Cour fédérale
|
|
Federal Court
|
Montréal (Québec), le 20 avril 2011
En présence de Me Richard Morneau, protonotaire
ENTRE :
|
JYGA CONCEPT INC.
|
|
|
demanderesse
|
|
et
|
|
|
PIGBOSS SUIVI CROISSANCE INC.
9132-1877 QUÉBEC INC.
JACQUES CIMON
GÉRALD BEAUDOIN
RENÉ BEAUDOIN
|
|
|
|
défendeurs
|
ET ENTRE :
|
PIGBOSS SUIVI CROISSANCE INC.
|
|
demanderesse reconventionnelle
|
||
et
|
|
|
JYGA CONCEPT INC. et
DISTRIBUTION GILLES FILLION INC.
|
|
|
défenderesses reconventionnelles
|
||
|
et
|
|
|
9210-6517 QUÉBEC INC.
|
|
|
défenderesse et demanderesse reconventionnelle
en reprise d’instance
|
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La Cour est saisie en l’espèce de deux requêtes.
[2] L’une de ces requêtes est mue par la demanderesse et défenderesse reconventionnelle Jyga Concept Inc. (JYGA) en vertu des règles 415 et 416(1)b) des Règles des Cours fédérales (les règles) afin que la défenderesse et demanderesse reconventionnelle en reprise d’instance 9210‑6517 Québec Inc. (9210) fournisse un cautionnement au montant de cinquante mille dollars (50 000$) en garantie du paiement des dépens qui pourraient être adjugés à JYGA au terme de la présente instance.
[3] L’autre requête est mue par 9210 et vise essentiellement, et suivant la compréhension de la Cour, à permettre à 9210 de se désister sans frais de sa demande reconventionnelle et à reconnaître l’action en invalidité de brevet logée par JYGA (la requête de 9210 pour désistement sans frais).
Contexte
[4] Il ressort que JYGA en juillet 2007 a pris une action en invalidité de brevet (ici le brevet 2,556,959, ci-après le brevet ‘959) sous l’article 60 de la Loi sur les brevets vu qu’elle faisait face à des menaces de contrefaçon par les défendeurs en relation avec le brevet ‘959 que les défendeurs auraient obtenu à l’égard d’un système informatisé d’alimentation pour les porcs.
[5] Suivant JYGA, ce seraient certains anciens employés de JYGA, soit MM. Cimon, Gérald Beaudoin et René Beaudoin, tous défendeurs en l’espèce, qui auraient quitté JYGA pour se rendre chez Pigboss Suivi Croissance Inc. (Pigboss) (la prédécesseure en titre de 9210) afin de mettre en place le brevet où M. Jacques Cimon, ex-employé également de JYGA, serait également indiqué comme inventeur au brevet.
[6] Bien entendu comme c’est le cas souvent dans tout genre d’action similaire, on soutient en défense la validité du brevet et la demanderesse reconventionnelle (maintenant 9210) soutient que JYGA agit en contrefaçon du brevet ‘959.
[7] Suivant l’avis de reprise d’instance produit par 9210 le 3 décembre 2010, celle-ci aurait acquis les droits dans le brevet ‘959 suite à la signature par Pigboss d’une convention de délaissement volontaire et de prise en paiement de l’universalité des biens meubles de Pigboss.
[8] Toutefois selon l’avis de reprise d’instance amendé produit par 9210, celle-ci serait depuis devenue propriétaire de l’ensemble des biens meubles de Pigboss.
[9] Fort de ce contexte, il y a lieu en premier de se pencher sur la requête de 9210 pour désistement sans frais. Si cette requête est rejetée, il y aura lieu de regarder la requête de JYGA pour production de cautionnement.
I. La requête de 9210 pour désistement sans frais
[10] Cette requête dans ses conclusions vise à ce que la Cour émette une ordonnance :
a) PERMETTANT à 9210‑6517 Québec inc. (ci-après désignée « 9210 ») de se désister de sa comparution en reprise d’instance selon les termes ci-dessous;
b) ORDONNANT à 9210 de signifier et déposer un Avis de désistement dans les cinq (5) jours suivant jugement sur la présente requête;
c) ORDONNANT que le désistement soit sans frais ou subsidiairement pour un montant maximal de MILLE DOLLARS (1 000$);
d) PRENANT acte du consentement de 9210 de consentir sans frais à l’invalidité du brevet 2,556,959;
e) CONDAMNANT Jyga Concept inc. aux dépens en cas de contestation de la présente requête par celle-ci;
[11] La règle 402 se lit comme suit :
402. Sauf ordonnance contraire de la Cour ou entente entre les parties, lorsqu’une action, une demande ou un appel fait l’objet d’un désistement ou qu’une requête est abandonnée, la partie contre laquelle l’action, la demande ou l’appel a été engagé ou la requête présentée a droit aux dépens sans délai. Les dépens peuvent être taxés et le paiement peut en être poursuivi par exécution forcée comme s’ils avaient été adjugés par jugement rendu en faveur de la partie.
|
402. Unless otherwise ordered by the Court or agreed by the parties, a party against whom an action, application or appeal has been discontinued or against whom a motion has been abandoned is entitled to costs forthwith, which may be assessed and the payment of which may be enforced as if judgment for the amount of the costs had been given in favour of that party.
|
[12] Tel que noté par mon confrère Lafrenière au paragraphe [5] de l’arrêt Dark Zone Technologies Inc. v. 1133150 Ontario Ltd. et al, 2002 FCT 1 (l’arrêt Dark Zone):
[5] The general rule is that a party against whom an action has been discontinued is entitled to costs forthwith (see Rule 402 of the Federal Courts Rules, 1998). Notwithstanding, the Court has the discretion to decline costs to a party where it is in the interests of justice to do so.
[13] Ici 9210 soutient essentiellement que la vaste majorité des dépens encourus dans le dossier se sont opérés avant son arrivée au dossier, que somme toute sa reprise d’instance en décembre 2010 s’est faite sans qu’elle ou ses procureurs soient au courant des détails du dossier et, qu’aussitôt au fait du dossier, elle en est venue à la conclusion que :
Compte tenu de l’ampleur du dossier, 9210 a estimé que les coûts en argent et en temps nécessaires pour mener ce dossier à terme suivant la voie d’un procès seront très élevés et dépasseront la valeur du bénéfice qu’elle pourra en retirer;
[14] Je ne crois pas que ces motifs puissent suffire pour faire droit à la requête de 9210.
[15] Premièrement, la reprise d’instance de 9210 en décembre 2010 ne peut avoir pour résultat de la disculper des coûts tombant sous la responsabilité de Pigboss. Je considère qu’en décembre 2010, 9210 devenait aux droits et aux obligations de Pigboss.
[16] Deuxièmement, bien que 9210 soit maintenant d’avis que le bénéfice d’un procès n’est plus une option valable compte tenu des coûts, il n’en demeure que c’était à elle avant même la reprise d’instance en décembre 2010 de s’informer davantage de la situation de ce dossier de Cour.
[17] Ainsi, bien que la Cour soit sensible au fait qu’il ne faut pas décourager une partie de se désister d’une action, il n’en demeure ici que les circonstances de l’espèce sont très différentes de celles prévalant dans l’arrêt Dark Zone, supra. Ici les circonstances de l’espèce et l’intérêt de la justice commandent que si 9210 veut se désister, que cela soit avec dépens à être taxés et non sans frais ou par une somme, somme toute minime de 1 000$; le tout sujet bien sûr à toute entente entre les parties dont il n’est pas le devoir de la Cour sous une requête sous la règle 402 d’imposer.
[18] Pour ces motifs, cette requête de 9210 est rejetée, le tout avec dépens que la Cour fixe à 500$.
[19] La Cour pour les fins de la présente conclusion a entendu le procureur de 9210 en réplique mais n’a pas tenu compte de la réplique écrite que cette partie a signifiée dans les toutes dernières heures avant l’audition du 18 avril 2011 à 14 heures puisque cette façon de procéder est irrégulière et n’est pas prévue par les règles lorsqu’il s’agit d’une requête en audition orale. Cette réplique ne sera donc pas déposée.
[20] La Cour ajoute néanmoins qu’elle a lu ladite réplique et que même si elle en avait tenu compte, une lecture de celle-ci amène la Cour à conclure que cette réplique n’aurait pas modifié l’approche et la conclusion de la Cour sur cette requête de 9210.
II. Requête de JYGA pour production de cautionnement
[21] Vu que la demande reconventionnelle de 9210 doit être vue comme se continuant, il y a lieu de regarder cette requête de JYGA qui se base sur les règles 415 et 416(1)b). Ces règles se lisent :
415. Les règles 416 à 418 s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, au demandeur et au défendeur dans une demande, à l’appelant et à l’intimé dans un appel, ainsi qu’aux parties dans une demande reconventionnelle et une mise en cause.
|
415. Rules 416 to 418 apply, with such modifications as are necessary, to parties bringing and defending counterclaims and third party claims, to applicants and respondents in an application and to appellants and respondents in an appeal.
|
416. (1) Lorsque, par suite d’une requête du défendeur, il paraît évident à la Cour que l’une des situations visées aux alinéas a) à h) existe, elle peut ordonner au demandeur de fournir le cautionnement pour les dépens qui pourraient être adjugés au défendeur :
a) le demandeur réside habituellement hors du Canada;
b) le demandeur est une personne morale ou une association sans personnalité morale ou n’est demandeur que de nom et il y a lieu de croire qu’il ne détient pas au Canada des actifs suffisants pour payer les dépens advenant qu’il lui soit ordonné de le faire;
[…]
|
416. (1) Where, on the motion of a defendant, it appears to the Court that
(a) the plaintiff is ordinarily resident outside
(b) the plaintiff is a corporation, an unincorporated association or a nominal plaintiff and there is reason to believe that the plaintiff would have insufficient assets in
(…)
|
[22] Au paragraphe [2] de sa décision dans l’arrêt Early Recovered Resources Inc. v. Gulf Log Salvage Co-Operative Association et al, 2001 FCT 524, (2001), 205 F.T.R. 127, mon ex-collègue Hargrave a résumé comme suit le test à appliquer sous cet alinéa 416(1)b) des règles :
[2] To summarize the procedure under Rule 416(1)(b), the burden of proof is on the person who asserts the affirmative of the issue, but only to a certain point. Here it is for the Defendant to make the prima facie case of insufficient assets with which to pay costs, if the Plaintiff were so ordered. There is then a passing of onus to the Plaintiff, or perhaps more aptly a requirement that the Plaintiff balance the evidence and thereby show that indeed it has appropriate exigible assets by which to satisfy an order as to costs. (…)
[Je souligne.]
[23] Je considère que les paragraphes 10 à 15 de l’affidavit de M. Alain Lefebvre daté du 16 mars 2011, et souscrit par JYGA à l’appui de sa requête, rencontrent et suffisent à établir qu’il y a lieu de croire que 9210 ne détient pas au Canada des actifs suffisants au sens de l’alinéa 416(1)b) des règles. Ces paragraphes de cet affidavit se lisent :
[10] Hormis les droits que 9210 revendique avoir à l’égard du brevet ‘959, je sais que cette dernière ne possèderait aucun autre actif connu au Québec;
[11] De plus, selon les informations disponibles au Registre des entreprises du Québec (« REQ »), je sais que 9210 appert être une « compagnie de gestion » qui n’a aucune activité de commercialisation et donc aucun revenu, le tout tel qu’il appert d’un état des informations relatif à une personne morale émanant du REQ dont copie est jointe en Annexe A des présentes;
[12] Je sais que la compagnie 9210 ne compte qu’un seul administrateur et actionnaire unique, à savoir monsieur François Bilodeau, le tout tel qu’il appert de l’Annexe A des présentes;
[13] Je sais que 9210 ne compte aucun salarié à son emploi, le tout tel qu’il appert de l’Annexe A;
[14] Je sais que 9210 n’appert pas être propriétaire d’un immeuble puisqu’elle a son principal établissement au domicile personnel de l’administrateur et actionnaire unique de 9210, monsieur François Bilodeau, soit au 1367, rue de Tracel, Québec (Québec), J1Y 3L3;
[15] De l’aveu qui m’a été fait par l’actionnaire et administrateur unique, monsieur François Bilodeau, et celui qui m’a été fait par l’ex-administrateur de la défenderesse Pigboss, monsieur Alain Laroche, les activités commerciales de Pigboss n’auraient pas été reprises par 9210 depuis la fin des activités de Pigboss;
[24] De plus, je ne considère pas que les allégués généraux et vagues suivants que l’on retrouve aux paragraphes 7 à 9 de l’affidavit de M. François Bilodeau daté du 14 avril 2011 et souscrit par 9210 en opposition à la requête de JYGA soient suffisants pour remplir son fardeau de preuve et établir qu’elle a effectivement des actifs suffisants :
7. En effet, bien que 9210 soit une entreprise en démarrage, elle est propriétaire de divers actifs pour les avoir pris en paiement de sa débitrice hypothécaire Pigboss Suivi Croissance inc. (ci-après désignée « Pigboss »);
8. Ces actifs lui permettront d’exploiter son entreprise et de tirer des revenus de celle-ci;
9. 9210 est dans une meilleure situation financière que Pigboss, à qui Jyga n’a jamais requis de cautionnement;
[25] Ainsi un cautionnement devra être fourni par 9210. Toutefois, le montant de 50 000$ réclamé par JYGA n’est essentiellement soulevé par JYGA qu’au paragraphe 24 de son avis de requête et n’est pas repris par M. Lefebvre à son affidavit. Aucun mémoire de frais en ébauche ventilant le montant réclamé n’est joint à un affidavit, tel que la pratique le requiert normalement.
[26] Compte tenu de ce qui précède et vu que la Cour ne peut écarter que ce dossier pourrait ne pas se rendre à procès, la Cour fixe ici à 25 000$ le cautionnement que 9210 devra fournir.
[27] Ainsi la requête de JYGA pour production de cautionnement est accueillie comme suit :
a) fixe à 25 000$ le cautionnement pour les dépens de JYGA que 9210 devra fournir conformément à la règle 418;
b) compte tenu des délais qui avancent dans le présent dossier, la Cour accorde à 9210 dix (10) jours à compter de cette ordonnance pour obtempérer à celle-ci;
c) réserve à JYGA le droit de demander une hausse du montant accordé;
d) Le tout avec dépens de 500,00$ en faveur de JYGA.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1228-07
INTITULÉ : JYGA CONCEPT INC. ET AL.
c.
PIGBOSS SUIVI CROISSANCE INC. ET AL.
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : 18 avril 2011
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE MORNEAU
DATE DES MOTIFS : 20 avril 2011
COMPARUTIONS :
|
|
Stéphan Charles-Grenon
|
POUR LA DÉFENDERESSE ET DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE
EN REPRISE D’INSTANCE
9210‑6517 QUÉBEC INC.
|
Alain Béland
|
POUR LES DÉFENDEURS
GÉRALD BEAUDOIN et
RENÉ BEAUDOIN
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :