Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2011
En présence de monsieur le juge Harrington
ENTRE :
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ET DE L'IMMIGRATION
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s’agit du contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision d’un commissaire de la Section de la protection des réfugiés, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, dans le dossier MA8-00342, rendue le 22 novembre 2010, à l’effet que monsieur Jason, un citoyen d’Haïti, n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger.
[2] Le commissaire a conclu que M. Jason n’est pas crédible, qu’il n’est pas personnellement exposé à un risque et qu’il n’a pas de crainte subjective de persécution.
Les faits
[3] M. Jason fuit Haïti en 2006 parce qu’il craint d’être persécuté par deux voyous dénommés Doudou and Ti-Blanc du fait de son occupation en tant qu’avocat stagiaire à la marie de Port-au Prince de 1996 à 2000, un poste à temps partiel.
[4] À la mairie, son travail consiste à s’occuper des dossiers d’adoption et à rédiger les procès-verbaux lorsque des bandits sont arrêtés près de la mairie.
[5] En 1996, un voyou réputé dénommé Doudou interpelle et menace M. Jason.
[6] En 2006, Doudou interpelle et menace à nouveau M. Jason, cette fois-ci en compagnie d’un autre voyou réputé dénommé Ti-Blanc. Tous les deux élisent domicile avec les autres membres de leur gang dans le quartier de résidence de M. Jason.
[7] Le demandeur fuit Haïti pour le Canada car il craint pour sa vie. Il arrive à Montréal le 16 septembre 2006.
La crédibilité du demandeur
[8] L’avocat du demandeur a jeté un doute sur certaines conclusions de fait du commissaire, mais certainement pas sur toutes. Les lacunes relevées ne sont pas à ce point fondamentales pour infirmer la décision du commissaire.
[9] Il appert de la décision que le commissaire passe trop de temps à calculer le nombre d’heures de travail hebdomadaire de M. Jason, un point qui n’en demeure pas moins un point périphérique. De même, le commissaire n’accepte pas l’allégation que le maire arrête personnellement des bandits. Cette conclusion semble le fruit de spéculation plutôt qu’une conclusion raisonnable basée sur le fondement de faits établis.
[10] Toutefois, et malgré les observations de l’avocat du demandeur à l’effet que les conclusions invraisemblables de M. Jason peuvent être expliquées, il n’en demeure pas moins que le demandeur est vague quant au nombre de fois et par qui il a été interpellé et menacé. Est-ce seulement deux fois, en 1996 et en 2006? A-t-il été menacé en 1996, 1997, 1998 et 2006? Est-ce seulement Doudou et Ti-Blanc qui le persécutent? Y a-t-il d’autres membres impliqués?
[11] Il importe de rappeler l’affaire Stein c Kathy K (le), [1976] 2 RCS 802, [1975] ACS No 104 (QL), même si celle-ci discute plutôt de conclusions de fait d’un juge de la première instance que celles d’un tribunal administratif. Le juge Ritchie déclare :
[7] Sous ce rapport, reportons-nous aux propos de [page807] lord Sumner dans S.S. Honestroom (Owners) v. S.S. Sagaporack (Owners), [1927] A.C. 37, aux p. 47 et 48:
[TRADUCTION] ... le fait de ne pas avoir vu les témoins place les juges d'une cour d'appel dans une situation qui reste désavantageuse par rapport à celle du juge de première instance et, à moins que l'on ne démontre que ce dernier a omis de profiter de cet avantage, ou qu'il s'en est clairement servi a mauvais escient, la cour d'instance supérieure ne doit pas prendre la responsabilité d'infirmer des conclusions ainsi tirées, lorsqu'elle ne se base que sur le résultat de ses propres comparaisons et critiques des témoins et de sa propre opinion sur les probabilités de l'affaire. Le déroulement du procès et tout le fond du jugement doivent être examinés, et il ne s'agit pas de déterminer si la crédibilité d'un témoin a été établie par contre-interrogatoire ou si le juge a trouvé incroyables les déclarations de ce témoin. Si son appréciation de l'homme forme une partie substantielle des motifs de son jugement, les conclusions du juge de première instance sur les faits, d'après ce que je comprends des décisions, doivent être laissées intactes. Dans l'affaire The Julia, (1860) 14 Moo. P.C. 210, à la p. 235, lord Kingsdown s'exprime ainsi:
Ceux qui, dans de telles circonstances, demandent au présent Comité d'infirmer une décision de la Cour d'instance inférieure sur un point de ce genre entreprennent une tâche difficile sinon impossible ... Pour infirmer cette décision nous devons non seulement douter de son bien-fondé, mais également être convaincus qu'elle est erronée.
(Les italiques sont de moi).
Dans la même affaire, lord Sumner fait sienne la règle établie par le lord juge James dans The Sir Robert Peel, (1880), 4 Asp. M.L.C. 321, à la p. 322:
[TRADUCTION] La Cour n'a pas l'intention de s'écarter de la règle qu'elle a elle-même établie à l'effet qu'elle ne doit pas infirmer la décision d'une cour d'instance inférieure sur une question de fait au sujet de laquelle le juge a eu l'avantage de voir les témoins et d'observer leur comportement, à moins que la Cour ne découvre un fait dominant qui, en regard des autres, a créé une fausse impression.
Lorsqu'il a rendu le jugement de cette Cour dans Prudential Trust Co. Ltd. c. Forseth, [1960] R.C.S. 210, le juge Martland a, à la p. 216, fait siens tous ces passages, [page808] y compris le suivant tiré des motifs de jugement de lord Shaw dans Clarke v. Edinburgh Tramways Co., [1935] A.C. 243, à la p. 36, que cite d'ailleurs lord Sankey dans l'affaire Powell v. Streatham Manor Nursing Home, [1919] S.C. (H.L.) 35, à la p. 250:
[TRADUCTION] "Moi qui ne puis profiter de ces avantages, parfois marqués, parfois subtils, dont bénéficie le juge qui entend la preuve et qui préside le procès,suis-je en mesure de conclure avec certitude en l'absence de ces avantages, que le juge qui en a bénéficié a commis une erreur manifeste? Si je ne puis me convaincre que le juge qui en a bénéficié a commis une erreur manifeste, il est alors de mon devoir de déférer à son jugement."
On ne doit pas considérer que ces arrêts signifient que les conclusions sur les faits tirées en première instance sont intangibles, mais plutôt qu'elles ne doivent pas être modifiées à moins qu'il ne soit établi que le juge du procès a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits. Bien que la Cour d'appel ait l'obligation de réexaminer la preuve afin de s'assurer qu'aucune erreur de ce genre n'a été commise, j'estime qu'il ne lui appartient pas de substituer son appréciation de la prépondérance des probabilités aux conclusions tirées par le juge qui a présidé le procès.
[12] Dans Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) (1998), 157 FTR 35, le juge Evans, alors juge à la Première instance de la Cour fédérale, déclare :
Il est bien établi que l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale n'autorise pas la Cour à substituer son opinion sur les faits de l'espèce à celle de la Commission, qui a l'avantage non seulement de voir et d'entendre les témoins, mais qui profite également des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d'expertise. En outre, sur un plan plus général, les considérations sur l'allocation efficace des ressources aux organes de décisions entre les organismes administratifs et les cours de justice indiquent fortement que le rôle d'enquête que doit jouer la Cour dans une demande de contrôle judiciaire doit être simplement résiduel. Ainsi, pour justifier l'intervention de la Cour en vertu de l'alinéa 18.1(4)d), le demandeur doit convaincre celle-ci, non seulement que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement erronée, mais aussi qu'elle en est venue à cette conclusion "sans tenir compte des éléments dont [elle disposait]" [...]
[13] Les conclusions du commissaire à l’effet que M. Jason n’est pas en mesure de prouver la présence d’un risque personnalisé et n’a pas une crainte subjective de persécution sont raisonnables
[14] Il est venu au Canada avec un visa de visiteur, il a tenté sans succès de le renouveler et il est au Canada pour une bonne période de temps sans statut avant de demander l’asile au bureau intérieur de Citoyenneté et Immigration Canada à Montréal, le 5 décembre 2007. Il est un homme scolarisé. Il est en mesure de traiter sa demande de visa de visiteur mais n’est pas en mesure de déposer une demande de réfugié, du moins jusqu’à ce qu’il rencontre, par chance, un ancien ami dans un autobus qui lui donne les outils nécessaires pour le faire. Cela est contraire au bon sens.
[15] Lorsqu’on lui demande pourquoi il craint retourner à Haïti, au lieu de parler de sa crainte des voyous Doudou et Ti-Blanc, il parle plutôt de crime généralisé. Une telle situation ne donne pas lieu à un risque personnel justifiant la protection sollicité par le demandeur.
[16] Il semble que la raison pour laquelle M. Jason demande le statut de réfugié est que ce dernier veut tout simplement avoir une meilleure vie pour lui-même, ainsi que pour son épouse et son fils qui sont toujours en Haïti.
ORDONNANCE
POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI-DESSUS;
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.
"Sean Harrington"
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-7290-10
INTITULÉ : JASON c MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : le 21 juillet 2011
ET ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS ET DE
L’ORDONNANCE : le 26 juillet 2011
COMPARUTIONS :
Mylène Barrière
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POUR LE DEMANDEUR |
Boris Stoichkov |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mylène Barrière Avocate Montréal (Québec)
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec) |