Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 25 mai 2011
En présence de Monsieur le juge Mandamin
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La présente demande de contrôle judiciaire concerne le refus par l’Agence du revenu du Canada (ARC) de renoncer, comme la demanderesse le lui demandait, à exiger des pénalités et intérêts de celle-ci au motif qu’elle n’a pu produire ses déclarations de revenus à temps en raison du trouble de stress post-traumatique dont elle souffrait.
[2] Pour les motifs exposés ci-après, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.
Les faits à l’origine du litige
[3] Le 1er février 2003, alors qu’elle préparait ses déclarations de revenus pour l’année d’imposition 2002, Mme Marion Butlin a été blessée lors d’un accident d’autobus. Après cet accident, elle a commencé à souffrir d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT) qui a déclenché chez elle de l’angoisse à l’égard des événements et activités liés à l’accident, notamment en ce qui a trait à la production de ses déclarations de revenus. Même si elle a pu produire ses déclarations de revenus pour l’année 2002, elle a omis par la suite de produire dans les délais les déclarations de revenus se rapportant à plusieurs années d’imposition. Au 24 juin 2010, la demanderesse devait une somme de 15 686,10 $ au titre des pénalités et une autre de 16 671,79 $ au titre des intérêts.
[4] Le 22 juillet 2009, La Dre Virginia Simonds, le médecin qui a soigné la demanderesse, a produit une demande d’allégement au nom de celle-ci afin d’obtenir l’annulation des pénalités et intérêts exigés d’elle. C’est ce qui ressort d’une note médicale datée du 27 août 2009 dans laquelle la Dre Simonds a confirmé qu’elle avait commencé à traiter la demanderesse au printemps 2007, après avoir diagnostiqué un TSPT chez elle. Voici ce que la Dre Simonds a écrit :
[traduction]
Il y a un an, en août 2008, Marion m’a appris qu’elle n’avait pas pu payer ses taxes et impôts depuis l’accident de 2003. Lorsque l’accident est survenu, Marion préparait ses documents financiers en vue de la production de ses déclarations de revenus pour l’année 2003. Après l’accident, lorsqu’elle a tenté de poursuivre cette tâche, elle a éprouvé d’intenses symptômes cognitifs et physiques d’angoisse. Bien que cette situation puisse sembler inhabituelle, il n’est pas rare que des symptômes de TSPT se manifestent lors d’événements liés à l’événement principal qui a déclenché le traumatisme. Selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM‑IV), les facteurs pouvant déclencher un TSPT comprennent [traduction] « la détresse psychologique intense à l’exposition à des signaux externes ou internes qui symbolisent un aspect de l’événement traumatique ou y ressemblent », ainsi que des « réactions physiologiques à l’exposition à des signaux externes ou internes qui symbolisent un aspect de l’événement traumatique ou y ressemblent ». Un autre critère associé au TSPT réside [traduction] « dans le fait d’éviter constamment les stimuli associés au traumatisme ».
[5] L’ARC a rejeté la demande d’allégement le 23 mars 2010, soulignant que la déclaration de revenus de la demanderesse pour l’année 2002 avait été produite dans les délais, quelques mois après l’accident, et que les déclarations de revenus relatives aux années 2004 et 2005 ont été produites en 2007, après la prise de mesures d’exécution, mais avant le début de la thérapie. Les déclarations de revenus se rapportant aux années 2003, 2006, 2007 et 2008 ont été produites en 2009. L’ARC a donc conclu qu’il ne s’agissait pas d’une affaire où les circonstances justifieraient l’annulation des pénalités et intérêts.
[6] La demanderesse a alors présenté une demande de réexamen le 26 avril 2010. Dans cette demande, elle a donné une description plus détaillée des symptômes du TSPT dont elle souffrait et a précisé que sa fille l’avait aidée à produire ses déclarations de revenus pour les années 2004 et 2005. Cependant, lorsque sa fille a entrepris ses études universitaires, elle n’a pu l’aider davantage à préparer ses déclarations de revenus. La demanderesse a assuré à l’ARC qu’elle tentait de trouver une solution à ce problème avec la Dre Simonds, qu’elle se réservait du temps pour travailler à la préparation de ses documents financiers et qu’elle versait régulièrement une somme de 400 $ par semaine au titre de ses impôts impayés. Elle a également joint à sa demande une liste des médecins et spécialistes qu’elle avait vus en 2006. La Dre Simonds a aussi rédigé une lettre dans laquelle elle a affirmé que la demanderesse avait été [traduction] « complètement paralysée relativement à ses démarches visant à trouver une solution à ses obligations fiscales », mais qu’elle avait fait [traduction] « de grands progrès et qu’elle avait préparé depuis l’ensemble de ses déclarations ».
