[Traduction française certifiée, non révisée]
Ottawa (Ontario), le 25 mai 2011
En présence de madame la juge Tremblay-Lamer
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la LIPR], qui vise la décision datée du 24 août 2010 par laquelle un agent d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] a refusé la demande de résidence permanente de la demanderesse à titre de membre de la catégorie des aides familiaux.
I. CONTEXTE
[2] Mme Delilah Abalos (la demanderesse), citoyenne des Philippines, est arrivée au Canada le 9 novembre 2006 pour travailler comme aide familiale résidante. En mars 2009, après vingt-quatre mois de travail, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des aides familiaux.
[3] Le 26 août 2009, CIC communiquait avec la demanderesse pour l’informer qu’elle avait obtenu l’approbation de principe et qu’elle remplissait les conditions d’admissibilité attachées à une demande de statut de résident permanent dans la catégorie des aides familiaux, mais qu’une décision finale ne serait rendue qu’une fois qu’elle aurait satisfait aux exigences restantes.
[4] Le 14 octobre 2009, la demanderesse informait CIC que sa situation matrimoniale avait changé : en effet, le 6 juin de la même année, elle avait épousé un certain M. Danilo Bautista dont elle a déclaré qu’il se trouvait [traduction] « actuellement au Canada à titre de demandeur d’asile ».
[5] La demande d’asile de M. Bautista a été rejetée le 10 décembre 2009.
[6] Le 12 janvier 2010, CIC informait par écrit la demanderesse qu’elle devait ajouter le nom de son nouvel époux à sa demande, à titre de membre de sa famille, et que celui‑ci devait également remplir un formulaire de demande distinct. CIC invitait aussi à la demanderesse à fournir des observations additionnelles attestant l’authenticité de son mariage avec M. Bautista. Le 9 février 2010, la demanderesse transmettait les documents requis par courrier.
[7] Le 22 juillet 2010, l’agent d’immigration dont la décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire envoyait à la demanderesse une lettre d’équité l’informant qu’elle ne satisfaisait plus aux exigences se rapportant aux résidents permanents de la catégorie des aides familiaux énoncées dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement]. Plus précisément, l’agent indiquait qu’elle ne satisfaisait plus aux dispositions de l’alinéa 113(1)e) du Règlement parce que son époux était visé par une mesure de renvoi exécutoire. La demanderesse avait trente jours pour présenter une réponse.
[8] La demanderesse a répondu par une lettre datée du 12 août 2010. Elle faisait d’abord valoir que son époux ne faisait pas l’objet d’une « mesure de renvoi exécutoire », puisqu’il n’avait pas été contacté en vue du renvoi et qu’on ne lui avait pas offert l’opportunité de présenter une demande d’évaluation des risques avant renvoi. Si l’agent devait conclure autrement, la demanderesse soutenait que son cas était exceptionnel et qu’il justifiait que l’agent fasse droit à sa demande en vertu du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le paragraphe 25(1) de la LIPR, compte tenu des motifs d’ordre humanitaire. La demanderesse réclamait en outre, au cas où l’agent n’accepterait pas ses arguments, qu’il reporte sa décision jusqu’à ce que son époux puisse quitter le Canada en vertu d’une mesure d’interdiction de séjour, ce qui lui permettrait d’approuver sa demande.
II. LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE
[9] Dans une lettre datée du 24 août 2010, l’agent refusait la demande de résidence permanente de la demanderesse. Il y répétait ce qu’il avait déclaré dans la lettre d’équité du 22 juillet 2010, à savoir que la demanderesse ne satisfaisait plus à l’exigence énoncée à l’alinéa 113(1)e) du Règlement.
