Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 17 mai 2011
En présence de Monsieur le juge Mosley
ENTRE :
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SYLVIA ANNETTA JARDINE
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et
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ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Les demandeurs, Sylvia et Collin Jardine, ont immigré au Canada en 2003 et ont demandé la citoyenneté pour leur fille adoptive, Melissa, en 2009, conformément à la nouvelle « voie directe » prévue à l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté (la Loi). Une agente d’immigration en poste au Haut-commissariat du Canada à Port-d’Espagne (Trinité‑et‑Tobago) a refusé la demande au motif qu’aucun véritable lien affectif parent-enfant n’avait été établi, qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant de rester au Guyana et que l’agente ne pouvait être convaincue qu’il ne s’agissait pas d’une adoption de convenance visant principalement l’acquisition d’un statut au Canada.
[2] La présente demande de contrôle judiciaire est fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. Pour les motifs exposés ci-dessous, j’accueille la demande.
LES FAITS À L’ORIGINE DU LITIGE
[3] Les demandeurs Sylvia Annetta Jardine et Collin Jardine sont citoyens du Guyana et également du Canada aujourd’hui. Ils sont les parents adoptifs ainsi que la tante et l’oncle de Melissa, qu’ils ont adoptée à l’âge de 17 ans. La demanderesse, Sylvia, est la tante naturelle de Melissa, qui avait trois jours lorsque ses parents biologiques ont immigré à Aruba et l’ont confiée à Sylvia, parce qu’ils étaient incapables de prendre soin d’elle. Melissa a vécu avec Sylvia et les parents de celle-ci (les grands-parents de Melissa) jusqu’à ce que Sylvia épouse Collin en 1997. Peu après le mariage, Melissa a vécu avec les demandeurs.
[4] En 2001, les demandeurs ont décidé d’immigrer au Canada et se sont fait dire par des fonctionnaires en poste au Haut-commissariat du Canada au Guyana qu’ils devraient adopter formellement Melissa pour l’inclure comme personne à charge dans leur demande. En avril 2001, ils ont communiqué avec la Guyana Adoption Board pour entreprendre les démarches d’adoption. Ils se sont alors fait dire qu’ils ne pourraient enclencher la procédure qu’après avoir obtenu leur résidence permanente au Canada. Étant donné qu’ils se représentaient eux‑mêmes, les demandeurs se sont fondés sur ce conseil et ont présenté leur demande d’immigration sans y inclure le nom de Melissa.
[5] Les demandeurs sont devenus résidents permanents du Canada en mars 2003. En avril de la même année, ils sont retournés au Guyana pour entreprendre les procédures d’adoption. Ils ont soumis tous les documents nécessaires à la Guyana Adoption Board en octobre 2003. Un an plus tard, ils ont appris qu’ils ne pourraient pas adopter Melissa au Guyana et qu’ils devraient le faire au Canada. À la même époque, le Haut-commissariat du Canada les a avisés que, s’ils restaient à l’extérieur du Canada pendant plus de deux ans, ils perdraient leur statut.
[6] En juillet 2005, les demandeurs ont communiqué avec une agence d’adoption canadienne et ont appris que la démarche coûterait de 10 000 $ à 15 000 $ CAN. Comme ils ne disposaient pas de cette somme à l’époque, ils ont attendu jusqu’en février 2007 et ont pu alors enclencher à nouveau le processus à l’aide de l’argent qu’ils avaient réussi à économiser. En avril 2009, les demandeurs ont obtenu la citoyenneté canadienne. Ils ont alors présenté la partie 1 de la demande de citoyenneté canadienne pour Melissa. En juin de cette même année, ils sont allés rendre visite à Melissa au Guyana. Pendant cette période, l’adoption de Melissa a été officiellement approuvée. Les demandeurs ont ensuite présenté tous les documents non encore remis aux fins de la partie 2 de la demande de citoyenneté de Melissa.
[7] Au début de septembre 2009, le Haut-commissariat a communiqué avec Melissa afin de lui demander de se présenter à une entrevue à Georgetown, au Guyana, le 22 septembre 2009. L’entrevue visait à évaluer l’authenticité de l’adoption. Melissa s’est fait dire qu’elle pouvait amener son tuteur ou ses parents naturels. Les demandeurs n’ont pas été joints directement, mais ils ont été mis au courant de l’entrevue par Melissa. Comme ils revenaient à peine du Guyana, ils ont demandé aux grands-parents de Melissa, avec lesquels celle‑ci restait, de se rendre à l’entrevue.
