[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2011
En présence de Monsieur le juge Near
ENTRE :
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TOM STRATIGOS ELIO VIOLO
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et
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de trois décisions rendues par Mme Deborah Danis en sa qualité de réviseure de l’Agence du revenu du Canada (ARC). Les demandeurs ont présenté plusieurs allégations de traitement arbitraire après que leurs candidatures ont été écartées dans le cadre d’un processus de promotion à l’ARC. Dans chacun des cas, la réviseure n’a trouvé aucun élément de preuve indiquant le traitement arbitraire qu’ils auraient subi dans le processus de sélection. Les demandeurs allèguent que les motifs donnés par la réviseure ne sont pas suffisants et que la réviseure n’a pas examiné toutes les allégations. Ils prétendent également qu’ils n’ont pas eu le bénéfice d’une divulgation complète de la preuve avant la réunion sur la révision de la décision. Pour ces motifs, ils sollicitent le contrôle judiciaire et demandent que les décisions rendues par la réviseure soient annulées et que l’affaire soit renvoyée à un autre réviseur pour qu’elle soit tranchée conformément aux présents motifs. Les demandeurs réclament aussi des dépens.
[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, la présente demande est accueillie.
I. Contexte
A. Contexte factuel
[3] Les demandeurs, Mme D’Urzo, M. Violo et M. Stratigos, sont des employés de l’ARC. Ils ont participé à un processus de sélection pour le poste de coordonnateur, Dossiers importants, Appels. Ce poste est classifié au groupe et niveau AU-06. Au moment où l’avis de possibilité d’emploi a été affiché en 2008, Mme D’Urzo travaillait comme coordonnatrice AU-06, Dossiers importants, Appels, depuis mai 2007, M. Violo travaillait comme gestionnaire intérimaire AU‑06, Dossiers importants, Appels, depuis plus de trois ans et M. Stratigos occupait aussi le poste depuis mai 2007.
[4] Le processus de sélection a été divisé en trois étapes, ou volets. Pour passer à la prochaine étape, et être finalement placés dans un bassin de candidats qualifiés, les candidats devaient démontrer qu’ils satisfaisaient aux exigences de l’étape précédente. Pour passer à l’étape 3, les candidats devaient notamment démontrer qu’ils avaient atteint le niveau 3 en ce qui concerne la compétence « Législation, politiques et procédures » (LPP).
[5] Un outil standardisé d’évaluation connu sous le nom de « Portfolio des compétences techniques » (PdCT) était utilisé pour évaluer la compétence LPP. Les candidats devaient donner un exemple, par écrit, d’une situation où ils avaient démontré la compétence dont il était question, et ce, en 800 mots maximum. Selon l’avis de possibilité d’emploi, les candidats qui avaient déjà été évalués et qui étaient jugés conformes aux exigences de la compétence LPP3 pouvaient présenter ces résultats pour examen dans le cadre du processus AU-06.
[6] Une fois que les demandeurs ont déposé leur PdCT dûment rempli, ils ont été évalués de façon indépendante par deux évaluateurs en compétences techniques (ÉCT), Judy Dakers et Mark Salutin. Les résultats ont été calibrés pour obtenir un résultat final.
[7] Les demandeurs ont été éliminés du concours à cette étape. Les ÉCT ont conclu que les demandeurs n’ont pas obtenu la notation requise pour le niveau 3 de la compétence LPP. Par conséquent, ils n’ont pas passé à la prochaine étape.
[8] Les demandeurs ont tous décidé d’exercer leurs recours en vertu de la « Directive sur les recours en matière d’évaluation et de dotation » de l’ARC. Il s’agissait d’une « rétroaction individuelle » et de la « révision de la décision ».
[9] La rétroaction individuelle a été donnée par les ÉCT qui avaient évalué la compétence LLP. La révision de la décision a été faite par Deborah Danis, qui avait été nommée comme réviseure de la décision par l’ARC.
[10] Ce sont les trois décisions qu’elle a rendues relativement à chacun des demandeurs qui font l’objet du présent contrôle.
