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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110518

Dossier : IMM-1381-10

Référence : 2011 CF 571

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 mai 2011

En présence de Monsieur le juge O’Keefe

 

ENTRE :

 

RITESHKUMAR GOPALDAS PATEL

RESHMA RITESHKUMAR PATEL et

SANVI RITESHKUMAR PATEL

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard d’une décision datée du 24 décembre 2009 dans laquelle une agente d’immigration désignée a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur principal à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés.

[2]               Le demandeur principal sollicite une ordonnance annulant la décision de l’agente et renvoyant l’affaire pour nouvelle décision par un agent différent conformément à la loi.

 

Les faits à l’origine du litige

[3]               Riteshkumar Gopaldas Patel (le demandeur principal) est un citoyen de l’Inde qui est né le 27 janvier 1981.

 

[4]               Le demandeur principal a présenté une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés, la Classification nationale des professions (CNP) – vérificateurs financiers et comptables.

 

La décision de l’agente

[5]               L’agente a conclu que le demandeur principal ne respectait pas les exigences du paragraphe 75(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), pour l’obtention de la résidence permanente au Canada. 

 

[6]               De l’avis de l’agente, le demandeur principal n’a pas présenté d’éléments de preuve établissant de façon satisfaisante qu’il avait accumulé au moins une année continue d’expérience de travail à temps plein ou l’équivalent à temps partiel à titre de comptable. Toujours selon l’agente, le demandeur principal n’a fourni qu’un seul document d’emploi dans lequel les fonctions énumérées étaient tirées en grande partie de la description de la CNP (la lettre concernant l’expérience professionnelle). L’agente a également conclu que les fonctions énumérées dans la lettre concernant l’expérience professionnelle étaient identiques à celles qui figuraient dans la lettre d’offre d’emploi de Rubina Kitchen sur laquelle la demande était fondée.

 

[7]               Ayant conclu que le demandeur principal ne respectait pas les exigences du paragraphe 75(2) du Règlement, l’agente a rejeté la demande de celui-ci conformément au paragraphe 75(3).

 

Les questions en litige

[8]               Le demandeur principal a soumis les questions suivantes à l’examen de la Cour :

            1.         L’agente des visas a-t-elle violé les principes d’équité procédurale en fondant sa décision sur la validité de documents sans informer le demandeur du problème ni lui donner la possibilité de répondre?

            2.         L’agente des visas a-t-elle commis une erreur en rendant une décision sur la crédibilité sans interroger le demandeur?

            3.         L’agente des visas a-t-elle commis une erreur en n’énonçant pas de motifs suffisamment détaillés dans sa décision ou dans ses notes?

            4.         L’agente des visas a-t-elle rendu une décision qui était déraisonnable, eu égard aux faits dont elle était saisie?

 

[9]               Je reformulerais les questions en litige comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agente a-t-elle nié le droit du demandeur principal à l’équité procédurale en ne l’informant pas des préoccupations qu’elle avait et en ne le convoquant pas à une entrevue?

Les observations écrites des demandeurs

[10]           Le demandeur principal soutient que, si les descriptions de ses fonctions figurant dans la lettre concernant l’expérience professionnelle et sur son formulaire de demande sont exactes, il est indéniablement admissible à titre de comptable et devrait se voir attribuer 79 points de façon à être admissible à la résidence permanente au Canada.

 

[11]           De l’avis des demandeurs, l’agente était préoccupée par la véracité de la lettre d’offre d’emploi du demandeur principal et de la description des fonctions de celui-ci. Lorsqu’un agent a des préoccupations au sujet de la véracité des documents présentés dans une demande, il doit convoquer le demandeur à une entrevue afin de lui permettre d’atténuer lesdites préoccupations. Dans la présente affaire, l’agente n’a pas fait connaître ses préoccupations au demandeur principal, violant de ce fait l’obligation d’équité procédurale qu’elle avait envers lui.

