Cour fédérale |
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Federal Court |
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 6 juin 2011
En présence de monsieur le juge O'Reilly
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Aperçu
[1]
M. Puthenpurackal Prasad,
un citoyen de l’Inde, a présenté une demande de résidence permanente au Canada en
tant que travailleur qualifié. Un agent des visas au Haut-Commissariat du
Canada à Londres a conclu que M. Prasad n’a pas atteint le seuil des
67 points requis pour l’acceptation de la demande. M. Prasad soutient
qu’il aurait obtenu le nombre de points requis si l’agent avait apprécié
correctement ses études. Il me demande d’infirmer la décision de l’agent et
d’ordonner qu’un autre agent effectue un réexamen.
[2] Je suis d’accord avec M. Prasad que l’agent a erré et j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.
[3] La question principale est de savoir si l’agent a attribué le bon nombre de points dans la catégorie des études.
II. La décision de l’agent
[4]
M. Prasad
a suivi trois années d’études dans un collège polytechnique et a obtenu un
diplôme en informatique après avoir fait des études secondaires supérieures. Au
total, il a fait 15 années d’études à temps plein.
[5] L’agent des visas a conclu que M. Prasad aurait pu s’inscrire au programme en informatique après sa dixième année. Il n’avait pas besoin de faire sa onzième et sa douzième année pour pouvoir s’inscrire à ce programme. Par conséquent, l’agent a conclu qu’il devait attribuer des points pour un total de 13 années seulement d’études à temps plein à M. Prasad.
[6] M. Prasad avait d’abord eu l’intention de s’inscrire à l’université et non à un collège technique, ce qui l’avait mené à faire ses études secondaires supérieures. Un diplôme d’études secondaires supérieures est requis pour l’inscription à l’université en Inde. En fin de compte, les notes de M. Prasad n’étaient pas assez bonnes pour qu’il puisse s’inscrire à l’université; il a donc décidé de s’inscrire au collège. Il a par la suite obtenu une maîtrise ès science (technologie de l’information), mais ce fut après avoir présenté sa demande.
[7] Selon le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), un demandeur doit recevoir 15 points s’il a obtenu un diplôme postsecondaire nécessitant une année d’études et a accumulé un total de 13 années d’études à temps plein complètes (sous-alinéa 78(2)c)(i)) (voir l’annexe ci-jointe). Il s’agit de la disposition sur laquelle l’agent s’est appuyé en ce qui concerne la demande de M. Prasad. L’agent a conclu que, parce que M. Prasad aurait pu s’inscrire à son programme après 10 années d’études, les deux autres années ne devaient pas être comptées dans le total des années complètes d’études à temps plein parce qu’elles étaient superflues pour l’obtention de son diplôme.
[8]
M. Prasad
soutient que l’agent aurait plutôt dû invoquer le sous-alinéa 78(2)e)(i).
Cette disposition prévoit qu’un demandeur doit recevoir 22 points s’il a
obtenu un diplôme postsecondaire nécessitant trois années d’études et a
accumulé un total de 15 années d’études à temps plein complètes.
III. La jurisprudence
sur l’interprétation du Règlement
[9]
Le
ministre s’appuie sur des décisions dans lesquelles la Cour a conclu que
le Règlement ne reconnaît pas toutes les années d’études dans le nombre total des
années d’études menant à un diplôme. Par exemple, les années d’un certificat
d’études obtenu après avoir obtenu une maîtrise ne peuvent pas être accumulées
dans le nombre total des années d’études d’un demandeur qui a obtenu une
maîtrise, parce que cela n’a pas contribué à l’obtention de son plus haut niveau
de scolarité : Bhuiya c.
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 878. Dans
cette décision, la juge Anne Mactavish a conclu que le « fait
que Mlle Bhuiya ait pu suivre une année supplémentaire d’études
après avoir obtenu sa maîtrise ne transforme pas sa maîtrise de 16 années
en une maîtrise de 17 années » (au paragraphe 19). (Voir
également Roberts c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 518;
Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF
617.)
