Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20110728


Dossier : T-1304-10

Référence : 2011 CF 960

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 28 juillet 2011

En présence de Me Kevin R. Aalto, protonotaire

 

ENTRE :

 

BBM CANADA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

RESEARCH IN MOTION LIMITED

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente requête en conversion de la demande en une action fait suite à la décision de la Cour d’appel fédérale (2011 CAF 151) quant à la demande. La Cour d’appel fédérale a annulé une décision de la Cour fédérale qui ordonnait que la présente demande soit instruite en tant qu’action.

 

[2]               Brièvement, à titre indicatif, BBM Canada (BBM), anciennement nommée Bufreau of Broadcast Measurement, allègue que RIM viole certaines de ses marques de commerce qui emploient les lettres « BBM », soit seules ou accompagnées d’autres éléments textuels ou graphiques. BBM est une société à but non-lucratif et offre des données impartiales quant aux cotes d’écoute télévisuelles et radiophoniques. Elle exerce ses activités depuis 1944.

 

[3]               En 2010, RIM a commencé à faire la promotion de son service de messagerie BlackBerry [Blackberry Messenger]en employant la marque BBM. Par conséquent, dans la présente demande, BBM sollicite une déclaration de contrefaçon, des dommages-intérêts pour contrefaçon, dépréciation et perte d’achalandage ainsi que commercialisation trompeuse, des dommages-intérêts punitifs ainsi qu’une ordonnance d’injonction et de restitution.

 

[4]               Peu après l’introduction de la demande, RIM a présenté une requête en radiation, au motif que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour trancher les questions qui lui étaient soulevées au moyen d’une demande et que la demande devrait être rejetée, sans préjudice au droit de BBM de solliciter la même réparation au moyen d’une action. Le juge présidant l’audience a statué que l’affaire ne devrait pas être instruite au moyen d’une demande et a ordonné qu’elle soit instruite au moyen d’une action. L’ordonnance prononcée par le juge présidant l’audience a fait l’objet d’un appel, et la Cour d’appel fédérale a jugé que cette affaire pouvait être instruite par voie de demande. La Cour d’appel fédérale a conclu que la Cour fédérale avait effectivement compétence pour trancher les questions qui lui étaient soumises par voie d’une demande, mais a ajouté que « sans [s]e prononcer sur ce point, il serait possible de demander une ordonnance convertissant une demande en action » (au paragraphe 35).

 

[5]               La présente requête vise donc à convertir la demande en action. Il convient de souligner que l’appel traitait de la question de savoir si un recours visant à obtenir des dommages‑intérêts et d’autres mesures de réparation à la suite d’une violation d’une marque de commerce, d’une dépréciation de l’achalandage et de commercialisation trompeuse peut être introduite au moyen d’une demande ou si elle doit l’être au moyen d’une action. La décision d’appel visait à répondre à une requête initiale en radiation de la demande, à laquelle le juge a statué que l’affaire devait être instruite en tant qu’action. L’on doit aussi souligner que la Cour d’appel a énoncé « qu’il serait possible » de présenter une requête visant à convertir la demande en une action. Les termes employés par la Cour d’appel fédérale sont curieux, puisqu’il n’est pas définitif qu’une telle requête puisse effectivement être présentée. La « possibilité » de présenter une requête en conversion est abordée plus en détail ci-dessous.

 

[6]               La Cour n’est saisie, dans la présente requête en conversion, que d’un avis de requête, un avis de demande, deux affidavits (sans pièces) présentés par BBM, une défense (4 pages) préparée à la suite de la décision initiale ordonnant que cette affaire soit instruite à titre d’action ainsi que les observations écrites.

 

[7]               RIM prétend que les causes d’actions de BBM sont complexes, à la fois d’un point de vue factuel que d’un point de vue juridique. Dans un tel cas, une demande n’est pas un véhicule procédural approprié pour instruire des questions aussi complexes. RIM prétend aussi que le fait que l’instance soit instruite en tant que demande lui cause préjudice, en raison de l’absence d’exigence de communication des documents pertinents qu’une partie a en sa possession, ou dont elle a l’autorité ou la garde; seul le contre-interrogatoire, lequel ne nécessite pas que des mesures soient prises afin d’obtenir des renseignements dont le témoin n’a pas connaissance, est autorisé; il y a de plus des questions quant à la crédibilité, dont il n’est pas convenable de juger sur la foi d’un dossier papier. Ces prétentions sont évidemment restées les mêmes depuis la première audience quant à la requête en radiation ainsi que depuis l’appel.

