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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 


Date : 20110608

Dossier : IMM-6497-10

Référence : 2011 CF 653

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2011

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

 

GUSTAVO MENDEZ LOPERA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 7 octobre 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), au motif qu’il n’était pas crédible et qu’il n’avait pas de crainte subjective ou objective de persécution en Colombie.

 

LES FAITS

Le contexte

[1]               Le demandeur, un Colombien, est arrivé au Canada avec sa mère le 3 février 2009 et a demandé l’asile. Il était alors âgé de 16 ans (sa date de naissance est le 23 avril 1992). Sa demande a été jointe à celles de sa sœur, Andrea Catalina Mendez Lopera, de l’époux de cette dernière et de leur fille.

 

[2]               Le demandeur a déclaré qu’il craignait d’être persécuté par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC), qui l’ont ciblé en raison de ses liens avec sa mère et sa sœur.

 

[3]               En 2004, la sœur du demandeur, une physiothérapeute, ainsi que sa mère et d’autres professionnels de la santé ont enregistré une fondation, FUNDEPRO, ayant pour but d’offrir des services sociaux et de santé aux personnes défavorisées à Tolima, région de la Colombie où habitait la famille. Leur organisation a participé, entre autres, à une campagne de vaccination gouvernementale dans la région. Pendant le déroulement de la campagne de vaccination, la sœur du demandeur et d’autres membres de son organisation ont été enlevés par les FARC. Les FARC voulaient que l’organisation de sa sœur offre des services médicaux à leurs guérilleros. Toutes ces personnes, sauf une, ont par la suite été délivrées par l’armée colombienne.

 

[4]               Dans les mois qui ont suivi l’enlèvement, la fondation de la sœur du demandeur est devenue la cible d’offensives régulières des FARC. Elle a été victime de menaces, dont une descente dans ses locaux et le vol de son équipement médical, et de tentatives de recrutement afin qu’elle travaille pour les FARC. La mère du demandeur a contacté les autorités colombiennes, mais celles‑ci ont seulement suggéré que l’organisation cesse ses activités dans les régions rurales.

 

[5]               Ces menaces ont poussé la mère et la sœur du demandeur à fuir vers Bogota, où elles ont tenté de se cacher. Là‑bas, elles ont appris que les FARC avaient vandalisé les bureaux de la fondation, enlevé l’un des médecins afin qu’il travaille pour leur mouvement et déclaré que la mère ainsi que la sœur du demandeur étaient des cibles des FARC et qu’elles étaient condamnées à mourir.

 

[6]               Vu la grande vraisemblance des menaces, la sœur du demandeur a été forcée de fuir la Colombie, laissant sa fille malade et son époux à la maison. En juin 2004, elle s’est réfugiée aux États‑Unis. Sa fille et son mari sont venus l’y rejoindre quatre mois plus tard. Elle est demeurée illégalement aux États‑Unis jusqu’en 2008, lorsqu’elle est venue au Canada et a présenté la demande d’asile à laquelle celle du demandeur se trouvait jointe initialement.

 

[7]               Entre‑temps, le demandeur, ses parents et sa sœur cadette étaient allés se cacher dans la municipalité de Cundinamarca, en Colombie. Le père du demandeur était un agent retraité de la police colombienne, et il s’opposait fermement à ce qu’ils quittent le pays sous les menaces des guérilleros. De plus, la sœur cadette du demandeur souffrait de graves problèmes de santé qui l’empêchaient de quitter la Colombie.

 

[8]               Après avoir passé deux ans dans la clandestinité, le père du demandeur a jugé qu’ils n’étaient probablement plus des cibles des FARC. La famille est donc retournée dans sa ville natale. Personne n’a été importuné.

 

[9]               Deux ans plus tard, la mère du demandeur a décidé de reprendre les activités de la fondation, ce qu’elle a fait en décembre 2008 d’après le demandeur. Ce dernier a déclaré que, le 16 décembre 2008, les FARC ont fait irruption lors d’une réception de Noël organisée par la fondation, ont pris l’argent, l’équipement médical et les ordinateurs, et ont dit à la mère du demandeur que la fondation aurait à leur payer chaque mois une somme de 2 000 millions de pesos.

 

[10]           Le demandeur a devancé son déménagement prévu à Bogota, où il s’était inscrit à l’université dans un programme d’études en biologie marine. Ses parents croyaient qu’il serait en sécurité à Bogota. Le demandeur a déclaré que, le 29 décembre 2008, sa mère a reçu un appel téléphonique la prévenant que la vie de tous les membres de la famille était en danger, y compris celle du demandeur, si elle ne payait pas la somme exigée.

 

[11]           Le père a reconnu le danger, et les parents du demandeur ont déménagé à Bogota où ils espéraient pouvoir se cacher. Ils devaient toutefois retourner régulièrement dans leur ville natale pour aller voir leur fille cadette qui y était hospitalisée dans une clinique.

 

[12]           La sœur du demandeur est sortie de l’hôpital le 13 janvier 2009. Les parents du demandeur ont alors décidé de réinstaller définitivement la famille à Bogota. Ils ont loué un appartement dans lequel ils prévoyaient emménager le 15 janvier 2009. À leur arrivée à l’appartement, cependant, ils ont découvert qu’il avait été vandalisé, et à l’intérieur se trouvait une carte de condoléances des FARC sur laquelle étaient inscrits les noms de chacun des membres de la famille. La mère du demandeur a alors pris des dispositions pour qu’elle‑même et le demandeur se rendent au Canada. Son père est demeuré en Colombie avec sa sœur, celle‑ci étant incapable de partir en raison de son état de santé. La famille a plutôt installé la sœur cadette du demandeur dans une clinique de Cali qui pourrait prendre soin d’elle. La mère du demandeur est retournée en Colombie pour rendre visite à son époux et à sa fille malade, mais elle se trouvait au Canada grâce à un visa de visiteur lorsque la demande d’asile a été faite.

 

La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[13]           Dans la décision datée du 7 octobre 2010, la Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur, mais a accepté celles de sa sœur, du mari de cette dernière et de leur fille. En ce qui concerne le demandeur, la Commission a conclu qu’il n’était pas crédible et qu’il n’avait pas de crainte subjective ou objective de persécution en Colombie :

[11]      Les questions déterminantes à trancher en l’espèce sont celle de la crédibilité, notamment de la crainte subjective du demandeur d’asile, et celle de savoir si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté aux mains des FARC advenant son retour en Colombie aujourd’hui a un fondement objectif. Pour évaluer cette demande d’asile, le tribunal a tenu compte des éléments de preuve que la sœur de [sic] du demandeur d’asile a fournis de vive voix et par écrit, des observations écrites du conseil et de l’ensemble de la preuve documentaire présentée à l’audience.

 

[14]           La Commission a cité la règle de droit pertinente pour juger de la crédibilité du demandeur d’asile. Elle a reconnu que le témoignage fait sous serment est présumé être véridique, sauf s’il existe une raison valable de douter de sa véracité, et elle a déclaré que « le véritable critère » de la crédibilité consiste à vérifier si le témoignage est compatible avec « la prépondérance des probabilités ». Elle a conclu qu’elle doit être convaincue qu’il est probable que la preuve est crédible, et non simplement « possible ».

 

[15]           S’agissant d’abord de la crainte subjective, la Commission a conclu que le demandeur n’éprouvait pas de crainte subjective de persécution en raison des activités de sa sœur, parce qu’il est resté quatre ans en Colombie après le départ de sa sœur. Et ses parents, bien qu’ils aient été victimes des mêmes menaces que le demandeur, sont demeurés en Colombie, où son père continue d’exploiter une entreprise de taxis.

 

[16]           La Commission a également conclu que le demandeur n’éprouvait pas de crainte subjective fondée sur la reprise alléguée des menaces du fait que sa mère avait rouvert la fondation en 2008; la Commission a en effet découvert que la fondation n’avait pas repris ses activités. La Commission a eu des doutes à ce sujet lorsqu’elle a constaté qu’il n’y avait aucune preuve documentaire corroborant la réouverture ou les menaces subséquentes et les incidents connexes.

 

[17]           La Commission a rejeté les explications fournies par le demandeur quant à savoir pourquoi il n’avait pas de preuve documentaire. La Commission a conclu que, comme il s’est écoulé une année depuis son départ de la Colombie et que le père du demandeur est resté en Colombie pendant toute cette période, le demandeur aurait dû être en mesure d’obtenir une preuve documentaire corroborant la réouverture de la fondation.

 

[18]           La Commission a également rejeté la description faite par l’appelant au sujet du saccage de l’appartement de Bogota et de la « carte de condoléances » qui y aurait été laissée. Là encore, la Commission était d’avis que l’absence de preuve documentaire posait problème, et elle n’a pas accepté les explications données à ce sujet par le demandeur. Le tribunal a conclu que le récit du demandeur était inventé et qu’il n’éprouvait donc aucune crainte subjective ou objective de persécution en Colombie :

[21]      Par conséquent, compte tenu de la preuve présentée, le tribunal n’est pas convaincu que la famille du demandeur d’asile a déménagé à Bogota dans un appartement loué, comme il a été indiqué, et le tribunal ne croit pas que les FARC ont vandalisé cet appartement à Bogota. Le tribunal estime qu’afin d’étayer sa demande d’asile au Canada, le demandeur d’asile a inventé l’histoire selon laquelle la fondation avait repris ses activités et il avait reçu des menaces des FARC pour avoir omis de satisfaire à leur demande d’extorsion. Le tribunal est d’avis que les FARC souhaitaient uniquement s’en prendre à la sœur du demandeur d’asile et à d’autres professionnels de la santé qui travaillaient avec elle chez FUNDEPRO parce qu’ils avaient refusé de soigner des guérilleros blessés.

 

LA LÉGISLATION

[19]           L’article 96 de la LIPR accorde la protection aux réfugiés au sens de la Convention :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country

 

[20]           L’article 97 de la Loi accorde la protection aux personnes qui seraient personnellement exposées, par leur renvoi du Canada, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque d’être soumises à la torture :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[21]           Les observations présentées par le demandeur soulèvent les deux questions suivantes :

a)      La Commission a‑t‑elle négligé de tenir compte d’éléments de preuve pertinents?

b)      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable de l’absence d’éléments de preuve documentaire corroborants à l’appui de la demande d’asile?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[22]           Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’à la première étape du processus de contrôle judiciaire, « la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, le juge Binnie, au paragraphe 53.

 

[23]           Les arrêts Dunsmuir et Khosa établissent que les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit font généralement l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Les conclusions que la Commission a tirées au sujet de la crédibilité et de la crainte de persécution doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable : Wu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 929, au paragraphe 17; Triana Aguirre c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 571, au paragraphe 14.

 

[24]           Lorsqu’elle contrôle une décision de la Commission selon la norme de la décision raisonnable, la Cour examine « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi que « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59.

 

ANALYSE

Première question :    L
a Commission a‑t‑elle négligé de tenir compte d’éléments de preuve

                                    pertinents?

[25]           Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en tirant des conclusions défavorables à partir de certains faits, sans tenir compte des explications qui lui ont été fournies. En particulier, la Commission a conclu que le demandeur n’éprouvait pas de crainte subjective de persécution, notamment parce que ses parents et lui étaient restés en Colombie. Le demandeur soutient qu’en tirant une telle conclusion, la Commission n’a pas tenu compte de son témoignage et de ses observations au sujet de la situation unique de la famille, dont la détermination du père à rester et l’état de santé de sa sœur cadette qui l’empêchait de voyager. De plus, le demandeur et sa sœur ont tous deux témoigné que leur mère ne vit plus en Colombie, mais qu’elle y séjourne souvent. Le demandeur affirme que la situation de ses parents ne diminue en rien sa propre crainte de persécution ni le bien‑fondé de celle‑ci.

 

[26]           Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure que la décision du demandeur et de ses parents de rester en Colombie après la fuite de sa sœur ainsi que celle des parents de continuer à vivre et à travailler en Colombie ne concordent pas avec une crainte subjective de persécution.

 

[27]           La Cour croit, comme le demandeur, que la Commission n’a pas tenu compte de la totalité de la preuve qui expliquait pourquoi le demandeur et ses parents étaient restés en Colombie. En particulier, la Cour estime que la Commission aurait dû tenir compte du fait que les parents étaient restés en Colombie pour prendre soin de leur fille grièvement malade, qui était dans un centre hospitalier et médicalement inapte à voyager en avion. La Commission n’a pas tenu compte non plus du fait que la famille du demandeur avait vécu dans la clandestinité pendant deux ans ou qu’elle avait finalement quitté sa ville natale, deux éléments qui témoignent d’une crainte subjective de persécution. Enfin, la Commission a négligé de reconnaître que le demandeur avait seulement 12 ans en 2004 et n’était donc pas en mesure de quitter ses parents.

 

[28]           La Cour estime toutefois, malgré ces omissions, que les déclarations de la Commission concernant le comportement du demandeur et de ses parents n’ont pas eu un effet déterminant sur l’issue de la demande d’asile. En fait, le demandeur lui‑même a témoigné que sa famille avait cru qu’elle serait en sécurité en se cachant pendant deux ans après le départ de sa sœur. Le demandeur a déclaré que c’est seulement après la reprise des menaces, lorsque sa mère a rouvert la fondation, que la famille a jugé qu’il fallait s’enfuir. Ainsi, l’élément déterminant est la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas été une cible des FARC depuis la fuite de sa sœur et que son récit concernant la réouverture de la fondation par sa mère et les menaces subséquentes, y compris le saccage de l’appartement, était inventé.

