Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20110721

Dossier : T‑2006‑10

Référence : 2011 CF 911

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2011

En présence de madame la juge Tremblay‑Lamer

 

 

ENTRE :

 

SANDRA BUSCHAU, SHARON M. PARENT,

ALBERT POY, DAVID ALLEN,

EILEEN ANDERSON, CHRISTINE ASH,

FEDERICK SCOTT ATKINSON,

JASPAL BADYAL, MARY BALFRY,

CAROLYN LOUISE BARRY, RAJ BHAMBER,

EVELYN BISHOP,

DEBORAH LOUISE BISSONNETTE,

GEORGE BOSHKO, COLLEEN BURKE,

BRIAN CARROLL, LYNN CASSIDY, FLORENCE K. COLBECK,

PETER COLISTRO, ERNEST A. COTTLE, KEN DANN, DONNA DE FREITAS,

TERRY DEWELL, KATRIN DOLEMEYER,

ELIZABETH ENGEL, KAREN ENGLESON

GEORGE FIERHELLER, JOAN FISHER

GWEN FORD, DON R. FRASER,

MABEL GARWOOD, CHERYL GERVAIS,

ROSE GIBB, ROGER GILODO,

MURRAY GJERNES, DAPHNE GOODE,

KAREN L. GOULD, PETER JAMES HADIKIN,

MARIAN HEIBLOEM‑REEVES,

THOMAS HOBLEY, JOHN IANNANTUONI,

VINCENT A. IANNANTUONI, RON INGLIS,

MEHROON JANMOHAMED,

MICHAEL J. JERVIS, MARLYN KELLNER,

KAREN KILBA,

DOUGLAS JAMES KILGOUR,

YOSHINORI KOGA,

MARTIN KOSULJANDIC,

 

 

URSULA M. KREIGER, WING LEE,

ROBERT LESLIE,

THOMAS A. LEWTHWAITE, HOLLY LI, DAVID LIDDELL, RITA LIM,

BETTY C. LLOYD, ROB LOWRIE,

CHE‑CHUNG MA,

JENNIFER MACDONALD,

ROBERT JOHN MACLEOD,

SHERRY M. MADDEN, TOM MAKORTOFF,

FATIMA MANJI, EDWARD B. MASON,

GLENN A. MCFARLANE,

ONAGH METCALFE,

DOROTHY MITCHELL,

SHIRLEY C.T. MUI, WILLIAM NEAL,

KATHERINE SHEILA NIMMO,

GLORIA PAIEMENT, LYNDA PASACRETA,

BARBARA PEAKE, VERA PICCINI,

INEZ PINKERTON, DAVE PODWORNY,

DOUG PONTIFEX, VICTORIA PROCHASKA,

FRANK RADELJA, GALE RAUK,

RUTH ROBERTS, ANN LOUISE RODGERS,

CIFFORD JAMES ROE,

PAMELA MAMON ROE, DELORES ROSE,

SABRINA ROZA‑PEREIRA,

SANDRA RYBCHINSKY,

KENNETH T. SALMOND,

MARIE SCHNEIDER,

ALEXANDER C. SCOTT,

INDERJEET SHARMA,

HUGH DONALD SHIEL,

MICHAEL SHIRLEY,

GEORGE ALLEN SHORT,

GLENDA SIMONCIONI,

NORM SMALLWOOD,

GILLES A. ST. DENNIS, GERI STEPHEN,

GRACE ISOBEL STONE, MARI TSANG,

CARMEN TUVERA, SHEERA WAISMAN,

MARGARET WATSON,

GERTRUDE WESTLAKE,

ROBERT E. WHITE,

PATRICIA JANE WHITEHEAD,

AILEEN WILSON, ELAINE WIRTZ,

JOE WUYCHUK, ZLATKA YOUNG

 

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

ROGERS COMMUNICATIONS INCORPORATED

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande a pris naissance dans le contexte d’un long litige entre Rogers Communications Inc. (la défenderesse) et un groupe d’anciens employés (les demandeurs) relativement à un important surplus actuariel qui s’est accumulé dans un régime de retraite à prestations déterminées. Les demandeurs prétendent y avoir droit. La défenderesse n’est pas d’accord et soutient qu’elle a le droit d’ouvrir le régime de retraite à de nouveaux participants et qu’elle peut en raison de l’existence d’un surplus actuariel s’accorder des périodes d’exonération de cotisations en ce qui concerne ces nouveaux participants.

 

[2]               Le litige, à différents stades et sous plusieurs formes, a été porté devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, la Cour suprême du Canada, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale.

 

[3]               Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire d’une décision, datée du 4 novembre 2010, d’un surveillant principal de la Division des régimes de retraite privés du Bureau du surintendant des institutions financières. Les demandeurs lui avaient demandé de se prononcer sur huit questions relatives à leur litige avec le défendeur. Le surveillant principal a conclu, essentiellement, que la majeure partie des arguments soulevés par les demandeurs avaient déjà été tranchés et que la surintendante n’avait pas le pouvoir législatif d’examiner de nouveau l’affaire.

 

I. Le contexte

 

[4]               Les demandeurs sont des participants à un régime de retraite à prestations déterminées qui a été créé en 1974 par leur ex‑employeur, Premier Cablevision Ltd. (par la suite Premier Communications Ltd. – que je désignerai ci‑dessous Premier). Le régime de retraite (le régime de Premier) a été établi au moyen de deux documents : une convention de fiducie, entre Premier à titre de constituant, et Canada Trust à titre de fiduciaire, et un document relatif au régime, qui consistait en un ensemble de règles et qui était annexé à titre de pièce à la convention de fiducie. Les modalités pertinentes du régime de Premier peuvent se résumer comme suit :

[traduction]

·        Premier devait [traduction] « contribuer au régime les sommes requises selon les calculs de l’actuaire […] pour financer les prestations accumulées aux participants en vertu du régime ». Les employés pouvaient faire des cotisations volontaires pour augmenter leurs prestations, mais les cotisations nécessaires devaient provenir entièrement de Premier.

 

·        Premier se réservait le droit de modifier le régime, pour autant que la modification [traduction] « n’autorise ou ne permet[te] qu’une partie de l’actif de la caisse soit utilisée ou affectée à d’autres fins que le bénéfice exclusif » des personnes désignées dans le régime.

 

·        Si la caisse en fiducie affichait un surplus actuariel [traduction] « ledit surplus [pouvait] être utilisé pour accorder d’autres prestations de retraite ou droits à des prestations de retraite aux participants qui [étaient] à la retraite et/ou aux autres participants respectivement ».

 

·        Premier s’attendait à ce que le régime subsiste indéfiniment. Cependant, dans l’éventualité d’une cessation du régime, les prestations des participants devaient être maintenues et [traduction] « le solde de l’actif restant dans la caisse en fiducie », une fois toutes les dettes acquittées, devait être [traduction] « réparti par le comité [du régime de retraite] aux autres participants ».

 

 

[5]               En 1980, Rogers Cablesystems Inc. (qui est devenue par la suite Rogers Communications Inc. – que je désignerai ci‑dessous Rogers) a acquis Premier. En acquérant Premier, elle a également acquis les droits et les obligations de Premier en vertu du régime de Premier.

 

[6]               En 1983, l’actuaire du régime de Premier a déclaré que le régime affichait un surplus d’environ 800 000 $ et, en avril 1984, il a recommandé qu’une partie de ces surplus soit utilisée pour accroître les prestations des participants. Rogers a rejeté cette recommandation et l’actuaire a été remplacé un mois plus tard.

 

[7]               En juillet 1984, Rogers a fermé le régime aux nouveaux participants et a commencé à s’accorder des périodes d’exonération de cotisations. Rogers estimait avoir droit, en plus des périodes d’exonération de cotisations, à un remboursement d’une partie de ses cotisations passées, en raison de l’importance du surplus. Canada Trust, le fiduciaire du régime, a fait savoir qu’il ne permettrait un remboursement que si Rogers lui fournissait un avis juridique indiquant que le remboursement demandé avait trait à des cotisations qui avaient été faites par erreur et que le remboursement était permis en vertu du droit des fiducies.

 

[8]               Rogers a remplacé Canada Trust comme fiduciaire par National Trust en octobre 1984. Le surplus actuariel du régime de Premier s’élevait alors à environ 1,7 million de dollars.

 

[9]               En juin 1985, le nouvel actuaire du régime de Premier a demandé au Département des Assurances fédéral de permettre à Rogers de retirer 968 285 $ de la caisse en fiducie du régime (la fiducie de Premier). L’actuaire a fait savoir que le texte du régime était en voie d’être [traduction] « réécrit », et que la nouvelle version permettrait les remboursements. En se fondant sur ces renseignements, le Département a approuvé le retrait par une lettre datée du 14 juin 1984. Cependant, quatre jours plus tard, le directeur de la Division des régimes de retraite du Département a écrit à l’actuaire et exprimé certaines préoccupations sur le retrait projeté :

[traduction]

Quoique nous ne pensions pas qu’une barrière légale fasse actuellement obstacle au retrait du surplus, nous estimons que le promoteur du régime s’est engagé moralement à hausser les prestations pour services passés et à fournir des prestations de retraite supplémentaires selon ce qui était indiqué dans le carnet de l’employé original et il assez déconcertant de constater que le promoteur ait changé d’avis à cet égard.