 

[12]           De plus, l’agente a fourni des motifs insuffisants à l’appui de sa décision, parce qu’elle n’a pas expliqué pourquoi la question de la similitude entre le contenu de la lettre de l’employeur et la description de la CNP est pertinente.

 

Les observations écrites du défendeur

[13]           Le défendeur fait valoir que le demandeur principal n’a pas été privé du droit à l’équité procédurale. L’agente n’a pas mis en doute la véracité de la lettre d’emploi. Elle a plutôt conclu que la lettre ne constituait pas une preuve suffisante de l’expérience du demandeur, parce qu’elle reprenait mot à mot l’énoncé des fonctions figurant dans la description de la CNP sans ajouter d’autres détails.

 

[14]           Il incombait au demandeur principal de démontrer qu’il était admissible à un visa et, à cette fin, le demandeur principal devait présenter des éléments de preuve établissant qu’il respectait les critères de sélection applicables. Le devoir d’équité procédurale n’oblige pas l’agent à aviser le demandeur d’une préoccupation concernant la capacité de celui-ci de respecter les critères de sélection. En conséquence, l’agente n’était pas tenue de convoquer le demandeur principal à une entrevue, parce que ses préoccupations concernant la demande de celui-ci découlaient directement du Règlement.

 

[15]           Enfin, le défendeur ajoute que l’agente a fourni des motifs suffisants, puisque ceux‑ci font ressortir la décision qui a été prise et le fondement de celle-ci.

 

[16]           La décision de l’agente fait partie de l’éventail d’options qui s’offrent au décideur lors du contrôle judiciaire et la demande devrait être rejetée.

 

Analyse et décision

[17]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la norme de contrôle applicable à une question donnée a été établie dans la jurisprudence précédente, le tribunal de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 57).

 

[18]           La décision de l’agente des visas concernant l’admissibilité à la résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés comporte des conclusions de fait et de droit et est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (voir Malik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1283, au paragraphe 22).

 

[19]           Cependant, les questions de justice naturelle concernant les agents des visas sont évaluées au regard de la norme de la décision correcte (voir Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43).

 

[20]           Deuxième question

            L’agente a-t-elle privé le demandeur principal du droit à l’équité procédurale en ne l’informant pas des préoccupations qu’elle avait et en ne le convoquant pas à une entrevue?

            La question centrale qui se pose en l’espèce est de savoir si l’agente a rejeté la demande parce qu’elle avait des préoccupations au sujet de la crédibilité de la lettre concernant l’expérience professionnelle ou parce qu’elle a conclu que le demandeur principal n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve sur son expérience de travail.

 

[21]           Il appert de la jurisprudence que l’agent des visas n’est pas tenu d’informer le demandeur des réserves qu’il a au sujet de la demande lorsque ces réserves découlent directement des exigences de la législation ou des règlements (voir Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, aux paragraphes 23 et 24).

 

[22]           Cependant, l’agent des visas est tenu d’informer le demandeur de ses réserves concernant la véracité des documents et devra faire des recherches plus approfondies (voir la décision Hassani, précitée, au paragraphe 24).

 

[23]           Il appartient toujours au demandeur principal d’établir le bien-fondé de tous les aspects de sa demande auprès de l’agent des visas. L’agent n’est pas tenu de demander des renseignements supplémentaires lorsque la preuve du demandeur principal est insuffisante (voir Madan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 172 FTR 262, [1999] ACF no 1198 (CF 1re inst.) (QL), au paragraphe 6). 

 

[24]           Il appert clairement de l’article 75 du Règlement que l’étranger est un travailleur qualifié uniquement s’il peut prouver qu’il a accumulé au moins une année d’expérience à temps plein au cours de laquelle il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi dans la description de la CNP et une partie appréciable des fonctions principales de cette même profession.

