Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 17 mai 2011
En présence de monsieur le juge Shore
ENTRE :
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ET DE L'IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Introduction
[1] Il est ici question de l’absence de crédibilité d’un demandeur qui est citoyen mexicain : il est bien établi dans la jurisprudence qu’il revient à la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés (Commission), en tant que tribunal spécialisé, d’être juge de faits et, plus particulièrement, de la crédibilité d’un demandeur. La Cour doit faire preuve de déférence dans la révision de telles décisions.
II. Procédure judiciaire
[2] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission, rendue le 13 octobre 2010, selon laquelle le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention telle que défini à l’article 96 de la LIPR ni la qualité de personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR et ce, en raison de son manque de crédibilité.
III. Faits
[3] Le demandeur, monsieur Jeronimo Ramirez Perez, est né le 29 février 1968 et est citoyen mexicain. Au moment des événements faisant l’objet de sa demande d’asile, il habitait la ville de Tijuana.
[4] Monsieur Perez allègue qu’il a travaillé approximativement deux ans comme livreur de lait salarié pour la compagnie Jersey. En juillet 2008, alors qu’il effectuait une livraison de lait, il se serait fait voler l’argent qu’il avait sur lui par trois individus armés. Il aurait alors déposé une plainte au ministère public. Les mêmes individus s’en seraient pris à lui à deux autres reprises dans les deux semaines qui suivirent. Le demandeur serait retourné au ministère public après chaque agression et aurait demandé un transfert de route à son employeur dans le sud de la ville, sans lui expliquer la situation. Quelques semaines plus tard, monsieur Perez aurait à nouveau été victime d’extorsion et aurait alors décidé de payer la somme exigée par ses persécuteurs, sans mentionner ces faits à son employeur ni au Ministère public.
[5] Le 20 novembre 2008, monsieur Perez aurait décidé de parler de la situation directement à son employeur. Celui-ci a alors demandé à des gardes de sécurité d’accompagner monsieur Perez dans son trajet de livraison. Quelques jours plus tard, l’un des persécuteurs a été tué dans une fusillade qui a éclaté entre les gardes de sécurité et les individus armés. Il aurait alors été découvert que l’homme qui avait été tué dans la fusillade occupait le poste de policier. Le demandeur aurait écrit sa lettre de démission le 1er décembre 2008 et serait allé se cacher au domicile de sa mère. Un proche l’aurait alors avisé que des policiers s’enquéraient de lui dans les environs.
[6] Monsieur Perez est arrivé au Canada le 29 décembre 2008 et a demandé l’asile le jour même.
IV. Décision faisant l’objet de la demande
[7] La SPR a conclu que le demandeur n’est ni un « réfugié au sens de la Convention », ni une « personne à protéger » au sens de la LIPR. La SPR a d’abord constaté que le récit allégué par le demandeur n’avait aucun lien avec les motifs énumérés à l’article 96 de la LIPR, et qu’il était plutôt ici question d’une crainte reliée à de la criminalité. L’analyse a donc été effectuée sous l’article 97 de la LIPR et avait pour but de déterminer si le demandeur était une « personne à protéger », puisque des policiers corrompus chercheraient à le tuer.
[8] La SPR a conclu que le demandeur n’a pas établi de manière crédible les éléments essentiels au soutien de sa demande d’asile et qu’il n’a pas réussi à établir qu’il a dû démissionner de son travail de laitier pour les raisons alléguées. La SPR a déterminé que le demandeur n’était pas crédible en se basant sur des contradictions et invraisemblances contenues dans la preuve. Plus précisément, dans les motifs de la décision, la SPR note :
- Qu’il y a des divergences dans les déclarations du demandeur relativement à la durée de son emploi auprès de la compagnie Jersey. En effet, la déclaration au point d’entrée indique septembre 2006 comme mois de début d’emploi, alors que le Formulaire de renseignements personnels (FRP) indique avril 2006 (Dossier du tribunal (DT) aux pp 14 et 76);
- Que l’explication du demandeur relative à son défaut de parler à son superviseur des vols dont il aurait été victime, et ce, jusqu’en novembre 2008, est invraisemblable, étant donné l’inévitable perte de revenus que représentaient les vols pour son employeur;
- Que la lettre de son ancien employeur (Pièce p-4, DT à la p 51), déposée par le demandeur devant la SPR, révèle des contradictions avec certaines déclarations du demandeur, ladite lettre portant notamment la date du 14 novembre 2008, alors que le demandeur aurait démissionné le 1er décembre 2008. La lettre ne mentionne pas non plus le fait que le demandeur aurait démissionné;
- Que le fait que le demandeur n’avait pas pensé à quitter son emploi, après avoir subi trois vols à main armée et avoir été extorqué de 800 pesos par semaine pendant plusieurs semaines, illustre un comportement incompatible avec sa crainte alléguée.
(Décision aux para 7 à 15).
V. Question en litige
[9] La décision de la SPR est-elle entachée d’une erreur de faits ou de droit justifiant l’intervention de la présente Cour?