 

De plus le régime précise que, dans l’éventualité de sa cessation, une fois toutes les dettes envers les participants à la retraite acquittées, le solde des actifs doit être distribué par le comité aux participants restants.

 

Par conséquent, s’il devait y avoir cessation du régime dans un avenir prochain, les participants au régime pourraient avoir le droit de recouvrer une partie du surplus qui aura été retiré.

 

 

[10]           En juillet 1985, National Trust a transféré 926 285 $ de la fiducie de Premier à Rogers sans exiger un avis juridique.

 

[11]           En décembre 1992, Rogers a modifié le régime de Premier de façon à le fusionner avec quatre autres régimes de retraite, dont trois accusaient un déficit, afin de créer un nouveau régime fusionné que je désignerai comme le régime de Rogers. Les modalités du régime de Rogers étaient différentes de celles du régime de Premier. Le régime de Rogers prévoyait notamment que Rogers avait droit à tout surplus à la cessation du régime (contrairement au régime de Premier aux termes duquel les participants avaient droit au surplus à la cessation). En fait, le nouveau régime permettait à Rogers d’avoir accès à tout surplus actuariel (contrairement au régime de Premier qui interdisait que des fonds soient affectés à d’autres fins que le bénéfice exclusif des participants au régime).

 

[12]           Une note de service interne de Rogers datée du 22 avril 1993 indiquait que Rogers poursuivait les objectifs suivants en ce qui concerne le régime de Premier : [traduction] « avoir accès au surplus » du régime et réduire au minimum les ressources consacrées à sa gestion. La note de service se concluait ainsi : [traduction] « Nous avons pu atteindre les objectifs susmentionnés en combinant tous les régimes à prestations déterminées en un seul régime ».

 

[13]           Les participants au régime de Premier ont introduit une action contre Rogers en 1995. Ils soutenaient que : a) les retraits effectués en 1985 étaient irréguliers, b) les périodes d’exonération de cotisations que Rogers s’était accordées jusque‑là n’étaient pas permises aux termes du régime, c) Rogers avait agi de mauvaise foi en faisant défaut d’utiliser le surplus pour accroître les prestations des membres et d) la fusion des régimes en 1992 était illégale et devait être annulée.

 

[14]           Au cours du procès, Rogers a concédé que la somme de 968 285 $ avait été retirée du régime de Premier de façon irrégulière. Elle a convenu de rembourser cette somme à la fiducie avec les intérêts.

 

[15]           Le juge P.D. Lowry de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique (C.S. C.‑B.) a rendu sa décision sur les questions restantes dans Buschau c. Rogers Cablesystems Inc, (1998), [1998] B.C.J. no 2252, 82 ACWS (3d) 1014 (CS). En ce qui avait trait aux périodes d’exonération de cotisations, il a conclu que le texte du régime de Premier les permettait, mais que, en tout état de cause, ce n’était pas à bon droit que Rogers s’était accordé des périodes d’exonération avant 1987 parce que le Règlement en vigueur, pris en vertu de la Loi sur les normes des prestations de pension, LRC 1970, ch. P‑8, ne les permettait pas. En dépit de cette conclusion, le juge a néanmoins statué que les demandeurs n’avaient pas le droit en vertu de la Loi d’exiger le paiement des cotisations manquantes pour les années 1984, 1985 et 1986 parce que le délai de prescription applicable était écoulé. En ce qui a trait à l’allégation de mauvaise foi, la Cour a conclu que les modalités du régime de Premier étaient permissives et que Rogers n’était pas tenue pour cette raison d’utiliser le surplus actuariel pour accroître les prestations des participants. Enfin, la Cour a conclu à la validité de la fusion de 1992 qui avait donné lieu au régime de Rogers. Les participants au régime ont interjeté appel à la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (C.A. C.‑B.).

 

[16]           Dans Buschau c. Rogers Cablesystems Inc, 2001 BCCA 16, [2001] B.C.J. no 50 [Buschau I], la C.A C.‑B. a confirmé la décision du juge Lowry en tous points sauf en ce qui concerne la fusion de 1992. Sur cette question, la Cour d’appel a conclu que, quoique valide, la fusion des régimes de retraite n’avait aucun effet sur la fiducie de Premier qui continuait d’exister en equity comme une entité distincte. La Cour d’appel a expliqué qu’il en était ainsi parce que les participants au régime de Premier avaient conservé des droits qui étaient distincts des droits des participants aux autres régimes ayant été fusionnés et que l’employeur ne pouvait pas les annuler unilatéralement.

 

[17]           En particulier, la C.A. C.‑B. était d’avis que, comme le régime de Premier avait été fermé à de nouveaux bénéficiaires depuis 1984, les participants avaient le droit d’invoquer la règle énoncée dans Saunders c. Vautier (1841), Cr & Ph 240, 41 ER (Ch D) [Saunders c. Vautier] pour mettre fin à la fiducie de Premier, avec le consentement de tous les participants, et de recevoir le surplus de la fiducie à la cessation, comme cela était permis aux termes du régime de Premier. La Cour a essentiellement conclu que les participants conservaient, relativement à la fiducie de Premier, deux droits distincts de ceux des participants aux autres régimes qui ont été fusionnés du fait que la fiducie de Premier avait continué d’exister comme entité distincte : a) le droit d’invoquer Saunders c. Vautier et b) le droit de recevoir le surplus du régime à la cessation.

 

[18]           Les participants ont prié la C.A. C.‑B. d’ordonner qu’il soit mis fin à la fiducie de Premier en vertu de la règle énoncée dans Saunders c. Vautier. Rogers s’est opposée à la demande et a notamment soutenu qu’elle avait le droit de rouvrir le régime de Premier à de nouveaux participants. Elle a fait valoir que cela maintenait active cette catégorie de bénéficiaires, de sorte que les participants ne pouvaient invoquer Saunders c. Vautier.

 

[19]           Dans Buschau c. Rogers Communications Inc, 2002 BCSC 624, [2002] B.C.J. no 865, la Cour suprême de Colombie‑Britannique a rejeté l’argument de Rogers. Elle est arrivée à la conclusion que la modification de 1984 visant à fermer le régime de Premier n’indiquait aucune intention de le rouvrir dans le futur et, qu’en fait, Rogers projetait de rouvrir le régime dans le seul but d’empêcher les participants de mettre fin à la fiducie et d’avoir accès au surplus. La Cour suprême de Colombie‑Britannique a ordonné à Rogers de divulguer les noms de tous les participants au régime de Premier, de façon à ce que les consentements requis puissent être obtenus. Dans Buschau c. Rogers Communications Inc, 2003 BCSC 683, [2003] B.C.J. no 1025, la Cour a conclu que le consentement des 144 participants au régime avait été obtenu et elle a ordonné la cessation de la fiducie de Premier. On estimait alors que le surplus actuariel s’élevait à environ 11 millions de dollars.

 

[20]           Rogers a interjeté appel de la décision. Dans Buschau c. Rogers Communications Inc, 2004 BCCA 80, [2004] B.C.J. no 297 [Buschau II], la Cour d’appel a confirmé la conclusion de la cour inférieure selon laquelle Rogers ne pouvait pas rouvrir le régime. À cet égard, elle a indiqué ce qui suit :

[traduction]

J’estime que les circonstances particulières de la présente affaire empêchent [Rogers] d’exercer maintenant son droit de « rouvrir » le régime à de nouveaux participants et de leur permettre de partager avec les participants existants les prestations accumulées dans la fiducie, y compris le surplus.  Le régime a été déclaré fermé en 1984 et, comme l’a dit la juge en chambre : « c’est en réaction aux démarches des participants visant à mettre fin au régime et à obtenir le surplus que [Rogers] a songé pour la première fois à rouvrir ».  Toute initiative qui viserait maintenant à rouvrir le régime à d’autres employés de [Rogers] serait, compte tenu de ce qui s’est passé antérieurement, considérée à bon droit comme un autre stratagème de [Rogers] semblable à celui qu’elle a employé, il y a quelques années, pour bénéficier du surplus actuariel de la fiducie de Premier – la prétendue « fusion » du régime avec d’autres régimes qui n’affichaient pas un surplus.  On arriverait à un résultat similaire : parce qu’il a manqué à son obligation de fiduciaire ou à son obligation d’agir de bonne foi, l’employeur serait tenu de rendre compte aux participants existants comme si le régime n’avait pas été rouvert. […]

 

 

[21]           Tout en convenant que la règle énoncée dans Saunders c. Vautier pouvait être invoquée, la Cour d’appel a conclu que le consentement de certains bénéficiaires désignés n’avait pas encore été obtenu. Les participants ont entrepris de recueillir les consentements manquants. Une fois ces consentements recueillis, ils sont revenus devant la Cour d’appel, qui a ordonné qu’il soit mis fin à la fiducie de Premier et que les actifs de la fiducie soient répartis entre les participants, après le paiement de toutes les dettes et dépenses nécessaires (Buschau c. Rogers Communications Inc, 2004 BCCA 282, 27 BCLR (4th) 17). Rogers a interjeté appel de ces décisions à la Cour suprême du Canada.

