Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 30 juin 2011
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La Cour est priée de statuer sur la légalité d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) a refusé de reconnaître la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27.
[2] La demanderesse est une citoyenne de la République dominicaine. Elle allègue être victime de violence familiale de la part de son ex-mari, avec qui elle a maintenu une relation après leur divorce. Arrivée au Canada en juillet 2005, elle a présenté sa demande d’asile en septembre 2008.
[3] L’élément déterminant dans la décision de la SPR était le fait que la demanderesse avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Saint-Domingue, la capitale, et que l’incapacité de la République dominicaine à la protéger n’avait pas été établie. Il découlait de ces conclusions qu’elle ne pouvait pas bénéficier de la protection de substitution au Canada.
[4] Il ressort du témoignage et de la documentation de la demanderesse qu’elle craint de retourner en République dominicaine, même dans la capitale, car elle allègue que son ex-mari a encore l’intention de lui causer des préjudices. Selon la CISR. La preuve n’était pas suffisante pour conclure que son ex-mari voulait encore lui causer des préjudices et qu’il continuait à la menacer. Une lettre de l’une des filles de la demanderesse faisait référence à des menaces continuelles adressées à la demanderesse et à ses filles, dont aucune n’a été mise à exécution. De même, la CISR ne considérait pas comme probante la déclaration de la demanderesse selon laquelle sa fille avait vu son ex-mari en possession d’un pistolet.
[5] La demanderesse n’a par ailleurs fait aucune démarche pour obtenir le secours des autorités de la République dominicaine, malgré le fait qu’il y avait des témoins pour au moins l’une des agressions. La CISR a tiré une inférence défavorable du fait que la demanderesse n’avait pas tenté d’obtenir la protection des autorités. Par conséquent, après avoir déterminé que la protection de l’État dans la République dominicaine et à Saint-Domingue était suffisante, la CISR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse.
Analyse
[6] La Cour est priée d’examiner les conclusions de la CISR sur l’existence d’une PRI et sur la suffisance de la protection de l’État. Il est bien établi que de telles conclusions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Sanchez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 99; Myle c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 871). Pour cette raison, la Cour se penchera sur les justifications fournies dans la décision, sur l’examen de la preuve et sur des questions semblables : la Cour ne substituera pas sa décision à celle de la CISR, conformément aux principes de droit administratif (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).
[7] Les conclusions de la CISR concernant la possibilité pour la demanderesse de se prévaloir d’une PRI sont raisonnables. Premièrement, la CISR a énoncé et utilisé le bon critère juridique pour déterminer l’existence d’une PRI, critère énoncé dans Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.), Rasaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.F.). Par conséquent, la question qui se pose en l’espèce n’est pas de savoir si la CISR a appliqué le bon critère, mais plutôt de savoir si son appréciation de la preuve d’une manière qui tient compte de ce cadre juridique était raisonnable.
[8] La constance des menaces proférées par l’ex-mari de la demanderesse était étayée par une lettre de la fille de la demanderesse ainsi que par le témoignage de la demanderesse sur les menaces. Cependant, la CISR a statué que l’ex-mari n’avait jamais mis à exécution les menaces qu’il avait faites contre ses filles, et cela malgré le fait que la fille la plus âgée avait fugué et était retournée plus tard vivre avec son père et que la fille la plus jeune était enceinte à l’âge de quinze ans. La CISR a ensuite conclu que les menaces et les risques de persécution n’avaient pas été établis selon la prépondérance des probabilités. Cette appréciation de la preuve est raisonnable : aucun élément important n’a été négligé dans l’analyse et la Cour ne peut faire une nouvelle appréciation de la preuve comme la demanderesse le lui demande.
[9] Or, même s’il avait été conclu que les menaces existaient, les conclusions de la CISR relativement à la protection de l’État et à l’existence d’une PRI sont déterminantes. Premièrement, la demanderesse n’a fait aucune démarche pour dénoncer la violence dont elle était victime aux autorités. Deuxièmement, bien que la CISR ait concédé que la République dominicaine n’offrait pas une protection parfaite, elle a analysé la façon dont les lois et les mesures prises par les autorités avaient été mises en œuvre. Manifestement, il reste beaucoup à faire en République dominicaine pour la protection des femmes violentées. Cependant, la CISR a examiné la preuve relative à la PRI à Saint-Domingue. Ce faisant, elle a conclu que des ressources étaient mises à la disposition des victimes de violence familiale, notamment l’aide psychologique et l’aide juridique.
[10] La CISR n’était pas tenue d’évaluer les difficultés pouvant découler d’un renvoi, contrairement à ce que laisseraient croire les arguments de la demanderesse ayant trait au rapport psychologique. La CISR a plutôt fait l’évaluation qui s’imposait : celle des risques objectifs découlant du renvoi et de l’existence de la protection de l’État pour contrer ces risques. À cet égard, la CISR s’est appuyée à bon droit sur la présomption de la protection de l’État énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. En ce qui concerne la PRI, la CISR a correctement déterminé que Saint-Domingue constituait une possibilité raisonnable où la demanderesse pourrait se réclamer de la protection de l’État. Ce faisant, la CISR a relevé les éléments de preuve importants et elle s’est appuyée sur les bons principes de droit.
[11] Quant à l’application des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, la décision de la CISR n’est pas contraire aux principes énoncés dans les Directives. On ne se demandait pas en l’espèce si la crédibilité était attaquée ni si la CISR avait commis une erreur en n’appréciant pas véritablement le passé de la demanderesse. Je ne veux pas dire que les Directives ne s’appliquent qu’à de telles situations. Cependant, il ressort clairement de la lecture de la transcription de l’audience et de la décision elle‑même que la CISR a tenu compte de la nature particulière de la violence fondée sur le sexe soulevée dans la présente affaire. De plus, on ne peut pas dire que la CISR a ignoré le rapport psychologique puisque les éléments essentiels du rapport ont été relevés dans sa décision et à l’audience.
[12] Plus précisément, la CISR a bien examiné tous les détails de la situation de la demanderesse, par exemple la longue liste d’emplois qu’elle a occupés et ses études. Ce faisant, la CISR a valablement examiné la difficulté de trouver un autre refuge en République dominicaine. Cette évaluation, bien qu’elle n’ait pas été favorable à la demanderesse, est néanmoins raisonnable. La demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle risquait sérieusement d’être persécutée dans la région de la PRI proposée ou que, compte tenu de toutes les circonstances, il serait objectivement déraisonnable pour les demanderesses d’y chercher refuge (Thirunavukkarasu, précité).
[13] Dans ses autres arguments, la demanderesse prie la Cour d’apprécier à nouveau la preuve présentée à la CISR, mais il n’appartient pas à la Cour de faire ce genre d’appréciation dans le cadre d’un contrôle judiciaire selon la norme de la raisonnabilité (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125; Molina c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 289; Bolanos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 388).
[14] La décision est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier n’est soulevée et les parties n’en ont proposé aucune.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.
« Simon Nöel »
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-7058-10
INTITULÉ : BACILIA NUNEZ (MERCADO) c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 15 juin 2011
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE NOËL
DATE DES MOTIFS : Le 30 juin 2011
COMPARUTIONS :
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POUR LA DEMANDERESSE
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Teresa Ramnarine |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocats 41, avenue Madison
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POUR LA DEMANDERESSE |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR |