Cour fédérale
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Federal Court
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Ottawa (Ontario), le 26 mai 2011
En présence de monsieur le juge Crampton
ENTRE :
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (MINISTRE DU TRAVAIL)
ET AIMEE ADAMS
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ORDONNANCE
VU la requête datée du 13 mai 2011 présentée pour le compte de la demanderesse et sollicitant : (i) une ordonnance de sursis d’exécution de la deuxième phase de l’audience scindée (l’« audience ») de la plainte de la défenderesse Aimee Adams (la « plainte ») en application du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (le « CCT »), relativement à l’évaluation des dommages-intérêts par suite d’une conclusion de congédiement injuste rendue par l’arbitre D.J. Baum au cours de la première phase de l’audience (la « décision »); et (ii) un certain redressement connexe;
VU l’examen du retrait du procureur général du Canada de la présente instance;
VU le dossier de requête et d’autres documents déposés par la demanderesse au soutien de la présente requête;
VU la lecture de la réponse et des documents qui y sont joints, produits pour le compte de la défenderesse Aimee Adams;
VU les observations orales présentées par la demanderesse;
VU l’examen du critère à trois volets établi dans l’arrêt RJR -- MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 et dans l’arrêt Toth c. Canada (Citoyenneté et Immigration) (1988), 86 NR 302 (CAF), auquel il doit être satisfait avant qu’un sursis à l’exécution de la deuxième phase de l’audience puisse être accordé;
VU qu’il a été conclu que le critère à trois volets a été satisfait pour les motifs exposés dans les explications ci-dessous;
la deuxième phase de l’audience est suspendue en attendant l’issue de la demande sous-jacente de contrôle judiciaire de la décision non datée, reçue par la demanderesse le 29 mars 2011 et à l’égard de laquelle M. Baum a conclu que la demanderesse avait congédié sans justification la défenderesse Aimee Adams;
les dépens de la présente requête sont payables par la partie qui n’a pas gain de cause dans la requête sous-jacente de contrôle judiciaire.
EXPLICATIONS
(i) Question sérieuse à juger
Le critère relatif au premier volet du critère à trois volets qui s’applique à la présente requête est faible. Je dois tout simplement conclure que la demanderesse a soulevé au moins une question sérieuse, en ce sens qu’elle « n’est ni futile ni vexatoire » (RJR -- MacDonald, précité, aux pages 335 et 337) ni « vouée à l’échec » (Bureau du surintendant des faillites c. MacLeod, 2010 CAF 84, 66 CBR (5th) 96, au paragraphe 11).
Je conclus que la demanderesse a soulevé une question sérieuse relativement au refus de M. Baum d’entendre les éléments de preuve relatifs au motif du congédiement de Mme Adams auprès de la demanderesse et de rendre une décision à cet égard. À mon avis, la question appelle l’application de la norme de la décision correcte, étant donné qu’elle met essentiellement en cause des éléments de l’interprétation de M. Baum quant à sa compétente et au critère juridique pertinent à appliquer en rendant une décision à l’égard de telles plaintes, ainsi qu’une norme d’équité procédurale (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 55, 59, 79 et 87; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACS no 12, aux paragraphes 42 et 43; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, paragraphe 26; Première nation Carry the Kettle c. O’Watch, [2007] ACF no 1127, paragraphe 64).
En application de l’alinéa 242(2)b) du CCT, M. Baum devait « donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations », d’une part, et de « tenir compte de l’information contenue dans le dossier », d’autre part. En application de l’alinéa 242(3)a), un arbitre auquel une plainte est renvoyée en vertu du paragraphe 242(1) « décide si le congédiement était injuste ».
Cependant, indépendamment des tentatives répétées par la demanderesse de présenter des éléments de preuve au sujet du bien-fondé de sa décision de renvoyer Mme Adams, la décision et les lettres ou parties de lettre reproduites dans la décision indiquent que M. Baum a fermement refusé que de tels éléments de preuve soient produits. Le motif de ce refus est que la première phase de l’audience porterait uniquement sur la question de savoir si l’on avait refusé à Mme Adams le droit de parler devant le chef et le conseil de bande avant son congédiement ou sa suspension. (La décision est un peu incohérente quant à savoir si Mme Adams a été congédiée ou suspendue.) M. Baum a répété à plusieurs reprises dans la décision et dans sa correspondance avec les représentants des parties que son intention était de se concentrer uniquement sur la présente question procédurale.
Dans l’arrêt Bell Canada c. Hallé (1989), 99 NR 149 à la page 154 (CAF), il a été établi que, pour rendre la décision envisagée par l’alinéa 242(3)a) du CCT, il faut que l’arbitre, dans un premier temps, « décide si le congédiement était injuste ». Autrement dit, un arbitre doit, « à la lumière de la preuve, déterminer ce qui serait probablement arrivé si l’employeur avait agi comme il devait le faire » (Hallé, précité). Ce n’est que lorsqu’une décision affirmative est rendue sur le fond qu’un arbitre décide « si le congédiement était injuste », sans égard aux directives ou politiques que l’employeur peut avoir émises auparavant (Hallé, précité). S’il est déterminé que la procédure entraînant le congédiement de l’employée était injuste, et que pour cette raison, le congédiement était injuste, alors la conclusion affirmative concernant la nature, la suffisance et le bien-fondé des motifs de congédiement serait quand même pertinente pour déterminer l’indemnisation à laquelle l’employée peut avoir droit à la suite du congédiement.
Conformément à l’approche adoptée dans l’arrêt Hallé, ma collègue la juge Heneghan a conclu, dans l’arrêt Première nation Carry the Kettle, précité, qu’un arbitre, en vertu du CCT, avait commis une erreur de droit susceptible de révision en se concentrant sur la façon dont l’employeur avait procédé au congédiement en question et les conséquences de ce congédiement, plutôt que sur la cause du congédiement. Je ne souscris pas au point de vue de M. Baum selon qui l’affaire en instance se distingue en fonction des faits présentés dans l’arrêt Première nation Carry the Kettle.
Le principe voulant que les arbitres, en vertu du CCT, soient tenus de déterminer, dans un premier temps en examinant une plainte déposée en vertu du CCT, si un employé était effectivement responsable de l’inconduite alléguée par l’employeur a aussi été reconnu dans plusieurs autres affaires, notamment l’arrêt Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 RCS 487, paragraphe 49; l’arrêt Conseil de Bande de Uashat Mak Mani-Utenam c. Fontaine, 2005 CAF 357, paragraphe 6; la décision Bitton c. Banque HSBC Canada, 2006 CF 1347, au paragraphe 31.
Selon ce qui précède, je conclus qu’une question sérieuse a été soulevée quant à savoir si M. Baum a appliqué le critère juridique pertinent dans l’évaluation de la plainte de Mme Adams pour congédiement injuste et s’il a commis une erreur en refusant d’exercer sa compétence pour entendre les éléments de preuve de la demanderesse relativement au bien-fondé de sa décision de congédier Mme Adams.
La demanderesse a également soulevé une question quant à savoir si M. Baum a commis une erreur en refusant de donner à la demanderesse l’occasion de présenter des observations et des éléments de preuve à l’égard de diverses autres questions, notamment la politique en matière de personnel de la demanderesse qui était en vigueur au moment du congédiement injuste allégué, le fait que M. Baum a réduit les questions lors de l’audience, son refus d’entendre certains témoins et de permettre que des éléments de preuve « reçus ultérieurement » provenant de l’enquête de police et du dossier de poursuite de la Couronne de Mme Adams soient produits, son traitement de certains autres éléments de preuve, son refus de permettre à certains témoins de répondre aux questions et une certaine divulgation à M. Dubinsky qui, selon la demanderesse, n’était pas appropriée ni pertinente.
Dans la décision Jennings c. Shaw Cablesystems Ltd., 2003 CF 1206, paragraphe 15, ma collègue madame la juge Snider a fait remarquer que, bien que le libellé de l’alinéa 242(2)b) du CCT indique clairement que les arbitres sont les maîtres de leurs propres procédures, ils ont « non seulement le pouvoir d’accepter la preuve des motifs de congédiement en dépit du défaut par l’employeur […] mais […] aussi l’obligation de le faire ». À mon avis, cette observation s’applique également à d’autres éléments de preuve et observations qu’une partie peut souhaiter présenter à l’égard de questions importantes et de renseignements relatifs à la plainte.
Relativement à ce qui précède, je conclus qu’une question sérieuse a été soulevée pour ce qui est de savoir si M. Baum a commis une erreur en refusant de donner à la demanderesse l’occasion de présenter des observations et des éléments de preuve relativement aux questions susmentionnées, la plupart d’entre elles ou toutes semblent avoir été importantes dans le contexte de la plainte et des pouvoirs conférés à M. Baum conformément aux dispositions de l’alinéa 242(2)b).
Il est bien établi en droit que les instances décisionnelles publiques ont toutes l’obligation générale d’agir équitablement (Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 RCS 307, au paragraphe 105). Cela comprend le devoir de permettre à une partie de présenter des observations et des éléments de preuve relativement à des questions importantes (Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 RCS 471, aux pages 491 à 493), et le devoir de permettre à une partie de contre-interroger les témoins d’une autre partie (B.R.E.S.T. Transportation Ltd c. Noon, 2009 CF 630, au paragraphe 7).
À mon avis, l’incidence collective des refus de M. Baum de donner à la demanderesse l’occasion de présenter des observations et des éléments de preuve à l’égard de l’affaire en question est telle qu’une question sérieuse a été soulevée quant à l’équité de toute la phase relative à la responsabilité de l’audience.
(ii) Préjudice irréparable
Le terme irréparable « a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue. C’est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié » (RJR -- MacDonald, précité, au paragraphe 64). À ce stade-ci de l’analyse, le préjudice en question est un préjudice que subira la demanderesse. Tout préjudice que la défenderesse subira est pris en considération dans l’évaluation de la prépondérance des inconvénients (RJR -- MacDonald, précité, à la page 341).
Je conclus que la demanderesse est susceptible de subir un préjudice irréparable si le sursis qu’elle a demandé n’est pas accordé. Voilà pourquoi Mme Adams est démunie, comme le reconnaît la décision et comme le souligne sa réponse à la présente requête. En conséquence, il existe une réelle possibilité que la demanderesse ne soit pas susceptible de pouvoir récupérer les dommages-intérêts qui lui sont imposés à la phase des dommages-intérêts de l’audience, puis versés à Mme Adams. En effet, il semble que le CCT ne prévoit pas la mise en œuvre de mesures de recours pour un employeur.
Je reconnais que les dommages-intérêts ne seraient payables par la demanderesse qu’au terme de la phase relative aux dommages-intérêts de l’audience. Cependant, reporter l’accord du sursis demandé jusqu’à ce moment-là mettrait tout simplement la demanderesse dans la position de devoir consacrer des ressources additionnelles importantes pour présenter une autre requête devant la Cour dans le but de demander essentiellement le même redressement en attendant que soit décidée la demande sous-jacente de contrôle judiciaire, qui n’est pas sans un bien-fondé important à première vue. Dans de telles circonstances, « il me semble que les intérêts de la justice seront généralement mieux servis si le second volet est suspendu pendant que la Cour d’appel fédérale traite l’appel en priorité » (Canada c. Monit International Inc., 2004 CAF 108, au paragraphe 7).
(iii) Prépondérance des inconvénients
Le présent volet du critère à trois volets à satisfaire pour un accorder un sursis ou une injonction repose sur « laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse [l’]injonction [...] » (RJR -- MacDonald, précité, à la page 342). En outre, il y a d’autres facteurs à examiner dans l’appréciation de la prépondérance des inconvénients (RJR -- MacDonald, précité, à la page 342).
Je conclus que la prépondérance des inconvénients favorise la demanderesse en l’espèce. Comme on l’a indiqué plus haut, la demanderesse est susceptible de subir éventuellement un grave préjudice auquel on ne peut probablement pas remédier si le sursis n’est pas accordé et s’il faut verser des dommages-intérêts à Mme Adams. En revanche, il est difficile de voir comment Mme Adams subirait un préjudice si le sursis était accordé, si ce n’est le fait de devoir attendre encore plus longtemps pour obtenir des dommages-intérêts qui pourraient ultimement lui être accordés (Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord) c. Choken, 2003 CAF 431, au paragraphe 17). Entre-temps, ses dommages-intérêts continueront de s’accumuler, sous réserve de son obligation d’atténuer ses dommages-intérêts.
Outre ce qui précède, selon les éléments de preuve et les observations déposés à l’égard de la présente requête, tout en reconnaissant que Mme Adams n’a pas comparu devant la Cour et n’a pas été en mesure de retenir les services de quiconque pour préparer des observations importantes, je conclus que les arguments de la demanderesse à l’égard de la présente requête sont nettement plus solides que ceux de Mme Adams et que cela fait pencher davantage la prépondérance des inconvénients en faveur de la demanderesse (Turbo Resources Ltd v. Petro Canada Inc, [1989] 2 FC 451, à la page 474 (CA)).
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Il découle de ce qui précède que la demanderesse a satisfait au critère pour obtenir un sursis de la phase des dommages-intérêts de l’audience, en attendant l’issue définitive de la demande sous-jacente de contrôle judiciaire de la décision rendue à la phase de la responsabilité de l’audience, à l’égard de laquelle M. Baum a conclu que la demanderesse avait congédié sans justification la défenderesse Aimee Adams.
Juge