[10] Quoiqu’il n’en ait pas fait mention dans sa lettre du 24 août, l’agent a évoqué dans ses notes les observations présentées en réponse par la demanderesse le 12 août 2010. Sous le paragraphe [traduction] « Décision et justification », l’agent les résumait et indiquait ce qui suit :
[traduction] Après avoir examiné les observations et le dossier, je ne suis pas convaincu que les motifs d’ordre humanitaire justifient d’accorder une dispense relative à l’exigence prévue à l’alinéa 113(1)e) du RIPR.
Malgré les allégations du conseil, l’époux de la demandeure est bien actuellement sous le coup d’une mesure de renvoi exécutoire. Le 10 décembre 2009, sa demande d’asile a donné lieu à une décision défavorable, maintenant exécutoire. Demander une évaluation des risques avant renvoi revient à bénéficier d’un sursis; or, aucune demande en ce sens n’a été présentée et la mesure de renvoi, comme nous le disions plus haut, est exécutoire.
Compte tenu des observations et du contenu du dossier, je ne suis pas convaincu que la demandeure ignorait simplement, comme elle le prétend, que cela poserait un problème en regard de sa demande; indépendamment de ce qu’elle savait, cette condition s’applique néanmoins aux membres de cette catégorie.
La demande du conseil visant à ce que la décision soit reportée pour permettre à l’époux de quitter le Canada ne sera pas accueillie puisque la demande et les circonstances présentes sont actuellement examinées afin qu’une décision soit rendue.
III. CONTEXTE LÉGISLATIF
[11] L’article 110 du Règlement prévoit que la catégorie des aides familiaux est une catégorie d’étrangers qui peuvent devenir résidents permanents, sur le fondement des exigences prévues à la section 3. Le paragraphe 113(1) énonce les conditions pour qu’une personne soit considérée comme relevant de la catégorie des aides familiaux.
[12] L’exigence énoncée à l’alinéa 113(1)e), selon laquelle ni l’étranger, ni les membres de sa famille ne doivent faire « l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire », est précisément en cause dans la présente demande.
[13] L’article 115 du Règlement prévoit notamment que les exigences prévues à l’article 113 doivent être remplies au moment où l’étranger devient résident permanent.
[14] Le paragraphe 25(1) de la LIPR confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de dispenser un étranger de certaines des exigences de la loi s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à cet étranger le justifient.
IV. QUESTIONS EN LITIGE
a) L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que la demanderesse ne s’était pas conformée aux exigences énoncées au paragraphe 113(1) du Règlement?
b) L’agent a-t-il omis d’envisager de façon raisonnable les facteurs d’ordre humanitaire?
c) L’agent a-t-il commis une erreur en n’évaluant pas les conséquences du retard dans le traitement de la demande de résidence permanente de Mme Abalos?
d) L’agent a-t-il interprété et appliqué l’alinéa 113(1)e) du Règlement d’une manière qui contrevient à l’alinéa 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés, RCQ ch. C-12?
V. NORME DE CONTRÔLE
[15] La conclusion de l’agent quant à l’admissibilité de la demanderesse à la résidence permanente à titre de membre de la catégorie des aides familiaux soulève des questions mixtes de fait et de droit. La décision touchant le bien-fondé d’une exception autorisée en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR est de nature discrétionnaire. La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer dans les deux cas est celle de la raisonnabilité (Aoanan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 734, [2009] A.C.F. no 1395, par. 21 [Aoanan]; Santos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 C 360, [2009] A.C.F. no 470, par. 18 [Santos]). La Cour s’intéressera « à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et « à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9, par. 47).
VI. ANALYSE
a) L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que la demanderesse ne s’était pas conformée aux exigences énoncées au paragraphe 113(1) du Règlement?
[16] La demanderesse fait valoir que l’agent a commis une erreur en n’adoptant pas véritablement une approche souple et constructive pour le traitement de sa demande. Elle cite les décisions rendues par notre Cour dans Santos, précitée, au paragraphe 31, et Turingan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 72 FTR 316, [1993] A.C.F. no 1234, au paragraphe 8 [Turingan], à l’appui de l’assertion selon laquelle le programme des aides familiaux vise surtout à faciliter l’obtention du statut de résident permanent par les employés de maison étrangers, et qu’il incombe par conséquent aux autorités de l’immigration d’adopter une « approche souple et constructive » lorsqu’elles traitent avec les participants à ce programme.
[17] Je conviens qu’une approche souple et constructive s’impose, mais la demanderesse n’a aucunement expliqué en quoi cette approche n’avait pas été respectée. Elle se contente d’alléguer que si l’approche souple et constructive avait bel et bien prévalu, sa demande n’aurait pas été rejetée. Je n’en suis pas convaincue. On ne saurait invoquer cet argument pour se soustraire totalement à l’une des principales exigences du paragraphe 113(1).
[18] En vertu de l’article 115 du Règlement, l’agent doit examiner la situation qui a cours au moment de la décision pour décider si les critères prévus au paragraphe 113(1) ont été respectés. À ce titre, l’exigence énoncée à l’alinéa 113(1)e) n’a pas été remplie et l’agent a donc raisonnablement conclu que la demanderesse n’appartenait pas à la catégorie des aides familiaux aux fins de la résidence permanente. La présente affaire est tout à fait différente de celles auxquelles la demanderesse se réfère et dans lesquelles une « approche souple et constructive » a été adoptée.
[19] Dans la décision Turingan, précitée, il s’agissait de déterminer si la demanderesse avait complété les 24 mois de travail requis à titre d’aide familiale résidante. Comme certains aliments très appréciés de la famille de son employeur lui donnaient des douleurs gastriques, la demanderesse avait pris l’habitude d’aller dîner et dormir chez un ami pendant un certain temps. Cela dit, elle avait laissé ses effets personnels chez son employeur, avait maintenu chez lui un service téléphonique et avait continué d’y recevoir son courrier. Le juge en chef adjoint James Jerome a laissé entendre qu’une interprétation stricte de l’exigence de 24 mois de résidence imposée par le programme serait discutable dans ce contexte. Il a indiqué que « [l]e rôle du Ministère ne consiste pas à refuser le statut de résident permanent uniquement pour des questions de forme » (Turingan, précitée, par. 8).
[20] Contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, l’exigence énoncée à l’alinéa 113(1)e) n’a pas été interprétée de manière excessivement stricte ou purement technique. Sans égard à la souplesse dont on aurait pu faire preuve, et quelle que soit l’interprétation adoptée, la demanderesse n’aurait pas satisfait à l’exigence énoncée à l’alinéa 113(1)e). Son époux était visé par une mesure de renvoi exécutoire, ce qui la plaçait d’office en situation de non-conformité.
[21] Dans la décision Santos, précitée, l’agent d’immigration avait conclu que la demanderesse était inadmissible à la résidence permanente en raison de l’interdiction de territoire dont avait été frappé son mari, quoiqu’elle ait soumis des éléments de preuve indiquant que son mariage avait pris fin quelques années plus tôt et qu’elle était sur le point de demander le divorce. L’agent d’immigration avait rejeté cette preuve, estimant qu’elle contredisait des éléments de preuve antérieurs. Le juge Michael Kelen a conclu qu’en vertu de l’approche souple et constructive, l’agent aurait dû permettre à la demanderesse d’expliquer la contradiction apparente.
[22] Contrairement à la situation dans Santos, l’agent n’a pas en l’espèce abordé la preuve de la demanderesse par un biais excessivement sévère. En l’occurrence, la preuve dont il disposait établissait sans équivoque que la demanderesse était mariée à un individu visé par une mesure de renvoi exécutoire. Peu importe la façon d’interpréter de la preuve, l’exigence énoncée à l’alinéa 113(1)e) n’était pas respectée.
[23] En définitive, la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse ne satisfaisait plus à l’exigence énoncée à l’alinéa 11391)e) était non seulement raisonnable, mais correcte.
b) L’agent a-t-il omis d’envisager de façon raisonnable les facteurs d’ordre humanitaire?
[24] La demanderesse fait valoir que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas dûment compte d’un certain nombre de facteurs d’ordre humanitaire pertinents au moment de décider s’il fallait la dispenser de l’exigence de l’alinéa 113(1)e), comme elle le demandait.
[25] Tout d’abord, elle soutient que l’agent ignorait qu’au moment de sa demande initiale elle avait été jugée admissible à titre de membre de la catégorie des aides familiaux, puisqu’elle avait travaillé pendant 24 mois comme aide familiale résidante sur une période de trois ans.
[26] Même si le moment et l’importance de la non-conformité pouvaient être des facteurs pertinents pour l’analyse des motifs d’ordre humanitaire de l’agent, il est évident qu’ils ont tous deux ont été considérés. L’agent était bien conscient que la demanderesse avait déjà satisfait à l’alinéa 113 (1)e), puisqu’il a indiqué, et dans la lettre de refus et dans ses notes, qu’elle n’était [traduction] « plus » en conformité avec cette disposition. Les notes de l’agent indiquent aussi clairement qu’il s’est uniquement préoccupé de savoir s’il convenait ou non de lever [traduction] « l’exigence de l’alinéa 113(1)e) du [Règlement] », reconnaissant par là qu’aucune des autres exigences du paragraphe 113(1), comme celle qui a trait au travail, ne devait être visée par une dispense. Dans la mesure où la conformité passée de la demanderesse au regard de l’alinéa 113(1)e) – et sa conformité générale au regard du paragraphe 113(1) – était pertinente pour l’analyse des motifs d’ordre humanitaire de l’agent, je suis convaincue qu’il en a tenu compte.
[27] Deuxièmement, la demanderesse fait valoir que l’agent n’a pas explicitement reconnu et considéré le fait qu’elle s’était conformée aux demandes de documents additionnels en soumettant une liasse de documents le 9 février 2010.
[28] Les documents soumis à cette date concernaient surtout la bonne foi du mariage de la demanderesse. Comme en définitive l’agent n’a pas remis en question la bonne foi du mariage dans sa décision finale, je ne vois pas pourquoi il aurait dû évoquer ces documents ou le fait qu’ils aient été soumis. Si la demanderesse sous-entend que le simple fait d’avoir produit les documents additionnels requis par CIC aurait dû être considéré comme un facteur favorable, je ne suis pas d’accord avec elle. À part permettre à sa demande de suivre son cours, les documents soumis n’ont pas cette vertu.
[29] Enfin, la demanderesse soutient que l’agent n’a pas considéré un certain nombre de facteurs directement liés à la question de savoir si une dispense aurait dû ou non être accordée en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR; je suis d’accord. Plus précisément, la demanderesse indique que l’agent a omis de prendre en compte les éléments suivants :
a) elle s’est bien établie au Canada : elle s’est fait des amis et a noué des relations familiales étroites, elle s’est engagée dans les activités de sa paroisse et elle fait du bénévolat;
b) elle a toujours subvenu à ses besoins sans compter sur l’aide sociale;
c) il lui serait difficile de trouver du travail si elle devait retourner aux Philippines;
d) son employeur actuel, dont l’épouse souffre de la maladie d’Alzheimer, dépend d’elle.
[30] Cependant, le problème vient de ce que la demanderesse n’a porté aucun de ces facteurs à l’attention de l’agent.
[31] La demanderesse qui présente une demande fondée sur le paragraphe 25(1) de la LIPR doit démontrer qu’un redressement est justifié. La demanderesse doit démontrer que le refus de la dispense demandée entraînera pour elle des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives (Aoanan, précitée, par. 35; Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] A.C.F. no 158, par. 8).
