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                                                                                                       Date : 20110413

Dossier : IMM-3983-10

Référence : 2011 CF 454

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2011

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PLACIDE OLEMBO OYEMA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire introduite par le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 c. 27 d’une décision de la Section d’Appel de l’Immigration de la Commission de l’Immigration et du Statut de Réfugié (la SAI) accueillant l’appel interjeté par le défendeur à l’encontre du refus de la demande de résidence permanente de son épouse, dans la catégorie du regroupement familial.

 

CONTEXTE

[2]               Le défendeur a quitté la République Démocratique du Congo (la RDC) en 2002 pour le Canada. Il a réclamé le statut de réfugié qui lui a été accordé. Il est devenu résident permanent le 14 juin 2005. Il a demandé en mariage Mme Rose Uya-Numondjo qui est devenue son épouse le 6 janvier 2005. Le 2 octobre 2005, il signe au Québec une procuration mandatant son frère à procéder pour lui à son mariage en RDC. Le mariage coutumier a été célébré le 15 octobre 2005 et le mariage civil, le 18 novembre 2005.

 

[3]               Une agente des visas a refusé la demande de parrainage du défendeur au motif qu’il n’avait pas prouvé la validité de son mariage en vertu des lois de la RDC. L’agente des visas a également conclu que le mariage du défendeur n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège au terme de la loi.

 

[4]               Le défendeur s’est pourvu en appel à l’encontre de cette décision devant la SAI. Le 27 mai 2010, la SAI a accueilli l’appel du défendeur. Elle a conclu que considérant l’ensemble de la preuve, la validité en droit du mariage avait été démontrée selon la balance des probabilités et que la relation du défendeur et de son épouse était authentique et ne visait pas l’acquisition d’un privilège ou d’un statut au terme de la loi. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[5]               La présente demande de contrôle judiciaire soulève les deux questions suivantes :

1)      La SAI a-t-elle erré en déterminant que le mariage du défendeur était valide en droit?

2)      La SAI a-t-elle erré en déterminant que la relation du défendeur était authentique et ne visait pas l’acquisition d’un privilège ou d’un statut au terme de la loi?

 

NORMES DE CONTRÔLE APPLICABLES

[6]               La première question soulève l’interprétation du droit étranger par la SAI, soit en l’occurrence, le code de la famille congolais (le code congolais), afin de déterminer si le contrat de mariage est légalement valide. La jurisprudence de notre Cour a établi que ce type de question doit être révisé selon la norme de la décision raisonnable (Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Saini, 2001 CAF 311, au para 26; Butar c Canada 2006 CF 1281 au para 9; Wai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2007 CF 364, au para 14.

 

[7]               La deuxième question concerne l’appréciation de la bonne foi du mariage du défendeur par la SAI, à la lumière de la preuve dont elle disposait. Selon la jurisprudence, il s’agit également d’une question de fait qui doit être révisée selon la norme de la décision raisonnable  (Thach c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 658, au para 15).

 

ANALYSE

- Les passages pertinents du code congolais se retrouvent à l’annexe A.

1) La SAI a-t-elle erré en déterminant que le mariage du défendeur était valide en droit?

[8]               Le demandeur soutient que la SAI a erré en concluant que le défendeur avait démontré que son mariage par procuration était valide en vertu des lois congolaises. Le code congolais stipule que le mariage par procuration constitue un régime d’exception et que sa validité juridique est subordonnée à une autorisation judiciaire préalable.

 

[9]               Cette autorisation d’un juge de paix constitue une condition essentielle afin de pouvoir déroger au régime général du mariage. Les actes produits étaient silencieux sur l’existence d’une telle autorisation et le défendeur a fait défaut de faire témoigner son épouse et son frère à cet égard. La SAI a donc erré en concluant que le frère et l’oncle du défendeur « avaient procédé à l’ensemble des formalités requises en RDC » pour qu’il puisse légalement se marier par procuration tout en demeurant au Canada. En outre, le nom du mandataire du défendeur n’apparaît nullement à l’acte de mariage et cet acte est dressé et signé comme si le défendeur avait lui-même comparu. La SAI a erré en ne tenant pas compte de ces éléments.

 

[10]           De plus, l’article 397 du code congolais auquel réfère la SAI et qui semble permettre à un époux de ratifier un consentement à un mariage affecté d’un vice ou d’un défaut ne règle pas le problème puisque le défendeur n’a pas prouvé que le droit congolais permettait de passer outre la nécessité d’obtenir une autorisation judicaire. La SAI a erronément abaissé le fardeau de preuve du défendeur en n’exigeant pas cette démonstration.

 

[11]           Enfin, la SAI a erré en accordant une importance démesurée au fait que l’acte de mariage et l’attestation de mariage coutumier sont des documents authentiques. Elle aurait dû tenir compte du principe juridique voulant que l’apparence d’authenticité d’un document émis par un État étranger entraîne uniquement une présomption de validité qui peut être repoussée.