[8] En octobre 2009, Melissa a reçu du Haut-commissariat du Canada à Trinité-et-Tobago une lettre visant à obtenir des renseignements supplémentaires. Les demandeurs ont soumis un certain nombre de documents pour examen. La décision a été rendue le 10 mai 2010.
LA DÉCISION:
[9] La légalité de l’adoption n’est pas contestée. L’agente n’était pas convaincue que les demandeurs avaient établi l’existence d’un véritable lien affectif parent-enfant, comme l’exige l’alinéa 5.1(1)b) de la Loi. Plus précisément, l’agente a souligné ce qui suit :
· Depuis le départ des parents de Melissa pour Aruba vers 1994, il semble que ce soit principalement ses grands-parents qui aient pris soin d’elle. Même si les demandeurs ont joué un rôle dans l’éducation de Melissa, les principales personnes qui se sont occupées d’elle sont effectivement ses grands‑parents;
· Afin de communiquer avec Melissa pendant qu’ils étaient au Canada et que celle‑ci se trouvait au Guyana, les demandeurs lui ont téléphoné et lui ont envoyé des messages textes, des lettres et des cartes. L’agente a conclu que ces comportements caractérisaient normalement une relation entre la tante ou l’oncle et la nièce, et non une relation parent-enfant;
· Au cours de l’entrevue, Melissa a décrit les demandeurs comme sa tante et son oncle;
· Aucun élément de preuve n’établit que Melissa a vécu avec les demandeurs après le mariage de ceux-ci;
· Peu de documents ont été soumis à l’appui de la relation parent-enfant.
[10] L’agente a ensuite conclu que l’adoption visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un avantage. Elle a fondé sa conclusion sur les éléments suivants :
· Melissa a été adoptée à l’âge de 17 ans et ce sont ses grands-parents qui ont pris soin d’elle depuis qu’elle est âgée de trois jours;
· Les demandeurs ne sont pas allés voir Melissa au Guyana entre 2005 et 2009;
· Peu de documents établissant l’existence d’une relation parent-enfant entre Melissa et les parents adoptifs avant l’adoption survenue en 2009 ont été soumis;
· L’adoption a eu lieu en juin 2009, soit six ans après la date à laquelle les demandeurs sont devenus résidents permanents du Canada.
[11] Enfin, dans le cadre de l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agente a tenu compte du fait qu’à l’entrevue Melissa a confirmé qu’elle avait encore de la famille et des amis au Guyana, que ses grands-parents prenaient soin d’elle et qu’elle devait être adoptée afin de poursuivre ses études. L’agente a donc estimé que Melissa serait surveillée de façon adéquate par un adulte au Guyana et qu’elle aurait accès à un appui financier et psychologique adéquat là-bas.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[12] Les demandeurs ont soulevé plusieurs questions au sujet de la décision de l’agente. Ils soutiennent, notamment, qu’ils ont été privés du droit à l’équité procédurale parce que l’enfant a été convoquée à une entrevue au Haut-commissariat peu après leur retour au Canada et parce que la demande de renseignements supplémentaires a été adressée à la jeune fille plutôt qu’à eux. Il aurait été préférable que les demandeurs soient informés directement de la demande d’entrevue et que la lettre visant à obtenir des renseignements supplémentaires leur soit envoyée, mais j’estime que, dans l’ensemble, leurs droits de participation ont été respectés.
[13] Les demandeurs ont obtenu une possibilité suffisante de présenter leurs éléments de preuve et leurs observations à l’agente avant que la décision soit rendue. Il n’était pas déraisonnable de la part de l’agente de fixer une entrevue avec Melissa, eu égard à son âge et au fait qu’elle pouvait être accompagnée de son tuteur ou de ses parents naturels. Je ne modifierais pas la décision pour cette raison.
[14] À mon avis, la question à trancher dans la présente demande est la suivante :
· L’agente a-t-elle apprécié correctement la preuve que les demandeurs lui ont présentée?
LE CADRE LÉGISLATIF PERTINENT
[15] Depuis le 17 avril 2009, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration peut, conformément à l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, accorder la citoyenneté à un enfant mineur adopté par un citoyen canadien si l’adoption était légale, qu’elle a créé un véritable lien affectif parent-enfant, qu’elle a été faite dans l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté. Le test est conjonctif, ce qui signifie que tous ces critères doivent être établis.
