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Date : 20110708

Dossier : IMM-4081-10

Référence : 2011 CF 854

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2011

En présence de Monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

CICELY ALMINDA CRAMER et

WINSTON ANDREW SAMUEL CRAMER,

GRACE ADIA CRAMER et

JOSHUA EMANUEL CRAMER,

représentés par leur tutrice à l’instance

CICELY ALMINDA CRAMER

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Cicely Alminda Cramer a sollicité la résidence permanente au Canada en qualité de travailleuse qualifiée. Sa demande ainsi que celle de son époux Winston et de leurs deux enfants, Grace et Joshua, ont été refusées parce que l’agent des visas a estimé que Grace souffrait d’un problème de santé qui risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada. Cicely et sa famille respectaient par ailleurs les exigences, car Cicely avait obtenu un pointage nettement plus élevé que la note de passage d’après la grille employée par Citoyenneté et Immigration Canada.

 

[2]               De l’avis de l’agent des visas, le problème résidait dans le fait que Grace souffrait de problèmes liés à un retard du développement. À la naissance, elle a mis du temps à respirer et a subi une légère paralysie cérébrale. Sur le plan physique, elle est parfaitement en santé. Lors de l’examen médical qui a été mené aux fins de la demande, elle était âgée de 11 ans (elle a maintenant 12 ans); cependant, l’examen a révélé qu’elle avait un retard de développement d’une année ou deux. Jusqu’en quatrième année, Grace a fréquenté des établissements d’enseignement réguliers; en cinquième année, elle a été placée dans une école spéciale; cependant, en sixième année, elle est retournée dans une école régulière.

 

[3]               En réponse à une lettre d’équité qui leur a été envoyée en septembre 2009, les demandeurs ont fourni un plan pour Grace qui prévoyait que celle-ci fréquenterait une école privée dans un environnement scolaire régulier et poursuivrait sa thérapie à la maison avec ses parents, qui avaient obtenu des spécialistes une formation leur permettant de donner eux‑mêmes ces soins. À l’occasion, ils consultaient des professionnels au Canada afin d’améliorer leurs compétences thérapeutiques.

 

[4]               Le plan prévoyait également que les parents se feraient aider par les grands-parents de Grace, avec lesquels ils avaient l’intention de rester. D’autres membres de la famille au Canada ont garanti une aide financière et d’autres formes de soutien. Ces personnes comptaient de nombreuses années d’expérience en éducation au Canada et à l’étranger. Le directeur de l’école privée a écrit pour informer la famille que l’école était prête à travailler en étroite collaboration avec celle-ci afin de veiller à ce que Grace atteigne son plein potentiel.

 

[5]               L’agent a jugé que ce plan était insatisfaisant, parce qu’il ne comportait pas d’estimation du coût des services sociaux qui seraient utilisés. L’agent a ajouté que le plan n’indiquait pas clairement quelle serait la solution de rechange si les grands-parents de Grace devenaient infirmes ou décédaient, parce que tous deux étaient âgés d’environ 70 ans. Le médecin agréé a révisé le dossier et estimait que le plan présenté ne changeait rien à la conclusion initiale selon laquelle Grace était interdite de territoire pour des raisons médicales.

 

[6]               Les questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire étaient de savoir s’il y avait eu manquement à l’équité procédurale et si la décision de l’agent des visas était raisonnable. Bien que le contrôle vise la décision de l’agent des visas, la Cour doit également examiner l’opinion du médecin agréé (Sapru c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CAF 35, 93 Imm. L.R. (3d) 167, au paragraphe 54). Eu égard aux circonstances particulières de la présente affaire, il m’a été difficile de savoir jusqu’à quel point l’avis de l’agent des visas selon lequel les besoins de Grace risqueraient d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux était raisonnable, parce que cette conclusion ne ressortait pas clairement du dossier.

 

[7]               Lorsque l’équité procédurale est en jeu, l’approche adéquate est de se demander s’il a été satisfait aux exigences de la justice naturelle dans les circonstances propres à l’affaire. Aucune retenue n’est exigée. La question n’est pas de savoir si la décision était « correcte », mais si la procédure utilisée était équitable. Voir : Ontario (Commissioner Provincial Police) c. MacDonald, 2009 ONCA 805, 3 Admin L.R. (5th) 278, au paragraphe 37, et Bowater Mersey Paper Co. c. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 141, 2010 NSCA 19, 3 Admin L.R. (5th) 261, aux paragraphes 30 à 32.

 

[8]               Il peut être difficile pour l’agent des visas de déterminer, même avec l’aide d’un médecin agréé, le contenu de l’obligation d’équité due aux demandeurs dans les cas où l’interdiction de territoire pour des raisons médicales est en cause. Cependant, depuis le jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 706, 33 Admin. L.R. (4th) 1, il est indéniable que la volonté et la capacité de la famille de payer le coût des programmes nécessaires doivent être prises en compte. Dans la présente affaire, il ne semble pas que l’agent ait tenu compte de ces éléments.