B. Décision contestée
[11] Dans chacune des décisions en cause, la réviseure a d’abord exposé le processus de la révision d’une décision. Elle a ensuite expliqué qu’elle avait attentivement examiné les questions soulevées dans les observations des demandeurs ainsi que les réponses données par les ÉCT. Elle a ajouté ce qui suit :
[traduction] De plus, comme je l’ai déjà mentionné, vos documents ont ensuite été transmis à d’autres évaluateurs de compétences techniques afin qu’ils puissent en faire l’examen. Leurs conclusions ont corroboré les conclusions initiales.
[12] Elle a ensuite résumé ce qu’elle considérait comme étant la question à trancher et la preuve qu’elle a analysée pour arriver à sa conclusion. Dans les trois décisions, sous la rubrique intitulée « questions en litige », la réviseure a écrit la même chose :
[traduction] J’ai conclu que même si l’exemple donné expose des références législatives et, dans une certaine mesure, démontre qu’il s’applique à l’événement en question, vous n’avez pas suffisamment détaillé votre analyse ni effectué une analyse exhaustive des références citées dans votre texte.
[13] Puis, elle a précisé que son rôle consistait à se demander si l’employé exerçant le recours avait été traité de façon arbitraire. Conformément à la « Directive sur les recours en matière de dotation », elle s’est penchée particulièrement sur le traitement de l’employé dans le cadre du processus, et non sur l’évaluation des autres candidats. La réviseure a reproduit la définition du terme « arbitraire », tel qu’il est défini par l’ARC :
« [d]e manière irraisonnée ou faite capricieusement; pas faite ou prise selon la raison ou le jugement; non basée sur le raisonnement ou une politique établie; n’étant pas le résultat d’un raisonnement appliqué aux considérations pertinentes; discriminatoire (c’est-à-dire différence dans le traitement ou méconnaissance des privilèges normaux dus aux personnes à cause de leur race, âge, sexe, nationalité, religion ou appartenance syndicale) ».
[14] Dans les trois décisions, elle a rédigé le dernier paragraphe comme suit :
[traduction] À l’issue du processus de constatation des faits auquel j’ai procédé pendant la révision, et dans le cadre de notre discussion, il a été déterminé que les évaluateurs de compétences techniques ont agi de manière raisonnable en attribuant le niveau qu’ils ont attribué pour la compétence en question. Je ne vois aucune erreur dans la décision des évaluateurs de compétences techniques pouvant justifier mon intervention. J’en conclus que vous n’avez pas été traité de manière arbitraire dans le cadre du processus de sélection.
II. Questions en litige
[15] La présente demande soulève les questions suivantes :
a) Les droits des demandeurs en matière d’équité procédurale ont-ils été violés?
(i) La réviseure a-t-elle suffisamment motivé sa décision?
(ii) Les demandeurs ont-ils eu accès à l’information?
b) La décision était-elle raisonnable?
III. Norme de contrôle
[16] Le contenu de la décision rendue par un réviseur est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Comme le juge Leonard Mandamin l’a expliqué dans Wloch c. Canada (Agence du revenu), 2010 CF 743, au par. 21 :
[21] […] la question est de savoir si le réviseur a tenu compte des facteurs appropriés pour parvenir à sa décision. Le réviseur de la décision doit examiner les faits et déterminer si la mesure contrevenait à la directive portant sur le traitement arbitraire. J’ai conclu, dans Gerus c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1344, aux paragraphes 15 et 16, que le contenu d’une décision relative à une demande de révision était une question de fait et de droit qui doit être révisée selon la norme de la raisonnabilité. […]
[17] Comme il est établi dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. La décision doit également appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[18] Les demandeurs prétendent que la question du caractère suffisant des motifs et de la divulgation devrait être assujettie à la norme de la décision correcte puisqu’il s’agit d’une question de droit. La défenderesse n’est pas d’accord et se fonde sur Gerus c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1344, 337 FTR 256, pour faire valoir que la norme de la raisonnabilité devrait s’appliquer à l’examen des questions comme celles qui sont en cause en l’espèce.
[19] Certes, dans Gerus, précité, la Cour a conclu que la norme de la raisonnabilité s’appliquait aux questions de fait et de politique soulevées dans cette demande. Cependant, le juge Mandamin a également conclu que la première question portait sur l’équité procédurale. Par conséquent, aucune appréciation de la norme de contrôle applicable n’était exigée, car un manquement à l’équité procédurale entraîne l’annulation de la décision d’un tribunal (par. 14). Cela revient à toutes fins utiles à examiner les questions d’équité procédurale selon la norme de la décision correcte, comme le confirme la jurisprudence même dans le cadre des décisions de l’ARC en matière de dotation (voir Ng c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1298, 338 FTR 298, par. 28).