ANALYSE
La norme de contrôle
[16] Il s’agit de la première demande de contrôle judiciaire que la Cour fédérale entend dans le cadre de la nouvelle « voie directe » prévue à l’article 5.1 de la Loi pour l’acquisition de la citoyenneté canadienne dans le cas des enfants adoptés. Comme c’est le cas pour d’autres contrôles judiciaires de décisions essentiellement factuelles rendues par des tribunaux fédéraux, le décideur bénéficie d’une grande retenue judiciaire en raison de sa compétence spécialisée dans le domaine. La Cour suprême du Canada a confirmé cette règle dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, et à nouveau dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339.
[17] En conséquence, les décisions de cette nature doivent être révisées au regard de la norme de la décision raisonnable, selon laquelle la Cour examine la « justification de la décision, [...] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel », ainsi que « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47; Kosa, au paragraphe 59).
[18] Cependant, conformément à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, la Cour fédérale peut intervenir pour accorder une réparation s’il est conclu que l’agent a commis une erreur en ignorant des éléments de preuve ou en tirant de la preuve des inférences déraisonnables. Voir, par exemple, Rudder c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 689, 82 Imm. L.R. (3d) 173, au paragraphe 34.
L’agente a-t-elle correctement apprécié l’ensemble de la preuve?
[19] Les demandeurs reprochent à l’agente de ne pas avoir tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve. Plus précisément, ils soulignent la déclaration notariée, les réponses que les grands-parents de Melissa ont données au cours de l’entrevue menée en septembre 2009, les photos de famille, le rapport et la carte-santé de Melissa, les reçus de la Western Union ainsi que les réponses que Melissa a elle-même données au cours de l’entrevue, lesquels éléments montrent tous, à leur avis, qu’un véritable lien affectif parent-enfant existait et que l’adoption ne visait pas l’acquisition d’un statut ou d’un privilège, mais a plutôt été faite dans l’intérêt supérieur de Melissa.
[20] Le défendeur souligne que l’agente n’était pas tenue de mentionner de façon explicite chaque élément de preuve et fait valoir que la décision rendue était raisonnable, eu égard aux renseignements fournis. L’agente a reconnu le rôle des demandeurs dans la vie de Melissa, mais a néanmoins conclu que la relation n’en était pas une qui allait au-delà de la relation normale entre une tante ou un oncle et leur nièce. Il était loisible à l’agente d’en arriver à cette décision. Compte tenu de l’entrevue, il était également raisonnable que l’agente en arrive à la conclusion que Melissa voulait obtenir la citoyenneté afin de poursuivre ses études postsecondaires au Canada.
[21] Il est bien établi que, même si le décideur est réputé avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve, lorsque des éléments de preuve pertinents vont directement à l’encontre de la conclusion qu’il a tirée sur la question fondamentale à trancher, il doit analyser ces éléments et expliquer pourquoi il ne les accepte pas ou pourquoi il leur préfère d’autres éléments de preuve : Pradhan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1500, 52 Imm. L.R. (3d) 231, au paragraphe 14; Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (QL).
[22] Les éléments de preuve clés dont l’agente était saisie en l’espèce comprennent notamment ce qui suit : la transcription de l’entrevue menée en septembre 2009, des photographies de Melissa en compagnie des demandeurs, une déclaration notariée dans laquelle les demandeurs expliquent les circonstances de l’adoption, une copie d’un passeport santé dans lequel Sylvia est inscrite à titre de tutrice de Melissa, des reçus de la Western Union au nom des grands-parents pour les années 2007, 2008 et 2009 et un bulletin de rendement scolaire de l’école primaire de Melissa (1999-2000) dans lequel le nom de Sylvia apparaît également à titre de tutrice de Melissa. Je souligne que les reçus de la Western Union ne figurent pas dans le dossier certifié, mais j’en arrive à la conclusion que l’agente doit certainement les avoir eus en main, puisqu’elle les mentionne dans les notes du STIDI.
