[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 30 juin 2011
En présence de madame la juge Johanne Gauthier
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] M. Alberto Giuseppe Ferraro sollicite le contrôle judiciaire de la décision rejetant sa demande de permis de séjour temporaire (Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, article 24 (la LIPR)) et sa demande de prise en compte de facteurs d’ordre humanitaire (la demande CH). Cette dernière demande visait à faire annuler l’interdiction de territoire prononcée contre lui pour grande criminalité (LIPR, article 25).
[2] M. Ferraro est un Équatorien qui a immigré au Canada à l’âge de neuf ans et qui y a toujours vécu depuis. Sa famille vit au Canada, à savoir ses quatre enfants[1] et un beau-fils[2], son père veuf, sa sœur, ses tantes, ses oncles et ses cousins. Pour l’heure, il vit avec son père malade et son actuelle conjointe de fait, son beau-fils et leur enfant nouveau-née (Savannah). Il est le propriétaire de deux entreprises de voitures de luxe à Toronto, dont l’une a été lancée en février 2009. Il a très bien réussi dans ses affaires et, dans l’une des conclusions écrites présentées en son nom, son avocat affirme qu’il est à l’abri du besoin.
[3] M. Ferraro a plaidé coupable en septembre 2001 à un chef de trafic d'une substance désignée et à un chef de possession de biens volés d’une valeur inférieure à 5 000 $. Il s’est vu imposer des peines de trois ans à purger concurremment et a été libéré au bout de sept mois à la faveur d’une procédure d’examen expéditif. Une mesure d’expulsion a été prononcée contre lui en 2002.
[4] Depuis lors, M. Ferraro a été l’objet de diverses accusations (en 2003, 2007 et 2009) liées à la drogue[3], qui avaient toutes été suspendues ou abandonnées lorsque la décision ici contestée fut rendue.
[5] Il a déposé en mai 2006 sa demande de permis de séjour temporaire et sa demande CH et, pour des raisons qui n’ont pas été totalement expliquées[4], la décision n’a été rendue que le 18 juin 2010, après qu’il eut déposé plusieurs mises à jour de ses observations et de sa preuve[5].
[6] M. Ferraro soulève plusieurs points concernant la décision, notamment des points d’équité procédurale. D’abord, selon lui, la responsable du dossier aurait dû lui faire bénéficier d’une entrevue, mais, à la suite d’un échange de vues au cours de l’audience, il a été admis que cet argument n’était pas autorisé par le droit en vigueur.
[7] Deuxièmement, M. Ferraro fait valoir que la responsable du dossier a fait naître chez lui une crainte raisonnable d'une partialité qui aurait vicié totalement l’examen qu’elle a fait de son affaire. Cette allégation de partialité se fondait sur un échange de courriels entre le défendeur et les fonctionnaires de l’Agence des services frontaliers du Canada (l'ASFC). En outre, selon le demandeur, la responsable n’avait pas tenu compte du fait qu’il n’avait purgé que sept mois de sa peine de trois ans et qu’il avait été libéré pour bonne conduite à la faveur d’une procédure d’examen expéditif. Pour le demandeur, c’était là un facteur important à prendre en compte quant à sa réinsertion sociale.
[8] M. Ferraro a aussi accordé une grande importance au fait que la responsable du dossier ait semblé s’être fondée sur un document périmé de la GRC lorsqu’elle a écrit que les accusations portées contre lui en décembre 2009 étaient encore en attente de jugement, alors que la pièce P du dossier du demandeur montre clairement qu’il y a eu suspension de ces accusations (mais son avocat n’était pas présent à l’instance et il avait demandé par la suite, mais en vain, l’abandon de ces accusations). Le défendeur a rétorqué que, dans ses observations écrites adressées à la responsable du dossier, l’avocat du demandeur n’évoquait même pas l’issue des accusations en question, alors même que les observations avaient été déposées un mois après que les accusations eurent été suspendues[6]. Cela dit, et en tout état de cause, le poids donné par la responsable à ces accusation a été négligeable, voire nul.
[9] Le demandeur soutient aussi qu’il était fautif pour la responsable de s’en rapporter à des accusations, en particulier à celles déposées en 2003, qui ont plus tard été abandonnées, vu que des accusations abandonnées ne sont pas une preuve de criminalité.