 

[22]           Dans Buschau c. Rogers Communications Inc, 2006 CSC 28, [2006] 1 R.C.S. 973 [Buschau III], la Cour suprême a conclu que la règle énoncée dans Saunders c. Vautier ne s’appliquait pas aux fiducies de retraite. Elle a annulé la décision de la C.A. C.‑B. Cependant, la Cour suprême a également indiqué que les participants au régime de Premier pouvaient demander à la surintendante des institutions financières (la surintendante), qui s’est vu conférer un important rôle de contrôle et de supervision aux termes de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, LRC 1985, ch. 32 (et ses modifications) [LNPP], qu’il soit mis fin à la partie du régime de Rogers correspondant au régime de Premier, de façon à ce qu’il y ait répartition de l’actif de la caisse en fiducie de Premier. À cet égard, la Cour a fait remarquer au paragraphe 41 que « [l]a cessation du Régime […] pourrai[t] être retardé[e] si Rogers avait le droit de modifier le Régime de manière à l’ouvrir à de nouveaux participants ». Quoiqu’elle ait reconnu que la reconnaissance d’un tel droit puisse poser problème, étant donné la décision exécutoire de la C.A. C.‑B. dans Buschau I, elle a laissé la question en suspens :

44     Si Rogers pouvait modifier le régime fusionné de RCI de manière à l’ouvrir à de nouveaux participants, il n’est pas certain que la caisse en fiducie de Premier pourrait servir à capitaliser les prestations dues aux nouveaux participants sans enfreindre le jugement qui lie Rogers.  Les tribunaux d’instance inférieure ont considéré que l’utilisation de la caisse en fiducie de Premier pour capitaliser des prestations destinées à de nouveaux participants ou pour capitaliser des prestations dues aux participants d’un régime fusionné revenait au même.  Je n’ai pas à me prononcer de manière définitive sur la possibilité de modifier le Régime car, sauf dans la mesure où Rogers est liée par l’arrêt Buschau no 1, cela est du ressort du surintendant.

 

45     Les participants peuvent demander au surintendant de mettre fin en partie au régime de RCI dans la mesure où il a trait au Régime.  Le surintendant peut apprécier les faits et examiner tout nouvel argument que Rogers ou les participants peuvent avancer.  Il est le mieux placé pour assurer la cessation ordonnée de la partie du régime de RCI qui concerne les participants.

 

46     Si le surintendant décide que Rogers ne peut pas modifier le Régime de manière à l’ouvrir à de nouveaux participants, il ne servira peut‑être à rien de maintenir le Régime si un tiers, telle une compagnie d’assurances, peut verser les prestations de retraite sous forme de rentes comme celles versées à la cessation d’un régime fondée sur la LNPP.

 

 

[23]           Le 30 juin 2006, les participants au régime de Premier ont demandé à la surintendante de statuer qu’il avait déjà été mis fin à la partie du régime de Rogers correspondant au régime de Premier ou, subsidiairement, de déclarer la cessation du régime en vertu du paragraphe 29(2) de la LNPP, ou d’ordonner qu’il soit mis fin au régime en vertu du paragraphe 11(2) de la LNPP. De plus, les participants ont demandé de destituer Rogers comme administrateur du régime. Rogers s’est opposée aux demandes des participants et a présenté sa propre demande. Elle a indiqué qu’elle avait révoqué la fusion du régime de Premier avec le régime de Rogers et qu’elle avait décidé de rouvrir le régime de Premier aux nouveaux employés de Rogers. Elle a demandé l’approbation de la surintendante.

 

[24]           Le 27 avril 2007, la surintendante (qui était alors, surintendante intérimaire) a rendu sa décision relativement aux deux demandes (la décision de 2007). Elle a commencé sa décision en donnant une vue d’ensemble des régimes de retraite privés et du Bureau du surintendant des institutions financières. Dans le cadre de son exposé, elle indiquait qu’« aucun participant ne peut réclamer une part d’un excédent actuariel sans qu’il ne soit mis fin au régime ». Elle notait en outre que la cessation par l’autorité de réglementation constituait une « mesure extrême ».

 

[25]           En ce qui concerne la demande de Rogers, la surintendante a fait ressortir le fait que les documents du régime de Premier permettaient à Rogers de modifier le régime et la fiducie et elle a conclu que Rogers, par sa décision de révoquer la fusion et de rouvrir le régime, n’agissait pas en contravention de la LNPP, des modalités du régime ou de la fiducie, ou des pratiques financières ou commerciales saines. Elle a déclaré être « d’avis que l’objet général du Régime [était] maintenu et que le Régime [était] conforme aux critères et aux normes de capitalisation ».

 

[26]           En ce qui concerne les requêtes des participants relatives à la cessation, la surintendante est arrivée aux conclusions suivantes. Sur la question de savoir si la « cessation » du régime de Premier au sens de la LNPP avait eu lieu, la surintendante a conclu négativement. Des prestations continuaient d’être portées au crédit de deux participants et, en tout état de cause, Rogers avait choisi de maintenir le régime pour les nouveaux employés.

 

[27]           À la question de savoir si elle exercerait son pouvoir discrétionnaire de déclarer la cessation du régime en vertu de l’alinéa 29(2)a) de la LNPP, au motif qu’il y avait eu « suspension ou […] arrêt de paiement des cotisations patronales », la surintendante a répondu par la négative. La surintendante a fait remarquer que la suspension des cotisations au régime résultait du fait que Rogers s’était accordé des périodes d’exonération de cotisation comme le lui permettait la LNPP. Elle a indiqué que « [l]e Régime respecte les normes prescrites de solvabilité, les prestations des Participants ne sont pas menacées, le Régime est conforme à la LNPP, et [que] l’objet du Régime n’a pas été contrecarré ». Elle a de plus conclu que la cessation du régime ne protégerait ni l’objet du régime de Premier ni les prestations de retraite. Elle a conclu :

Le fait que le Régime pourrait être liquidé après sa cessation et que les Participants pourraient avoir droit à l’excédent ne suffit pas à justifier mon intervention pour déclarer la cessation du Régime. La cessation est une mesure extrême, et je ne dispose pas de raisons suffisantes pour m’ingérer dans l’administration et le fonctionnement du Régime en en déclarant la cessation.

 

[28]           Dans le même ordre d’idée, la surintendante a décidé de refuser d’ordonner à Rogers de mettre fin au régime, car elle était d’avis que Rogers se conformait aux conditions du régime et aux dispositions de la LNPP.

 

[29]           Sur la question de savoir s’il convenait de remplacer Rogers comme administrateur, la surintendante a déclaré ce qui suit :

Même si l’historique de l’administration du Régime par [Rogers] a été remise en question, je ne suis pas d’avis que [Rogers] administre présentement ledit régime en contravention des modalités de celui‑ci (ou de celles de la caisse du Régime) ou de la LNPP, ou contrevient aux pratiques financières et commerciales sûres et saines. J’estime par conséquent que le remplacement de l’administrateur du Régime ne servirait pas au mieux les intérêts des participants dudit régime, et je refuse de destituer l’administrateur actuel et de nommer un administrateur remplaçant.

 

 

[30]           Les participants ont présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de 2007 à la Cour fédérale. Dans Buschau c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1023, [2008] A.C.F. no 1283, mon collègue le juge John O’Keefe a déterminé que la question décisive était celle de savoir si la surintendante avait commis une erreur en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 29(2) de la LNPP. Il a répondu à cette question de manière affirmative, a accueilli la demande et a renvoyé l’affaire à la surintendante pour qu’elle procède à un nouvel examen.

 

[31]           Le juge O’Keefe a expliqué que la surintendante n’avait pas déterminé l’étendue de son pouvoir discrétionnaire selon ce qui est énoncé par la Cour suprême dans Buschau III et qu’elle avait pour cette raison rendu une décision qui était déraisonnable au vu de la preuve dont elle disposait. Il a en particulier conclu, au paragraphe 51, qu’elle n’avait pas reconnu que « même des périodes légitimes d’exonération de cotisation qui sont valides en vertu de la Loi peuvent être considérées comme illégitimes pour l’application de l’alinéa 29(2)a) si ces périodes servent à masquer un refus irrégulier de la part de l’employeur de mettre fin à un régime ». À cet égard, il a fait référence à la preuve selon laquelle Rogers avait modifié irrégulièrement le régime de Premier et remplacé l’actuaire et fiduciaire peu coopératif – le tout dans le dessein de s’approprier le surplus du régime. Le juge O’Keefe a en outre conclu que la surintendante n’avait pas pris en compte son obligation envers les employés aux termes de l’alinéa 29(2)a).