 

[12]           Pour sa part, le défendeur souligne que le ministre n’a fait entendre aucun témoin-expert en ce qui a trait à la légalité de son mariage et a attaqué sa validité en interprétant le texte de loi exclusivement selon le sens commun. L’authenticité de la preuve documentaire relative au mariage n’a jamais été remise en doute par l’agent des visas ou le tribunal de la SAI. La SAI a analysé l’ensemble des dispositions du code congolais et a distingué entre un mariage normal et par procuration.

 

[13]           Il soutient également que la SAI a eu raison de considérer que la représentation par mandataire fait partie des dispositions traitant du consentement des personnes en cause et que les dispositions légales portant sur la ratification d’un mariage par consentement s’appliquaient en l’espèce. L’interprétation que la SAI a retenu sur la portée de l’article 397 qui traite de la ratification d’un vice de consentement est raisonnable et s’appuie sur le texte invoqué. Il existe un principe de retenue judiciaire à l’égard des décisions de la SAI en raison de son expertise particulière et la Cour ne devrait pas intervenir.

 

[14]           La SAI a-t-elle ignoré une condition essentielle du mariage par procuration lequel est subordonné à une autorisation judiciaire? Je ne le crois pas.

 

[15]           En premier lieu, la SAI considère les doutes que le demandeur a fait valoir à l’encontre de la validité du mariage du défendeur:

La validité de ce mariage par procuration a été remise en doute par le ministre au motif que la procuration, assermentée et signée au Québec, n’avait pas été signée par un juge de paix en RDC et qu’elle n’avait pas été fait pour un motif grave, en conformité avec l’article 351 du Livre Trois du Code et que d’autres formalités n’avaient pas été respectées, notamment celles qui se retrouvent aux articles 370 et 373 alinéa 3 du Livre Trois du CC de la RDC (Décision de la SAI, au para 8).

 

[16]           La SAI procède alors à l’analyse et à l’interprétation des dispositions du code congolais selon le sens commun, tel que convenu avec les parties lors de l’audience. Malgré les arguments soulevés par le demandeur, elle détermine que ce mariage par procuration est valide en droit :

Quant au premier motif de refus, le tribunal est d’avis que le mariage entre l’appelant et la demandeure [sic] célébré par procuration est valide en droit. Même si la procuration au dossier ne remplissait pas à première vue toutes les formalités des articles 351, 370 et 373 alinéa 3 du CC de la RDC, l’appelant à fourni des explications satisfaisantes sur ce point. (Décision de la SAI, au para 10).

 

[17]           En effet, le défendeur a, lors de l’audience, témoigné à cet égard:

qu’il est venu au Canada à titre de réfugié;

• que sa vie aurait été en danger s’il était retourné au Congo;

• qu’avec la procuration, sa famille, c’est-à-dire son frère et son oncle, avaient procédé à l’ensemble des formalités requises en RDC;

• que c’est pour cette raison que l’officier de l’état civil avait accepté d’attester la validité du mariage coutumier et de célébrer le mariage civil, mariages qui ont été célébrés en présence des familles de l’appelant et de la demandeure [sic];

• que la signature apparaissant à côté de sont nom sur l’acte de mariage était celle de son frère et non la sienne; et

• que l’appelant s’était assuré lui-même  auprès des autorités concernées en RDC de l’authenticité des documents avant de procéder à la demande de parrainage (Décision de la SAI, au para 9)

 

[18]           De plus, l’authenticité des documents de mariage du défendeur n’a jamais été mise en doute par la SAI, pas plus qu’elle ne l’avait été par l’agent des visas:

De plus, l’officier de l’état civil a accepté de produire une attestation pour le mariage coutumier et de procéder au mariage civil. Des documents authentiques témoignent de la validité de ces mariages. Le mariage coutumier est attesté par le bourgmestre et officier de l’état civil de la commune de Ngaliema, tel qu’en fait foi l’attestation délivrée le 2 décembre 2005. Le mariage civil a été célébré par le représentant de l’état civil, comme en fait foi l’acte de mariage délivré le 18 novembre 2005 par l’officier de l’état civil et bourgmestre de la commune de Ngaliema, ville de Kinshasa.

 

[19]           Le demandeur reproche à la SAI d’avoir accordé une importance démesurée au fait que l’acte de mariage et l’attestation de mariage coutumier étaient des documents authentiques et qu’elle aurait dû tenir compte du fait que leur présomption de validité pouvait être repoussée. Avec égards, je ne suis pas d’accord avec ce dernier. La SAI a simplement considéré son interprétation du droit congolais et que les explications du défendeur étaient suffisantes pour reconnaître la validité en droit du mariage du défendeur. Cette interprétation ne m’apparaît pas déraisonnable.