[10] Troisièmement, M. Ferraro soutient que la responsable a eu tort d’affirmer qu’elle n’avait guère de preuve de sa réinsertion sociale puisqu’il avait produit une preuve abondante de cette réinsertion, notamment, comme je l'ai mentionné, le fait qu’il avait été libéré au bout de sept mois, pour bonne conduite, à la faveur d’une procédure d’examen expéditif, le fait qu’il avait participé à un programme appelé Choix, et le fait que son entreprise soutient financièrement des organismes de bienfaisance pour enfants, des équipes et des églises. Cela dit, il n’est pas évident que les appuis financiers en cause faisaient partie intégrante de son programme de réinsertion sociale par opposition à son rôle habituel au sein de la collectivité, étant donné que M. Ferraro affirme seulement que ces appuis ont été apportés [TRADUCTION] « par le passé ainsi qu’aujourd’hui » (Dossier certifié, page 47)[7].
[11] Quatrièmement, M. Ferraro affirme qu’il y a un vice dans la manière dont la responsable a évalué l’intérêt supérieur de ses enfants. Son principal argument sur ce point concernait une affirmation de la responsable du dossier, qui écrivait que, en cas de renvoi de M. Ferraro, [TRADUCTION] « chacun des enfants conserve au Canada son père ou sa mère qui peut s’occuper de lui », et que, s’agissant de son beau-fils, Rio, il y conservait les deux – sa mère et son père biologique. Selon le demandeur, c’est là une affirmation ridicule puisque le père biologique de Rio se serait montré violent, comme l'affirmait une lettre de l’épouse de fait du demandeur (la mère de Rio)[8]. Le défendeur a exprimé son désaccord, affirmant que l’analyse relative à l’intérêt supérieur de l'enfant était raisonnable, d’autant qu’une autre lettre de l’épouse de M. Ferraro confirmait que Rio voit son père biologique les fins de semaine et durant certains congés[9], ce qui montre que le père biologique est maintenant un père responsable.
[12] Cinquièmement, bien que M. Ferraro affirme qu’il était déraisonnable pour la responsable du dossier d’imaginer qu’il pourrait être expulsé vers l’Italie au lieu de l’Équateur, ce n’est pas là un argument sur lequel il a insisté au cours de l’audience tenue devant moi, étant donné que l’Italie avait été évoquée par le demandeur lui-même comme pays possible de destination[10] et que la responsable n’a manifestement exprimé aucune opinion sur cet aspect. Elle a simplement voulu englober dans ses motifs toutes les observations faites par M. Ferraro et par son avocat.
[13] Finalement, le demandeur a trouvé à redire au fait que la responsable du dossier n’avait pas fait une analyse distincte portant sur sa demande de permis de séjour temporaire.
[14] Les parties s’accordent pour dire que, aux questions portant sur l’équité procédurale, notamment en cas d’allégation d’existence d’une crainte raisonnable de partialité, c'est la décision correcte qui s'applique comme norme de contrôle (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 (Khosa); Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir); Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 646, au paragraphe 14). Quant à la validité de la décision globale rendue en vertu de la disposition de la LIPR relative aux facteurs d’ordre humanitaire, c’est une question à laquelle est généralement appliquée la raisonnabilité comme norme de contrôle (arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 et 53; arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; décision Kinsana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 307 (décision confirmée : 2009 CAF 189), au paragraphe 12) (Kinsana). La manière dont la responsable a apprécié l’intérêt supérieur des enfants doit être revue d’après la raisonnabilité (décision Kinsana, précitée). Pareillement, la manière dont elle a évalué et apprécié la preuve se rapportant à la criminalité du demandeur, à sa réinsertion sociale et à son renvoi vers l’Équateur ou vers l’Italie sera revue d’après la raisonnabilité (arrêt Khosa, précité, au paragraphe 46; décision Katwaru c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1277, au paragraphe 30). Quant au fait que la responsable n’ait pas motivé séparément sa décision touchant la demande de permis de séjour temporaire, il n’importe pas que nous considérions cette omission comme étant une question d’équité procédurale (comme cela fut fait dans la décision Voluntad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1361 (Voluntad)) ou comme étant une erreur de droit appelant l’application de la décision correcte, ou que nous la considérions au regard de la norme générale de raisonnabilité, puisque, dans un cas comme dans l’autre, cela ne change rien à la décision ultime de la Cour de ne pas intervenir sur ce point.