VI. Dispositions législatives pertinentes
[10] Les dispositions suivantes de la LIPR s'appliquent à la présente demande :
Définition de « réfugié »
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.
Personne à protéger
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :
a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :
(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) elle y est exposée en tous lieux de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,
(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,
(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.
(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection. |
Convention refugee
96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,
(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or
(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.
Person in need of protection
97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally
(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or
(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if
(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,
(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,
(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and
(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.
(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.
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VII. Prétention des parties
[11] Le demandeur explique que les divergences quant à la date de début d’emploi dans le FRP et la déclaration au point d’entrée, ainsi que la date erronée apparaissant sur la lettre de démission constituent de simples erreurs qui ne devraient pas avoir un impact sur sa crédibilité. Il ajoute qu’il a fait tout ce qu’il devait faire pour aviser son employeur des vols, en portant plainte au ministère public. Le demandeur soumet également que le fait qu’il n’ait pas pensé à quitter son emploi ou qu’il n’ait pas songé à changer de domicile démontre simplement que les réactions face à une situation de danger sont différentes d’un individu à un autre. Le demandeur soumet la décision Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 143 NR 238, 33 ACWS (3d) 1270, selon laquelle les juges de fait ne seraient pas mieux placés que les autres pour tirer des conclusions fondées sur l’invraisemblance des critères extrinsèques, tels que le raisonnement, le sens commun et la connaissance d’office.
[12] Le défendeur soumet que cet argument du demandeur est mal fondé en droit et que ce principe a été revu dans l’affaire Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, 42 ACWS (3d) 886, aux paragraphes 3 et 4, sous la plume du juge Robert Décary, qui a confirmé que le critère d’intervention de la Cour n’est pas différent selon qu’il s’agit de conclusions de « plausibilité » ou de « crédibilité ». Le défendeur soutient quant à lui que le demandeur n’a pas réussi à démontrer que la SPR a rendu une décision déraisonnable qui n’appartiendrait pas aux issues possiblement acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, ou une décision arbitraire qui ne tiendrait compte des éléments dont il disposait en jaugeant la preuve testimoniale et documentaire soumise ou en tirant des inférences illogiques.
VIII. Norme de contrôle
[13] Il est de jurisprudence constante que la crédibilité d’un demandeur, l’évaluation des faits, ainsi que l’appréciation de la preuve relèvent de la SPR et doivent être considérées sous la norme de la raisonnabilité :
[19] Le tribunal est le mieux placé pour évaluer les explications fournies par les demandeurs au sujet des contradictions et invraisemblances apparentes et il n’appartient pas à la Cour de substituer son jugement aux conclusions de fait tirées par le tribunal au sujet de la crédibilité du demandeur (Singh c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 181, 146 A.C.W.S. (3d) 325 au par. 36; Mavi c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 1 (QL)). En l’espèce, les explications du demandeur pour justifier l’absence de preuve qui corrobore son récit ne sont pas raisonnables.
(Castaneda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 393).
[14] La question est donc de déterminer si la décision de la SPR est raisonnable, à la lumière des faits de la présente affaire, et non de déterminer si cette Cour aurait une opinion contraire à celle de la SPR.
IX. Analyse
[15] L’analyse de la preuve et l’évaluation de la crédibilité d’un demandeur d’asile appartiennent à la SPR, tribunal spécialisé en pareille matière. La SPR a relevé un bon nombre d’invraisemblances et de contradictions qui minaient la crédibilité du demandeur. Il était notamment loisible à la SPR de tenir compte du comportement du demandeur face aux événements de danger allégués et de conclure que s’il craignait réellement la persécution, il aurait déménagé ou changé d’emploi à la première occasion (Huerta c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 157 NR 225, 40 ACWS (3d) 487 (CAF)).
[16] Quant à la valeur probante des éléments de preuve, il ne revient pas à la Cour de réévaluer la preuve soumise devant la SPR. Le demandeur ne peut pas demander à la Cour de substituer son opinion à celle de la SPR quant à la valeur probante attribuée à ces éléments de preuve ou à ses explications (Zrig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, [2003] 3 CF 761 au para 42). Il était par ailleurs raisonnable pour la SPR de n’accorder aucune valeur probante à la lettre de l’employeur du demandeur déposée en preuve après avoir analysé le contenu de celle-ci en parallèle avec le témoignage livré à l’audience.
X. Conclusion
[17] Compte tenu de ce qui précède, il n'est pas justifié que la Cour intervienne. Le demandeur ne fait valoir aucun motif sérieux susceptible de permettre à la Cour d’accueillir la demande de contrôle judiciaire. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question à certifier.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6414-10
INTITULÉ : JERONIMO RAMIREZ PEREZ c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : le 10 mai 2011
DATE DES MOTIFS : le 17 mai 2011
COMPARUTIONS :
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Margarita Tzavelakos |
POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec) |
POUR LA DÉFENDERESSE |