[10]
Le
ministre réfère également aux décisions de la juge Elizabeth Heneghan
dans lesquelles elle a conclu que les années passées à obtenir une deuxième
maîtrise ne peuvent être comptées dans le nombre total des années d’études d’un
demandeur parce que le Règlement (l’alinéa 78(3)a)) prévoit que les
points ne peuvent être additionnés les uns aux autres du fait qu’un demandeur
possède plus d’un diplôme : Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF
983; Kabir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),
2010 CF 995.
[11]
Essentiellement,
par conséquent, le ministre soutient que seules les années qui sont strictement
requises pour l’obtention du plus haut niveau de scolarité d’un demandeur
doivent être comptées dans le total des années d’études du demandeur.
[12]
Toutefois,
dans deux affaires récentes, la Cour s’est écartée des
décisions rendues dans Khan et dans Kabir, sur lesquelles le
ministre s’appuie. Dans la première, le juge Douglas Campbell a
conclu que tous les antécédents d’études devaient être pris en compte, pas
seulement les années d’études qui avaient contribué à l’obtention du plus haut niveau
de scolarité : Hasan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),
2010 CF 1206. Le juge Campbell a conclu que les années d’études suivies
par le demandeur pour obtenir sa seconde maîtrise devaient être incluses dans
le nombre total des années d’études. De même, dans la seconde affaire, le
juge Simon Noël a conclu que les années d’études requises pour l’obtention
d’une seconde maîtrise devaient être comptées : Rabeya c. Canada
(Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF
370.
[13]
Peut-être
que l’affaire la plus semblable à celle de M. Prasad est McLachlan c.
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 975. Dans
cette affaire, le juge Leonard Mandamin a conclu qu’une agente avait erré
en omettant d’évaluer si la douzième des années d’études à temps plein du demandeur
qui avaient précédé un diplôme de deux années pouvait être comptée, bien que le
demandeur aurait pu faire ces études en onze ans. Le demandeur avait décidé de
suivre une douzième année afin d’améliorer ses notes. Le juge Mandamin a conclu
que l’agente aurait dû tenir compte du paragraphe 78(4) du Règlement,
lequel s’applique lors de circonstances spéciales dans lesquelles un demandeur
est titulaire d’un diplôme reconnu, mais n’a pas accumulé le nombre d’années
d’études prévu. Si elle l’avait fait, elle aurait additionné ces deux années
d’études pour le diplôme, pour un total de quatorze années d’études à temps
plein (au paragraphe 35).
[14] Le juge Russel Zinn s’en est tenu à une approche similaire dans Marr c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 367. Dans cette affaire, il a conclu que l’agent aurait dû évaluer si le paragraphe 78(4) s’appliquait, après avoir conclu qu’il manquait une année d’études au demandeur (au paragraphe 48).
IV. L’agent a-t-il
interprété le Règlement correctement?
[15]
La
présente affaire repose sur l’interprétation de la disposition applicable du
Règlement. Je peux infirmer la décision de l’agent si je conclus que
l’interprétation de l’agent est incorrecte.
[16]
Aucune
des affaires citées ne comporte précisément le même contexte factuel que la
présente affaire. Cependant, le ministre considère tout de même que l’agent, en
ne tenant compte que des années d’études requises pour l’obtention du diplôme
collégial de M. Prasad, respectait l’approche utilisée dans Bhuiya,
Khan et Kabir, précitées. Il est soutenu que cette approche requiert
que seules les années d’études menant à l’obtention directe du plus haut niveau
de scolarité du demandeur doivent être comptées. Par contre, M. Prasad
soutient qu’il n’y a rien dans le Règlement qui appuie expressément la
conclusion de l’agent. De plus, M. Prasad s’appuie sur les décisions dans McLachlan,
Hasan, et Rabeya.
[17]
La
question principale est de savoir si deux années d’études de M. Prasad qui
n’étaient pas requises pour l’obtention de son diplôme collégial sont tout de
même des [traduction] « études ». À
mon avis, les motifs présentés dans d’autres affaires pour ne pas attribuer des
points pour des années d’études d’un demandeur ne s’appliquent pas ici. Plus
particulièrement, M. Prasad n’est pas titulaire de deux diplômes du même
niveau de scolarité, contrairement à la situation dans Khan et dans Kabir.
Il n’a pas non plus obtenu un diplôme d’un niveau inférieur après avoir obtenu
son plus haut niveau de scolarité, contrairement à la situation dans Bhuiya.