[32] Bien que la demanderesse soulève à présent, dans le cadre du contrôle judiciaire, un certain nombre de facteurs pertinents, ceux‑ci n’ont pas été signalés à l’agent. Dans sa demande fondée sur le paragraphe 25(1) de la LIPR, la demanderesse n’a mentionné nulle part les arguments qu’elle invoque à présent dans le cadre du contrôle judiciaire et n’a fourni pratiquement aucune preuve s’y rapportant : les nouveaux amis qu’elle s’est faits au Canada, les nouvelles attaches familiales qu’elle a nouées ici, son engagement au sein de l’église et ses activités bénévoles, son autonomie économique, le manque de travail aux Philippines, la nature et l’étendue de la dépendance de son employeur au regard de ses services. Si elle avait porté ces facteurs à l’attention de l’agent, j’aurais convenu qu’il aurait été problématique qu’il n’en tienne pas compte. Cependant, comme elle n’en a pas fait mention, l’on ne saurait reprocher à l’agent de ne pas l’avoir fait.
[33] Les arguments que la demanderesse a plutôt soumis à la réflexion de l’agent sont les suivants : a) le refus de la demande aurait de graves répercussions sur elle et son mari puisqu’ils sont tous deux au Canada depuis un certain nombre d’années; b) elle a sacrifié « tellement » d’années de sa vie au programme d’aides familiaux; c) elle ignorait que son mariage compromettrait ses chances de rester au Canada; d) la législation en matière d’immigration n’a jamais envisagé une situation comme la sienne.
[34] Ces arguments peinent à établir l’existence de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Aucune preuve n’a été produite pour corroborer ces difficultés, en dehors du nombre d’années que la demanderesse a passées au Canada comme aide familiale résidante. Dès lors, on ne peut affirmer que l’agent a rendu une décision déraisonnable lorsqu’il a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’il existait [traduction] « suffisamment de motifs d’ordre humanitaire justifiant la levée de l’exigence prévue à l’alinéa 113(1)e) ».
c) L’agent a-t-il commis une erreur en n’évaluant pas les conséquences du retard dans le traitement de la demande de résidence permanente de Mme Abalos?
[35] La demanderesse fait valoir que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte des répercussions que le retard dans le traitement de sa demande a eues sur sa capacité à respecter les exigences énoncées dans le Règlement. Elle soutient notamment que si l’agent avait rendu sa décision avant le 10 décembre 2009 – date à laquelle son mari a été frappé d’une mesure de renvoi exécutoire –, elle se serait conformée à l’exigence prévue à l’alinéa 113(1)e) et aurait pu se réclamer de la catégorie des aides familiaux.
[36] La demanderesse a comparé sa situation à celle qu’a évoquée mon collègue le juge Sean Harrington dans Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 544, [2005] A.C.F. no 669 [Singh]. Dans cette décision, les demandeurs sollicitaient une ordonnance de mandamus pour forcer le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à se prononcer sur leur demande de résidence permanente. Le juge Harrington a reconnu que « le ministre était tenu d’agir avec diligence raisonnable » et a fait droit à la demande.
[37] Cependant, contrairement à l’affaire qui nous occupe, les demandeurs dans Singh avaient sollicité une ordonnance de mandamus. Ils avaient aussi attendu plus de douze ans pour que leur demande de résidence permanente soit tranchée. Rien n’indique en l’espèce que le ministre n’a pas agi avec diligence raisonnable. La demanderesse a fait une première demande de résidence permanente en mars 2009. En octobre de la même année, elle informait CIC que sa situation matrimoniale avait changé et le traitement de la demande s’achevait à l’été 2010.
[38] Pour citer le juge Harrington, « [l]es files d’attente font partie de la vie » (Singh, précité, par. 16). Le délai de traitement n’était pas déraisonnable en l’espèce. L’article 115 du Règlement précise bien qu’il doit être satisfait aux exigences prévues aux articles 112 à 114.1, notamment celles de l’alinéa 113(1)e), « au moment où l’étranger devient résident permanent ». Ainsi, on ne peut pas dire que l’agent a agi de manière déraisonnable en fondant son évaluation sur les faits tels qu’ils existaient au moment de la décision et non de la demande.
d) L’agent a-t-il interprété et appliqué l’alinéa 113(1)e) du Règlement d’une manière qui contrevient à l’alinéa 2a) de la Charte?
