Cour fédérale |
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Federal Court |
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 29 juin 2011
En présence de monsieur le juge Near
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 7 juillet 2010, par laquelle une agente d’immigration (l’agente) a rejeté la demande de résidence permanente au Canada du demandeur.
[2] L’agente n’a pas été convaincue que le demandeur avait une offre d’emploi réservé authentique, comme l’exigent les Instructions ministérielles. Dans ce contexte, l’agente n’a pas été convaincue que le demandeur satisfaisait aux critères d’admissibilité concernant les travailleurs qualifiés.
[3] Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.
I. Le contexte
A. Le contexte factuel
[4] Le demandeur, Omar Garcia Porfirio, est âgé de 35 ans et est citoyen du Mexique. Il a obtenu un diplôme en droit de l’Université autonome de Guerrero. Il a présenté une demande d’admission au Canada dans la catégorie des travailleurs qualifiés après avoir obtenu une offre d’emploi comme superviseur de lavage de vitres.
[5] Le demandeur est venu pour la première fois au Canada en avril 2000. À cette époque, les ressortissants mexicains n’avaient pas besoin d’un visa pour se rendre au Canada. À son arrivée, le demandeur s’est vu accorder un visa de visiteur, valable pour six mois. Lors de son séjour, il a passé du temps avec Erick et Tina Luna. Dans son affidavit, il a expliqué qu’il connaissait M. Luna parce que des membres de sa famille avaient travaillé pour les parents de celui‑ci au Mexique. C’est au cours de ce séjour qu’on lui a présenté l’épouse de M. Luna, Tina, et leurs enfants.
[6] À l’automne de 2000, le demandeur a présenté une demande de prorogation de son visa. Mme Luna a écrit une lettre d’appui à sa demande. La demande de prorogation a été accordée en octobre 2000, et le demandeur est rentré au Mexique avant l’expiration de son visa.
[7] Le demandeur est revenu au Canada à titre de visiteur en mars 2001. Il prétend qu’à cette époque il n’a pas travaillé, mais qu’il était soutenu financièrement par sa famille au Mexique. Lorsqu’il a présenté une demande de prorogation de son visa, Mme Luna a une fois de plus écrit une lettre d’appui, et la prorogation a été accordée de nouveau.
[8] Avant l’expiration de son statut, le demandeur a présenté une demande d’asile, alléguant qu’il craignait de rentrer au Mexique, parce qu’il avait reçu des menaces de membres du groupe Zapatista. Après avoir présenté sa demande, il a obtenu un permis de travail et a commencé à chercher un emploi afin de pouvoir subvenir à ses besoins.
[9] Par coïncidence, à la même époque, l’entreprise familiale des Luna, Town and Country Window Cleaning (Town and Country), a fait paraître une annonce, parce qu’elle cherchait à pourvoir un poste de laveur de vitres vacant. M. Luna a offert ce travail au demandeur en se fondant sur les bonnes relations de travail qu’il y avait toujours eu entre leurs familles. Le demandeur a accepté l’offre et il et entré au service des Luna en 2002. De l’avis de M. Luna, le demandeur était un employé modèle, qui est graduellement passé du niveau de laveur de vitres à celui de superviseur du lavage de vitres.
[10] La demande d’asile a été rejetée le 3 décembre 2003, et le demandeur a sollicité l’autorisation de soumettre cette décision à un contrôle judiciaire. L’autorisation a été refusée par la voie d’une ordonnance judiciaire datée du 11 mars 2004. Le demandeur a décidé de ne pas demander d’examen des risques avant renvoi et est rentré au Mexique le 18 décembre 2005. Il travaillait alors sans interruption pour la famille Luna depuis 2002.
[11] Selon l’affidavit du demandeur, la famille Luna a envisagé d’ouvrir, au Mexique, une succursale de leur entreprise de nettoyage de vitres avec le concours du demandeur. Celui-ci a présenté une demande de permis de travail temporaire en décembre 2005, afin de pouvoir revenir au Canada pour y suivre une formation plus poussée avant d’étendre l’entreprise au Mexique. On l’a informé qu’étant donné que la mesure d’interdiction de séjour conditionnelle le concernant était devenue une mesure d’expulsion, il lui fallait une autorisation spéciale pour revenir au Canada. Cette autorisation spéciale lui a été refusée le 6 mai 2006.