 

[20]            Le défendeur soutient également que la SAI ne pouvait se baser sur l’article 397 du code congolais pour déterminer que le mariage était valide en droit et passer outre les irrégularités et l’absence d’une autorisation judiciaire relative à la procuration.

 

[21]           L’article 397 du code congolais stipule :

397 Le mariage susceptible d’annulation ne peut plus être attaqué lorsque la cause de la nullité a disparu ou lorsque, dans le cas où le consentement des époux ou des autres personnes qui doivent consentir au mariage a fait défaut ou a été vicié, il y a eu ratification expresse ou tacite.

 

[22]           Ainsi, l’article 397 du code congolais permet la ratification d’un vice de consentement. La SAI a déterminé que cette disposition pouvait s’appliquer à l’autorisation d’un juge de paix. La SAI a privilégié cette interprétation du droit congolais en l’absence d’une preuve d’expert qui aurait soutenu le contraire. Bien qu’elle diffère de celle du demandeur, son interprétation du droit congolais ne m’apparaît par déraisonnable et ce, comme je l’ai dit précédemment, d’autant plus qu’elle s’était entendue avec les parties lors de l’audience pour que les dispositions du code congolais soient interprétées selon le sens commun. Quant à la validité du mariage, puisque cette conclusion appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier en regard des faits et du droit, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

2) La SAI a-t-elle erré en déterminant que la relation du défendeur était authentique et ne visait pas l’acquisition d’un privilège ou d’un statut au terme de la loi?

[23]           Le demandeur soutient que la SAI a erré en concluant à la bonne foi du mariage. Elle n’avait aucun motif valide pour modifier la décision de l’agent des visas selon laquelle le mariage n’était pas authentique, qu’il visait uniquement l’acquisition d’un statut et qu’il avait été célébré uniquement à des fins d’immigration.

 

[24]           Le défendeur prétend pour sa part que la SAI s’est prononcée sur sa crédibilité en évaluant son témoignage qu’il a jugé digne de foi en ce qu’il a témoigné de manière directe, spontanée et sincère.

 

[25]           En vertu de l’article 4 du Règlement sur l’Immigration et la Protection des Réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR) :

Mauvaise foi

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré

comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

a) visait principalement l’acquisition

d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

b) n’est pas authentique.

Bad faith

4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

 

 

(a) was entered into primarily for the

purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

(b) is not genuine.

 

[26]            Dans sa décision, la SAI a traité la plupart des préoccupations du demandeur et elle a choisi d’accorder de la crédibilité au témoignage du défendeur. Elle a déterminé qu’il y avait une preuve de communication suivie entre le défendeur et son épouse et ce, depuis la fin 2002 ou le début 2003 jusqu’à aujourd’hui et que cela démontrait une véritable relation, nonobstant le contenu de leurs conversations. Quant à son absence de visites en RDC, elle a considéré comme raisonnables les explications du défendeur à l’effet que ses moyens financiers et des raisons de sécurité l’empêchaient de se rendre sur place et qu’il n’avait pas envisagé que les procédures d’immigration allaient prendre autant de temps.

 

[27]           Il ne revient pas à la Cour de substituer sa propre conclusion à celle du tribunal, du moment que cette conclusion est bien motivée, prend en considération la preuve essentielle et fait partie des issues acceptables eût égard aux faits et au droit. Cette décision fait partie de cette catégorie. L’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

 

CONCLUSION

[28]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

 


Annexe A

 

Code de la famille congolais

 

Article 351 : Chacun des futurs époux, même mineur, doit personnellement consentir au mariage. Toutefois, que le mariage soit célébré en famille ou devant l’officier de l’état civil, la représentation par mandataire peut être autorisée pour motif grave par le juge de paix.

 

Article 370 (4) : Les époux peuvent se faire représenter par un mandataire porteur d’une procuration écrite; celui-ci sera un proche parent, sauf empêchement valable dûment constaté par l’officier de l’état civil.

 

Article 373 (3): L’officier de l’état civil exige la remise des pièces suivantes :

(…) 3. le cas échéant, les copies des actes constatant le consentement des parents ou du tuteur, les procurations écrites prévues par la loi.

 

Article 397 Le mariage susceptible d’annulation ne peut plus être attaqué lorsque la cause de la nullité a disparu ou lorsque, dans le cas où le consentement des époux ou des autres personnes qui doivent consentir au mariage a fait défaut ou a été vicié, il y a eu ratification expresse ou tacite.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3983-10

 

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                                                            L’IMMIGRATION c. PLACIDE OLEMBO OYEMA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 13 avril 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Christine Bernard

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Marie-Josée Houle

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

 

Me Marie-Josée Houle

Avocates

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

                                                                             

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