 

[25]           En conséquence, si l’agente des visas avait craint uniquement que la lettre concernant l’expérience professionnelle ne constitue pas une preuve suffisante du fait que le demandeur principal respectait les exigences de l’article 75 du Règlement, elle n’aurait pas été tenue de le convoquer à une entrevue.

 

[26]           Cependant, l’agente souligne que, selon elle, les fonctions énoncées dans la lettre d’emploi ont été copiées directement de la description de la CNP et que les fonctions mentionnées dans la lettre concernant l’expérience professionnelle sont identiques à celles qui figurent dans la lettre d’emploi. Je conviens avec le demandeur principal que l’agente n’a pas donné suffisamment d’explications permettant de comprendre pourquoi cet aspect était problématique. À mon avis, ces préoccupations donnent à entendre que l’agente croyait que la lettre concernant l’expérience professionnelle était frauduleuse.

 

[27]           En conséquence, étant donné qu’elle estimait que la lettre était frauduleuse, l’agente aurait dû convoquer le demandeur principal à une entrevue, eu égard à la jurisprudence susmentionnée. En omettant de le faire, l’agente a privé le demandeur principal du droit à l’équité procédurale et la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

 

[28]           Le demandeur principal a demandé l’autorisation de modifier l’intitulé en ajoutant son épouse et son enfant à titre de demandeurs. Reshma Riteshkumar Patel est son épouse et Sanvi Riteshkumar Patel est sa fille. L’intitulé est modifié en conséquence.

 

[29]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a voulu soumettre une question grave de portée générale pour que je l’examine en vue de la certification.

 


JUGEMENT

 

[30]           LA COUR ORDONNE :

            1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agente est annulée et l’affaire est renvoyée à un agent différent en vue d’une nouvelle décision.

            2.         L’intitulé est modifié par l’ajout de Reshma Riteshkumar Patel et de Sanvi Riteshkumar Patel à titre de demandeurs.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


ANNEXE

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

72.(1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

 

72.(1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

75.(1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada, qui sont des travailleurs qualifiés et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec.

 

(2) Est un travailleur qualifié l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes :

a) il a accumulé au moins une année continue d’expérience de travail à temps plein au sens du paragraphe 80(7), ou l’équivalent s’il travaille à temps partiel de façon continue, au cours des dix années qui ont précédé la date de présentation de la demande de visa de résident permanent, dans au moins une des professions appartenant aux genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions — exception faite des professions d’accès limité;

 

b) pendant cette période d’emploi, il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de cette classification;

 

c) pendant cette période d’emploi, il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles.

 

 

(3) Si l’étranger ne satisfait pas aux exigences prévues au paragraphe (2), l’agente met fin à l’examen de la demande de visa de résident permanent et la refuse.

 

75.(1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the federal skilled worker class is hereby prescribed as a class of persons who are skilled workers and who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who intend to reside in a province other than the Province of Quebec.

 

 

 

(2) A foreign national is a skilled worker if

 

(a) within the 10 years preceding the date of their application for a permanent resident visa, they have at least one year of continuous full-time employment experience, as described in subsection 80(7), or the equivalent in continuous part-time employment in one or more occupations, other than a restricted occupation, that are listed in Skill Type 0 Management Occupations or Skill Level A or B of the National Occupational Classification matrix;

 

 

(b) during that period of employment they performed the actions described in the lead statement for the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification; and

 

(c) during that period of employment they performed a substantial number of the main duties of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, including all of the essential duties.

 

 

(3) If the foreign national fails to meet the requirements of subsection (2), the application for a permanent resident visa shall be refused and no further assessment is required.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-1381-10

 

INTITULÉ :                                             RITESHKUMAR GOPALDAS PATEL

                                                                  RESHMA RITESHKUMAR PATEL et

                                                                  SANVI RITESHKUMAR PATEL

 

                                                                  - et -

 

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                  ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     Le 8 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                            Le 18 mai 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ron Poulton

Hadayt Nazami

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Martin Anderson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman and Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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