 

Deuxième question : La Commission a‑t‑elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable de l’absence d’éléments de preuve documentaire corroborants à l’appui de la demande d’asile?

[29]           S’appuyant sur Ahortor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 65 F.T.R. 137 (C.F. 1re inst.), le demandeur soutient qu’il n’était pas loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable du seul fait que le demandeur n’avait pas produit de documents extrinsèques pour corroborer son récit de la réouverture de la fondation en 2008 ou des menaces qui ont suivi. Le demandeur affirme que la Commission a commis une autre erreur en ne tenant pas compte du témoignage de sa sœur, qui corroborait pourtant le récit du demandeur.

 

[30]           Le défendeur soutient qu’il est loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable du fait que le demandeur n’a pas fourni des documents qu’il aurait dû pouvoir se procurer et qu’il n’a pas expliqué cette omission de façon satisfaisante. Le défendeur cite Ortiz Juarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288, au paragraphe 7, où le juge Phelan a déclaré ce suit : « L’exigence de la corroboration relève du bon sens. » En l’espèce, la Commission a invité le demandeur à expliquer l’absence de documents justificatifs et a rejeté ces explications comme n’étant pas crédibles.

 

[31]           La question de savoir si l’on peut raisonnablement exiger une preuve corroborante dépend des faits propres à chaque cas. Dans Juarez, le juge Phelan a conclu qu’on aurait pu s’attendre à ce que le demandeur puisse avoir accès à une preuve corroborante, de sorte que, dans cette affaire, il était raisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable de l’absence de tels documents. En comparaison, dans Ahortor, la Commission avait mis en doute la crédibilité du demandeur en raison de contradictions qui n’étaient pas étayées par la preuve. Dans Ahortor, la Commission n’avait pas tenu compte des raisons fournies par le demandeur pour expliquer les contradictions apparentes, et le juge Teitelbaum a conclu que la Commission n’avait donné aucune raison valable de douter de la crédibilité du demandeur : Ahortor, aux paragraphes 43 et 44.

 

[32]           En l’espèce, il était raisonnable pour la Commission de s’attendre à obtenir des documents probants. La Commission a déclaré que la sœur du demandeur avait produit plusieurs documents démontrant son implication dans la mise sur pied et l’exploitation de la fondation, ainsi qu’au sujet des menaces et des agressions dont elle avait été victime. En comparaison, la Commission a remarqué qu’elle n’avait reçu aucune preuve documentaire corroborant la réouverture de la fondation par la mère du demandeur, la location de l’appartement à Bogota par la famille ou les menaces que la famille avait apparemment reçues par la suite. La Commission a tenu compte des raisons fournies par le demandeur pour expliquer l’absence de tels documents, notamment que sa mère et lui s’étaient enfuis dans une telle hâte qu’ils n’avaient pu les obtenir, mais a jugé que ces raisons étaient « vague[s] » et déraisonnables. Comme le père du demandeur était resté en Colombie, la Commission était d’avis qu’il aurait dû être possible d’obtenir certains documents.

 

[33]           Bien qu’il soit vrai que la Commission n’a pas tenu compte du témoignage corroborant de la sœur, la Cour conclut que son récit concernant ces aspects n’était pas différent de celui livré par le demandeur. La sœur n’a pas fourni d’explications ou de renseignements supplémentaires, et son témoignage constituait du ouï‑dire. La Cour estime donc que la Commission n’a pas commis d’erreur en ne reconnaissant pas explicitement que la sœur avait corroboré le témoignage du demandeur.

 

[34]           Le récit du saccage de l’appartement et de la « carte de condoléances » aurait été étayé par des documents s’il avait été véridique. L’absence de la carte de condoléances, en particulier, représente une lacune importante dans le récit du demandeur – c’est la « preuve irréfutable » qui aurait dû être produite.

 

CONCLUSION

[35]           La Commission a déclaré que la question déterminante à trancher était la crédibilité, et elle a conclu que le demandeur avait inventé les éléments clés de son allégation de crainte de persécution en Colombie, notamment le fait que sa mère avait rouvert la fondation et que sa famille avait reçu des menaces par la suite. La Commission n’ait pas tenu compte de certains éléments de preuve concernant la crainte subjective, mais il ne s’agissait pas de la question déterminante. La Cour n’a donc aucun motif pour intervenir.

 

QUESTION À CERTIFIER

[36]           Les deux parties ont informé la Cour que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale qu’il y aurait lieu de certifier en vue d’un appel. La Cour en convient.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6497-10

 

INTITULÉ :                                       Gustavo Mendez Lopera c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 8 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrea L. Marlowe

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Amy King

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Brodzky

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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