[20] Comme les deux premières questions constituent des allégations selon lesquelles les droits des demandeurs en matière l’équité procédurale ont été violés, elles seront examinées selon la norme de la décision correcte.
IV. Arguments et analyse
A. Les droits des demandeurs en matière d’équité procédurale ont-ils été violés?
[21] Les demandeurs prétendent que leurs droits en matière d’équité procédurale ont été violés de deux façons. Premièrement, les motifs de la réviseure étaient insuffisants. Deuxièmement, pendant la révision de la décision, aucun document pertinent n’a été divulgué aux demandeurs conformément aux politiques de l’ARC.
[22] Dans Ng, précité, le juge John O’Keefe a appliqué les facteurs énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193, au processus de révision de la décision de l’ARC. Il a conclu que l’obligation d’équité procédurale dont bénéficie un employé dans ce contexte est moyenne à minimale (par. 31).
(i) La réviseure a-t-elle suffisamment motivé sa décision?
[23] Les demandeurs prétendent que la réviseure a rejeté leurs observations sans fournir suffisamment de motifs. Selon eux, le paragraphe identique qui a été formulé en guise de conclusion est laconique et il n’est pas justifié. Les demandeurs soutiennent que la décision n’explique pas suffisamment pourquoi leurs allégations ont été rejetées et elle ne permet pas à notre Cour de faire un contrôle efficace. Ils estiment que les motifs sont simplement des conclusions qui ne démontrent pas que la réviseure a traité des questions soulevées dans leurs observations et qu’elle les a résolues.
[24] De plus, les demandeurs soutiennent que la réviseure a omis d’aborder quatre de leurs allégations dans ses motifs : 1) la limite de mots du portfolio était injuste; 2) les ÉCT ne possédaient l’expertise requise; 3) l’ARC n’a pas tenu compte du fait que les demandeurs avaient réussi à effectuer le travail du poste en question pendant une longue période de temps; et 5) aucune importance n’a été accordée au fait que M. Violo avait atteint le niveau 4 de la compétence LLP.
[25] Selon la défenderesse, lorsque les tribunaux évaluent le caractère suffisant des motifs, ils devraient tenir compte de la « réalité quotidienne des organismes administratifs et des nombreuses façons d’assurer le respect des valeurs qui fondent les principes de l’équité procédurale » (Baker, précité, par. 44). Le par. 9.2.6. de la directive sur les recours exige de la part du réviseur la « communication par écrit de la décision définitive, notée dans le dossier de dotation ou le profil des compétences de l’employé », mais il n’exige pas expressément que les motifs soient détaillés. La directive sur les recours prévoit également, au par. 9.2.11, que « la décision écrite n’est pas une transcription de tout ce qui s’est dit ou fait durant la révision, mais plutôt un compte-rendu des conclusions ».
[26] La Cour d’appel fédérale (CAF) s’est récemment penchée sur le caractère suffisant des motifs dans Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, 9 Admin. L.R. (5th) 79. En droit administratif, la CAF a conclu que les motifs « doivent garantir aux parties que leurs observations ont été prises en considération, permettre au tribunal de révision de mener un examen valable et être transparents afin de fournir une ligne de conduite aux personnes réglementées » (par. 14). En conséquence, la CAF a décidé que le caractère suffisant des motifs du décideur doit être évalué à la lumière de quatre objectifs fondamentaux, lesquels sont énoncés au par. 16 :
a) L’objectif sur le plan du fond. Au moins de façon minimale, le fond de la décision doit être compris au même titre que la raison pour laquelle le décideur administratif a pris une telle décision.
b) L’objectif sur le plan de la procédure. Les parties doivent être en mesure de décider s’il convient ou non d’exercer leurs droits de demander le contrôle judiciaire de la décision à un tribunal de révision. Il s’agit d’un aspect de l’équité procédurale en droit administratif. Si les motifs sur lesquels repose la décision ne sont pas indiqués, les parties ne peuvent évaluer s’ils donnent ouverture au contrôle judiciaire.
c) L’objectif sur le plan de la responsabilité judiciaire. La décision et ses fondements doivent comporter suffisamment de renseignements pour permettre au tribunal de révision d’évaluer, valablement, si le décideur a satisfait aux normes minimales de la légalité. Ce rôle des tribunaux de révision est un aspect important de la règle de droit et doit être respecté : Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220; Dunsmuir, précité, paragraphes 27 à 31. Dans des cas où la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité, le tribunal de révision doit évaluer si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, paragraphe 47. Si le tribunal de révision n’a pas su évaluer cet aspect parce que la décision comporte trop peu de renseignements, les motifs sont insuffisants : voir, p. ex., Association canadienne des radiodiffuseurs, précité, paragraphe 11.
d) L’objectif sur le plan de la « justification, de la transparence et de l’intelligibilité »: Dunsmuir, précité, paragraphe 47. Cet objectif chevauche dans une certaine mesure l’objectif sur le plan du fond. La décision est justifiée et intelligible lorsque son fondement est précisé et qu’il est compréhensible, rationnel et logique. La transparence fait référence à la capacité des observateurs à analyser et à comprendre la décision d’un décideur administratif et les motifs de sa décision. […]
[27] La CAF a ensuite dressé la liste d’autres principes importants qu’il importe de se rappeler au moment d’évaluer le caractère suffisant des motifs. Le principe le plus pertinent en l’espèce est celui de la pertinence de la preuve extrinsèque. La CAF a souligné que les notes prises par le décideur et d’autres questions portées au dossier peuvent permettre de détailler ou de préciser les motifs, et dans certains cas, la preuve extrinsèque peut exprimer le fondement de la décision. De plus, une décision portant sur le caractère suffisant des motifs ne doit pas servir à contrecarrer les procédures élaborées par un décideur spécialisé en vertu du pouvoir que lui a donné le législateur afin qu’il puisse rendre justice en temps opportun et de manière efficiente.
[28] Appliquant ces principes en l’espèce, j’estime que les motifs fournis dans chacune des trois décisions ne se conforment pas à cette norme. Les motifs sont insuffisants.
[29] La brièveté des motifs n’est pas la raison pour laquelle ils ne satisfont pas aux exigences minimales. Les motifs sont exposés de façon méthodique et ils décrivent le processus de révision de la décision, mais l’analyse faite par la réviseure se limite à une phrase où elle affirme que les demandeurs n’ont pas donné suffisamment de détails dans leur PdCT. Cette décision est identique dans les trois cas – [traduction] « J’ai conclu que même si l’exemple donné expose des références législatives et, dans une certaine mesure, démontre qu’il s’applique à l’événement en question, vous n’avez pas suffisamment détaillé votre analyse ni effectué une analyse exhaustive des références citées dans votre texte. » Elle ajoute ensuite que les ÉCT ont agi de manière raisonnable en attribuant les notes qu’ils ont données. Ce dernier paragraphe est aussi identique dans les trois cas :
[traduction] À l’issue du processus de constatation des faits auquel j’ai procédé pendant la révision, et dans le cadre de notre discussion, il a été déterminé que les évaluateurs de compétences techniques ont agi de manière raisonnable en attribuant le niveau qu’ils ont attribué pour la compétence en question. Je ne vois aucune erreur dans la décision des évaluateurs de compétences techniques pouvant justifier mon intervention. J’en conclus que vous n’avez pas été traité de manière arbitraire dans le cadre du processus de sélection.
[30] En gardant à l’esprit que le processus de révision de la décision doit être efficace et rapide, et que la réviseure n’est pas tenue de fournir des motifs détaillés, j’estime malgré tout que les décisions rendues ne répondent pas aux exigences. L’analyse est rédigée en des termes génériques et constitue une simple formalité. Rien ne permet de croire que les allégations des demandeurs ont été sérieusement prises en considération avant d’en arriver à une conclusion. Par exemple, Mme D’Urzo a affirmé que les ÉCT se sont arbitrairement concentrés sur l’aspect « législation » de la compétence LLP, n’accordant donc pas suffisamment d’importance aux facteurs relatifs aux « politiques et procédures ». De même, M. Stratigos a fait valoir que les ÉCT ont arbitrairement conclu que les politiques et procédures visent seulement à clarifier la législation. Rien ne permet aux demandeurs de savoir pourquoi ces allégations ont été rejetées, apparemment d’emblée.
