[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 29 mars 2011
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX
ENTRE :
|
|
|
|
|
|
et
|
|
|
|
|
|
|
||
|
|
|
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Introduction et contexte
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 41 de la Lois sur l’accès à l’information (LAI), par M. Robin Quinn, qui n’est pas représenté par avocat, contestant la décision, datée du 23 septembre 2008, du Directeur, Accès à l’information et protection des renseignements personnels du Bureau du Conseil privé (BCP) lui refusant l’accès aux informations demandées parce qu’elles ne pouvaient être divulguées en raison du fait [traduction] « qu’elle constituent des documents confidentiels du Conseil privé de la Reine et qu’elles ont en conséquence été retenues en application de l’alinéa 69(1)f) (avant‑projets de loi ou projets de règlement) de la Loi sur l’accès à l’information ». M. Quinn avait demandé au BCP un exemplaire du ou des rapports d’examen portant sur le Règlement de la Commission de la capitale nationale (CCN) sur les animaux (Règlement sur les animaux) que le gouverneur en conseil (GC) a proposé de prendre en vertu du paragraphe 20 (1) de la Loi sur la CCN. Ce règlement a été pris par le GC en vertu du décret C. P. 2002‑671 du 25 avril 2002. Le texte de sa demande d’accès du 25 mars 2008 transmise au BCP était ainsi libellée :
[traduction]
OBJET : EXAMEN SUR LE PROJET DE RÈGLEMENT DE LA CCN SUR LES ANIMAUX PRIS EN VERTU DE LA LOI SUR LES TEXTES RÉGLEMENTAIRES
L’article trois de la Loi sur les textes réglementaires exige l’examen des projets de règlements.
Dans le cas du règlement susmentionné, cet examen devrait avoir eu lieu avant que le projet de règlement ne soit publié dans la Partie I de la Gazette, le 18 août 2001.
Ma demande d’accès porte sur un exemplaire du ou des rapports de l’examen que le BCP pourrait mener.
[2] L’alinéa 69(1)f) de la LAI est ainsi formulé :
Documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada
69. (1) La présente loi ne s’applique pas aux documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada, notamment aux :
[…]
f) avant‑projets de loi ou projets de règlement;
[Notre soulignement] |
Confidences of the Queen’s Privy Council for Canada
69. (1) This Act does not apply to confidences of the Queen’s Privy Council for Canada, including, without restricting the generality of the foregoing,
[…]
(f) draft legislation;
[Emphasis added] |
[3] Deux pages étaient jointes à la lettre de refus du BCP. La première de ces pages est ainsi rédigée [traduction] « Les pages 000063 à 000118 sont exclues en vertu de l’alinéa 69(1)f) de la LAI ». La deuxième indique que « Les pages 000001 à 000062 ne sont pas pertinentes ».
[4] L’examen d’un proejet règlement fédéral est exigé par la Loi sur les textes réglementaires (LTR), plus particulièrement par son article 3 dont voici l’esprit :
(i) Le paragraphe 3(1) de la LTR exige que « l’autorité réglementante envoie chacun de ses projets de règlement en trois exemplaires, dans les deux langues officielles, au greffier du Conseil privé (Greffier);
(ii) Le paragraphe 3(2) de la LTR prévoit qu’à la réception « le Greffier procède, en consultation avec le sous‑ministre de la Justice, à l’examen des points suivants » : a) le règlement est pris dans le cadre du pouvoir conféré par sa loi habilitante; b) il ne constitue pas un usage inhabituel ou inattendu du pouvoir ainsi conféré; c) il n’empiète pas indûment sur les droits et libertés existants et, en tout état de cause, n’est pas incompatible avec les fins et les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Déclaration canadienne des droits; d) sa présentation et sa rédaction sont conformes aux normes établies;
(iii)
Le paragraphe 3(3)
de la LTR prévoit que « l’examen achevé, le Greffier en avise l’autorité
réglementante en lui signalant, parmi les points mentionnés au paragraphe (2),
ceux sur lesquels, selon le sous‑ministre de la Justice, elle
devrait porter son attention ». [Notre soulignement]
[5] Je souligne également que la même journée où M. Quinn a présenté sa demande d’accès au BCP, il en a présenté une identique à la CCN et que, le 23 avril 2008, le coordonnateur, Accès à l’information de la CCN, l’a informé que la CCN [traduction] « en vertu de la LTR, ne tient aucun rapport relativement à l’examen du projet de règlement sur les animaux de la CCN ». M. Quinn n’a pris aucune autre mesure en ce qui concerne la réponse transmise par la CCN.
[6] D’autre part, le 29 septembre 2009, M. Quinn a saisi l’occasion qui lui était présentée en vertu des dispositions de la LAI pour présenter une plainte auprès du commissaire à l’information concernant le rejet par le BCP de sa demande d’accès à une copie du ou des rapports portant sur l’examen du projet de règlement sur les animaux de la CCN.
[7] Le commissaire à l’information a mené une enquête concernant la plainte et a transmis à M. Quinn la réponse suivante en date du 12 mars 2010 :
[traduction]
Le paragraphe 69(1) prévoit que la Loi ne s’applique pas aux documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada. La Loi prévoit également que notre bureau ne peut pas prendre connaissance d’informations que le gouvernement soutient être des documents confidentiels du Cabinet. Dans les limites de cette importante contrainte, au cours de notre enquête concernant votre plainte et du second examen entrepris par l’avocat du Bureau du Conseil privé (BCP) responsable de la confidentialité des documents du Cabinet, ce denrier nous a confirmé que la documentation non divulguée constituait des documents confidentiels du Cabinet visés par l’exclusion, ce dont nous sommes nous‑mêmes convaincus. La documentation qui demeure exclue concerne :
‑ des documents d’information à l’usage des ministres sur des questions portées ou qu’il est prévu de porter devant le Conseil, ou sur des questions qui font l’objet des communications ou discussions visées à l’alinéa 69(1)d) (alinéa 69(1)e));
‑ des avant‑projets de loi ou projets de règlement (alinéa 69(1)f)).
En conséquence, je vais consigner votre plainte comme non fondée en ce qui concerne l’application par le BCP de l’article 69 de la Loi.
[Notre soulignement]
[8] Par souci d’exhaustivité, je reproduis le texte des alinéas 69(1)d), e) et g) ainsi que le paragraphe 69(2) de la LAI :
Documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada
69. (1) La présente loi ne s’applique pas aux documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada, notamment aux :
d) documents employés en vue ou faisant état de communications ou de discussions entre ministres sur des questions liées à la prise des décisions du gouvernement ou à la formulation de sa politique;
e) documents d’information à l’usage des ministres sur des questions portées ou qu’il est prévu de porter devant le Conseil, ou sur des questions qui font l’objet des communications ou discussions visées à l’alinéa d);
g) documents contenant des renseignements relatifs à la teneur des documents visés aux alinéas a) à f).
[Notre soulignement] |
Confidences of the Queen’s Privy Council for Canada
69. (1) This Act does not apply to confidences of the Queen’s Privy Council for Canada, including, without restricting the generality of the foregoing,
(d) records used for or reflecting communications or discussions between ministers of the Crown on matters relating to the making of government decisions or the formulation of government policy;
(e) records the purpose of which is to brief ministers of the Crown in relation to matters that are before, or are proposed to be brought before, Council or that are the subject of communications or discussions referred to in paragraph (d);
(g) records that contain information about the contents of any record within a class of records referred to in paragraphs (a) to (f).
[Emphasis added] |
[9] Le paragraphe 69(2) définit le « Conseil » en ces termes :
Définition de « Conseil »
(2) Pour l’application du paragraphe (1), « Conseil » s’entend du Conseil privé de la Reine pour le Canada, du Cabinet et de leurs comités respectifs.
[Notre soulignement] |
Definition of “Council”
(2) For the purposes of subsection (1), “Council” means the Queen’s Privy Council for Canada, committees of the Queen’s Privy Council for Canada, Cabinet and committees of Cabinet.
[Emphasis added] |
[10] Le commissaire à l’information a avisé M. Quinn du droit que lui conférait l’article 41 de la LAI d’exercer devant la Cour fédérale un recours en révision de la décision du BCP de lui refuser l’accès au document demandé, recours qu’il a institué par la transmission d’un avis de demande de contrôle judiciaire daté du 15 avril 2010.
II. Contexte
[11] Tel que mentionné, le Règlement sur les animaux a été pris le 25 avril 2003 par le gouverneur en conseil en vertu du décret C. P. 2002‑671, sur la recommandation du ministre du Patrimoine canadien, responsable de la CCN. Le Règlement sur les animaux a été enregistré auprès du Registraire des textes réglementaires le même jour sous le numéro DORS/2002‑164. Il a été publié dans la Partie II de la Gazette du Canada le 8 mai 2002. Il contient un résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) très détaillé qui se trouve entre les pages 1039 et 1054 de la Gazette du Canada.