 

[8]               Il ne fait aucun doute que la Cour d’appel fédérale était au courant de plusieurs de ces préoccupations. Il est affirmé, au paragraphe 33 des motifs de la Cour d’appel, que les questions en litige dans cette affaire étaient trop complexes pour être tranchées au moyen d’une demande. La Cour d’appel a répondu ce qui suit quant à cette observation :

[34]      Premièrement, ces affaires ne sont pas toutes complexes au point qu’il ne soit pas possible de les trancher au moyen d’une demande. Cela ressort clairement de la décision PharmaCommunications Holdings Inc. c. Avencia International Inc., 2008 CF 828, 67 C.P.R. (4th) 387; confirmée par 2009 CAF 144, 392 N.R. 197, où le demandeur a procédé par voie de demande en vue d’obtenir un jugement déclaratoire et une injonction permanente, alors qu’il alléguait que l’intimée s’était livrée à une imitation frauduleuse contraire à la loi. L’affaire a été tranchée sans qu’il ne soit véritablement opposé que la demande avait été présentée de manière inappropriée.

 

[35]      Deuxièmement, le fait qu’une partie à un litige peut généralement choisir de procéder au moyen d’une action ou d’une demande ne signifie pas que toutes les poursuites peuvent être tranchées dans le cadre d’une demande. Dans un cas donné, les circonstances telles que la réparation demandée, la mesure dans laquelle la crédibilité est en cause ou la nécessité d’un interrogatoire préalable peuvent faire en sorte qu’il soit inapproprié d’intenter une procédure par voie de demande. Ainsi, des requêtes pourraient être déposées en vue de contester le bien‑fondé d’une procédure introduite par voie de demande. Par exemple, sans me prononcer sur ce point, il serait possible de demander une ordonnance convertissant une demande en action. Voir, par exemple, Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. c. Worldwide Tobacco Distribution Inc., (2008), 73 C.P.R. (4th) 131 (protonotaire de la Cour fédérale) où il a été ordonné qu’une demande fondée sur l’article 34 de la Loi sur le droit d’auteur, cité dans les motifs, soit instruite comme une action. Des requêtes peuvent également être présentées en vertu de l’article 316 des Règles. Même si l’article 57 des Règles prévoit qu’un acte introductif d’instance ne doit pas être annulé du simple fait que l’instance aurait dû être introduite par un autre acte introductif d’instance, le fait de choisir un acte introductif d’instance inapproprié peut entraîner à tout le moins des conséquences quant aux frais.

 

[9]               La question en litige est donc de savoir si RIM, par la présente requête, peut convertir la demande en une action. Comme il a été mentionné précédemment, la Cour d’appel fédérale n’a pas statué qu’une requête en conversion d’une demande, laquelle n’en était pas une de contrôle judiciaire, pouvait être présentée, seulement que ce « serait possible » qu’elle puisse l’être.

 

[10]           Les Règles des Cours fédérales prévoient qu’une instance peut être introduite par deux moyens – l’action ou la demande. Chacune d’entre elles est régie par une procédure qui lui est propre. Règle générale, une action entraîne des actes de procédures qui cernent les questions, exige la produite de toute la documentation pertinente, prévoit la tenue d’un interrogatoire préalable suivi d’une conférence préparatoire et d’un procès avec présentation de preuve orale. La demande, d’un autre côté, est une procédure sommaire. Elle n’entraîne pas la gamme complète des exigences procédurales d’une action. Elle est aussi instruite au moyen d’un dossier papier, qui contient, à titre de preuve, seulement les affidavits des parties et les contre-interrogatoires, lesquels ne sont pas aussi exhaustifs que les interrogatoires préalables, et sont principalement limités aux questions soulevées dans les affidavits.

 

[11]           Dans la décision Sivak c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2011 CF 402, le juge James Russell a eu l’occasion de se pencher sur la question de la conversion d’une demande de contrôle judiciaire en une action. Il a mentionné ce qui suit :

[traduction]

[29]      Une demande de contrôle judiciaire ne devrait seulement être convertie en action dans les rares cas où les faits pertinents ne peuvent être établis de manière satisfaisante ni pondérés au moyen de la preuve par affidavit. Le critère n’est pas de savoir si la preuve recueillie au cours d’un procès serait meilleure, mais plus de savoir si la preuve par affidavit est inadéquate. Voir Macinnis c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 464 (C.A.F.) et Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 1573.

 

[30]      J’aimerais cependant souligner que dans l’arrêt Drapeau c. Canada (Ministre de la Défense nationale), (1995), 179 N.R. 398 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a été sans équivoque quant au fait que le paragraphe 18.4 de la Loi sur les Cours fédérales n’impose aucune restriction quant aux questions qui peuvent être prises en considération pour trancher la question de savoir si une demande de contrôle judiciaire peut être convertie en une action, mais que le besoin de faciliter l’accès à la justice et d’éviter des coûts et des délais inutiles sont des facteurs pertinents. 

 

[31]      J’aimerais aussi souligner que dans l’arrêt plus récent Association des crabiers acadiens inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 357, la Cour d’appel fédérale a, une fois de plus, exposé l’objectif et la portée de la conversion au titre du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales aux paragraphes 34 à 39 :

 

            34.       Le législateur a tout de même prévu au paragraphe 18.4(2) de la Loi une exception à la procédure de contrôle judiciaire. Il s’agit d’une mesure dérogatoire à la procédure habituelle. Cette mesure permet à un demandeur en contrôle judiciaire d’obtenir la conversion de son contrôle judiciaire existant en une action.

 

            35.       La conversion en une action ne s’opère pas de plein droit. Elle est soumise au contrôle de la Cour fédérale et il faut la justifier. La Cour est investie d’un pouvoir discrétionnaire d’accepter une demande de conversion « si elle l’estime indiquée ».

 

            36.       Les procédures de contestation des décisions administratives mises à la disposition des administrés, soit le contrôle judiciaire et sa conversion en une action lorsque le contrôle judiciaire est intenté en Cour fédérale, ont pour objectif ultime l’atteinte et la distribution d’une justice administrative rapide, efficace et équitable tant pour l’administré que pour l’administration.

 

            37.       Afin de mieux encadrer l’exercice de la discrétion prévue au paragraphe 18.4(2), la jurisprudence a développé certains facteurs d’analyse d’une demande de conversion. Il va sans dire que chaque cas de demande de conversion est un cas d’espèce tributaire de ses faits et de ses circonstances. Et selon ces faits et ces circonstances, le poids individuel ou collectif de ces facteurs peut varier. Voyons ce que sont ces facteurs. [Non souligné dans l’original.]

 

            38.       Le mécanisme de conversion permet, lorsque cela est nécessaire, d’atténuer l’effet des restrictions et des contraintes qui découlent du caractère sommaire et expéditif de la procédure de contrôle judiciaire : par exemple, une communication de la preuve beaucoup plus limitée, une preuve par affidavit plutôt qu’un témoignage oral, des règles de contre-interrogatoire sur affidavit différentes et moins avantageuses que celles sur interrogatoire au préalable (voir Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (1998), 146 F.T.R. 249 (C.F.)).

 

            39.       Ainsi une conversion sera possible a) lorsqu’une demande de contrôle judiciaire ne fournit pas de garanties procédurales suffisantes lorsqu’on cherche à obtenir un jugement déclaratoire (Haig c. Canada, [1992] 3 C.F. 611 (C.A.F.), b) lorsque les faits permettant à la Cour de prendre une décision ne peuvent être établis d’une manière satisfaisante par simple affidavit (Macinnis c. Canada, [1994] 2 C.F. 464 (C.A.F.)), c) lorsqu’il y a lieu de faciliter l’accès à la justice et d’éviter des coûts et des délais inutiles (Drapeau v. Canada (Minister of National Defence), [1995] A.C.F. no. 536 (C.A.F.)) et d) lorsqu’il est nécessaire de remédier aux lacunes qu’une demande de contrôle judiciaire présente en matière de réparation, tel l’octroi de dommages-intérêts (Hinton c. Canada, [2009] 1 R.C.F. 476). [Non souligné dans l’original.]

 

 

[32]      Je remarque aussi que mon collègue, le juge Pinard, a récemment examiné cette question dans la décision Huntley c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 407 , au paragraphes 7 et 8, et a relevé que, pour procéder à la conversion, la cour doit conclure à l’existence de lacunes en matière de procédure ou de réparation dans le processus normal en matière de contrôle judiciaire et que la conversion ne devrait être accordée qu’en présence de « motifs très clairs » et seulement dans les cas exceptionnels où la Cour « considère que requiert tout l’appareillage d’un procès tenu en bonne et due forme. »

 

[12]           Donc, la conversion en action ne devrait avoir lieu seulement dans le plus évident des cas, du moins dans le cadre de demandes de contrôle judiciaire.