[12] Le demandeur soutient que la famille Luna avait de la difficulté à trouver un employé fiable et qualifié pour pourvoir le poste laissé vacant par son départ et, de ce fait, Town and Country a entrepris d’obtenir de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC)/Service Canada un avis relatif au marché du travail afin qu’elle puisse lui offrir le poste. Town and Country a reçu un avis sur un emploi réservé (AER) favorable le 23 janvier 2008, et cet AER est valable jusqu’au 1er janvier 2012.
[13] Le demandeur a ensuite présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés. Il a présenté l’AER favorable avec le reste de sa demande. Malgré cela, et en dépit de son diplôme en droit, le demandeur n’a pas réussi à obtenir le minimum de points requis. L’agente d’immigration n’a accordé au demandeur aucun point pour ses études postsecondaires, parce qu’il n’avait pas suivi les cours professionnels qui sont exigés pour pouvoir exercer le droit au Mexique. Le demandeur a décidé de rehausser ses diplômes d’études et de présenter une nouvelle demande.
[14] Le demandeur a présenté sa seconde demande liée à la catégorie des travailleurs qualifiés au bureau de réception centralisée de Sydney, en Nouvelle-Écosse. Depuis la publication d’Instructions ministérielles en novembre 2008, seuls les requérants ayant une offre d’emploi réservé, ou satisfaisant à deux autres exigences précisées, peuvent voir leur cas traité dans la catégorie des travailleurs qualifiés. Le 20 janvier 2010, le demandeur a appris par courriel qu’il avait été recommandé que sa demande soit soumise au traitement d’admissibilité final au bureau des visas au Mexique, du fait de son emploi réservé au Canada.
[15] Le demandeur a été invité à une entrevue à l’ambassade du Canada le 6 juillet 2010. L’agente qui l’a accueilli a eu de sérieux doutes au sujet de l’authenticité de l’offre d’emploi réservé du demandeur. Selon les notes figurant dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI), l’agente a exprimé l’avis qu’il était déraisonnable que Town & Country ait encore besoin des services du demandeur quatre ans après lui avoir initialement offert l’emploi et elle a décidé qu’il était nécessaire de lui faire passer une entrevue pour déterminer l’authenticité de l’offre d’emploi.
[16] Les notes indiquaient que la future employeuse du demandeur, Mme Luna, avait envoyé des lettres de soutien en sa faveur en 2000 et en 2001, et que celle-ci était décrite à cette époque comme une amie. Le demandeur a déclaré dans sa demande avoir travaillé pour Mme Luna de mars 2001 à décembre 2005 (il a précisé dans son affidavit qu’il était confus et s’était trompé au sujet du moment où il avait commencé à travailler pour l’entreprise. C’était plutôt en 2002 qu’il avait commencé à travailler, ce qui est confirmé par l’affidavit d’Erick Luna. Cependant, tous les documents relatifs à la demande qui figurent dans le dossier certifié du tribunal indiquent que le demandeur a commencé à travailler pour Town and Country en mars 2001).
B. La décision contestée
[17] Lors de l’entrevue, le demandeur a dit avoir rencontré Mme Luna pour la première fois en 2001, après avoir répondu à une annonce d’emploi trouvée dans un journal latino-américain. Avant 2001, dit-il, il n’avait jamais entendu parler de son entreprise.
[18] L’agente a demandé au demandeur à qui il allait rendre visite en octobre 2000, avant que l’offre d’emploi soit censément annoncée. Le demandeur, avec hésitation, selon les notes du STIDI, a admis avoir rendu visite à Tina et à Erick Luna. Il a toutefois soutenu que c’était par l’entremise d’une annonce publiée dans un journal qu’il avait pris connaissance de l’offre d’emploi.
[19] Dans son affidavit, le demandeur explique qu’il avait trouvé l’agente intimidante et qu’il avait le sentiment que sa demande serait rejetée s’il disait à cette dernière que c’était par l’entremise des Luna qu’il avait pris directement connaissance de l’offre d’emploi. Dans son affidavit, il dit regretter de ne pas avoir été plus franc au sujet de la manière dont il avait trouvé l’emploi.
[20] L’agente a continué d’interroger le demandeur sur sa relation avec Tina Luna. Ce dernier a eu l’impression que l’agente essayait de sous-entendre qu’il entretenait une relation romantique avec Mme Luna.