[12] Le Règlement sur les animaux a aussi fait l’objet d’une publication préalable dans la Partie I de la Gazette du Canada le 18 août 2001 et il invitait les personnes intéressées à présenter des observations dans un délai de 60 jours. M. Quinn m’a dit qu’il n’avait pas présenté d’observation, car il n’était pas au courant. L’objectif du Règlement sur les animaux est d’édicter des règles régissant la présence d’animaux domestiques sur les terrains loués ou non de la CCN. Le Règlement sur les animaux énonce des règles prévoyant les endroits où les animaux doivent être tenus en laisse; les comportements acceptables pour certains animaux, comme les chiens, ainsi que les « exigences quant au ramassage des excréments ».
[13] Notre Cour a eu l’avantage de prendre connaissance d’une décision récente rendue par ma collègue, la juge Simpson, en date du 25 mars 2008, concernant M. Quinn et ce même Règlement sur les animaux (voir Quinn c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CF 376.
[14] Dans cette affaire, M. Quinn contestait une décision du coordonnateur de l’accès à l’information et protection des renseignements personnels (AIPRP) du ministère fédéral de la Justice (MJ) qui a refusé de lui remettre deux catégories de documents qu’il avait demandé, soit (a) la version préliminaire du Règlement sur les animaux qui avait été transmise au comité spécial du Conseil (un comité du Cabinet) et (b) les divers messages échangés entre les avocats du ministère de la Justice et le Greffier du Conseil privé ou encore la CCN.
[15] L’avocat du défendeur, qui a également plaidé devant la juge Simpson, déclare dans le mémoire qui m’a été présenté que, lors de l’audience de 2008, M. Quinn avait laissé tomber sa demande de recevoir des exemplaires de la version préliminaire du Règlement sur les animaux lors de l’audience de 2008 et qu’il n’avait tenté d’obtenir gain de cause que sur la question des messages transmis entre les avocats du ministère de la Justice et le Greffier du Conseil privé ou encore la CCN.
[16] Au paragraphe 11 de sa décision, la juge Simpson a résumé de la façon suivante la question qu’elle avait à trancher :
La question en litige est de savoir si les messages dans lesquels se trouve l’avis donné par les avocats du ministère de la Justice à la CCN lors de la rédaction et de l’examen du Règlement et les messages dans lesquels se trouve l’avis donné au greffier par le sous‑ministre de la Justice, ou en son nom, lors de l’examen, peuvent ne pas être communiqués en vertu de l’article 23 de la Loi en raison du privilège avocat‑client.
[Notre soulignement]
[17] Lors de l’audience tenue devant elle, la juge Simpson a dû tenir pour avéré que rien au dossier ne révélait si les exigences l’article 3 de la Loi sur les textes réglementaires (LTR) avaient été respectées, et le cas échéant , de quelle façon elles l’avaient été. Elle a demandé à ce que le défendeur dépose un affidavit décrivant l’examen effectué du Règlement sur les animaux. L’affidavit produit par le défendeur était celui de Mme Tania Tooke.
[18] Je ne peux faire mieux que de reproduire les paragraphes 8 à 10 de la décision de la Juge Simpson en ce qui concerne les déclarations faites par Mme Tania Tooke dans son affidavit :
[8] Par suite de la demande d’affidavit de la Cour, les défendeurs ont déposé un affidavit signé par Tania Tooke le 31 octobre 2007. Les défendeurs y décrivent les étapes suivies lors de la rédaction, de l’examen et de la prise du Règlement. Le demandeur a refusé de profiter de l’occasion pour formuler des observations orales supplémentaires, préférant déposer des observations écrites le 6 décembre 2007.