 

[13]           Comme il a été mentionné précédemment, la Cour d’appel fédérale n’a pas tranché la question de savoir si une requête visant à convertir une demande, qui n’est pas une demande de contrôle judiciaire, pouvait être présentée, mais a fait remarquer que cela « serait possible », sans toutefois se prononcer sur la question. Il ne fait aucun doute que cette observation a été faite parce que les Règles sur les Cours fédérales et la Loi sur les Cours fédérales ne contiennent aucune disposition conférant le droit à une partie de solliciter la conversion d’une demande en une action. L’on doit garder en mémoire que le paragraphe 18.4(2) aborde seulement la conversion d’une demande de contrôle judiciaire et non celle d’une demande régulière. 

 

[14]           Dans la décision Havana House Cigar & Tobacco c. Worldwide Tobacco, [2008] 73 C.P.R. (4th) 131 (CF), la Cour a eu l’occasion de se pencher sur la conversion d’une demande en une action dans une affaire de violation de droit d’auteur. L’on doit mentionner que l’article 34 de la Loi sur le droit d’auteur (la Loi) prévoit, entre autres, qu’une procédure pour violation de droit d’auteur peut être instruite par voie de requête ou par voie d’action. La Cour a fait remarquer ce qui suit dans cette affaire :

[traduction]

La question de la conversion d’une demande en une action dans le contexte de la Loi a été examinée dans d’autres affaires. À titre d’exemple, dans la décision Société canadienne de perception de la copie privée c. Fuzion Technology Corp., 2005 CF 1557, le juge Hugues a examiné la question d’une façon passablement détaillée et a formulé les observations suivantes :

 

[11]      Dans des affaires ne portant pas sur un contrôle judiciaire, dont l’affaire Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc. (2003), 25 CPR (4th) 224, un protonotaire de notre Cour était saisi d’une requête présentée par la défenderesse pour convertir en action une instance introduite sous forme de requête en vertu du paragraphe 34(4) de la Loi sur le droit d’auteur. Établissant une analogie avec l’article 18.4 de la Loi sur les Cours fédérales, le protonotaire a refusé de procéder à cette conversion pour cause d’insuffisance de la preuve. Dans l’affaire Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (1997), 76 CPR (3rd) 468, un juge de la Cour fédérale été invité à convertir en une action une demande présentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133. Une telle instance doit être introduite par voie de demande, et c’était le défendeur qui demandait la conversion. La Cour a refusé de convertir l’instance au motif que cette mesure ne semblait pas indiquée. La Cour ne s’est pas demandé si le paragraphe 18.4(2) permettait d’accorder une telle réparation.

 

[12]      On pourrait avancer que la Cour a le pouvoir inhérent de contrôler sa propre procédure et, partant, de transformer une requête en action lorsque, pour reprendre les termes de l’article 3 des Règles, cette mesure constitue la solution « juste et [...] la plus expéditive et économique possible ». Dans l’affirmative, on ne peut prétendre qu’une action est plus expéditive ou plus économique qu’une requête. Mais une telle mesure est-elle « juste »? Ici, la demanderesse avait le choix entre une requête et une action, et elle a opté pour une requête. Aucune loi et aucune règle ne la forçaient à le faire, et rien ne permet de penser que la demanderesse a fait ce choix par contrainte ou duperie. Il semble qu’elle regrette maintenant son choix parce qu’elle n’a pas pu constituer un dossier aussi exhaustif que ce qu’elle pourrait maintenant faire ou parce qu’elle considère maintenant qu’elle pourrait recueillir d’autres éléments de preuve s’il s’agissait d’une action. Le seul élément de preuve dont dispose la Cour et qui pourrait être convaincant à cet égard est le paragraphe 4 de son affidavit dans lequel Geldbloom déclare que [traduction] « la SCPCP souhaite convertir la présente requête en action afin de pouvoir présenter de nouveaux éléments de preuve [...] » Cet argument n’est pas suffisamment convaincant pour justifier la transformation en une action d’une instance que la demanderesse a elle-même choisi d’introduire sous forme de requête.