[31] J’ai examiné les dossiers certifiés du Tribunal (DCT) réunis. Au lieu de clarifier les motifs, ou d’exprimer le fondement de la décision, le « Formulaire de la révision de la décision : demande de consultation avec SCÉS » soulève d’autres préoccupations. Dans chaque cas, la réviseure a inscrit « appréciation arbitraire » dans sa décision préliminaire. Ses notes révèlent qu’elle a conclu que certains commentaires des ÉCT étaient peu convaincants. Par exemple, en ce qui concerne Mme D’Urzo, la réviseure a conclu ce qui suit :
[traduction]
• Certains commentaires sur les feuilles d’évaluation ne sont pas clairs.
• L’observation principale selon laquelle le texte est trop court n’est pas fondée.
• La déclaration de l’ÉCT selon laquelle les candidats auraient obtenu le poste s’ils s’étaient qualifiés compte tenu de leur expérience, est préoccupante et évoque la possibilité de partialité dans l’évaluation.
[32] Selon mon interprétation, il semble qu’elle ait demandé un second examen de chacune des observations des demandeurs [traduction] « pour déterminer le niveau qu’ils ont atteint » (par exemple, dossier des demandeurs, p. 304). Il y a plusieurs courriels datant de novembre 2009 dans les DCT dans lesquels la réviseure affirme que les demandes de révision de la décision peuvent représenter des [traduction] « décisions arbitraires » (voir par exemple, dossier des demandeurs, p. 291).
[33] En mars 2010, il semble que les PdCT des demandeurs ont été évalués par deux ÉCT différents. Les nouveaux ÉCT ont confirmé que les demandeurs n’avaient pas satisfait aux exigences du niveau 3 de la compétence LLP, reprenant ainsi le raisonnement des premiers ÉCT. Cela peut expliquer pourquoi, le 17 mars 2010, la réviseure a conclu dans les trois cas que les demandeurs n’avaient pas été traités de façon arbitraire. Cela peut expliquer pourquoi la réviseure a changé d’idée, mais peut-être pas. Je ne fais que le supposer et cela ne suffit pas.
[34] Rien n’indique comment la réviseure a résolu les deux questions soulevées par les demandeurs et les questions qu’elle a découvertes en faisant son propre examen (lesquelles sont détaillées dans ses notes manuscrites) afin d’en arriver à la conclusion que les ÉCT avaient agi de manière raisonnable en attribuant les notes qu’ils ont données. Bien que je connaisse la position adoptée dans la directive, que la décision écrite n’est pas une transcription de tout ce qui s’est dit ou fait, je partage l’avis des demandeurs selon lequel la décision doit comporter plus qu’une simple conclusion. Cela est particulièrement vrai quand la conclusion diffère tellement du reste du DCT.
[35] En outre, plusieurs des allégations des demandeurs ne sont pas du tout abordées dans les motifs. On ne peut exiger de la réviseure qu’elle réponde de manière approfondie aux allégations qui sont clairement sans fondement ou qui ne relèvent pas de sa compétence en matière de révision, mais à mon avis, elle est tenue d’expliquer qu’elles outrepassent sa compétence afin de permettre une révision efficace de la décision. Par exemple, la limite de mots était la même pour tous les candidats. La réviseure n’est pas habilitée à miner les politiques de l’ARC ou à vicier un processus de sélection tout entier; cependant, si elle estime que ces questions outrepassent sa compétence, il serait utile que ce raisonnement se reflète dans les décisions. Les demandeurs doivent savoir que leurs observations sont prises en considération et notre Cour doit être en mesure de procéder à un examen sérieux. Comme je suis incapable de le faire, je suis d’avis d’accueillir la demande de contrôle judiciaire pour ce seul motif.
(i) La réviseure a-t-elle suffisamment motivé sa décision?
[36] Les demandeurs prétendent qu’ils n’ont pas reçu la feuille d’évaluation (guide de notation, avec notes) pendant la rétroaction individuelle contrairement à la politique même de l’ARC en matière de divulgation. Ils soutiennent que cela équivaut à un manquement à l’équité procédurale puisqu’ils n’avaient pas « les moyens de connaître les preuves se rapportant à [leur] plainte » sur lesquelles la réviseure s’est fondée (Forsch c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2004 CF 513, 251 F.T.R. 95, par. 29).