[21] L’agente a conclu que le demandeur ne répondait pas à ses questions. Il a gardé le silence quand elle lui a demandé d’expliquer comment il se pouvait que Tina Luna l’ait invité au Canada en 2000 et en 2001, mais qu’il n’ait pris connaissance de l’emploi disponible que par l’entremise d’une annonce parue dans un journal. L’agente a eu de sérieux doutes au sujet des divergences relevées dans les réponses du demandeur, doutes que celui‑ci n’a pas dissipés, et ce, même s’il a eu plusieurs occasions de le faire.
[22] La demande de résidence permanente du demandeur a été rejetée par lettre le lendemain, soit le 7 juillet 2010. L’agente s’est dit non convaincue que le demandeur avait répondu véridiquement à ses questions lors de l’entrevue. Elle a eu aussi des doutes à propos de la relation que le demandeur entretenait avec Mme Luna, qui avait fait l’offre d’emploi réservé. Elle a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères d’admissibilité énoncés dans les Instructions ministérielles, parce qu’elle n’était pas convaincue qu’il avait une authentique offre d’emploi réservé.
II. Les questions en litige
[23] Le demandeur soulève les questions suivantes :
a) L’agente a-t-elle outrepassé sa compétence en décidant d’apprécier l’authenticité de l’offre d’emploi?
b) L’agente a-t-elle commis une erreur en interprétant et en exposant mal la preuve dont elle disposait?
c) L’agente a-t-elle manqué à l’obligation d’équité?
III. La norme de contrôle applicable
[24] L’évaluation que fait l’agente du demandeur, en rapport avec une demande de résidence permanente présentée dans la catégorie des travailleurs qualifiés, est un exercice de pouvoir discrétionnaire auquel il convient d’accorder une grande retenue (Bellido c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452, 138 A.C.W.S. (3d) 728, au paragraphe 5). La question de savoir si l’agente avait le droit d’examiner l’authenticité de l’offre d’emploi est une question de droit, et les mesures prises par l’agente à cet égard n’appellent aucune retenue.
[25] Comme il est indiqué dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47, le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[26] Les questions d’équité procédurale sont contrôlées par rapport à la norme de la décision correcte.
IV. Arguments et analyse
A. L’agente a-t-elle outrepassé sa compétence en décidant d’apprécier l’authenticité de l’offre d’emploi?
[27] Selon le demandeur, l’agente a outrepassé sa compétence en décidant d’apprécier l’authenticité de son offre d’emploi réservé. Il est d’avis qu’on a délégué à RHDCC la responsabilité de décider si l’offre d’emploi est authentique lorsque ce ministère donne un AER. À la suite de ce long processus, qui est mené par un bureau spécialisé au Canada, il n’est pas loisible à un agent des visas situé à l’étranger d’apprécier à nouveau si l’offre est authentique ou non.
[28] À l’appui de cet argument, le demandeur cite la feuille d’information de RHDCC sur les emplois réservés, qui décrit un AER comme suit :
AVIS RELATIF À UN EMPLOI RÉSERVÉ
Dans le cadre du processus de demande de résidence permanente, Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC)/Service Canada formule un avis relatif à un emploi réservé (AER) lorsqu’un formulaire « Demande d’avis relatif à un emploi réservé » est envoyé par un employeur qui a fait une offre d’emploi permanent à un travailleur étranger en vue d’appuyer sa demande de résidence permanente. L’avis se fonde sur les critères suivants :
1. l’offre d’emploi est-elle authentique?
2. la rémunération offerte au travailleur qualifié est‑elle conforme au taux de rémunération en vigueur pour la profession et les conditions de l’emploi satisfont-elle [sic] aux normes canadiennes généralement acceptées?
3. s’agit-il d’un emploi saisonnier ou à temps partiel?
[Non souligné dans l’original.]
[29] De plus, le site Web de RHDCC indique que l’authenticité de l’offre d’emploi est un facteur dont on tient principalement compte au moment de formuler un AER :
En évaluant une offre d’emploi, RHDCC/Service Canada considère principalement :
· la profession que le travailleur étranger occupera;
· les salaires et les conditions d’emploi offerts;
· l’authenticité de l’offre et l’historique de l’employeur;
· si l’offre est permanente, à temps plein et non saisonnière.
[Non souligné dans l’original.]
[30] Par ailleurs, le demandeur se fonde sur une combinaison de dispositions législatives et de principes qui guident les agents des visas dans leur travail. Aux termes du sous-alinéa 82(2)c)(ii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), les agents attribuent des points pour un emploi réservé si l’offre est approuvée et qu’« un agent a approuvé cette offre sur le fondement d’un avis émis par le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences à la demande de l’employeur, à sa demande ou à celle d’un autre agent, où il est affirmé que […] l’offre d’emploi est véritable ». Le chapitre 6 du Manuel des opérations (OP 6), qui porte sur le traitement des travailleurs qualifiés, prescrit aux agents des visas d’attribuer des points pour un emploi réservé lorsque le demandeur : a) a soumis un AER favorable de Service Canada et satisfait aux normes et aux conditions de délivrance d’un permis imposées au Canada pour exercer l’emploi et b) « est apte à accomplir le travail et est disposé à accepter l’emploi et à l’occuper » (OP 6, 12.15).
[31] Le demandeur soutient que lorsqu’on prend en considération la totalité de ces informations, il est manifeste que RHDCC est mandaté pour apprécier l’authenticité de l’offre d’emploi au moment de décider s’il convient d’approuver ou non un AER. RHDCC a une connaissance spécialisée du marché du travail canadien, et une agente des visas est mal placée pour substituer son jugement à celui de ce ministère, qui détient une expertise particulière. Le demandeur ajoute que la situation dont il est question en l’espèce est analogue à celle de l’établissement de la matrice de la Classification nationale des professions (la CNP). La Cour a conclu antérieurement que la CNP est une directive à l’intention des agents des visas « qu’il faut obligatoirement suivre » pour l’évaluation des demandeurs de visa, et un agent ne peut ajouter aux exigences de la CNP à partir de sa propre vision du marché du travail (voir : Paracha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 3 Imm. L.R. (3d) 293, 90 A.C.W.S. (3d) 940, aux paragraphes 4 et 5).
[32] Le défendeur soutient que la conclusion de RHDCC, selon laquelle l’offre d’emploi faite à un demandeur est authentique, n’empêche pas un agent des visas d’examiner et d’apprécier l’authenticité de cette offre. Il est d’avis que RHDCC a un mandat différent de celui des agents d’immigration. RHDCC s’intéresse au marché du travail canadien, mais les agents d’immigration ont pour tâche de faire appliquer les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Cela étant, ils doivent apprécier si les offres que l’on fait aux demandeurs sont authentiques, afin de veiller à ce que ces derniers satisfassent aux exigences en matière d’immigration au Canada.
[33] Je conviens que RHDCC et Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) ont des buts différents à atteindre et des points de référence différents à respecter, et il est tout aussi clair qu’ils ont chacun un champ d’expertise différent. À cet égard, CIC a décidé de recourir aux connaissances spécialisées de RHDCC pour aider à simplifier les formalités relatives aux travailleurs qualifiés. Cependant, c’est l’agent d’immigration ou des visas qui est encore le dernier point de contrôle du système. Bien que l’on puisse prescrire à un agent de prendre au pied de la lettre l’AER de RHDCC, cet agent a pour instruction et est tenu, par l’article 82 du Règlement, d’examiner si le demandeur est en mesure d’exercer les fonctions de l’emploi et s’il est vraisemblable qu’il acceptera de les exercer.
[34] Le défendeur étaye cette opinion en soulignant la mise en garde qui est expressément formulée dans le site Web de RHDCC et qui précise les limites des AER :
En elle-même, une offre d’emploi permanent ne permet pas à un étranger d’immigrer au Canada. Pour qu’un étranger puisse devenir résident permanent, il doit :
Satisfaire aux exigences prévues pour la catégorie « travailleurs qualifiés »; […]
(Critères d’évaluation de RHDCC/Service Canada pour les avis sur les emplois réservés :
http://www.rhdcc.gc.ca/fra/competence/travailleurs_etrangers/evalempres.shtml)
[Souligné dans l’original.]
C’est donc dire que, bien qu’un agent d’immigration ne puisse pas examiner l’authenticité de l’offre d’emploi, il ne lui est certes pas interdit d’apprécier l’authenticité des intentions du demandeur, dans la mesure où cela est nécessaire pour garantir que l’on respecte les exigences de la LIPR.
[35] Le juge Sean Harrington a traité récemment de ce point particulier dans la décision Gill c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 466. Dans cette affaire, le ministre a laissé entendre que l’avis de RHDCC était une condition préalable à une nouvelle appréciation de la part d’un agent des visas. Le ministre s’est fondé sur la décision de la juge Judith Snider dans l’affaire Bellido c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452, 138 A.C.W.S. (3d) 728, où elle a déclaré ce qui suit, au paragraphe 21 :
[21] La validation de DRHC n’est pas, comme le prétend la demanderesse, une preuve suffisante d’emploi réservé. Une telle validation ne libère pas l’agent des visas de son obligation de déterminer si la demanderesse est en mesure d’effectuer le travail décrit dans la validation.
[36] Le juge Harrington a invoqué cette affaire pour faire valoir le même point que celui que j’ai essayé de faire ressortir plus tôt. Plus précisément, lu de pair avec le paragraphe 82(2) du Règlement, qui exige qu’un agent évalue si un travailleur qualifié est en mesure d’exercer les fonctions de l’emploi et s’il est vraisemblable qu’il acceptera de les exercer, « ce précédent permet certainement d’affirmer que l’agent des visas doit décider si le demandeur est taillé pour l’emploi » (au paragraphe 16). Cependant, ayant tranché la demande pour des motifs d’équité procédurale, le juge Harrington n’a pas voulu dire si un agent des visas, affecté à un bureau situé dans un autre pays, est habilité à passer outre à l’avis de RHDCC, qui est basé sur une enquête qui a eu lieu au Canada et qui confirme que l’offre est véritable. Il a conclu qu’il valait mieux laisser cette question pour plus tard.
[37] Je conviens avec le demandeur que, de façon générale, il serait inusité que l’agente mette en doute les besoins en matière de lavage de vitres dans le sud de l’Ontario et rejette du revers de la main l’AER favorable que Town & Country avait obtenu. Cependant, je ne suis pas persuadé que c’est ce qui s’est passé, ou que l’agente a outrepassé sa compétence en rendant sa décision.
1) Le manque de la crédibilité du demandeur a-t-il été déterminant?
[38] La présente affaire se complique parce que le demandeur a lui-même admis ne pas avoir été dit tout à fait la vérité lors de son entrevue. Il disait avoir trouvé le travail de lavage de vitres dans une annonce parue dans un journal et n’avoir rencontré Mme Luna qu’après avoir répondu à cette annonce. Quand l’agente, se fondant sur des notes figurant dans le Système de soutien des opérations des bureaux locaux (le SSOBL), a ressorti la lettre que Mme Luna avait écrite en faveur du demandeur en 2000, soit avant l’existence de la prétendue annonce de journal, le demandeur a été pris en flagrant délit de mensonge. Il n’est pas parvenu à dissiper de manière satisfaisante l’ombre de doute que cela a fait naître.
[39] Le défendeur soutient que, peu importe si l’agente avait le droit ou non de mettre en doute l’authenticité de l’offre d’emploi réservé, elle avait le droit de refuser la demande, car elle avait conclu que le demandeur ne disait pas la vérité. Je suis d’accord.
[40] Les notes figurant dans le STIDI reflètent cette même manière de penser. Avant que l’agente fasse état de ses doutes au sujet de l’authenticité de l’offre d’emploi et de la relation entre le demandeur et Mme Luna, elle a écrit ceci :
[Traduction]
CONFORMÉMENT AU L16, LE DEMANDEUR EST TENU DE RÉPONDRE VÉRIDIQUEMENT À TOUTES LES QUESTIONS QUI LUI SONT POSÉES AUX FINS DE L’EXAMEN. LE DEMANDEUR NE M’A PAS CONVAINCUE QU’IL A RÉPONDU AVEC SINCÉRITÉ AUX QUESTIONS QUE JE LUI AI POSÉES À L’ENTREVUE, CONFORMÉMENT AU L16.
[41] Aux termes du paragraphe 16(1) de la LIPR, l’auteur d’une demande doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis. Le défendeur soutient que, pour ce motif, l’agente avait le droit de refuser la demande après avoir conclu que le demandeur ne disait pas la vérité.
[42] En réponse à cet argument, le demandeur soutient que l’entrevue n’aurait jamais dû avoir lieu au départ, car son prétendu objet – apprécier l’authenticité de l’offre d’emploi – outrepassait la compétence de l’agente. De plus, de l’avis du demandeur, les questions auxquelles il a répondu faussement sont sans importance, car elles portent sur un sujet qui est sans rapport avec le traitement de sa demande. Les questions en litige étaient axées sur la relation entre Mme Luna et le demandeur. Selon ce dernier, rien dans la LIPR n’empêche les gens qui entretiennent déjà une relation de nouer une relation d’employeur-employé authentique. Dans ce contexte, il importe peu que le demandeur ait menti à propos du moment de sa rencontre avec Mme Luna. Le demandeur est d’avis que de légères incohérences relevées dans les réponses données lors d’une entrevue ne peuvent pas déterminer l’issue d’une demande.
[43] Le demandeur était manifestement tenu de dire la vérité, et il ne s’est pas conformé tout à fait à cette exigence. Comme il le soutient, la question consiste donc à savoir si cela est suffisant en soi pour trancher sa demande et le présent contrôle judiciaire.
[44] La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer aux décisions relatives à la crédibilité est la raisonnabilité. L’agente a pris le demandeur en flagrant délit de mensonge – ce dernier reconnaît l’avoir induite en erreur. Quoiqu’il soutienne que son mensonge était sans importance, que devait faire l’agente? À l’entrevue, le demandeur a eu plusieurs chances d’éclaircir la confusion, mais il a décidé de ne pas le faire. Cela, à juste titre, a éveillé les soupçons de l’agente, et elle n’a pas été convaincue que l’offre d’emploi était authentique. Si l’on examine le dossier, cela me paraît semblable au fait de décider qu’il était peu vraisemblable que le demandeur exercerait les fonctions de l’emploi. Certes, pour veiller à ce que cette condition soit remplie, un agent a le droit de prendre en considération la nature de la relation employeur‑employé.
[45] Bien que demandeur fasse valoir – et que la jurisprudence confirme – que l’article 16 exige une certaine pertinence, le juge Michael Phelan décrit cette disposition en ces termes : « […] il est question de véracité au sens de l’exactitude et de l’intégralité des renseignements. On n’y parle pas et on n’y impose pas de seuil d’importance, bien que la pertinence soit toujours requise ». (Mescallado c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 462, au paragraphe 16). Le fait de conclure qu’un demandeur n’a pas respecté l’obligation d’honnêteté qu’impose l’article 16 permet à un agent des visas de refuser une demande, en application du paragraphe 11(1) de la LIPR, pour non-conformité à la Loi. Comme l’a conclu le juge Phelan dans la décision Mescallado, précitée, l’article 16 est une disposition de nature discrétionnaire, et il reste à trancher la question de savoir si la décision était raisonnable. Dans le cas présent, cela oblige à prendre en considération de manière assez tautologique si l’agente était fondée à mettre en doute l’authenticité de l’offre d’emploi.
[46] Le demandeur a fait valoir de manière convaincante qu’il vaut mieux laisser à RHDCC le soin d’évaluer les besoins du marché du travail canadien, mais je ne suis pas convaincu que, dans la présente affaire, l’agente a commis une erreur. Il incombait au demandeur de produire les éléments de preuve nécessaires pour lui montrer qu’il satisfaisait aux exigences de la LIPR. L’agente a eu, à juste titre, des doutes quant à la crédibilité du demandeur, et elle en a fait part à ce dernier lors d’une entrevue. L’agente ne pouvait peut-être pas apprécier l’authenticité de l’offre au Canada, mais rien ne l’empêchait d’apprécier la légitimité de la demande générale du demandeur. C’est ce qu’elle a essayé de faire en l’espèce. En mentant à l’entrevue, le demandeur s’est effectivement tiré dans le pied. Il y avait manifestement un fondement raisonnable à la décision de l’agente. Le système d’immigration canadien repose sur le fait que toutes les personnes qui présentent une demande en vertu de la Loi fournissent des renseignements véridiques et complets (Cao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 450, 367 F.T.R. 153), et il m’est donc impossible de conclure que l’agente a commis une erreur.
B. L’agente a-t-elle commis une erreur en interprétant et en exposant mal la preuve dont elle disposait?
[47] Aux dires du demandeur, l’agente a mal énoncé et mal interprété la preuve. Dans les notes qu’elle a inscrites dans le STIDI, cette dernière dit ceci : [traduction] « Dans le SSOBL, les notes relatives au demandeur, qui sont datées d’octobre 2000 et d’octobre 2001, indiquent que l’employeuse, Mme Luna, a remis des lettres de soutien au client afin qu’il obtienne l’autorisation d’entrer et de rester au Canada ». L’agente fait sans cesse référence à des lettres d’invitation écrites par Mme Luna. Le demandeur soutient que cela est erroné, car, à l’époque, il n’avait pas besoin d’un visa pour pouvoir entrer au Canada, et les lettres étaient en fait des lettres d’appui à l’égard de sa demande de prorogation de son visa de visiteur. Aux yeux du demandeur, il est évident que l’agente a mal compris les éléments de preuve.