[7] L’ARC a rejeté cette deuxième demande le 3 août 2010, d’où la présente demande de contrôle judiciaire.
La décision sous examen
[8] Dans sa lettre datée du 3 août 2010, l’ARC n’a pas conclu que le problème de santé pour lequel la demanderesse avait été traitée l’avait empêchée de produire ses déclarations de revenus dans les délais.
[9] L’ARC a souligné que la demanderesse a pu produire sa déclaration de revenus pour l’année 2002, à peine quelques mois après l’accident. Elle a ajouté que la demanderesse bénéficiait des services d’un comptable qui pouvait préparer et produire ses déclarations de revenus et que, au cours des années pertinentes, elle a continué à exploiter son entreprise et augmenté ses revenus, ce qui lui a permis de cotiser à un régime enregistré d’épargne‑retraite (REER) chaque année. En conséquence, l’ARC a refusé la demande de la demanderesse en vue d’annuler les pénalités et intérêts.
Les dispositions législatives
[10] Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1.
220 (3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation. |
220 (3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest. |
Les questions en litige
[11] Je formulerais les questions en litige comme suit :
a. Y a-t-il eu manquement aux principes d’équité procédurale?
b. La décision par laquelle l’ARC a refusé la demande d’allégement de la demanderesse était-elle raisonnable?
La norme de contrôle
[12] La norme de contrôle applicable à la décision de l’ARC de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire est la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Telfer c Canada (Agence du revenu du Canada), 2009 CAF 23, au paragraphe 24.
[13] La norme de contrôle applicable aux manquements aux principes d’équité procédurale est la décision correcte : Ugro c Ministre du Revenu national, 2009 CF 826, au paragraphe 35 (Ugro).
Analyse
L’équité procédurale
[14] La demanderesse soutient que, d’après le sommaire présenté au décideur, les facteurs pris en compte ne se limitent pas à ceux qui sont mentionnés dans la lettre de décision du 3 août 2010. Ces autres facteurs comprennent le fait qu’au début des années 1990, si la demanderesse devait de l’impôt pour une année donnée, elle attendait de produire la déclaration de revenus de l’année suivante, de façon que le remboursement découlant de celle-ci soit imputé à l’année précédente; le fait que, de l’avis du réviseur, un délai excessif a été accordé pour la production des déclarations manquantes; le fait que la déclaration relative à l’année 2003 n’a été produite que le 4 août 2009, plus de cinq ans après l’échéance initiale, même si la demanderesse avait d’abord mentionné que la déclaration serait produite au plus tard en 2005. La demanderesse affirme que, si ces autres facteurs ont été pris en compte, elle aurait dû en être informée afin d’avoir la possibilité de répondre aux préoccupations. L’ARC aurait également dû tenir compte du fait que la demanderesse versait des montants de 400 $ par semaine pour payer les impôts qu’elle devait.
[15] Le défendeur répond que l’ARC n’était pas tenue, avant de rendre une décision finale, de demander des renseignements, documents ou observations supplémentaires à la demanderesse. De l’avis du défendeur, la demanderesse a eu la possibilité de présenter des documents et renseignements à l’appui de ses demandes d’allégement. En conséquence, le défendeur affirme qu’il n’y a pas eu de manquement aux principes d’équité procédurale.
[16] La demanderesse me demande de conjecturer sur les facteurs qui ont constitué le fondement de la décision de l’ARC et qui ne sont pas exposés dans la lettre du 3 août 2010 de celle‑ci. L’ARC ne mentionne pas ce sommaire ou ces autres facteurs dans sa lettre. Je ne crois pas qu’il y ait suffisamment d’éléments de preuve permettant de conclure à un manquement aux principes d’équité procédurale.
Le caractère raisonnable de la décision de l’ARC
[17] La demanderesse fait valoir que, même lorsque des éléments de preuve lui ont été présentés, l’ARC n’a pas évalué la gravité et l’importance du problème médical dont elle souffrait ainsi que des effets de ce problème et a préféré sa propre opinion plutôt que la preuve médicale de la Dre Simonds, malgré l’absence d’avis médical contraire. Plus précisément, la demanderesse souligne qu’elle avait expliqué dans sa propre lettre, ce qui a été confirmé dans la lettre de la Dre Simonds, qu’elle était en pleine période de préparation de ses déclarations de revenus pour l’année 2002 lorsque l’accident est survenu. La demanderesse ajoute que, même si elle avait un comptable, celui-ci pouvait simplement agir suivant les directives qu’elle lui donnait et que, en raison du problème de santé dont elle souffrait, il était difficile pour elle de discuter de la question avec une personne autre que sa fille.