[23] Bien que l’agente ait énuméré ces éléments dans les notes du STIDI et qu’elle ait mentionné quelques-uns d’entre eux dans sa décision, les motifs à l’appui de celle-ci ne montrent pas qu’ils ont été pris en compte de façon significative. Ainsi, la déclaration notariée comportait des explications sur l’enfance de Melissa, c’est-à-dire sur le fait qu’elle est restée avec Sylvia et ses grands‑parents jusqu’à ce que Sylvia épouse Collin et que, par la suite, elle est restée avec les demandeurs. Cette explication est renforcée par les réponses que les grands-parents ont données au cours de l’entrevue :
[traduction]
Q : Pourquoi n’est-elle [Melissa] pas allée avec eux [ses parents biologiques] à Aruba?
R : Mon fils était jeune. Tous les deux étaient jeunes et ils nous ont amené l’enfant lorsqu’elle avait trois jours. Ma fille [Sylvia] a décidé de prendre soin du bébé dès le début.
Q : Pendant combien de temps s’est-elle occupée de l’enfant?
R : Elle s’en est occupée constamment jusqu’à son départ pour le Canada.
Q : Dans votre maison ou dans la sienne?
R : Avant le mariage, elle était dans sa [sic] maison. Par la suite, lorsqu’elle s’est mariée, Melissa s’est établie avec eux.
Q : Pourquoi ne l’a-t-elle pas adoptée avant?
R : Les procédures ont été enclenchées il y a quelques années. Avant son départ pour le Canada.
[…]
Q : Savez-vous pourquoi ses parents adoptifs l’ont adoptée?
R : L’adoption avait déjà été faite. Mon fils a laissé l’enfant et elle [Sylvia] en a pris soin depuis. Nous vieillissons.
[…]
Q : Savez-vous pourquoi ses parents adoptifs n’ont pas adopté ses frères et soeurs?
R : Parce qu’ils ont pris soin de Melissa depuis qu’elle était bébé.
Malgré ce témoignage, l’agente a conclu [traduction] « qu’il n’y a aucun élément de preuve donnant à penser qu’elle a vécu avec les demandeurs après leur mariage ».
[24] Dans la même veine, d’après les explications figurant également dans la déclaration notariée, c’est Sylvia et, plus tard, les deux demandeurs ensemble, qui ont assumé la responsabilité liée à bon nombre des tâches relatives aux soins à donner à Melissa. Ainsi, ils l’amenaient chez le médecin et à l’école, assistaient aux rencontres avec les représentants de l’école, etc. Cette preuve est corroborée par la carte-santé et le bulletin de Melissa, sur lesquels Sylvia est nommée à titre de tutrice de celle-ci. Néanmoins, l’agente a conclu ce qui suit [traduction] « il semble que ce soit principalement ses grands-parents qui aient pris soin d’elle [Melissa] ».
[25] De plus, l’agente ne semble pas s’être vraiment attardée à la question de savoir pourquoi les demandeurs n’ont pas rendu visite à Melissa au Guyana entre 2005 et 2009 et pourquoi le processus d’adoption s’est étalé sur une période de six ans. Tel qu’il est mentionné dans la déclaration notariée, ces faits s’expliquent par les raisons suivantes : a) les demandeurs ont été mal informés par la Guyana Adoption Board en ce qui a trait aux mesures à prendre pour présenter une demande d’adoption; b) le Haut-commissariat du Canada a dit aux demandeurs qu’ils devaient rester au Canada pendant deux ans afin de conserver leur résidence permanente; c) les demandeurs n’avaient pas les moyens de retourner au Guyana pour rendre visite à Melissa et d’être présents pour l’adoption qui a eu lieu en 2009.
[26] Les explications des demandeurs sont raisonnables, étant donné qu’ils agissaient seuls, qu’ils étaient responsables de l’adoption de Melissa, dont le coût a apparemment oscillé entre 10 000 $ et 15 000 $ et qu’ils étaient en pleine démarche de réinstallation dans un nouveau pays. L’agente a donc commis une erreur de droit en tirant une conclusion défavorable du fait que les demandeurs n’avaient pas présenté leur demande d’adoption plus tôt. En d’autres termes, elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve qui présentaient un autre point de vue de l’ensemble de l’histoire.
[27] Enfin, les reçus de la Western Union montrent les façons dont les demandeurs ont subvenu aux besoins financiers de Melissa, malgré leur absence. Les grands-parents ont également reconnu ce fait au cours de l’entrevue :
[traduction]
Q : Ses parents adoptifs vous ont-ils envoyé de l’argent avant l’adoption?