[15] Un demandeur doit avancer des arguments très convaincants pour établir qu’il y a crainte raisonnable de partialité (Zambrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 481, au paragraphe 53). L’échange de courriels invoqué par le demandeur ne révèle aucun mobile diabolique de la part du défendeur, et la Cour ne saurait décemment voir dans ces courriels ce que le demandeur prétend y trouver. Une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, penserait que le défendeur voulait simplement faire avancer le dossier de M. Ferraro, ce que M. Ferraro avait lui-même demandé à plusieurs reprises[11].
[16] S’agissant maintenant de l’argument du demandeur qui affirme que la responsable du dossier n’a pas dûment pris en compte le fait qu’il avait été libéré à la faveur d’une procédure d’examen expéditif et qu’elle a tiré une conclusion déraisonnable à propos de sa réinsertion sociale, la Cour fait observer que les arguments de M. Ferraro concernant sa réinsertion se limitaient en réalité à ce qui a déjà été décrit de même qu’aux déclarations de son avocat (déclarations non appuyées par des affidavits), lequel affirme que M. Ferraro ne fréquente plus les personnes liées aux accusations portées contre lui, qu’il est un homme nouveau ainsi qu’en atteste sa réussite dans les affaires, enfin qu’il s’occupe bien de sa famille[12]. Dans ses motifs, la responsable évoque explicitement les antécédents professionnels de M. Ferraro, ses appuis financiers, le programme Choix ainsi que ses relations d’affaires et ses relations personnelles. Elle précise qu’il a été mis en liberté après avoir purgé sept mois de sa peine, à la faveur d’une procédure d’examen expéditif, et cela à la première page de sa décision portant sur le contexte, ainsi qu’à la page 8 du Dossier certifié, où elle cite précisément une déclaration écrite du demandeur lui-même expliquant comment il en était venu à commettre une erreur de jugement, comment il avait employé son temps en prison pour parfaire son éducation, et comment il avait bénéficié d’une procédure d’examen expéditif et en avait profité pour s’inscrire au programme Choix, en ajoutant aussi que, depuis sa déclaration de culpabilité prononcée en 2001, il n’avait pas été déclaré coupable d’une autre infraction. La responsable évoque aussi ladite procédure d’examen expéditif en citant sur la même page une ancienne déclaration solennelle faite par le demandeur.
[17] Il existe une présomption selon laquelle la responsable du dossier a considéré l’ensemble de la preuve qui lui a été soumise. Cette présomption ne sera réfutée que si la preuve qui n’est pas analysée présente une forte valeur probante et porte sur une question qui intéresse au plus haut point la demande (arrêt Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 598 (C.A.); décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n° 1425, 157 F.T.R. 35, au paragraphe 17; on trouvera des explications additionnelles dans l’arrêt Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331, aux paragraphes 9 à 11). Au vu des circonstances particulières de la présente affaire, je ne suis pas disposée à conclure que, du seul fait que la responsable ne s’est pas attardée une nouvelle fois sur la procédure d’examen expéditif dont elle a parlé à la page 10 du Dossier certifié, elle a de ce fait négligé de tenir compte de cet aspect dans son évaluation de la réinsertion sociale de M. Ferraro.
[18] Je ne suis pas persuadée que la responsable a négligé d’apprécier l’ensemble de la preuve produite avant d’arriver à sa conclusion. Comme elle l'a dit, elle a aussi pris en compte les relations du demandeur à l’époque et a conclu que, en 2001, il était déjà âgé de 39 ans et que nul ne pouvait prétendre qu’il était [TRADUCTION] « un jeune sans cervelle qui avait de mauvaises fréquentations ». À ce stade de sa vie, il avait déjà des enfants à lui et il exploitait une entreprise qui avait été établie depuis déjà de nombreuses années et qui était apparemment prospère. Il semblait donc que son unique motivation avait été le gain personnel. S’agissant de la conclusion de la responsable sur la nature de la criminalité du demandeur[13], c’était une conclusion qui manifestement appartenait aux issues pouvant se justifier au regard des faits et du droit dans la présente affaire.
[19] La responsable a pu omettre le fait que les accusations de 2009 avaient été suspendues, mais cette erreur n’était pas significative, d’autant que, comme l’a noté le défendeur, les observations du demandeur adressées à la responsable ne précisaient même pas qu’il y avait eu suspension un mois auparavant[14]. La Cour ne saurait demander à la responsable d’expliquer dans ses motifs davantage que ce que requéraient les arguments du demandeur, d’autant plus que, dans une demande de prise en compte de facteurs d'ordre humanitaire, c’est au demandeur qu’il appartient d’apporter la preuve de toute affirmation sur laquelle il se fonde (arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38).
[20] Au cours de l’audience, le débat principal a porté sur la question de l’importance accordée par la responsable du dossier aux accusations abandonnées, en particulier à celles qui avaient été portées en 2003. L’avocat du demandeur a fait valoir que, selon un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, des accusations qui ont été abandonnées ou rejetées ne peuvent servir à prouver la criminalité d’une personne. Cet argument est également confirmé par le jugement Thuraisingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 607 (Thuraisingam), où la juge Mactavish écrivait qu’« il faut établir une distinction entre le fait de se fonder sur le fait qu’une personne a été accusée d’une infraction criminelle et le fait de se fonder sur la preuve qui sous-tend les accusations en question » (paragraphe 35). Dans cette affaire, fait valoir le demandeur, il existait une preuve externe qui sous-tendait les accusations, notamment une preuve obtenue par écoute électronique ainsi que les affidavits d'un policier et d'un témoin, tandis que, dans la présente affaire, les accusations abandonnées n’étaient exposées en détail que dans des documents du CIPC (notamment un dossier de déclaration de culpabilité et un rapport d’arrestation) et dans un sommaire de l’ASFC. Le demandeur s’est aussi fondé sur un jugement de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique, Bain v. Rodrigue, 2004 BCPC 259, où l’on a jugé qu’un dossier d’arrestation n’est pas suffisamment digne de foi pour être considéré comme étant une preuve recevable dans quelque procédure que ce soit.
[21] Les observations du demandeur sur le droit sont justes, mais la Cour ne peut convenir que l’analyse de la responsable concernant les accusations abandonnées était déraisonnable. Il ne s’agit pas ici d’un cas où le décideur s’est servi des accusations en tant que telles comme preuve de la criminalité de M. Ferraro. Ici, la responsable n’a pris note que de la preuve matérielle trouvée sur les lieux mêmes de l’entreprise de M. Ferraro au moment de la saisie, quelle qu’ait pu être la personne impliquée ou fautive. Elle a fait état de son inquiétude à propos des quantités de drogues et d’armes qui avaient été trouvées et saisies. La preuve sous-jacente retenue par la responsable du dossier reposait sur un inventaire des articles saisis, dont le rapport de police donnait le détail. C’est là une preuve concrète qui peut être distinguée des allégations de participation à des activités criminelles, ce dont il s’agissait dans l’affaire Thuraisingam. Dans ses nombreuses et volumineuses observations, et bien qu’il aborde dans le détail les dernières accusations portées au criminel contre lui, M. Ferraro n’a jamais contesté le fait qu’une preuve matérielle a été trouvée en 2003 dans les locaux de son entreprise[15]. Au vu des circonstances de la présente affaire, il était loisible à la responsable de juger crédible la portion du rapport d’incident qui concerne la saisie matérielle. En tout état de cause, elle écrit finalement qu’elle accorde peu de poids à ce facteur et que, tout bien considéré, et sans faire état des nombreuses accusations ultérieures, c’était à son avis les déclarations de culpabilité prononcées en 2001 contre le demandeur qui constituaient le facteur déterminant de la demande, ainsi qu’on peut le lire dans ses observations à la page 10 du Dossier certifié.
[22] Pareillement, l’argument du demandeur selon lequel la responsable n’a pas dûment tenu compte de l’intérêt supérieur de ses enfants n’est pas non plus recevable. La jurisprudence récente sur la question a été résumée par le juge Michel Shore dans la décision Khoja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 142, où il concluait que l’intérêt supérieur de l'enfant n’est que l’un des facteurs dont doivent tenir compte les décideurs appelés à se prononcer sur des facteurs d'ordre humanitaire (paragraphe 43). Ce facteur n’est pas nécessairement déterminant dans une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.
[23] La responsable du dossier a clairement pris en compte les circonstances particulières de chaque enfant séparément, notamment les lettres venant d’eux et de leurs mères. Elle a relevé que M. Ferraro participe en effet activement à la vie de ses trois plus jeunes enfants, bien qu’il n'ait pas la garde de Victoria ni de Damian, et qu'il ne soit pas le père biologique de Rio. On ne saurait douter qu’elle a été réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, surtout qu’elle confirme, dans ses conclusions, qu’ils montrent tous un fort attachement à leur père. Selon elle, ce facteur militait en faveur de l’octroi du privilège exceptionnel sollicité par le demandeur. Je ne vois aucune raison d’intervenir dans cette partie de la décision.