[18] La demanderesse reproche également à l’ARC d’avoir commis une erreur en concluant que le problème de santé dont elle souffrait ne l’empêchait pas de produire ses déclarations de revenus, étant donné, notamment, qu’elle a été en mesure de continuer à travailler et de verser des cotisations à son REER. Selon la demanderesse, pareille conclusion signifierait que toutes les personnes qui chercheraient à obtenir un allégement en raison d’un problème médical verraient leurs demandes refusées si elles étaient en mesure de continuer à travailler.
[19] Pour sa part, le défendeur répond que les conclusions de l’ARC selon lesquelles aucune circonstance extraordinaire n’existait et le problème de santé de la demanderesse ne l’empêchait pas de produire ses déclarations de revenus à temps appartenaient aux issues acceptables possibles en l’espèce. Le défendeur souligne que la Dre Simonds n’avait pas raison de dire que la demanderesse n’avait pu produire ses déclarations de revenus depuis son accident de 2003, étant donné que les déclarations relatives à quelques-unes des années d’imposition avaient été produites. Selon le défendeur, il appert de la jurisprudence que, lorsqu’un contribuable éprouve des problèmes de santé, mais qu’il est encore en mesure d’exploiter une entreprise, il est raisonnable de la part de l’ARC de conclure que les problèmes en cause n’ont pas empêché le contribuable en question de remplir ses obligations fiscales : décision Ugro, au paragraphe 77.
[20] Je suis d’avis que l’ARC a tenu compte de la preuve présentée par la demanderesse. Dans sa deuxième demande, la demanderesse a expliqué pourquoi elle avait fait produire ses déclarations de revenus pour les années 2004 et 2005 et c’est la raison pour laquelle l’ARC n’a pas mentionné les déclarations en question dans sa deuxième lettre de décision. L’ARC souligne plutôt que la demanderesse a pu produire sa déclaration de revenus pour l’année 2002 à temps malgré l’accident. La demanderesse a insisté sur le fait qu’elle était en pleine période de préparation de ses documents financiers lorsque l’accident est survenu, mais il était loisible à l’ARC de conclure que la demanderesse n’avait pas expliqué de façon satisfaisante pourquoi elle avait été incapable de préparer sa déclaration de revenus après l’accident.
[21] L’ARC a ajouté que la demanderesse bénéficiait des services d’un comptable qui aurait pu préparer et produire les déclarations de revenus qu’elle devait remettre. Bien que la demanderesse soutienne maintenant que son comptable ne pouvait le faire en l’absence de directives en ce sens de sa part, cet argument n’a pas été plaidé devant l’ARC. La demanderesse a eu deux occasions de présenter les renseignements supplémentaires nécessaires à l’appui de ses arguments concernant les raisons pour lesquelles elle n’a pu produire ses déclarations de revenus à temps. Dans sa lettre du 26 avril 2010, la demanderesse souligne qu’il était [traduction] « très embarrassant et extrêmement difficile de discuter » du fait qu’elle avait reçu un appel téléphonique de l’ARC au sujet des frais, intérêts et pénalités exigés d’elle. Cependant, la demanderesse ne mentionne pas dans sa lettre qu’elle était incapable de donner des directives à son comptable. Elle ne peut reprocher maintenant à l’ARC de ne pas avoir tenu compte d’une question qui n’a pas été portée à son attention avant qu’elle en arrive à sa décision.
[22] Il était loisible à l’ARC de conclure, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, que le problème de santé de la demanderesse n’empêchait pas celle-ci de produire ses déclarations de revenus à temps. L’ARC avait le droit de soupeser la conduite de la demanderesse, qui a produit sa déclaration pour l’année 2002 après l’accident et a continué à exploiter son entreprise par la suite, à l’encontre de l’avis médical concernant le TSPT allégué. L’ARC a fourni des raisons au soutien de sa décision de refuser d’annuler les pénalités et intérêts exigés de la demanderesse, comme celle-ci le demandait, en raison de circonstances extraordinaires, et je ne vois pas la nécessité de modifier cette décision.
Conclusion
[23] Pour les motifs exposés plus haut, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.
[24] Je ne rends aucune ordonnance au sujet des dépens.
JUGEMENT
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Je ne rends aucune ordonnance au sujet des dépens.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1387-10
INTITULÉ : MARION BUTLIN c.
CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 1er mars 2011
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE MANDAMIN
DATE DES MOTIFS ET
COMPARUTIONS :
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POUR LA DEMANDERESSE
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Natasha Wallace |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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POUR LA DEMANDERESSE |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
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