 

[32]           Rogers a interjeté appel de cette décision à la Cour d’appel fédérale et, dans Buschau c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 258, [2009] A.C.F. no 1119 [Buschau IV], la Cour d’appel a infirmé la décision de la cour inférieure et a confirmé la raisonnabilité de la décision de la surintendante. La Cour d’appel, au paragraphe 43, a indiqué que la question cruciale consistait essentiellement à « savoir si, en autorisant [Rogers] à révoquer la fusion du Régime et à modifier celui‑ci afin d’y laisser participer les nouveaux employés […], la surintendante a[vait] mal exercé son pouvoir discrétionnaire ou commis une erreur de droit susceptible de révision ». La Cour d’appel a indiqué que, si la surintendante avait le droit de permettre la réouverture du régime de Premier, alors sa conclusion selon laquelle le maintien du régime constituait un objectif valable n’était pas déraisonnable.

 

[33]           La Cour d’appel fédérale (CAF) a expliqué que la Cour suprême du Canada n’avait pas tranché la question de savoir si la décision de la C.A. C.‑B. dans Buschau I empêchait Rogers de rouvrir le régime de Premier. La CAF a fait remarquer que les commentaires dans Buschau II selon lesquels Rogers était empêchée de rouvrir le régime reposaient sur la croyance erronée que les participants au régime avaient le droit d’invoquer Saunders c. Vautier pour mettre fin au régime de Premier. Étant donné l’inexistence de ce droit, la Cour d’appel a conclu que rien dans la décision exécutoire de Buschau I, ou en général, n’empêchait Rogers de rouvrir le régime de Premier à de nouveaux participants.

 

[34]           De plus, la CAF a conclu que la décision de la surintendante « qu’il serait plus conforme aux objectifs tant du Régime que de la LNPP d’affecter le surplus actuariel du Régime à la capitalisation des pensions de retraite destinées aux participants au Régime, y compris ses nouveaux participants, plutôt que d’accorder un gain fortuit aux participants actuels, car il aurait fallu pour cela mettre un terme à un régime de retraite viable » n’était nullement déraisonnable.

 

[35]           La Cour a indiqué, au paragraphe 53, que « [à] partir du moment où la surintendante a décidé d’autoriser les modifications apportées au Régime, la question de la cessation de celui‑ci devait être examinée à la lumière de l’existence d’un régime viable et du nombre croissant de ses participants ». Étant donné l’existence d’un régime viable avec un nombre croissant de participants, la Cour a conclu qu’il n’y avait rien de déraisonnable dans les conclusions de la surintendante relativement à la cessation.

 

[36]           Les participants ont demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la CAF à la Cour suprême du Canada. La demande d’autorisation a été rejetée le 8 avril 2010.

 

[37]           Le 30 juin 2010, les participants ont adressé à la surintendante une liste de huit questions qui, estimaient‑ils, n’avaient pas été traitées dans sa décision de 2007 ou qui avaient pris naissance depuis cette décision. Il s’agissait de savoir :

[traduction]

(1)               Si Rogers a renoncé à son droit de modifier le régime de retraite de Premier de façon à y ajouter les nouveaux employés de Cable Inc. à titre de participants en raison de son manquement à son obligation de fiduciaire au titre du paragraphe 8(3) de la LNPP ou parce qu’elle est en conflit d’intérêts au sens de l’alinéa 8(10)b) de la LNPP, et au sens du paragraphe 38 de la décision de la CSC […]

 

(2)               Si Rogers est liée par l’arrêt Buschau (I) (autorité de la chose jugée) portant que les participants existants au régime de retraite de Premier ont conservé le droit exclusif de toucher le surplus qu’affichait leur régime de retraite […]

 

(3)                Si Rogers peut utiliser le surplus du régime de retraite de Premier pour financer des prestations pour de nouveaux participants ou pour s’accorder des périodes d’exonération de cotisations relativement à de nouveaux participants, compte tenu en particulier des principes juridiques repris par la CSC dans Nolan c. Kerry […]

 

(4)               Si une partie du surplus devrait être partagée avec les membres existants du régime de retraite de Premier avant que Rogers puisse utiliser le surplus pour justifier des périodes d’exonération de cotisation, compte tenu que l’objet initial du régime était d’utiliser le surplus pour accroître les prestations de retraite et compte tenu des conclusions de fait des tribunaux en ce qui a trait à la conduite de Rogers et la décision du surintendant datée du 18 juin 1985 selon laquelle Rogers a en l’espèce l’obligation morale de verser des prestations de retraite supplémentaires […]

 

(5)               Si le régime de retraite de Premier devrait être utilisé pour payer les frais de justice raisonnables engagés par les participants au régime de retraite de Premier […]

 

(6)               Si Rogers devrait être obligée de révéler les données relatives à l’emploi et à la pension relatives à tous les nouveaux membres qu’elle projette d’ajouter au régime de retraite de Premier […]

 

(7)               Si Rogers devrait être obligée de communiquer les renseignements qu’elle a, ou devrait avoir, sur l’identité des participants au régime de retraite de Premier auxquels elle a offert une « mise à la retraite avec prime », sur la valeur de cette « mise à la retraite avec prime » et sur l’acceptation ou le rejet de cette offre [...]

 

(8)               Si Rogers est obligée de continuer de considérer la caisse en fiducie de Premier tr [traduction] « comme une fiducie distincte devant faire l’objet d’une comptabilité distincte », conformément au paragraphe 73 de l’arrêt Buschau (I).

 

[38]           Les participants ont demandé à la surintendante de prendre en compte deux décisions de la Cour suprême du Canada pour répondre aux questions susmentionnées : Nolan c. Kerry (Canada) Inc., 2009 CSC 39, [2009] A.C.S. no 39 [Nolan] et Burke c. Cie de la Baie d’Hudson, 2010 CSC 34, [2010] A.C.S. no 34 [Burke]. Ces arrêts ont été rendus après la décision rendue par la surintendante en 2007 et les participants soutenaient qu’ils [traduction] « renforçaient considérablement [leur prétention qu’ils ont] droit à au moins une partie du surplus à l’égard duquel ils possèdent toujours un intérêt en equity ». Les deux parties ont soumis des observations écrites au Bureau du surintendant.

 

 

II. La décision contrôlée

 

[39]           Dans une lettre datée du 4 novembre 2010 (la décision de 2010), un surveillant principal de la Division des régimes de retraite privés du Bureau du surintendant des institutions financières a répondu aux observations écrites des parties. Le surveillant a répondu au nom de la surintendante en vertu de l’article de l’article 10 de la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières, LRC 1985 ch. 18. Par souci de simplicité, je traiterai de la décision de 2010 comme si elle avait été signée et rendue par la surintendante elle‑même.

 

[40]           La surintendante a conclu que [traduction] « la plupart des questions […] soulevées concernent la décision rendue le 27 avril 2007 ou y ont trait. La loi n’accorde pas le pouvoir de rouvrir ou de reconsidérer une décision passée ».

 

[41]           Elle a traité de chacune des questions de la manière suivante. En ce qui concerne les trois premières questions, elle a déclaré :

[traduction]

Nous vous invitons à lire la lettre de la surintendante datée du 27 avril 2007 (ci‑jointe). Aux termes de la LNPP, le régime doit être conforme aux critères et normes de solvabilité réglementaires. Le Règlement permet la suspension des cotisations si les conditions énoncées au Règlement sont respectées.

 

[42]           En réponse à la quatrième question, elle a indiqué qu’il revenait à Rogers de décider si elle voulait s’engager dans des négociations sur le partage du surplus. Elle a de plus précisé que tout remboursement requerrait son consentement préalable.

 

[43]           Relativement à la cinquième question, elle a conclu que la LNPP ne traitait pas de la question de l’utilisation des fonds de retraite pour couvrir les frais de justice raisonnables. Elle a en outre dit que [traduction] « de plus, à notre connaissance, aucune clause du régime ne prévoit le paiement sur l’actif de la caisse des frais de justice des participants ».

 

[44]           Relativement aux sixième et septième questions, la surintendante a fait remarquer que la LNPP n’exigeait nullement qu’un employeur ou administrateur donne à ses membres accès aux données relatives à l’emploi et à la pension concernant d’éventuels nouveaux membres. De plus, l’employeur et l’administrateur sont tenus de se conformer aux dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques LC 2000, ch. 5 [LPRPDE].

 

[45]           En ce qui concerne la dernière question, la surintendante a répondu : [traduction] « nous comprenons que la caisse en fiducie de Premier existe, et continue d’exister, comme une entité distincte du régime de [Rogers]. Cela a été confirmé par l’administrateur du régime ».