[37] La défenderesse estime que la feuille d’évaluation, comme outil d’évaluation standardisé, est à l’abri de la divulgation. Divulguer des outils d’évaluation standardisés risque de compromettre l’intégrité du processus de sélection. Selon la défenderesse, bien que la feuille d’évaluation n’ait pas été divulguée avant les séances de rétroaction individuelle, le contenu du document a fait l’objet d’une discussion avec les demandeurs lors de ces séances ou à l’étape de la révision de la décision et, par conséquent, les demandeurs étaient au courant de la teneur des feuilles d’évaluation et ils pouvaient poser des questions et soulever des préoccupations à propos de leur évaluation.
[38] Bien que la défenderesse fait valoir à juste titre que la directive sur les recours empêche la divulgation d’information qui aurait pour effet de compromettre la sécurité des outils d’évaluation standardisés, la politique de l’ARC sur la divulgation obligatoire est assez large. De plus, un courriel envoyé au nom de la réviseure et versé au DCT révèle que la politique interne permet aux candidats de consulter les feuilles d’évaluation pendant l’exercice du recours en présence d’une personne autorisée, c.-à-d. l’ÉCT, [traduction] « pour obtenir des renseignements utiles sur leur décision, relativement aux critères utilisés par les ÉCT, et sur les exigences auxquelles [le candidat] ne s’est pas conformé pour améliorer […] » (DCT, p. 76).
[39] Bien que les demandeurs ne l’aient pas invoquée, la doctrine de l’attente légitime prévoit essentiellement que si un organisme administratif fait des promesses touchant la procédure qu’il applique, il serait injuste que l’organisme ne respecte pas la procédure dans un cas donné (Baker, précité, par. 26). En l’espèce, les demandeurs auraient dû pouvoir examiner les feuilles d’évaluation pendant la rétroaction individuelle et avant la révision de la décision. Les demandeurs devraient avoir accès à l’information afin d’établir le caractère arbitraire la manière dont ils ont été traités. Le juge O’Keefe a déclaré dans Ng, précité, que le programme des recours de l’ARC confère au décideur « le pouvoir discrétionnaire de s’assurer qu’il y avait communication lorsque nécessaire pour que l’équité procédurale soit respectée » (par. 35).
[40] À la lecture du dossier, je ne sais pas si les demandeurs ont eu un accès réel au contenu des feuilles d’évaluation avant la révision de la décision. La défenderesse prétend en avoir discuté avec les demandeurs lors de la rétroaction individuelle, alors que les demandeurs ont déclaré n’avoir jamais vu les feuilles d’évaluation que ce soit pendant la rétroaction individuelle ou durant la révision de la décision. (Monsieur Violo a pu consulter la feuille d’évaluation lors de la rencontre sur la révision de la décision, mais seulement après le début de la rencontre. Par conséquent, il soutient qu’il n’a pas eu l’occasion de préparer ses arguments.) Le contenu des rapports a nécessairement été analysé de façon générale lors de la rétroaction individuelle, mais la politique interne montre de façon assez claire que les candidats devraient pouvoir [traduction] « consulter » les feuilles d’évaluation en présence d’une personne autorisée. Une analyse générale ne suffit pas. La présente demande pourrait également être renvoyée pour ce motif.