 

[13]      En résumé, le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales ne s’applique pas aux instances introduites en vertu du paragraphe 34(4) de la Loi sur le droit d’auteur et l’article 107 des Règles des Cours fédérales ne s’applique pas. Même si la Cour avait une compétence inhérente, ce qui est loin d’être certain, on n’a établi aucune raison convaincante justifiant de procéder à une conversion lorsque le choix a été fait au départ par la partie qui cherche maintenant à obtenir une telle conversion. Ce volet de la requête est rejeté. [Non souligné dans l’original.]

 

[15]           Dans cette affaire, c’est la demanderesse qui sollicitait la conversion de la demande en une action. Le juge Hugues a conclu qu’elle n’avait pas fourni de motifs impérieux pour justifier une telle conversion. Le seul élément de preuve que la demanderesse avait fourni était qu’elle voulait présenter de nouveaux éléments de preuve pour étayer sa thèse, au moyen d’une production et d’un interrogatoire préalable. On a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une justification suffisante.

 

[16]           On doit mentionner que le paragraphe 34(6) de la Loi prévoit que « [l]e tribunal devant lequel les procédures sont engagées par requête peut, s’il l’estime était suffisant pour trancher l’affaire Société canadienne de perception de la copie privée.

 

[17]           Il semblerait que ce soit les principaux précédents traitant de la question de la conversion d’une demande en une action. Ces affaires ne donnent pas une réponse définitive quant à ce qui peut être fait, bien que ce soit implicite dans l’affaire Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc. (2003) 25 CPR (4th) 224. Mais, tout compte fait, il semble logique que, si une demande de contrôle judiciaire peut être convertie en une action, alors qu’il s’agit d’une procédure qui convient, par sa nature même, à l’emploi d’une demande, une affaire en matière de violation d’une marque de commerce qui fut introduite au moyen d’une demande peut aussi être convertie en action. La compétence pour procéder à une telle conversion découle soit du pouvoir inhérent de la Cour de contrôler sa propre procédure, ou de l’article 3 des Règles, qui énonce ce qui suit : « Les présentes règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. » En appliquant l’approche prévue à l’article 3 des Règles, je conclus qu’il est possible de présenter une requête en conversion d’une demande.   

 

[18]           Il faut ensuite déterminer le fondement sur lequel une demande peut être convertie en une action. Dans Kraft, on a refusé la conversion pour cause de preuve insuffisante. On a conclu dans d’autres affaires que l’on ne devrait pas refuser à la légère à un demandeur de choisir le véhicule procédural de son choix. En l’espèce, RIM avait déjà présenté un certain nombre de ses arguments dans sa requête en radiation. Bien que la Cour d’appel fédérale ait seulement statué qu’une déclaration de violation d’une marque de commerce, ainsi que les mesures de réparation qui s’y rattache, peuvent être sollicitées au moyen d’une demande, elle a aussi examiné les préoccupations de RIM quant à la question de savoir pourquoi ce type d’instance devrait être introduite au moyen d’une action.

 

[19]           Les considérations selon lesquelles il est approprié de convertir une demande en une action, dans un cas où le demandeur s’y oppose, sont les suivantes :

·                    L’on ne devrait pas intervenir dans le choix de procédure du demandeur;

·                    Les garanties procédurales d’une demande n’offrent pas suffisamment de mesures de sauvegarde pour s’assurer que le défendeur soit traité de manière équitable;

·                    Le demandeur peut prendre des mesures qui font obstacle au droit du défendeur de présenter complètement et équitablement sa défense quant à la demande. Notons, parmi ces mesures :

§                     Le recours à un ou des affidavits dont l’auteur n’est pas directement concerné par les questions en litige;

§                     Ne pas produire la documentation pertinente;

§                     Son avocat peut se livrer à une obstruction injustifiée en s’opposant à des questions légitimes et pertinentes lors d’un contre‑interrogatoire;

·                    Le nombre de questions en litige;

·                    La complexité des questions en litige;

·                    Le nombre de parties;

·                    La possibilité de demandes reconventionnelles ou de multiplicité des instances;

·                    La crédibilité des parties est cruciale pour une décision quant aux questions en litige;

 

[20]           Cette liste, quoique non exhaustive, fournit des critères pour trancher une requête en conversion. Ce sera rarement au début de l’instruction de la demande que l’on pourra savoir lesquels de ces critères pourraient s’appliquer. À titre d’exemple, le critère de la crédibilité ne surgira seulement qu’une fois que les parties auront communiqué leur preuve. De plus, la portée complète des questions en litige ne sera claire seulement qu’après la communication de la preuve. Étant donné que les arguments de RIM sont conjecturaux, puisque la Cour n’a pas en sa possession la preuve des parties, la présente requête est par conséquent prématurée. 