 

[46]           Les participants ont déposé un avis de demande de contrôle judiciaire de la décision de la surintendante le 1er décembre 2010. C’est de cette demande que la Cour est saisie.

 

III. Les questions en litige

 

[47]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

a)      La conclusion de la surintendante selon laquelle la plupart des questions avaient déjà été considérées et tranchées était‑elle erronée?

b)      La conclusion de la surintendante selon laquelle la loi n’accorde pas le pouvoir de rouvrir ou reconsidérer les questions qui ont déjà été considérées et tranchées était‑elle erronée?

c)      La conclusion de la surintendante quant aux frais de justice était‑elle erronée?

d)      La conclusion de la surintendante quant à la divulgation était‑elle erronée?

 

IV. La norme de contrôle applicable

 

[48]           Quoiqu’il faille de façon générale faire preuve de déférence relativement aux décisions de la surintendante sur les questions qui font entrer en jeu l’interprétation de la LNPP, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire soulève deux véritables questions de compétence qui sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte. La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 5, [2008] A.C.S. no 9 [Dunsmuir] a expliqué qu’« une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question ». Tel est le cas pour les deuxième et troisième questions contrôlées. En l’espèce, les conclusions que [traduction] « la loi n’accorde pas le pouvoir de rouvrir ou de reconsidérer une décision passée » et que la surintendante n’avait pas le pouvoir de permettre que la caisse en fiducie de Premier soit utilisée pour couvrir les frais de justice sont toutes deux de véritables questions de compétence qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[49]           Les questions restantes, toutefois, constituent soit des questions de nature purement factuelle, soit des questions mixtes de fait et de droit et elles sont pour cette raison susceptibles de contrôle selon la norme plus déférente de la décision raisonnable (Cousins c Canada (Procureur général), 2008 CAF 226 aux paragraphes 22 et 23, [2008] A.C.F. no 1011; Buschau IV, précité aux paragraphes 44 et 45). En ce qui a trait à ces questions, la Cour s’intéressera à la justification de la décision, et à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à la question de savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

V. Analyse

 

a)      La conclusion de la surintendante selon laquelle la plupart des questions avaient déjà été considérées et tranchées était‑elle erronée?

 

[50]           Les demandeurs soutiennent que les questions qu’ils ont soumises à la considération de la surintendante le 30 juin 2010 étaient toutes de nouvelles questions sur lesquelles elle ne s’était pas penchée auparavant et que, pour cette raison, la conclusion défavorable de la surintendante relativement aux questions un à quatre était déraisonnable. Je considérerai une à une les questions des demandeurs.

 

[51]           La première question soumise par les demandeurs était celle de savoir :

(9)               [traduction] Si Rogers a renoncé à son droit de modifier le régime de retraite de Premier de façon à y ajouter les nouveaux employés de Cable Inc. à titre de participants en raison de son manquement à son obligation de fiduciaire au titre du paragraphe 8(3) de la LNPP ou parce qu’elle est en conflit d’intérêts au sens de l’alinéa 8(10)b) de la LNPP, et au sens du paragraphe 38 de la décision de la CSC.

.

 

[52]           L’article 8(3) de la LNPP prévoit que l’administrateur d’un régime de pension doit administrer le régime et le fonds de pension s’y rattachant en qualité de fiduciaire des participants au régime :

Gestion du régime et du fonds

 

 

8(3) L’administrateur d’un régime de pension gère le régime et le fonds de pension en qualité de fiduciaire de l’employeur, des participants actuels ou anciens et de toutes autres personnes qui ont droit à des prestations de pension ou à des remboursements au titre du régime.

Administration of pension plan and fund

 

8(3) The administrator shall administer the pension plan and pension fund as a trustee for the employer, the members of the pension plan, former members, and any other persons entitled to pension benefits or refunds under the plan.

 

[53]           L’alinéa 8(10)b) de la LNPP précise que, en cas de conflit d’intérêts en raison des fonctions qu’un employeur exerce à titre d’administrateur et toute autre fonction, l’employeur doit agir de façon à servir les intérêts des participants au régime de retraite :

Autre conflit d’intérêts

 

8(10) L’employeur qui est l’administrateur et qui se trouve dans un conflit d’intérêts sérieux entre les fonctions qu’il exerce à ce double titre de même que l’administrateur d’un régime de pension simplifié qui, en raison des fonctions qu’il occupe par ailleurs, se trouve dans un tel conflit doivent :

 

 

b) agir de façon à servir les intérêts des participants.

Other conflicts of interest

 

8(10) If there is a material conflict of interest between the role of an employer who is an administrator, or the role of the administrator of a simplified pension plan, and their role in any other capacity, the administrator

 

 

 

 

 

(b) shall act in the best interests of the members of the pension plan.

 

 

 

[54]           Les demandeurs soutiennent que la défenderesse a abusé de son pouvoir à titre d’employeur et d’administrateur et qu’elle a traité ses employés d’une manière qui était contraire aux normes sociales de raisonnabilité et que, pour cette raison, elle a contrevenu au paragraphe 8(3) et à l’alinéa 8(10)b) de la LNPP. Les demandeurs soutiennent que la défenderesse a en conséquence renoncé au droit de rouvrir le régime de Premier à de nouveaux participants. Ils font valoir que de toute évidence cette question n’a pas été considérée de manière appropriée, puisque ni le paragraphe 8(3), ni l’alinéa 8(10)b) de la LNPP n’ont été mentionnés dans la décision de 2007 de la surintendante.

 

[55]           Cependant, il ressort très clairement du dossier que les demandeurs ont traité à fond de la question de la mauvaise foi et de la violation de fiducie dans les observations écrites qu’ils ont soumises en vue de la décision de 2007 de la surintendante. Les observations écrites du 30 juin 2006 faisaient état de [traduction] « trois actes de mauvaise foi et de 16 manquements à l’obligation de fiduciaire »; dans leurs observations écrites du 5 septembre 2006, il était allégué que la réouverture du régime de Premier constituerait [traduction] « une violation de fiducie et une violation de l’obligation de RCI d’exercer son pouvoir de modification de bonne foi »; dans leurs observations écrites du 22 septembre 2006, il était fait référence à l’analyse de l’alinéa 8(10)b) effectuée par le juge Michel Bastarache dans Buschau III et les demandeurs alléguaient l’existence d’[traduction] « un conflit d’intérêts important » et d’un [traduction] « long historique de violations de fiducie ».

 

[56]           Enfin, malgré les observations écrites des demandeurs, la surintendante a conclu que la défenderesse avait, en fait, le droit de modifier le régime de Premier pour ajouter des nouveaux employés de Rogers et que rien dans les modalités du régime, la convention de fiducie ou la LNPP ne l’empêchait de le faire. Il est également intéressant de relever, en ce qui concerne la question du remplacement de l’administrateur, que la surintendante a indiqué que la défenderesse administrait actuellement le régime et la caisse de retraite de Premier en conformité avec les modalités du régime et la LNPP, et selon des pratiques financières et commerciales sûres et saines. Par conséquent, bien que la surintendante n’ait pas expressément mentionné le paragraphe 8(3) et l’alinéa 8(10)b) de la LNPP, il est clair qu’elle était d’avis que la défenderesse se conformait aux dispositions de la Loi et qu’elle avait le droit de modifier le régime de manière à pouvoir le rouvrir à de nouveaux participants. La Cour d’appel fédérale a confirmé la raisonnabilité de sa décision.

 

[57]           Pour cette raison, je ne décèle aucune erreur dans la conclusion de la surintendante selon laquelle la première question des demandeurs avait déjà été considérée et tranchée.

 

[58]           La deuxième question soumise par les demandeurs était celle de savoir :

 

[traduction] Si Rogers est liée par l’arrêt Buschau (I) (autorité de la chose jugée) portant que les participants existants au régime de retraite de Premier ont conservé le droit exclusif de toucher le surplus qu’affichait leur régime de retraite.

 

[59]           Les demandeurs soutiennent que l’arrêt de la C.A. C.‑B. dans Buschau I lie encore la défenderesse et que, dans cet arrêt, la C.A. C.‑B. a établi de façon concluante que les participants au régime original avaient le droit exclusif de bénéficier du surplus du régime de Premier. À l’appui de cette prétention, ils font valoir le fait que dans Buschau II la C.A. C.‑B. a indiqué que la réouverture du régime de Premier ne pouvait pas être autorisée parce qu’elle équivaudrait à une violation de fiducie ou à un manquement à la bonne foi.