B. La décision était-elle raisonnable (les allégations ont-elles toutes été prises en considération)?
[41] Dans l’ensemble, la question de savoir si toutes les allégations des demandeurs ont été prises en considération est subsumée dans l’analyse du caractère suffisant des motifs. Les allégations qui auraient été ignorées sont, pour la plupart, manifestement hors de la portée de la révision de la décision. Aux termes de la directive, la révision de la décision porte essentiellement sur la façon dont la personne a été traitée; elle ne vise pas à critiquer le processus de sélection ou le traitement des autres employés (voir la directive sur les recours, par. 4.1, dossier de la défenderesse, p. 9). La limite de 800 mots n’est clairement pas arbitraire puisqu’elle est imposée à tous ceux qui participent au processus. S’il y a une partialité institutionnelle en faveur des vérificateurs par opposition aux appelants, la révision de la décision n’est pas l’instance appropriée pour soulever cette question. Le réviseur n’est pas autorisé à examiner une telle allégation. Il n’est pas non plus approprié d’examiner l’allégation selon laquelle les ÉCT n’étaient pas qualifiés pour évaluer les demandeurs. Les ÉCT ont été accrédités par l’ARC et ils ont évalué tous les PdCT. Il est peut-être fondé de critiquer l’expertise requise par l’ARC pour devenir un ÉCT. Comme les demandeurs l’ont souligné, le fait qu’un AU-02 évalue les compétences que doit avoir un futur AU-06 semble étrange à première vue. Quoi qu’il en soit, la révision de la décision n’est pas le lieu approprié pour faire de telles critiques. Que la réviseure ait soupçonné un risque de partialité après une conversation téléphonique avec l’un des ÉCT pendant le processus de constatation des faits est une chose, mais cela devait être réglé pendant la révision de la décision. À la lumière d’un examen des motifs, je ne peux dire comment ou pourquoi cette préoccupation semble s’être dissipée. Les demandeurs ont aussi fait valoir que la réviseure aurait dû tenir compte du fait que Mme D’Urzo et M. Violo avaient exécuté avec succès les fonctions inhérentes à un poste identique ou semblable à celui visé par le concours, et ce, pendant une longue période de temps. Cet argument n’est pas fondé puisqu’il n’y a rien qui puisse l’étayer. S’il suffisait d’occuper un poste AU-06 pour montrer qu’un candidat satisfait aux exigences requises pour faire partie du bassin de candidats qualifiés, l’ARC n’organiserait pas un concours. Bien qu’il puisse paraître étrange pour ceux qui ne sont pas des fonctionnaires de carrière d’organiser des concours exhaustifs à plusieurs volets pour évaluer si les employés sont qualifiés pour occuper un poste pour lequel ils ont été rémunérés pendant des années, telle est la nature du programme de dotation du gouvernement fédéral. Cela peut laisser croire que les PdCT ont été notés de manière déraisonnable, mais à la lecture des notes de la réviseure, cette dernière a clairement tenté de faire enquête sur cette allégation. Enfin, M. Violo prétend qu’aucune importance n’a été accordée au fait qu’il avait déjà atteint le niveau 4 de la compétence LLP. Il est indiqué sur l’avis de dotation que les résultats provenant des évaluations standardisées sont transférables, mais rien ne prouve qu’il ait présenté ces résultats.
[42] La défenderesse prétend qu’en fait les demandeurs sont seulement en désaccord avec l’interprétation qu’a faite la défenderesse des critères de notation; leur interprétation appartient aux issues pouvant se justifier. En toute déférence, je ne peux souscrire à ce point de vue. Les notes de la réviseure révèlent qu’elle estimait que certains commentaires relatifs à l’évaluation des PdCT des demandeurs figurant sur la feuille d’évaluation étaient discutables et ils n’étaient pas fondés. Il m’est impossible de déterminer dans le cadre d’un contrôle judiciaire si le fait que la réviseure a changé d’avis appartient aux issues pouvant se justifier puisque j’estime que les motifs sont insuffisants.
[43] Bien que la norme de la raisonnabilité soit une norme déférente, et que l’expertise des ÉCT et de la réviseure commander la déférence à l’égard de l’évaluation de la question de fond en cause, les demandeurs ont le droit de savoir que leurs allégations ont été pleinement prises en considération et résolues par la réviseure. Si les observations de la défenderesse sont confirmées dans le cadre du contrôle judiciaire, elles ont pour effet de mettre le processus des recours à l’abri de tout examen valable de notre Cour. Les décisions ne sont ni transparentes, ni justifiées, ni intelligibles; elles ne peuvent donc être considérées comme étant raisonnables.
V. Conclusion
[44] Compte tenu des conclusions exposées ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens en faveur des demandeurs.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens en faveur des demandeurs.
Traduction certifiée conforme
Mylène Borduas
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-591-10
INTITULÉ : D’URZO ET AL. c. ARC
DATE DE L’AUDIENCE : LE 11 AVRIL 2011
DATE DES MOTIFS : LE 28 JUILLET 2011
COMPARUTIONS :
Steven Welchner
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POUR LES DEMANDEURS |
David Cowie
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POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Steven Welchner Cabinet juridique Welchner Ottawa (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS |
David Cowie Ministère de la Justice Ottawa (Ontario)
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POUR LA DÉFENDERESSE |