[39] La demanderesse fait valoir qu’appliquer l’alinéa 113(1)e) et refuser la résidence permanente à un étranger en raison du statut de son conjoint revient à contrevenir à l’alinéa 2a) de la Charte, car une telle application a pour effet indirect de restreindre la liberté religieuse fondamentale de l’étranger d’épouser qui il entend.
[40] L’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7 [la LCF] prévoit que les textes d’application des lois fédérales dont la « validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel » est en cause, ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins que le procureur général du Canada et ceux des provinces n’aient été avisés. En l’espèce, aucun avis n’a été signifié. Il est vrai cependant que la Cour d’appel fédérale a précisé dans l’arrêt Canada (Ministre du Patrimoine canadien) c. Première nation crie Mikisew, 2004 CAF 66, [2004] A.C.F. no 277, aux paragraphes 75 à 78 [Mikisew], que l’avis de question constitutionnelle prévu à l’article 57 de la LCF ne s’impose pas chaque fois qu’une question de cette nature est soulevée.
[41] Il n’y a pas lieu de signifier un avis lorsque la réparation judiciaire est autre chose qu’un jugement portant qu’une loi ou un règlement est invalide, inapplicable ou sans effet sur le plan constitutionnel. Par exemple, si l’on prétend non pas que la loi est inconstitutionnelle, mais plutôt que la décision de la commission ou du tribunal est inconstitutionnelle et non autorisée par la loi, alors aucun avis n’est nécessaire en vertu de l’article 57.
[42] Or en l’espèce, l’agent n’exerçait aucun pouvoir discrétionnaire. Il a conclu que la demanderesse n’appartenait pas à la catégorie des aides familiaux après avoir appliqué directement le critère énoncé à l’alinéa 113(1)e). J’estime donc que l’argument de la demanderesse ne vise pas tant la « décision » de l’agent que l’alinéa 113(1)e) lui-même.
[43] Si tel est le cas, il incombait donc à la demanderesse de signifier au procureur général du Canada et au procureur général de chaque province un avis de question constitutionnelle conformément à l’article 57 de la LCF. Son omission à cet égard est fatale puisqu’il s’agit d’une condition sine qua non de l’examen de ce type d’argument constitutionnel (Barlagne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 547, [2010] A.C.F. no 651, par. 61; Bekker c. Canada, 2004 CAF 186, [2004] A.C.F. no 819, par. 9).
[44] Quoi qu’il en soit, si c’est la décision elle-même qui est contestée, je signale qu’aucun argument relatif à une violation de la Charte n’a été soulevé devant l’agent, et qu’on ne lui a présenté aucune preuve tendant à indiquer que la demanderesse croit sincèrement en un type de christianisme dans lequel le mariage est obligatoire et que l’alinéa 113(1)e) l’empêchait de se marier conformément à ses croyances religieuses. Cette disposition prévoit une règle neutre qui s’applique sans égard aux croyances religieuses du demandeur ou des membres de sa famille.
[45] Malheureusement, la demanderesse n’a pas démontré que la décision de l’agent était déraisonnable. La décision appartient dans son ensemble aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.
[46] Tout n’est pas « fini » pour la demanderesse. La décision qui sera rendue sous peu, espérons-le, sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, permettra sans doute d’éclaircir sa situation.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Édith Malo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6156-10
INTITULÉ : DELILAH ABALOS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 18 MAI 2011
MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE TREMBLAY-LAMER
DATE DES MOTIFS : LE 25 MAI 2011
COMPARUTIONS :
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
Martin Anderson |
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocats
|
POUR LA DEMANDERESSE |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
|