R : Oui. Chaque mois, ils envoyaient l’argent pour l’achat de vêtements et de nourriture pour elle et pour ses menues dépenses.
[…]
Q : Ses parents adoptifs vous ont-ils envoyé de l’argent depuis l’adoption?
R : Ils continuent à envoyer de l’argent pour subvenir aux besoins de Melissa.
[28] L’agente a fait mention des reçus de la Western Union dans les notes du STIDI et a reconnu que les demandeurs avaient [traduction] « fourni une aide financière », mais elle a commis une erreur en ne s’attardant pas à la question de savoir pourquoi les contributions financières habituelles attestées par les reçus de la Western Union et confirmées par les grands‑parents au cours de l’entrevue ne permettaient pas de conclure que la relation parent‑enfant était authentique.
[29] Le dossier renferme suffisamment d’éléments de preuve permettant de conclure que l’adoption était réelle, qu’elle a été effectuée dans l’intérêt supérieur de l’enfant adoptée et qu’elle ne visait pas l’acquisition d’un statut ou d’un avantage. Cependant, il y aurait peut-être encore eu lieu de faire montre de retenue à l’endroit de l’agente et de conclure que la décision appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit s’il avait été évident que l’agente avait apprécié correctement l’ensemble de la preuve. Étant donné que l’agente n’a pas articulé le raisonnement qu’elle a invoqué pour n’attribuer aucune importance à certains éléments de preuve clés, notamment des éléments importants qui vont à l’encontre de sa décision définitive, il est nécessaire de conclure que celle-ci était erronée.
[30] Les demandeurs ont sollicité des dépens de 4 500 $ au motif que leur réunification avec leur fille adoptive au Canada a été retardée inutilement par suite des erreurs commises lors de l’évaluation de leur demande. Même si j’en suis arrivé à la conclusion que la décision doit être infirmée, je ne crois pas qu’il s’agisse ici d’une affaire où l’octroi de dépens est justifié. Une bonne partie du retard lié à la réunification de la famille découlait des décisions prises par les demandeurs. L’adoption dont il est question en l’espèce comportait un certain nombre d’aspects douteux qui justifiaient un examen plus approfondi, notamment le long délai entre les visites des demandeurs pour aller voir Melissa, la preuve d’une tentative visant à inciter celle‑ci à rejoindre ses parents biologiques et l’incertitude entourant le rôle des grands-parents dans sa vie. De plus, il n’a pas été établi que le défendeur avait fait preuve de mauvaise foi ou d’utilisation abusive des procédures.
[31] Par ailleurs, les demandeurs ont aussi demandé que je les autorise à déposer de nouveaux éléments de preuve et que je leur donne une autre occasion de participer à une entrevue concernant le réexamen de leur demande. Même s’il est peut-être souhaitable que le défendeur acquiesce à ces demandes, il ne m’apparaît pas approprié que la Cour lui donne des directives quant à la façon de réévaluer la demande. Les demandeurs pourront solliciter à nouveau l’intervention de la Cour dans le cadre d’une nouvelle demande de contrôle judiciaire, si cette mesure s’avère nécessaire.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. la demande est accueillie et la décision par laquelle le deuxième secrétaire (Immigration) du Haut-commissariat du Canada à Port‑d’Espagne (Trinité‑et‑Tobago) a refusé la demande de citoyenneté canadienne que les demandeurs ont présentée pour leur fille adoptive Melissa Cleopatra Jardine est annulée;
2. la demande des demandeurs en vue d’obtenir la citoyenneté canadienne pour Melissa Cleopatra Jardine est renvoyée au Haut-commissariat du Canada à Port‑d’Espagne (Trinité‑et‑Tobago) pour réexamen par un agent d’immigration différent conformément aux motifs de la décision de la Cour;
3. les parties supportent leurs propres dépens.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1158-10
INTITULÉ : COLLIN JARDINE
SYLVIA ANNETTA JARDINE
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 1er février 2011
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT: MONSIEUR LE JUGE MOSLEY
DATE DES MOTIFS : Le 17 mai 2011
COMPARUTIONS :
Hilete Stein
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POUR LES DEMANDEURS
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Lorne McClenaghan |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Hilete stein Green and Spiegel, LLP
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POUR LES DEMANDEURS |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
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