[24] La décision n’est pas une décision clémente, et elle aura une incidence considérable sur le demandeur, sur sa famille et sur ses employés, mais le raisonnement de la responsable du dossier est convaincant et équilibré, et il répond aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité dont il est question au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. La responsable devait mettre en équilibre non seulement l’intérêt supérieur des enfants et le principe général de réunification et de préservation de la cellule familiale, mais également l’objectif manifeste du législateur d’éloigner les criminels du Canada (arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, au paragraphe 10; Ramnanan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 404, aux paragraphes 2, 46 et 47). Dans ce contexte et dans l'ensemble, la décision contestée appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et la Cour ne saurait intervenir en substituant sa propre appréciation à celle de la responsable.
[25] Il n’y a pas eu non plus erreur de la part de la responsable lorsqu’elle a rejeté la demande de permis de séjour temporaire du demandeur sans en faire une analyse séparée. En fait, puisque cette demande de M. Ferraro était manifestement fondée sur les mêmes moyens que ceux de sa demande de prise en compte de facteurs d'ordre humanitaire, il était loisible à la responsable de s’en rapporter tout simplement à la même analyse (décision Voluntad, précitée).
[26] Les parties n’ont pas proposé que soit certifiée une question et, puisque selon moi la présente affaire constitue un cas d’espèce, aucune question ne sera certifiée.
[27] La demande sera rejetée.
ORDONNANCE
LA COUR statue comme suit : la demande est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes, LL.B.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4643-10
INTITULÉ : ALBERTO GIUSEPPE FERRARO
c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : le 19 mai 2011
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LA JUGE GAUTHIER
DATE DES MOTIFS : le 30 juin 2011
COMPARUTIONS :
Erin Roth
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POUR LE DEMANDEUR
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Jamie Todd Mahan Keramati |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ormston, Bellissimo, Rotenberg
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POUR LE DEMANDEUR
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |
[1] Vanessa, née en 1984; Victoria, née en 1997; Damian, né en 2006; Savannah, née en 2009. Tous les enfants sont nés de mères différentes.
[2] Rio, né en 1998 d’une liaison antérieure de l’actuelle conjointe de fait de M. Ferraro.
[3] Une des accusations concernait une agression sexuelle.
[4] L’une des raisons était le fait que la responsable du dossier cherchait de l'information sur de nouvelles accusations et sur l’évolution du dossier.
[5] Ses premières observations ont été déposées le 26 mai 2006; elles ont été mises à jour le 21 septembre 2007, le 29 janvier 2009 et, finalement, le 31 mai 2010.
[6] Voir l’affidavit de Jillan Sadek, au paragraphe 17.
[7] On ne sait donc pas s’il y a eu également de tels appuis financiers avant 2001, année où il avait plaidé coupable à des accusations au criminel.
[8] Dossier certifié, paragraphe 31.
[9] Dossier certifié, paragraphe 426.
[10] Voir les conclusions du 26 mai 2006 (Dossier certifié, paragraphes 551 à 553).
[11] Voir les demandes d’examens expéditifs, dans le Dossier certifié, aux paragraphes 129, 133, 136 et 380.
[12] Voir notamment ses observations du 21 septembre 2007 auxquelles il joignait une liste de facteurs prouvant sa réinsertion.
[13] On peut lire, dans le rapport narratif sur la criminalité rédigé par un enquêteur de l'immigration, un rapport mentionné dans la décision contestée (Dossier certifié, paragraphes 4 et 5), que les déclarations de culpabilité prononcées contre le demandeur se rapportaient à la vente de dollars US contrefaits et d'armes à feu, à la possession de stéroïdes anabolisants, d’ecstasy et de cannabis et que le demandeur était [TRADUCTION] « très impliqué depuis plusieurs années dans le trafic de drogues ».
[14] La pièce P du dossier de demande montre qu’il y a eu suspension le 6 avril 2010 concernant ces accusations et que les observations supplémentaires de M. Ferraro concernant sa demande de prise en compte de facteurs d'ordre humanitaire portent la date du 31 mai 2010. Dans ses observations du 29 janvier 2009, l’avocat du demandeur avait écrit qu’il était fort probable que lesdites accusations seraient abandonnées. Il est donc surprenant qu’il n’en ait rien dit dans ses observations du 31 mai 2010.
[15] Dans ses observations additionnelles adressées à la Cour, le demandeur semble admettre que des drogues ont été trouvées dans les locaux de son entreprise en 2003 (Exposé supplémentaire d’arguments du demandeur, au paragraphe 25).