Les principes d’interprétation mentionnés dans ces affaires ne semblent pas
s’appliquer ici. Toutefois, même si l’approche de l’agent était correcte, il
avait l’obligation de prendre le paragraphe 78(4) en compte. Selon McLalchlan
et Marr, même s’il manque au demandeur quelques années d’études au
nombre requis, l’agent d’immigration doit déterminer s’il existe des
circonstances spéciales qui permettent au demandeur de recevoir le nombre de
points correspondant à son niveau de scolarité. Dans la présente affaire,
l’agent n’a pas tenu compte du paragraphe 78(4) et cette erreur seule
requiert que j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire.
V. Conclusion et
décision
[18] Pour ces motifs, je conclus que l’agent a fait une erreur de droit et je devrai, par conséquent, accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner qu’un autre agent effectue un réexamen de la demande de M. Prasad. Les parties s’entendent pour certifier la question suivante :
[traduction]
En attribuant les points pour les études, en application du paragraphe 78(4) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, un agent des visas doit-il attribuer des points pour les années d’études équivalent temps plein qui n’ont pas contribué à l’obtention du diplôme évalué?
[19] Je conclus que la présente question est une question grave de portée générale et, par conséquent, qu’elle doit être énoncée. Le demandeur a demandé des dépens, mais je conclus qu’il n’y a aucune circonstance spéciale qui justifie l’adjudication de dépens.
JUGEMENT
1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour réexamen.
2. La question suivante est énoncée :
En attribuant les points pour les études, en application du paragraphe 78(4) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, un agent des visas doit-il attribuer des points pour les années d’études équivalent temps plein qui n’ont pas contribué à l’obtention du diplôme évalué?
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes, LL.B.
Annexe
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227
78. (2) Un maximum de 25 points d’appréciation sont attribués pour les études du travailleur qualifié selon la grille suivante :
[…]
c) 15 points, si, selon le cas :
(i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant une année d’études et a accumulé un total de treize années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein, […]
e) 22 points, si, selon le cas :
(i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant trois années d’études et a accumulé un total de quinze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein,
Résultats (3) Pour l’application du paragraphe (2), les points sont accumulés de la façon suivante :
a) ils ne peuvent être additionnés les
uns aux autres du fait que le travailleur qualifié possède plus d’un diplôme; Circonstances spéciales
(4) Pour l’application du paragraphe (2), si le travailleur qualifié est titulaire d’un diplôme visé à l’un des alinéas (2)b), des sous-alinéas (2)c)(i) et (ii), (2)d)(i) et (ii) et (2)e)(i) et (ii) ou à l’alinéa (2)f) mais n’a pas accumulé le nombre d’années d’études à temps plein ou l’équivalent temps plein prévu à l’un de ces alinéas ou sous-alinéas, il obtient le nombre de points correspondant au nombre d’années d’études à temps plein complètes — ou leur équivalent temps plein — mentionné dans ces dispositions. |
Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227
78. (2) A maximum of 25 points shall be awarded for a skilled worker’s education as follows:
…
(c) 15 points for
(i) a one-year post-secondary educational credential, other than a university educational credential, and a total of at least 13 years of completed full-time or full-time equivalent studies, or …
(e) 22 points for
(i) a three-year post-secondary educational credential, other than a university educational credential, and a total of at least 15 years of completed full-time or full-time equivalent studies, or
Multiple
educational achievements (3) For the purposes of subsection (2), points
(a) shall not be awarded cumulatively on the basis of more than one single educational credential; and
Special circumstances
(4) For the purposes of subsection (2), if a skilled worker has an educational credential referred to in paragraph (2)(b), subparagraph (2)(c)(i) or (ii), (d)(i) or (ii) or (e)(i) or (ii) or paragraph (2)(f), but not the total number of years of full-time or full-time equivalent studies required by that paragraph or subparagraph, the skilled worker shall be awarded the same number of points as the number of years of completed full-time or full-time equivalent studies set out in the paragraph or subparagraph.
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5486-10
INTITULÉ : PUTHENPURACKAL GOPI PRASAD
c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 28 avril 2011
ET JUGEMENT : LE JUGE O’REILLY
DATE DES MOTIFS : Le 6 juin 2011
COMPARUTIONS :
Matthew Jeffery |
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Tamrat Gebeyehu |
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Matthew Jeffery Avocat Toronto (Ontario)
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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