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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date : 20110615

Dossier : IMM-6374-10

Référence : 2011 CF 699

Montréal (Québec), le 15 juin 2011

En présence de madame la juge Bédard

 

ENTRE :

 

CLAUDIA ALICIA RAMOS VILLEGAS

 et

LUIS VILLEGAS RIVERA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 c. 27 (la LIPR), d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), rendue le 22 septembre 2010 (signature des motifs le 12 octobre 2010) refusant aux demandeurs les statuts de réfugiés au sens de la Convention et de personnes à protéger.

 

I. Contexte

 

[2]        Claudia Alicia Ramos Villegas (la demanderesse) et son époux, Luis Villegas Rivera (le demandeur) sont des citoyens du Mexique. Le demandeur a entièrement basé sa demande de protection sur celle de la demanderesse.

 

[3]        La demanderesse allègue avoir été victime d’agression verbale et physique le 2 juillet 2006, alors qu’elle agissait à titre de scrutatrice dans un bureau de vote. Elle aurait été agressée par son superviseur, soit  un membre de l’Institut fédéral électoral du Mexique (IFE du Mexique) et du Parti action nationale (PAN), parce qu’elle aurait laissé des gens de plus de soixante ans voter, contrairement aux instructions de celui-ci. Ce dernier l’aurait menacée de mort et l’aurait également accusé d’être complice du Parti révolutionnaire démocratique (PRD). Elle allègue qu’après cet incident, elle s’est rendue à deux reprises au ministère public, soit les 4 et 7 juillet 2006, et ce, afin de déposer une plainte, mais sans résultat.

 

[4]        La demanderesse aurait par la suite été victime d’agressions verbales et physiques et se serait sentie sous surveillance, et ce, durant la période allant du 7 juillet 2006 au 1er avril 2008. Lors du dernier incident, un agent de la police ministérielle conduisant un de ses véhicules l’aurait interpellé, la sommant de se calmer pour ne pas qu’un accident ne lui arrive.

 

 

 

II. Décision de la Commission

 

[5]        La Commission a soulevé des doutes quant à la crédibilité de la demanderesse en raison de contradictions entre les informations contenues dans son formulaire de renseignements personnels et son témoignage à l’audience, mais elle a jugé que la question déterminante résidait dans la possibilité de refuge intérieur (PRI).

 

[6]        La Commission a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas déchargés du fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils seraient à risque sur l’ensemble du territoire mexicain. La Commission a estimé que les réponses et explications de la demanderesse étaient insuffisantes pour démontrer que ses agresseurs avaient la volonté ou la capacité de la retrouver partout au Mexique.

 

[7]        D’abord, la Commission n’a pas retenu les explications que la demanderesse a données pour motiver sa décision de ne pas être déménagée dans un autre endroit du Mexique. La Commission résume comme suit les explications de la demanderesse :

[13]      […] Le tribunal lui a demandé alors pourquoi elle n’avait pas déménagé dans son pays au moment où elle se sentait dans l’insécurité. Elle a dit : « Ce serait la même chose ». Invitée à dire ce qu’elle veut dire lorsqu’elle a dite : « Ce serait la même chose », la demandeure principale répond en disant : « Peu importe où je vais, il faut m’identifier dans le système et c’est facile de trouver quelqu’un ». Elle ajoute : « Il faut donner ses coordonnées, le CURP, son permis de conduire ainsi que sa carte d’électeur ». […]

 

[8]        La Commission a rejeté ces explications et précisé avoir référé « à la documentation sur le Mexique qui dit que pour obtenir des informations personnelles sur un citoyen au Mexique, il faut un ordre de cour et même pas les agents fédéraux ne peuvent accéder à ces données sans une ordonnance de la Cour et d’une autorisation écrite du Ministère public. »

 

[9]        La Commission a également jugé insuffisantes les autres explications données par la demanderesse qui faisaient référence à un risque généralisé engendré par l’existence de conflits par rapport à des assassinats, de la violence, des narcotrafiquants et des politiciens corrompus.

 

III. Question en litige

 

[10]      Les demandeurs soutiennent que la Commission a erré en concluant à l’existence d’une PRI puisque sa conclusion était fondée sur une appréciation déraisonnable de la preuve. De façon précise, les demandeurs reprochent à la Commission d’avoir omis de considérer la preuve documentaire crédible et digne de foi qui était contraire à ses conclusions.

 

IV. La norme de contrôle

 

[11]      Il est établi que les conclusions tirées relativement à l’existence d’une PRI sont assujetties à la norme de la décision raisonnable (Kumar c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)), 2011 CF 45 au para 6 (disponible sur CanLII); Ramirez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 227 au para 13 (disponible sur CanLII); Guerilus c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 394 au para 10 (disponible sur CanLII); Krasniqi c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 350, au para 25 (disponible sur CanLII)).

 

[12]      Il est également bien établi que les conclusions de faits de la Commission, et plus particulièrement son appréciation de la preuve, sont elles aussi assujetties à la norme de la décision raisonnable. Il n’appartient pas à la Cour de substituer son appréciation de la preuve à celle de la Commission, ni de réévaluer le poids accordé par la Commission à certains éléments de preuve. Elle n’interviendra que si les conclusions de la Commission sont tirées de façon arbitraire, abusive ou sans tenir compte de la preuve (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339. 