[48] Sur ce point, je me dois de souscrire à l’argument du défendeur. Ce dernier soutient qu’il importe peu que l’agente ait déclaré que Mme Luna avait invité le demandeur au Canada, plutôt qu’appuyé la prorogation de son visa. Le point qu’a souligné l’agente, et que le demandeur a plus tard admis, était que ce dernier ne disait pas la vérité quand il avait déclaré, lors de son entrevue, qu’il n’avait rencontré Mme Luna qu’en 2001.
C. L’agente a-t-elle manqué à l’obligation d’équité?
[49] D’après le demandeur, si l’agente avait le droit de vérifier l’authenticité de l’offre d’emploi, elle a néanmoins commis une erreur en manquant de deux façons à son droit à l’équité procédurale.
[50] Premièrement, l’agente a omis d’aviser le demandeur et son employeur que l’AER faisait l’objet d’un examen. Dans l’esprit du demandeur, tant son éventuel employeur que lui-même étaient en droit de présumer que la question était réglée une fois que l’AER favorable avait été formulé et que le dossier avait été transféré au bureau des visas du Mexique pour traitement.
[51] Deuxièmement, le demandeur soutient que l’agente a manqué à l’obligation d’équité en omettant de passer en revue le contenu des lettres invoquées, ainsi qu’en omettant de lui remettre des copies des lettres afin qu’il puisse les examiner et les commenter. À son avis, il s’agissait là d’une preuve extrinsèque qu’il fallait communiquer.
[52] Le défendeur soutient qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale, et je suis d’accord avec lui. Rien ne permet d’exiger que l’agente informe le demandeur qu’on allait examiner son offre d’emploi réservé. Quoi qu’il en soit, la lettre l’informant de la tenue de l’entrevue lui demandait de produire des éléments de preuve liés à son emploi et, expressément, d’expliquer pourquoi Town & Country gardait encore l’emploi à sa disposition. Comme le soutient le défendeur, il incombe au demandeur de produire la totalité des éléments de preuve qui sont exigés pour pouvoir traiter sa demande.
[53] Le demandeur fait également valoir que, comme sa demande avait déjà été traitée une fois et qu’aucun doute au sujet de l’offre d’emploi n’avait été soulevé, on aurait dû lui accorder un degré d’équité procédurale supérieur, parce qu’il s’attendait légitimement à ce que son offre d’emploi ne pose pas de problème. Je suis d’avis que la perception qu’a le demandeur du traitement antérieur infructueux de sa demande n’est pas suffisante pour fonder une attente légitime qui déclencherait le besoin d’envoyer un avis. Toute condition de notification a été remplie dans la lettre informant le demandeur de la tenue de l’entrevue.
[54] Quant au second problème du contenu des lettres, il n’était pas nécessaire que l’agente obtienne et communique des copies de ces dernières, car leur contenu importait peu. Leur existence même, consignée dans les notes du SSOBL, était en soi suffisante pour montrer que le demandeur ne disait pas la vérité. De plus, on ne peut pas considérer ces lettres comme une preuve extrinsèque, puisqu’elles ont été écrites à la requête du demandeur et faisaient partie de la demande qu’il a lui-même présentée en 2000 et en 2001 afin de pouvoir rester au Canada. On ne peut pas dire que le demandeur n’était pas au courant de l’existence de ces lettres, ni de leur contenu.
V. Conclusion
[55] À mon avis, aucune question grave de portée générale n’est soulevée et, cela étant, aucune ne sera certifiée.
[56] Compte tenu des conclusions qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
Juriste-traducteur et traducteur-conseil
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6030-10
INTITULÉ : OMAR GARCIA PORFIRIO c. MCI
DATE DE L’AUDIENCE : LE 18 MAI 2011
DATE DES MOTIFS : LE 29 JUIN 2011
COMPARUTIONS :
Barbara Jackman
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Asha Gafar
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Barbara Jackman Jackman & Associates Toronto (Ontario)
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada
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