 

[60]           Là encore, toutefois, les demandeurs ont soulevé les mêmes arguments devant la surintendante dans les observations écrites qu’ils ont soumis avant que la décision de 2007 soit rendue. Ainsi, dans leurs observations écrites du 30 juin 2006 ils ont soutenu que [traduction] « Rogers est lié par l’arrêt Buschau (I) portant que cette dernière ne peut pas utiliser le surplus pour financer les prestations de nouveaux participants ou employés »; et dans leurs observations écrites du 5 septembre 2006 que [traduction] « il est clairement énoncé dans Buschau #I […] que toute modification visant à permettre l’ajout de nouveaux participants au régime de retraite de Premier au présent stade serait considérée comme une violation de fiducie et un manquement à l’obligation de bonne foi »; et enfin dans leurs observations écrites du 22 septembre 2006 ils déclaraient que [traduction] « RCI soutient qu’il n’a pas été décidé dans Buschau # 1 que RCI ne peut pas modifier le régime de retraite à ce stade […] cela n’est simplement pas vrai ».

 

[61]           Quoique la surintendante n’ait pas traité expressément de la question de Buschau I, elle a clairement rejeté l’argument des demandeurs selon lequel la défenderesse ne pouvait pas rouvrir le régime de Premier. Elle a conclu que la réouverture du régime n’était pas contraire aux modalités du régime, aux modalités de la convention de fiducie et aux dispositions de la LNPP. Les demandeurs ne peuvent maintenant soutenir que les motifs de la surintendante étaient insuffisants du fait qu’ils ne traitaient pas expressément de Buschau I. La Cour ne procède pas au contrôle judiciaire de la décision de 2007. Cependant, la CAF siégeait en appel de la décision de 2007 dans Buschau IV, et elle a conclu que la décision de la surintendante, selon laquelle la défenderesse avait le droit de rouvrir le régime de Premier à de nouveaux participants, était raisonnable – ce qui impliquait que la décision était justifiée, transparente et intelligible.

 

[62]           Quoi qu’il en soit, la Cour d’appel fédérale a expressément traité de Buschau I et de la question du principe de l’autorité de la chose jugée. Elle a indiqué que, puisque la Cour suprême du Canada avait déterminé que la conclusion, tirée dans Buschau I, selon laquelle les participants au régime de Premier avait le droit d’invoquer Saunders c. Vautier pour demander la cessation de la fiducie de Premier, était erronée, « le principe de l’autorité de la chose jugée n’empêche nullement la surintendante de permettre à Rogers/Cable Inc. de révoquer la fusion du régime de Premier avec le régime consolidé de Rogers et de rouvrir le régime de Premier aux nouveaux employés de Cable Inc. ».

 

[63]           Pour cette raison, je ne décèle aucune erreur dans la conclusion de la surintendante partant que la deuxième question des demandeurs avait déjà été considérée et tranchée.

 

[64]           La troisième question soumise par les demandeurs était celle de savoir :

 

[traduction] Si Rogers peut utiliser le surplus du régime de retraite de Premier pour financer des prestations pour de nouveaux participants ou pour s’accorder des périodes d’exonération de cotisations relativement à de nouveaux participants, compte tenu en particulier des principes juridiques repris par la CSC dans Nolan c. Kerry.

 

[65]           Les demandeurs soutiennent que, bien qu’il soit possible qu’elle ait approuvé la réouverture du régime de Premier à de nouveaux participants, la surintendante n’a pas approuvé l’utilisation du surplus de la fiducie de Premier pour financer les prestations des nouveaux participants.

 

[66]           Au contraire, cela est précisément ce que la Cour d’appel fédérale dans Buschau IV a dit que la surintendante avait décidé. Au paragraphe 52, la Cour d’appel a en effet indiqué ce qui suit : « La surintendante a estimé en somme qu’il serait plus conforme aux objectifs tant du Régime que de la LNPP d’affecter le surplus actuariel du Régime à la capitalisation des pensions de retraite destinées aux participants au Régime, y compris ses nouveaux participants, plutôt que d’accorder un gain fortuit aux participants actuels, car il aurait fallu pour cela mettre un terme à un régime de retraite viable. » [Non souligné dans l’original.] Là encore, la surintendante avait déjà répondu à la question des demandeurs.

 

[67]           La quatrième question soumise par les demandeurs visait à savoir :

[traduction]        Si une partie du surplus devrait être partagée avec les membres existants du régime de retraite de Premier avant que Rogers puisse utiliser le surplus pour justifier des périodes d’exonération de cotisation, compte tenu que l’objet initial du régime était d’utiliser le surplus pour accroître les prestations de retraite et compte tenu des conclusions de fait des tribunaux en ce qui a trait à la conduite de Rogers et la décision du surintendant datée du 18 juin 1985 selon laquelle Rogers a en l’espèce l’obligation morale de verser des prestations de retraite supplémentaires.

 

[68]           En ce qui a trait à cette question, les demandeurs ont soutenu dans leurs observations écrites du 30 juin 2010 que la surintendante pouvait ordonner la « liquidation » du régime de Premier et enjoindre à la défenderesse d’utiliser la fiducie de Premier pour acheter des rentes afin de couvrir les prestations de retraite en vigueur des participants et bénéficiaires du régime et de distribuer ensuite le surplus en espèces entre les bénéficiaires et la défenderesse.

 

[69]           Le fait que les demandeurs proposent un partage du surplus à la cessation rend cette question un peu différente de celle qui a été tranchée par la surintendante dans sa décision de 2007. Néanmoins, les aspects fondamentaux de cette question ont déjà été tranchés. Dans sa décision de 2007, la surintendante a expliqué que la cessation constituait une mesure extrême qu’elle n’était pas disposée à prendre vis‑à‑vis le régime de Premier parce que : le régime respectait les normes prescrites de solvabilité, les prestations de retraite des participants n’étaient pas menacées, l’objet du plan n’était pas contrecarré et le régime prévoyait que la décision de le modifier et d’y mettre fin revenait à la défenderesse. Il est difficile de voir en quoi la volonté des demandeurs de partager le surplus avec la défenderesse à la cessation aurait quelque incidence sur toute considération de la surintendante.

 

[70]           Dans la mesure où la quatrième question était « nouvelle », la surintendante y a répondu de façon raisonnable dans sa décision de 2010. Elle a indiqué qu’il revenait à la défenderesse de décider [traduction] « si elle voulait engager des négociations sur le partage du surplus ».

 

[71]           Pour les motifs qui précèdent, dans la mesure où la surintendante a déterminé que les questions un à quatre avaient déjà été tranchées, je ne peux pas conclure que sa décision était déraisonnable.

 

[72]           Il n’est pas contesté que les questions cinq à sept étaient soulevées pour la première fois. La surintendante a considéré ces questions, et a fourni des réponses, dont je considérerai plus loin le caractère correct ou raisonnable. En ce qui concerne la dernière question, qui consistait à savoir si la défenderesse était obligée de considérer la caisse en fiducie de Premier comme une entité distincte, les demandeurs ne semblent pas contester la réponse de la surintendante.

 

b)      La conclusion de la surintendante selon laquelle la loi n’accorde pas le pouvoir de rouvrir ou reconsidérer les questions qui ont déjà été considérées et tranchées était‑elle erronée?

 

[73]           Les demandeurs soutiennent que suivant l’interprétation de la Cour suprême du Canada dans Buschau III la surintendante a, compte tenu de l’ampleur des pouvoirs que la Loi lui confère, des pouvoirs [traduction] « presque illimités » pour protéger les intérêts des bénéficiaires. Cette vaste compétence, soutiennent‑ils, englobe le pouvoir de réexaminer une décision passée.

 

[74]           Je ne pense pas que la décision de la Cour suprême dans Buschau III puisse être interprétée comme conférant un ensemble de pouvoirs [traduction] « presque illimités » à la surintendante. En fait, la Cour a souligné que la LNPP « n’est pas un code exhaustif » (Buschau III, au paragraphe 35). Elle a indiqué que lorsque la LNPP prévoit la possibilité d’un recours devant la surintendante, les participants au régime devraient s’en prévaloir (Buschau III, au paragraphe 35).

 

[75]           La Cour suprême a néanmoins précisé que « le surintendant joue un rôle crucial dans la protection des bénéficiaires » (Buschau III, au paragraphe 20). Elle a statué que les participants au régime de retraite devraient pouvoir « demander au surintendant d’intervenir » lorsqu’ils pensent que leur employeur a contrevenu à la LNPP ou aux conditions de leur régime (Buschau III, au paragraphe 34).

 

[76]           Quoique la surintendante ait eu raison de déclarer que rien dans la LNPP n’indiquait explicitement qu’elle avait le droit de réexaminer l’une de ses décisions antérieures (à l’exception du paragraphe 32(2) qui n’intervient pas dans les circonstances de l’espèce), rien dans la législation ne l’en empêche explicitement non plus. Étant donné la nature réparatrice de la loi et le « rôle crucial » de la surintendante pour la protection des bénéficiaires et étant donné, en particulier, le pouvoir discrétionnaire dont jouissent, selon les cours de justice, les tribunaux administratifs relativement à l’application du principe de la chose jugée (comme il en sera question plus loin), je conclus que la surintendante conserve un pouvoir discrétionnaire limité de reconsidérer des décisions antérieures.