 

V. Analyse

 

La Commission a-t-elle apprécié la preuve de façon déraisonnable et a-t-elle omis de considérer des éléments de preuve documentaires pertinents?

 

[13]      Les demandeurs allèguent que la Commission a fait une analyse superficielle et sélective de la preuve documentaire. Ils soutiennent notamment que la Commission a omis de considérer la preuve documentaire qui contredisait sa conclusion suivant laquelle il faut un ordre du tribunal pour obtenir des informations personnelles sur un citoyen. Les demandeurs soutiennent que des extraits du cartable national sur le Mexique (la pièce « B » du dossier du demandeur) démontrent que dans les faits, il existe d’autres façons d’obtenir des informations personnelles au Mexique. Cette preuve documentaire, de l’avis des demandeurs, corroborent leurs prétentions qu’ils seraient facilement retrouvables par les agresseurs de la demanderesse. L’extrait sur lequel s’appuient les demandeurs date d’octobre 2005. Il fait référence à l’opinion du secrétaire de l’Église Unie du Canada pour la région des Caraïbes et de l’Amérique Latine qui mentionne qu’il est facile de retrouver quelqu’un au Mexique en raison de l’usage répandu de la carte d’électeur à titre de pièce d’identité et le manque de protection des informations contenues dans les bases de données des institutions publiques en général. L’extrait renvoie également à un article dans le Latin Americana du 18 juin 2003 qui a signalé que les renseignements du registre de l’IFE du Mexique avaient été vendus illégalement à des instances publiques des États-Unis.

 

[14]      Le défendeur soumet pour sa part que la décision de la Commission est appuyée sur la preuve. Il soutient, en outre, que la Commission est présumée avoir considéré toute la preuve, et ce, qu’elle en ait ou non fait mention dans ses motifs et qu’elle n’a pas l’obligation de mentionner et de commenter des passages précis de la preuve documentaire. Le défendeur soutient de surcroît qu’il ne s’agit pas d’un cas où la preuve documentaire va directement à l’encontre de la conclusion de la Commission. Le défendeur soutient également que la documentation sur laquelle s’est appuyée la Commission est plus récente (2007) que celle invoquée par les demandeurs. De plus, le défendeur soutient  que même si la Cour estimait que la Commission a erré dans son appréciation de la capacité de l’agent persécuteur de les retracer, la Commission avait aussi conclu de façon raisonnable que la preuve ne démontrait pas que l’agent persécuteur avait la volonté de les retracer. 

 

[15]      Avec égard, je ne partage pas l’opinion des demandeurs.  

 

[16]      La Commission est présumée avoir considéré l’ensemble de la preuve et il n’est pas nécessaire qu’elle mentionne tous les éléments de preuve documentaire dont elle disposait (Florea c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1993] ACF no 598 (disponible sur QL)).  

[17]      Je considère qu’en l’espèce, il ne s’agissait pas d’un cas où la Commission devait traiter spécifiquement de la preuve soumise par les demandeurs telle que l’exige la jurisprudence lorsque les éléments de preuve invoqués par une partie contredisent directement les conclusions tirées par le décideur (Cepeda-Gutierrez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, 157 FTR 35).

 

[18]      D’abord, la preuve documentaire invoquée par les demandeurs date de 2005 alors que la preuve documentaire invoquée et citée par la Commission date de 2007 et est donc plus récente. De plus, l’article dont est tiré l’extrait cité par la Commission contient des informations qui contredisent les opinions émises dans le document invoqué par les demandeurs.  

 

[19]      Cet article contient notamment les informations suivantes :

[…] Aucun des informateurs ne connaissait de cas où des témoins de crimes ou de corruption aient été retrouvés par leurs agresseurs à l’aide des bases de données ou des registres gouvernementaux […].

 

[20]      La preuve documentaire invoquée par les demandeurs repose sur  l’opinion de deux personnes et est contredite par  la preuve documentaire plus récente. Bien qu’il soit vrai que la preuve invoquée par les demandeurs contredise la conclusion de la Commission, la conclusion de la Commission est néanmoins conforme à la preuve documentaire plus récente faisant partie et servant d’appui à l’extrait cité par la Commission. Je considère donc que la Commission n’avait pas l’obligation de mentionner de façon spécifique la preuve documentaire invoquée par les demandeurs. La Commission pouvait faire le tri entre les éléments favorables aux demandeurs et ceux qui l’étaient moins et il lui appartenait de soupeser cette preuve. L’appréciation de la preuve faite par la Commission était raisonnable et conséquemment ne justifie pas l’intervention de la Cour.

 

[21]      La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 

[22]      Les parties n’ont proposé aucune question pour fin de certification et ce dossier n’en soulève aucune. 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6374-10

 

INTITULÉ :                                       CLAUDIA ALICIA RAMOS VILLEGAS ET AL.

                                                            c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT                                LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 15 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Claude Whalen

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Yaël Levy

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Claude Whalen

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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