesquels des motifs ont été fournis.
[24] La demanderesse est préoccupée par le fait que sans ordonnance de mandamus, sa demande pourrait faire l’objet de nouveaux délais prolongés. Elle demande à la Cour d’intervenir en son nom.
ANALYSE
[25] Ce dossier a beaucoup évolué depuis que la demande a été produite et que le visa a été délivré. De plus, le dossier a continué à évoluer après l’audience. Durant cette période, l’avocat a présenté des observations écrites additionnelles, comme l’a demandé la Cour, concernant la possibilité d’obtenir un visa de rentrée aux États-Unis. J’estime que la demanderesse n’apas accordé suffisamment d’attention à cette question, qui est au cœur de la possibilité d’obtenir une ordonnance de mandamus. De plus, la demanderesse est aujourd’hui en possession du visa de résidente permanente qu’elle cherchait à obtenir. Toutefois, je pense qu’il est toujours nécessaire d’examiner les arguments qui m’ont été soumis à l’audience parce que la demanderesse demande l’adjudication des dépens.
[26] La demanderesse convient aujourd’hui que son passeport somalien n’est pas une pièce d’identité acceptable dans le cadre de sa demande de résidente permanente, mais elle fait valoir que le défendeur aurait dû accepter sa carte de résidente permanente des É.-U. comme preuve valide de son identité.
[27] Le défendeur déclare que la carte de résidente permanente des États-Unis de la demanderesse ne constitue pas une preuve acceptable de son identité, que cette information a été transmise à plusieurs reprises à la demanderesse et à son avocat et que la demanderesse n’a pas expliqué pourquoi elle n’a pas obtenu et présenté un visa de rentrée aux États-Unis, que le défendeur aurait accepté comme pièce d’identité valide aux fins de sa demande de visa de résidente permanente.
[28] La demanderesse cherche à blâmer le défendeur pour tous les délais qui se sont produits durant le traitement de sa demande de visa de résidente permanente. Toutefois, le dossier montre clairement que la demanderesse n’a pas toujours fourni tous les documents exigés dans les délais requis. De fait, le défendeur a dû lui rappeler par moments qu’il lui avait demandé des documents qu’elle n’avait pas fournis et qu’il attendait une réponse. Tous les documents exigés par le défendeur étaient nécessaires pour le traitement de la demande de visa de résidente permanente et la demanderesse n’a pas eu à fournir des documents qui ne sont pas normalement demandés aux autres demandeurs.
[29] Le 14 janvier 2011, l’agent a envoyé une lettre à l’avocat de la demanderesse et a joint une copie du Bulletin opérationnel 190 contenant l’information selon laquelle les passeports somaliens ne sont pas acceptables pour appuyer une demande de visa de résident permanent.
[30] Le 20 janvier 2011, la demanderesse s’est rendue au consulat pour la dernière étape du traitement de sa demande de visa de résidente permanente. Elle a fourni un passeport somalien et sa carte de résidente permanente des États-Unis, mais on lui a indiqué que ces documents ne sont pas acceptables et on lui a suggéré de se procurer un visa de rentrée aux États-Unis,, puisque la demanderesse affirme qu’elle est une résidente permanente des États-Unis.
[31] À cette date, le dossier de la demanderesse était complet et est demeuré ouvert en attendant qu’elle fournisse une pièce d’identité acceptable.
[32] La demanderesse affirme que lorsqu’elle entre au Canada, comme elle le fait fréquemment, elle montre son passeport somalien et sa carte de résidente permanente des États‑Unis à la douane. Elle explique que l’agent examine les deux documents et la laisse entrer au Canada.
[33] La demanderesse indique également que sa carte de résidente permanente des États-Unis devrait être considérée comme une pièce d’identité valide en ce qui concerne son établissement au Canada et elle affirme que le traitement de sa demande est toujours retardé par CIC à Buffalo pour des raisons qu’elle ignore.
[34] Les propos de la demanderesse sont fallacieux. Elle sait, et ce depuis longtemps, qu’un passeport somalien et sa carte de résidente permanente des États-Unis ne sont pas des pièces d’identité acceptables pour le défendeur.
[35] La demanderesse n’a fourni aucune preuve à la Cour qu’elle a essayé d’obtenir un visa de rentrée aux États-Unis, un document désigné comme acceptable par le défendeur. La demanderesse a plutôt saisi la Cour afin que cette dernière force le demandeur à accepter la carte de résidente permanente des États-Unis de la demanderesse comme pièce d’identité ou titre de voyage lui permettant de compléter sa demande de visa de résidente permanente.
[36] Comme l’indique le défendeur, même si la carte de résidente permanente des États‑Unis était acceptable en vertu du Règlement, la demanderesse ne pourrait obtenir une ordonnance de mandamus dans la présente situation parce qu’elle dispose d’une solution de rechange appropriée. Tout ce qu’elle a à faire pour obtenir un visa de résidente permanente est de présenter un visa de rentrée aux États-Unis et rien ne prouve que la demanderesse n’est pas en mesure d’obtenir ce visa, ou qu’elle a essayé de l’obtenir.
[37] La juge Snider a établi les conditions bien connues nécessaires à l’obtention d’une ordonnance de mandamus dans Vaziri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1159, [2006] A.C.F. no 1258 [Vaziri], au paragraphe 38 :
Le bref de mandamus est un recours en equity dont l’objet est de contraindre une autorité publique à exécuter l’obligation légale d’agir à caractère public qu’elle refuse ou néglige d’exécuter lorsqu’elle est appelée à le faire. On peut recourir au bref de mandamus pour limiter les délais procéduraux (Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 149). Le critère régissant la délivrance du bref de mandamus a été énoncé dans l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), confirmée par [1994] 3 R.C.S. 1100 (et, plus récemment, dans le contexte de l’immigration, dans l’affaire Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 C.F. 189 (C.F. 1re inst.), confirmé par 2003 CAF 233). Voici les huit conditions qui doivent être réunies pour que le tribunal puisse délivrer un bref de mandamus :
(i) Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;
(ii) L’obligation doit exister envers le requérant;
(ii) Il doit exister un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :
a. le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation
b. il y a eu :
(i) une demande d’exécution de l’obligation,
(ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n’ait été rejetée sur-le-champ;
(iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable.
(iv) Les demandeurs n’ont aucun autre recours ;
(v) L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;
(vi) Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;
(vii) Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait être rendue.
[38] Dans Vaziri, la juge Snider a conclu aux paragraphes 60 à 62 qu’une solution de rechange appropriée existait pour les demandeurs dans le but d’obtenir la résidence permanente en raison de l’existence des visas de résident temporaire :
Les demandeurs soutiennent que la seule façon pour eux d’« obtenir le statut d’immigrant » est de faire trancher leur demande. Le défendeur rétorque qu’ils peuvent demander un visa de résident temporaire, ce qui permettrait de réunir les membres de la famille pendant que le processus d’examen des demandes de résidence permanente se poursuit. Ces visas (souvent appelés visas de visiteur) peuvent être obtenus rapidement et aisément; ils peuvent être valides pour une période déterminée et ils peuvent être reconduits. Notre Cour a déjà déclaré que l’on peut atteindre l’objectif de la LIPR de faciliter la réunification des familles au Canada par le biais d’un visa de résident temporaire ou du visa analogue prévu par l’ancienne Loi sur l’immigration (voir le jugement Gupta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1099, au paragraphe 11 (C.F. 1re inst.) (QL); Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 427, au paragraphe 8).
Bien que je sois consciente que les demandeurs doivent composer avec l’incertitude en attendant de connaître le sort de leurs demandes de résidence permanente et que les visas de résident temporaire ne leur offrent pas la même sécurité ou les mêmes droits que ceux que leur confère la résidence permanente, j’estime néanmoins que le recours aux visas de résident temporaire constitue un autre recours qui, sans être parfait, n’en est pas moins adéquat. Il n’est pas urgent en l’espèce que les demandeurs acquièrent le plus tôt possible les droits conférés par le statut de résident permanent.
[39] Cela est d’autant plus vrai en l’espèce, car la preuve montre clairement que la demanderesse n’avait pas besoin d’une ordonnance de mandamus pour obtenir la résidence permanente au Canada. Elle n’avait qu’à présenter un visa de rentrée aux États-Unis pour que le traitement de sa demande se poursuive. La demanderesse n’a fourni aucune preuve à la Cour à l’égard de son incapacité d’obtenir la résidence permanente en suivant cette simple démarche. Par conséquent, la Cour ne comprend pas pourquoi la demanderesse a saisi la Cour à ce moment‑ci afin d’obtenir une ordonnance de mandamus. Sa demande était pour le moins prématurée.
[40] Dans tous les cas, cette affaire est devenue théorique, car la demanderesse a reçu son visa de résidente permanente.
[41] La demanderesse n’a présenté aucun argument acceptable concernant l’adjudication des dépens en l’espèce. Comme je l’ai indiqué ci-dessous, les délais dans la présente affaire sont intiment liés à la conduite de la demanderesse et sa demande d’ordonnance de mandamus était prématurée.
JUGEMENT
1. La demande est rejetée.
2. Il n’y a aucune question à certifier.
Traduction certifiée conforme
Jean-François Vincent
Cour fédérale
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Dossier : IMM-5174-10
INTITULÉ : KADRA ABDALLA
et
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 12 avril 2011
MOTIFS DU JUGEMENT LE JUGE RUSSELL
ET JUGEMENT :
DATE DES MOTIFS : Le 11 août 2011
Comparutions :
Kumar S. Sriskanda
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POUR LA DEMANDRESSE |
Asha Gafar |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Kumar S. Sriskanda Avocats Scarborough (Ontario)
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POUR LA DEMANDRESSE |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR
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