 

[77]           Le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, un volet de la doctrine de l’autorité de la chose jugée, interdit la réouverture du débat par les mêmes parties sur des questions qui ont déjà été tranchées dans une décision antérieure (O’Brien c. Canada (Procureur général) (CAF), 153 NR 313, [1993] F.C.J. no 33). Son objectif fondamental est d’établir l’équilibre entre l’intérêt public qui consiste à assurer le caractère définitif des litiges et l’autre intérêt public qui est d’assurer que, dans une affaire donnée, justice soit rendue. (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, au paragraphe 33, [2001] A.C.S. no 46 [Danyluk].

 

[78]           Quoique le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée soit apparu dans le contexte de décisions judiciaires, il est désormais largement reconnu qu’il s’applique également aux décisions administratives (Danyluk, précité, au paragraphe 21). Le plus souvent, le principe s’applique dans le contexte administratif lorsque la décision d’un tribunal administratif donne lieu à la préclusion dans une instance judiciaire ultérieure. Dans Boucher c. Stelco Inc., 2005 CSC 64, [2005] A.C.S. no 35, par exemple, on a estimé qu’une décision du surintendant des services financiers de l’Ontario donnait lieu à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée dans une procédure ultérieure devant la Cour supérieure du Québec. Cependant, tant la Cour fédérale que la Cour d’appel fédérale ont reconnu que la décision d’un tribunal administratif peut aussi entraîner la préclusion découlant d’une question déjà tranchée dans une instance administrative ultérieure (Procureur général du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 43 F.T.R. 47, [1991] F.C.J. no 334; Pillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1417, [2001] A.C.F. no 1944 [Pillai]). C’est ce que la défenderesse a soutenu dans ses observations écrites soumises à la surintendante en date du 20 juillet 2010.

 

[79]           Les trois conditions préalables à l’application du principe de la préclusion sont les suivantes : 1) la même question a été tranchée, 2) la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion a un caractère définitif, 3) les parties visées par la décision judiciaire ou leurs ayants droits sont les mêmes que les parties aux procédures dans lesquelles le principe de la préclusion est invoquée (Angle c. Ministre du Revenu National, ‑ MNR) (1974), [1975] 2 R.C.S. 248, à la page 254, 47 DLR (3d) 544; Danyluk, précité, au paragraphe 25).

 

[80]           Comme il est dit plus haut, la surintendante a essentiellement déterminé que les questions un à quatre des observations écrites du 30 juin 2010 des demandeurs avaient déjà été considérées et tranchées. J’ai conclu que cette décision était raisonnable. Pour cette raison, en ce qui concerne les questions un à quatre, la première condition pour conclure à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est remplie. Je suis également d’avis que la décision de 2007 de la surintendante était définitive et de nature suffisamment judiciaire pour qu’il soit satisfait à la deuxième condition. Quant à la dernière condition, il ne fait pas de doute que les parties visées par la décision de 2007 sont essentiellement les mêmes que les parties visées par la décision de 2010. Pour cette raison, en ce qui concerne les quatre premières questions des demandeurs, je suis convaincue que les conditions permettant de conclure à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont remplies.

 

[81]           Dans Danyluk, précité au paragraphe 33, la Cour suprême du Canada a indiqué que, dès qu’il est conclu que les trois conditions pour qu’il y ait préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont remplies, le tribunal doit encore déterminer, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, s’il convient d’appliquer cette forme de préclusion. La Cour suprême traitait du contexte, plus fréquent, « tribunal administratif à cour de justice » (soit le cas où la décision d’un tribunal administratif donne lieu à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée dans une instance judiciaire ultérieure), il ressort de la jurisprudence qu’un pouvoir discrétionnaire similaire existe dans le contexte « tribunal administratif à tribunal administratif ».

 

[82]           La question en litige dans Erdos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CAF 419, au paragraphe 16, [2005] A.C.F. no 2062, par exemple, était de savoir si la Section de la protection des réfugiés (SPR) avait convenablement appliqué le principe de l’autorité de la chose jugée relativement à une décision antérieure de la Section du statut de réfugié (SRR). La Cour d’appel a indiqué, au paragraphe 16, que « [d]ans l’affaire qui […] occupe [la Cour d’appel], si le principe de préclusion avait été appliqué, [la SPR] aurait dû accepter les conclusions de la SSR concernant la persécution de M. Erdos avant 1992, à moins que le tribunal ne puisse démontrer que les circonstances étaient telles qu’il devait exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer le principe » [non souligné dans l’original]. Quoique la Cour d’appel ait finalement conclu que la question de l’autorité de la chose jugée n’était pas, en fait, pertinente relativement à l’appel, l’arrêt Erdos constitue néanmoins une indication de la Cour d’appel fédérale que le pouvoir discrétionnaire auquel il est fait mention dans Danyluk s’applique dans le contexte « tribunal administratif à tribunal administratif ».

 

[83]           La surintendante n’a pas expressément traité de la question de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée dans sa décision de 2010. Elle s’est plutôt appuyée sur le fait qu’elle n’avait pas le pouvoir de réexaminer des décisions passées. Comme les décisions relatives à l’application du principe de préclusion constituent des questions mixtes de fait et de droit, elles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

[84]           Dans les circonstances de l’espèce, étant donné la conclusion raisonnable de la surintendante selon laquelle les quatre premières questions soumises par les demandeurs étaient identiques à celles qui avaient déjà été tranchées, la seule ligne de conduite raisonnable était de conclure que les demandeurs étaient empêchés en raison de la préclusion de soulever les questions de nouveau. La décision de 2007 de la surintendante avait fait l’objet d’un contrôle judiciaire ainsi que d’un appel à la Cour d’appel fédérale. Ce n’est que lorsque la Cour suprême a refusé d’accorder l’autorisation d’interjeter appel que les demandeurs sont revenus devant la surintendante en reprenant, en substance, les mêmes questions, formulées différemment. Cela équivaut ni plus ni moins à un abus de procédure. Le présent litige dure, sous une forme ou sous une autre, depuis plus de quinze ans. Il est clairement dans l’intérêt public d’assurer le caractère définitif des décisions. Dans ces circonstances, la seule décision qui appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit que pouvait rendre la surintendante était la conclusion selon laquelle le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’appliquait, et empêchait les demandeurs de rouvrir le débat sur les questions un à quatre.

 

[85]           Les demandeurs soutiennent toutefois que des changements sont survenus dans le droit applicable depuis la décision rendue par la surintendante en 2007, de sorte qu’elle était tenue, dans sa décision 2010, d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer la préclusion. Quoiqu’il soit vrai qu’un changement dans le droit applicable puisse justifier de ne pas appliquer le principe de la préclusion dans certaines circonstances (Hockin c. Bank of British Columbia (1995), 3 BCLR (3d) 193, 123 DLR (4th) 538 (CA)), je n’estime pas qu’il y a eu une modification du droit en l’espèce. Ni l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Nolan, ni l’arrêt qu’elle a rendu dans Burke, ne modifient le droit d’une façon qui soit pertinente au regard des questions en litige.

 

[86]           La majorité dans Nolan, précité, a notamment examiné la question de savoir si un employeur pouvait s’accorder des périodes d’exonération de cotisations en ce qui concerne le volet à cotisations déterminées d’un régime de retraite en raison d’un surplus actuariel qui s’était accumulé dans le volet à prestations déterminées du même régime. Les participants du volet à prestations déterminées faisaient une analogie entre leur situation et la situation en cause dans Buschau III. Ils s’appuyaient sur le fait que la majorité dans Buschau III avait indiqué qu’il serait « problématique » de rouvrir le régime de Premier à de nouveaux participants et de permettre des périodes d’exonération de cotisation en ce qui les concerne. La Cour a estimé que cette analogie n’était pas convaincante. Elle a indiqué que les circonstances dans Buschau III étaient différentes et en quoi elles l’étaient. Elle a expliqué que la défenderesse avait tenté sans succès de fusionner le régime de Premier avec le régime de Rogers et que la C.A. C.‑B. dans Buschau II avait conclu que la réouverture du régime à de nouveaux participants serait inappropriée. Elle a précisé que « [c]’est dans ce contexte que la juge Deschamps a tenu ces propos au sujet des problèmes soulevés par la réouverture du régime ».

 

[87]           L’arrêt Nolan a seulement repris ce que la Cour suprême avait déjà dit dans Buschau III, à savoir que la réouverture du régime de Premier par la défenderesse était « problématique » étant donné les décisions antérieures des cours de justice de la Colombie‑Britannique. Que ce soit dans Buschau III ou dans Nolan, la Cour suprême n’est pas allée plus loin – la question de savoir si la défenderesse avait en fait le droit de rouvrir le régime de Premier restait posée. Cependant, la surintendante y a répondu dans sa décision de 2007 et elle a conclu que la réouverture du régime de Premier était acceptable compte tenu des modalités du régime et des dispositions de la LNPP. La Cour d’appel fédérale, dans Buschau IV, a confirmé la raisonnabilité de cette décision.

 

[88]           Par conséquent, dans la mesure où il s’applique aux circonstances de l’espèce, l’arrêt Nolan ne contient rien de nouveau et on ne peut donc reprocher à la surintendante de ne pas en avoir traité dans sa décision.

 

[89]           On peut dire la même chose pour l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Burke, précité. Les demandeurs invoquent le paragraphe 57 dans lequel la Cour suprême a statué que « les employés qui ont droit à l’excédent réel à la fin du régime ont un intérêt en equity sur tous les éléments d’actif de la caisse ». Ils soutiennent que, comme ils ont un droit au surplus du régime de Premier à sa cessation, Burke signifie qu’ils ont aussi un intérêt en equity sur les éléments d’actif de la fiducie de Premier. Cet intérêt en equity, font‑ils valoir, empêche la défenderesse d’ajouter tout nouveau participant au régime puisque l’ajout de nouveaux participants réduirait le surplus auquel ils ont droit. Je ne suis pas d’accord.

 

[90]           Dire que les demandeurs ont un intérêt en equity sur le surplus n’équivaut pas à dire qu’ils ont un intérêt exclusif dans le surplus. Cela ne signifie pas que la défenderesse est empêchée d’ajouter de nouveaux participants qui peuvent également recevoir une part de l’intérêt en equity. Conclure autrement reviendrait à conclure que tous les régimes de retraite qui permettent aux bénéficiaires de recevoir une part des actifs à la cessation du régime sont de ce fait même fermés à tout nouveau participant dès qu’ils se trouvent dans une situation de surplus actuariel. Un tel résultat serait absurde.

 

[91]           Le fait que les demandeurs aient un intérêt en equity sur les éléments d’actif de la fiducie de Premier ne change rien. En fait, l’intérêt des demandeurs à cet égard a été reconnu par la C.A. C.‑B. dans Buschau I. Abstraction faite de la question de Saunders c. Vautier, le droit des demandeurs au surplus à la cessation du régime est une des raisons pour lesquelles la C.A. C.‑B. a estimé que le régime de Premier se poursuivait en equity malgré la fusion du régime de Premier avec les autres régimes.

 

[92]           Les demandeurs ont le droit de recevoir une part du surplus à la cessation du régime et, quoique cela puisse constituer un intérêt en equity sur les éléments d’actif de la caisse, cela ne change rien au fait que la défenderesse a le droit d’ajouter de nouveaux participants au régime. L’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Burke n’ajoute rien à cet égard et, pour cette raison, on ne peut reprocher à la surintendante de ne pas en avoir traité.

 

[93]           Pour cette raison, j’estime que la conclusion de la surintendante selon laquelle les demandeurs étaient empêchés de rouvrir le débat sur des questions qui avaient été tranchées de manière définitive par la surintendante et qui avaient été confirmées en contrôle judiciaire par la Cour d’appel fédérale n’était pas erronée.

 

c)      La conclusion de la surintendante quant aux frais de justice était‑elle erronée?

 

[94]           En ce qui concerne la question de savoir si la surintendante avait le pouvoir d’ordonner le paiement des frais de justice des demandeurs sur la caisse en fiducie de Premier, les demandeurs font valoir que, comme la Cour suprême a indiqué que les participants à un régime de retraite devaient d’abord demander réparation à la surintendante, plutôt qu’aux tribunaux, alors il s’ensuit nécessairement que la surintendante a le pouvoir d’ordonner le paiement des frais de justice sur les caisses de retraite. Autrement, soutiennent‑ils, de façon générale, les participants des régimes de retraite ne pourraient jamais se permettre de demander des comptes à leurs employeurs.

 

[95]           La surintendante a rejeté la demande présentée par les demandeurs au motif que ni la LNPP, ni les modalités du régime de Premier, ne prévoyaient le paiement des frais de justice des participants sur la caisse de retraite. J’estime que la surintendante a eu raison de tirer cette conclusion.

 

[96]           La surintendante peut uniquement exercer les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi. La LNPP ne confère nullement à la surintendante le pouvoir d’ordonner que des frais de justice soient payés sur une caisse de retraite. S’agissant d’un contexte législatif différent, la Cour d’appel de l’Ontario dans Nolan c. Ontario (Superintendent of Financial Services), 2007 ONCA 416, au paragraphe 193, [2007] O.J. no 2176, a indiqué qu’un certain nombre de considérations de politique générale justifient de ne pas donner accès à un fonds de retraite pour financer des instances :

[traduction] […] L’une de ces considérations est qu’il se peut que les causes poursuivies par les participants au régime qui sont parties au litige ne soient pas dans l’intérêt de tous les participants. En l’espèce, l’une des raisons pour lesquelles les juges minoritaires de la cour ont refusé d’accorder des dépens était qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves indiquant dans quelle mesure les participants au régime appuyaient les actions intentées par le comité. Une autre considération est qu’on pourrait compromettre la solvabilité du régime de retraite en permettant ce type de financement.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[97]           Étant donné les considérations de politique générale qui s’opposent, j’estime que, en l’absence d’une autorisation législative expresse, la surintendante a eu raison de conclure qu’elle n’avait pas compétence pour ordonner que les frais de justice des demandeurs soient payés sur la caisse de retraite du régime de Premier.

 

d)      La conclusion de la surintendante quant à la divulgation était‑elle erronée?

 

[98]           Quant aux questions six et sept, qui concernaient les obligations de divulgation de la défenderesse, les demandeurs ont simplement soutenu de nouveau devant moi ce qu’ils avaient soutenu devant la surintendante dans leurs observations écrites du 30 juin 2010. Ils font valoir que la défenderesse est obligée de communiquer les renseignements suivants en ce qui a trait à tous les nouveaux participants éventuels du régime de Premier : leur employeur, leur âge et les détails de tout autre régime de retraite dont ils sont actuellement bénéficiaires – y compris le type de régime et la question de savoir si ces régimes sont dans des positions de déficit ou de surplus. Cette obligation, expliquent les demandeurs, découle de [traduction] « la réticence ou du refus pur et simple [de la défenderesse] de [les] informer » sur ce qu’ils « faisaient ou essayaient de faire avec le régime de retraite » dans le passé.

 

[99]           La surintendante n’était pas d’accord avec les demandeurs. Elle a conclu que la défenderesse n’était pas tenue de fournir les renseignements requis puisque l’article 28 de la LNPP énonce les exigences de divulgation imposées à la défenderesse et que les renseignements requis ne sont pas visés par ces exigences. Elle a également indiqué que la défenderesse était tenue de se conformer aux dispositions de la LPRPDE.

 

[100]       Je conclus à la raisonnabilité de la décision de la surintendante à cet égard. L’article 28 de la LNPP énonce les « droits à l’information » des participants. Il prévoit également que les participants au régime ont droit à certains renseignements selon ce qui est énoncé dans le Règlement de 1985 sur les normes de prestation de pension, DORS/87‑19 [le Règlement]. Ni l’article 28 de la LNPP, ni le Règlement connexe ne prévoient que la défenderesse, dans les circonstances actuelles, est tenue de divulguer le genre de renseignements que les demandeurs requièrent.

 

[101]       Les demandeurs soutiennent également que la défenderesse est tenue de les informer de l’identité des participants au régime de Premier auxquels il a été offert une « mise à la retraite avec prime ». Ils expliquent que ces renseignements sont importants pour leur permettre de déterminer ce qui devrait arriver au surplus dans un tel cas.

 

[102]       La surintendante a conclu à l’inexistence de toute telle obligation. Comme les demandeurs n’ont pas droit au surplus à la cessation du régime et que rien n’indique que la demanderesse a l’intention de mettre fin au régime dans un avenir proche, je ne peux conclure que la décision de la surintendante à cet égard était déraisonnable.

 

VI. Conclusion

 

[103]       J’ai conclu que la décision de la surintendante selon laquelle la plupart des questions soumises par les demandeurs avaient déjà été considérées et tranchées dans sa décision de 2007 n’était nullement erronée. J’ai également conclu que, bien que la surintendante n’ait pas explicitement reconnu la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, elle n’avait par conséquent commis aucune erreur en refusant de reconsidérer les questions des demandeurs. Enfin, sur la question des frais de justice et de la divulgation, je n’ai décelé aucune erreur susceptible de contrôle.

 

[104]       Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les dépens seront attribués à la défenderesse.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Les dépens sont attribués à la défenderesse.

 

 

« Danièle Tremblay‑Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑2006‑10

 

INTITULÉ :                                                   SANDRA BUSCHAU ET AUTRES c.
ROGERS COMMUNICATIONS INCORPORATED

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 29 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET  JUGEMENT:                                          LA JUGE TREMBLAY‑LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 21 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

John N.Laxton, c.r.

Robert Gibbens

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Stephen R. Schachter, c.r.

Irwin G. Nathanson, c.r.

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Laxton, Gibbens & Company

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nathanson, Schachter & Thompson LLP Avocats

Vancouver, Colombie‑Britannique

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.