 

[21]           RIM prétend aussi que de permettre que la présente affaire soit instruite en tant que demande ne serait pas cohérent avec le principe énoncé à l’article 3 des Règles, voulant que les affaires doivent être tranchées de façon à permettre une solution au litige qui soit juste, ainsi que la plus expéditive et économique possible. La présentation d’une requête, à la suite de la communication de la preuve ou des contre-interrogatoires, entrainera des dépenses additionnelles et des retards, en plus d’utiliser des ressources judiciaires limitées. C’est toujours troublant que le choix d’un véhicule dans une instance puisse créer des retards et des dépenses inutiles. Cependant, il n’y a pas suffisamment de preuve démontrant, à ce stade-ci de l’instruction, qu’il s’agit du mauvais véhicule procédural. Il incombe à la partie demandant un changement de véhicule procédural de démontrer que celui retenu ne permet pas de respecter les objectifs énoncés par l’article 3 des Règles.   

 

[22]           La Cour d’appel fédérale a jugé qu’une demande est un véhicule procédural approprié pour une instance comme celle-ci et que BBM a donc, à première vue, le droit d’opter pour le véhicule procédural de son choix. Il se pourrait très bien qu’au cours du déroulement de l’instance, des complications ou des iniquités procédurales envers RIM fassent en sorte que la présente instance se déroule mieux si elle était une demande. Si cela se produit, RIM pourra de nouveau soulever la question.  

 

[23]           À l’appui de sa prétention que la présente affaire devrait être instruite en tant que demande, BBM prétend qu’il s’agit d’une affaire simple. RIM prétend aussi que la Cour n’est pas saisie de preuve quant à la complexité de l’affaire, à des questions graves quant à la crédibilité, ou que RIM subira un préjudice dans l’éventualité où la présente affaire devait procéder en tant que demande. En effet, même si la crédibilité devient un point en litige important au cours de l’instance, une disposition des Règles des Cours fédérales donne au juge présidant l’audience la possibilité d’entendre un témoignage de vive voix. L’article 316 des Règles prévoit que la Cour peut, sur requête, autoriser un témoin à témoigner à l’audience quant à une question de fait soulevée dans une demande.

 

[24]           Donc, compte tenu des multiples facteurs mentionnés ci-dessus, BBM a choisi de procéder au moyen d’une demande, et l’on ne devrait pas lui enlever à la légère son droit au choix de la procédure; il n’y a que deux parties, les questions ne sont pas, du moins à ce stade-ci, indûment complexes, il n’y a pas de multiplicité d’instances et BBM a produit des éléments de preuve provenant de personnes-clés concernées dans l’affaire. Il reste à voir si, au cours du déroulement de l’instance, RIM subira un préjudice en raison du fait qu’elle soit contrainte de procéder au moyen d’une demande.  

 

[25]           Pour conclure, l’affaire fait l’objet d’une gestion de l’instance. Le régime de gestion des instances de la Cour fédérale convient particulièrement pour trancher toute question qui pourrait être perçue par RIM, voire même par BBM, comme portant préjudice à leurs droits de présenter complètement et équitablement leur cause.  

 

[26]           La requête est rejetée, avec dépens fixés à 1 000 $ adjugés à BBM et payables sur le champ. Cependant, le rejet de la requête est sans préjudice au droit de RIM de présenter une autre requête en conversion, dans l’éventualité où les circonstances feraient en sorte qu’il serait possible de présenter un dossier plus convaincant en faveur de la conversion de la demande en action.

 


 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La présente requête est rejetée, sans préjudice au droit de la défenderesse de présenter une autre requête en conversion.

 

2.                  Les dépens sont par les présentes fixés à 1 000 $, incluant la TVH, et payables à la demanderesse sur le champ.

 

 

« Kevin Aalto »

Protonotaire

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1304-10

 

INTITULÉ :                                       BBM CANADA

                                                            c.

                                                            RESEARCH IN MOTION LIMITED

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 mai 20111

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le protonotaire Aalto

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 28 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Peter Wells

POUR LA DEMANDERESSE

 

M. Trent Horne

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lang Michener LLP

Barristers & Solicitors

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Bennett Jones LLP

Barristers & Solicitors

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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