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Date : 10110718

Dossier : IMM‑6965‑10

Référence : 2011 CF 948

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

BRIAN AGUSTINE JOSEPH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Monsieur Joseph était adulte lorsqu’il a quitté St‑Vincent‑et‑les‑Grenadines pour le Canada en mars 2005. Il a dit avoir été, depuis l’enfance, victime de violence verbale et physique de la part de son père. Un incident déterminant s’est produit en décembre 2004 lorsqu’il s’est interposé dans une dispute entre ses parents et a échappé de peu à de graves blessures. Il a porté plainte à la police, qui a donné un avertissement à son père et a conseillé au fils de quitter la maison. Il est allé vivre chez sa grand‑mère, mais son père le suivait et cherchait à provoquer un affrontement.

 

[2]               Toutefois, à son arrivée au Canada, il n’a pas demandé l’asile. Il dit qu’il craignait d’essuyer un refus. En juin 2007, il est retourné à St‑Vincent parce que sa mère était malade et voulait lui transférer le droit de propriété de sa terre. Il n’a eu aucun problème avec son père jusqu’en janvier 2008, date à laquelle celui‑ci a appris le projet de transfert et a menacé M. Joseph de le tuer ou d’engager quelqu’un pour le faire. Monsieur Joseph est arrivé au Canada 13 mois plus tard, en avril 2009, et a demandé l’asile un mois après.

 

[3]               Le tribunal de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a jugé qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

 

[4]               Le second incident déterminant, celui qui a fait que M. Joseph est revenu au Canada, a été l’intention de sa mère de lui céder sa terre. Le tribunal a souligné qu’il n’avait joint aucun document à l’appui de sa prétention. Il a expliqué qu’on avait dit à sa mère qu’elle n’était pas autorisée à faire une photocopie. En fait, au moment de l’audience devant la SPR en octobre de l’an dernier, il n’y avait toujours pas eu transfert de propriété.

 

[5]               Le tribunal a également souligné que les autres frères de M. Joseph demeurent à St‑Vincent et ne vivent pas dans la crainte de leur père. De fait, le père habite et travaille dans l’île grenadine de Bequia depuis plusieurs années et ne retourne qu’occasionnellement à la propriété familiale. Récemment, le père a institué des procédures de divorce.

 

[6]               Monsieur Joseph dit que lorsque son père a appris le projet de transfert de la propriété, il a tenté de le poignarder avec une fourche à bêcher. C’était six mois après son retour à St‑Vincent. Jusque‑là il n’avait eu aucun problème. De plus, il est resté à St‑Vincent plus d’un an après cet incident. Il dit n’être pas parti plus tôt parce qu’il n’avait pas suffisamment d’argent pour acheter un billet d’avion.

 

[7]               Les parties essentielles de la décision du tribunal se trouvent aux paragraphes 13 et 20 :

[13]      Compte tenu du fait que le demandeur d’asile n’avait pas peur de retourner à Saint Vincent en juin 2007 et qu’il n’avait pas demandé l’asile lors de son premier voyage au Canada, qu’il est resté à Saint Vincent et n’a subi aucun préjudice physique de la part de son père après l’incident de janvier 2008, et que son père a engagé une procédure en divorce qui règlera probablement le litige au sujet de la propriété, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile n’est pas exposé à un risque sérieux de subir un préjudice. 

 

[20]      Compte tenu de la possibilité de protection de l’État et d’absence de fondement objectif à la crainte du demandeur d’asile, le tribunal conclut qu’il n’a pas « qualité de réfugié au sens de la Convention » et que, selon la prépondérance des probabilités, il ne serait pas exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture advenant son retour à Saint Vincent.

 

[8]               Le tribunal a relaté certains faits qui auraient pu mettre la crédibilité de M. Joseph en doute, tels son excuse pour avoir omis de fournir des détails concernant la propriété devant faire l’objet d’un transfert et son excuse pour avoir attendu plus d’un an avant de quitter St‑Vincent, à savoir qu’il devait mettre de l’argent de côté pour pouvoir acheter son billet d’avion pour le Canada alors qu’il y avait plusieurs autres lieux sûrs beaucoup plus proches où il aurait pu trouver refuge à un coût bien moindre. Cela est malencontreux puisqu’une présomption veut que le demandeur d’asile dise la vérité (Maldanado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF)).

 

[9]               Le tribunal a eu le grand avantage de voir le témoin, et la Cour aurait estimé utile qu’une conclusion soit tirée quant à la crédibilité. À l’évidence, son récit soulève des doutes. Comme l’a dit le juge O’Halloran de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans Faryna c Chorny, [1952] 2 DLR 354, [1951] BCJ No 152 (QL), au paragraphe 11 :

[traduction] On ne peut évaluer la crédibilité d’un témoin intéressé, en particulier dans les cas de témoignages contradictoires, en se fondant exclusivement sur le point de savoir si son comportement personnel inspire la conviction qu’il dit la vérité. Il faut soumettre la version qu’il propose des faits à un examen raisonnable de sa compatibilité avec les probabilités afférentes à la situation considérée. Bref, le véritable critère applicable à la véracité de la version du témoin dans un tel cas doit être sa conformité à la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et bien informée estimerait d’emblée raisonnable dans le lieu et la situation en question. Ce n’est qu’ainsi qu’un tribunal judiciaire peut évaluer de manière satisfaisante les déclarations de témoins à l’esprit alerte, sûrs d’eux‑mêmes et expérimentés, ainsi que de ces personnes astucieuses qui s’y entendent en matière de demi‑mensonge et s’appuient sur une longue et fructueuse expérience dans l’art de mettre en œuvre l’exagération habile et l’occultation partielle de la vérité. En outre, il peut arriver qu’un témoin dise ce qu’il croit sincèrement être la vérité, mais se trompe en toute honnêteté. Le juge du fond qui dirait : « Je le crois parce que je suis convaincu de sa véracité » tirerait une conclusion fondée sur l’examen de la moitié seulement du problème. En vérité, il pourrait bien s’agir là d’une auto‑directive dangereuse.

 

[10]           L’avocate de M. Joseph a tout à fait raison de soutenir que l’opinion du tribunal selon lequel le divorce imminent entre ses parents réglera le litige au sujet de la propriété relève de la pure conjecture, et ne constitue pas une inférence raisonnablement tirée de faits établis. Toutefois, cette opinion est aisément dissociable de la conclusion portant que la crainte de M. Joseph ne reposait pas sur un fondement objectif tant en raison de l’absence de violence physique subie de la part de son père après l’incident de janvier 2008 qu’en raison de la protection de l’État.

 

[11]           L’avocate de M. Joseph a fortement contesté la présomption de protection de l’État  à St‑Vincent. Elle a renvoyé aux conditions dans le pays concernant la violence familiale et a cité une abondance jurisprudence émanant de notre Cour, telles les décisions King c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 774, 139 ACWS (3d) 1061; Myle c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1073, 66 Imm LR (3d) 214; et Alexander c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1305, 88 Imm LR (3d) 75.

 

[12]           Certes, il est vrai que la violence familiale ne se limite pas à la violence contre les femmes, situation sur laquelle notre Cour s’est principalement prononcée. Il semble effectivement que les policiers n’interviennent dans les cas de violence familiale que lorsque la situation paraît hors de contrôle, comme cela s’est de fait produit en l’occurrence lors de l’incident de 2004.

 

[13]           Vu les faits de la présente espèce, l’analyse de la question de la protection de l’État est indissociable du comportement de M. Joseph, qui démontre une absence de crainte subjective. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[14]           L’audience tenue devant notre Cour s’est déroulée en français, à la convenance de l’avocate. Toutefois, comme la langue maternelle de M. Joseph est l’anglais, que son affidavit est rédigé en anglais et que l’audience devant la SPR s’est déroulée en anglais, c’est dans cette langue qu’est rédigée la version originale des présents motifs.


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI‑DESSUS,

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6965‑10

 

INTITULÉ :                                                   BRIAN AGUSTINE JOSEPH c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 20 juillet 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 28 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Annie Bélanger

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Thi My Dung Tran

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bélanger, Fiore

Avocats

St‑Laurent (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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