 

[9]               Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada au paragraphe 42 de l’arrêt Hilewitz, le terme « fardeau excessif » appelle intrinsèquement à l’évaluation et à la comparaison. En conséquence, les agents doivent déterminer le fardeau probable pour les services sociaux et non la simple admissibilité à ces services. La Cour a insisté sur la nécessité de procéder à des appréciations individualisées plutôt que génériques et d’évaluer les coûts en fonction de l’individu plutôt que de la déficience suivant une norme de probabilité raisonnable. Cette évaluation nécessite implicitement une détermination de la disponibilité et des coûts raisonnablement prévisibles des programmes nécessaires. Dans la présente affaire, ce renseignement ne figure pas au dossier.

 

[10]           L’agent des visas n’a fourni aucun renseignement dans la lettre d’équité au sujet de la disponibilité, de la rareté ou des coûts des programmes dont Grace pourrait avoir besoin; il a simplement mentionné l’existence d’une subvention spéciale que l’Ontario versait aux écoles comptant des élèves qui avaient besoin d’importants services d’éducation spécialisée. Effectivement, il est évident que l’agent a imposé aux demandeurs l’obligation de fournir ces renseignements et jugé que la demande était inadéquate, puisque ces renseignements ne figuraient pas dans le plan. L’agent a également décrit à tort le plan des demandeurs comme un document montrant une intention de recourir aux services sociaux et aux services de santé alors que cette intention n’a nullement été formulée, étant donné que Grace pourrait être admissible à des services d’éducation spécialisée, d’orthophonie et d’ergothérapie ainsi qu’à des services de relève en Ontario. L’admissibilité en soi n’est pas la norme. Il doit y avoir une probabilité raisonnable que les programmes seraient nécessaires.

 

[11]           Les demandeurs ont fourni toute l’information qu’ils pouvaient donner, notamment un relevé de leurs fonds disponibles et une description de leur réseau de soutien, et ont déclaré que leur plan consistait à fournir les soins à domicile et à envoyer Grace à l’école privée. Les demandeurs ont également fourni des renseignements détaillés au sujet de l’école où ils avaient l’intention d’envoyer Grace, de même qu’une lettre dans laquelle le directeur de l’école a confirmé que ce plan était réalisable et s’est engagé à aider Grace et sa famille à surmonter les problèmes liés au développement de la fillette.

 

[12]           Au moment d’évaluer la mesure dans laquelle l’état de santé d’une personne risquerait d’entraîner un fardeau excessif, l’agent des visas doit se fonder sur l’avis d’un médecin agréé qui est suffisamment détaillé pour lui permettre d’expliquer la décision aux parties, de rendre compte de celle-ci devant le public et d’en permettre une révision efficace en appel : Parmar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2010] CF 723, au paragraphe 45. Dans la présente affaire, l’avis du médecin agréé qui a été versé au dossier n’est nullement étayé, si ce n’est par la remarque suivante formulée en passant dans les notes consignées dans le système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) :

[traduction] Le médecin agréé a passé le dossier en revue et estime que l’argument ne modifie pas l’évaluation initiale quant à l’interdiction de territoire pour des raisons médicales.

 

[13]           Cette remarque n’explique nullement pourquoi le médecin agréé estimait que Grace était interdite de territoire. Comme l’a récemment souligné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sapru, précité, au paragraphe 54, lors de l’examen des motifs à l’appui de l’avis d’un médecin agréé, il faut chercher à savoir si une lacune a empêché l’agent des visas d’évaluer le caractère raisonnable de l’avis. Dans cette même affaire, la Cour d’appel fédérale a jugé que les déclarations du médecin agréé, qui étaient semblables à celles de la présente affaire, étaient insuffisantes et constituaient un manquement à l’équité procédurale qui ne pouvait être compensé par les motifs plus détaillés figurant dans les notes que l’agent des visas a consignées dans le STIDI.

 

[14]           Eu égard aux circonstances particulières de la présente affaire, l’omission de l’agent des visas de préciser dans la lettre d’équité les coûts supplémentaires qui entraîneraient un fardeau excessif et le caractère insuffisant des motifs du médecin agréé constituent un déni de justice naturelle. En conséquence, la présente demande sera accueillie et l’affaire sera renvoyée en vue d’un nouvel examen par un agent différent.

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée en vue d’un nouvel examen par un agent différent. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    IMM-4081-10

 

INTITULÉ :                                                   CICELY ALMINDA CRAMER et

WINSTON ANDREW SAMUEL CRAMER,

GRACE ADIA CRAMER et

JOSHUA EMANUEL CRAMER,

représentés par leur tutrice à l’instance

                                                                        CICELY ALMINDA CRAMER

 

                                                                        c.

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 2 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MOSLEY

 

DATE DU JUGEMENT :                             Le 8 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Stephan Gold

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ronald Poulton

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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