[9] L’affidavit de Mme Tooke révèle que les étapes importantes de la prise du Règlement ont été les suivantes :
1. En décembre 1999, par l’intermédiaire de son conseiller juridique, la CCN a fourni une version préliminaire du Règlement à la Section de la réglementation de la Direction des services législatifs du ministère de la Justice (la Section de la réglementation);
2. L’examen du Règlement, effectué en application de l’article 3 de la LTR, a été assigné à deux avocats de la Section de la réglementation;
3. De décembre 1999 à mai 2001, les avocats du ministère de la Justice ont rédigé et effectué l’examen de concert avec les juristes de la CCN;
4. La CCN a également fait parvenir le Règlement et la version préliminaire du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation à la Division des affaires réglementaires du Secrétariat de la réglementation et des décrets du Conseil (le Secrétariat), qui représente le greffier en matière de règlement. Des fonctionnaires de la Division des affaires réglementaires ont effectué une analyse initiale du Règlement pour s’assurer qu’il respecte, entre autres, les conditions établies par le paragraphe 3(2) de la LTR;
5. Le Règlement a été estampillé à la suite de l’examen par la Division. Ici, l’estampillage avait pour but d’informer le Secrétariat que la Section de la réglementation avait terminé l’examen et qu’il ne restait aucun problème non résolu. Une lettre d’accompagnement, en date du 30 mai 2001, rédigée par la Section de la réglementation et adressée à la CCN, a confirmé que l’examen avait été effectué;
6. Le ministre du Patrimoine canadien a par la suite signé le Règlement, ce qui a eu pour effet de recommander formellement au Gouverneur en conseil de le prépublier dans la Gazette du Canada;
7. La CCN a ensuite envoyé les exemplaires estampillés du Règlement au Secrétariat où la Division des affaires réglementaires et la Division des décrets du Conseil privé (les Divisions) ont vérifié que l’examen était terminé;
8. Le Règlement et les documents pertinents ont par la suite été envoyés à un comité du Cabinet, nommé le Comité spécial du Conseil, qui a autorisé la prépublication du Règlement dans la Partie I de la Gazette du Canada, prépublication qui a eu lieu le 18 août 2001;
9. Le Règlement a été estampillé une seconde fois le 13 février 2002. Sur chaque page figure le symbole du ministère de la Justice et l’expression : « Examined by the Regulations Section of the Department of Justice – Examiné par la Section de la réglementation du ministère de la Justice »;
10. Les exemplaires estampillés se sont vu accorder la recommandation nécessaire à la prise du Règlement par le ministre du Patrimoine canadien, et ils ont été renvoyés au Secrétariat avec l’ensemble des pièces justificatives. Les Divisions les ont de nouveau analysés. Dans le cadre de cette analyse, la Division des affaires réglementaires agissait au nom du greffier pour s’assurer que l’examen prévu au paragraphe 3(2) de la LTR avait été effectué. Le Secrétariat a ensuite rédigé une note d’information adressée au Comité spécial du Conseil, dans laquelle il recommandait au Gouverneur général que le Règlement soit pris;
11. Le Gouverneur général a ensuite pris le Règlement. Enfin, il a été enregistré auprès du Registraire des textes réglementaires le 25 avril 2002 sous le numéro DORS/2002-164 et publié dans la Partie I de la Gazette du Canada le mercredi 8 mai 2002.
[10] Je suis d’avis, en me fondant sur l’affidavit, que les avocats du ministère de la Justice ont accompli deux tâches en tandem. Ils ont rédigé le Règlement pour la CCN et, en cours de rédaction, ils ont effectué l’examen prévu au paragraphe 3(2) de la Loi.
[Notre soulignement]
[19] La Juge Simpson conclut ensuite de façon suivante :
En appliquant ces principes à la présente affaire, je suis d’accord avec le demandeur : aucun privilège client‑avocat n’existait entre la CCN et le greffier. Cependant, cette conclusion ne tranche pas l’affaire parce que, à mon avis, les faits en l’espèce révèlent la présence de deux relations avocat‑client. La première s’est formée entre le greffier et les avocats du ministère de la Justice. Lorsque le greffier a reçu l’avis des avocats du ministère de la Justice concernant la question de savoir si le Règlement observait le paragraphe 3(2) de la LTR, il s’agissait d’une communication privilégiée. La seconde relation avocat‑client s’est formée entre la CCN et les avocats du ministère de la Justice concernant la question de savoir si le paragraphe 3(2) de la LTR était respecté dans le cadre de la rédaction du Règlement. Il s’agissait également d’une communication privilégiée.
[Notre soulignement]
[20] Au paragraphe 22, elle a examiné un autre argument soumis par M. Quinn :
Le demandeur m’a également demandé de juger si l’examen avait été effectué de façon adéquate et si le greffier avait l’obligation de produire un rapport une fois l’examen terminé. Cependant, je conclus que ces questions ne sont pas pertinentes parce qu’en vertu de l’article 41 de la Loi, la présente demande est limitée au contrôle de la décision de ne pas communiquer les documents protégés.
[Notre soulignement]
[21] L’affidavit de Mme Tania Tooke a été versé au dossier du défendeur en l’espèce. Il porte un numéro de pièces documentaires où figure (1) la 2e édition d’un document publié en 2001 par le BCP sous le titre « Lois et règlements : l’essentiel » (Guide). Ce document fait ressortir ce qui suit.
[22] En premier lieu, il identifie les principaux participants au processus réglementaire fédéral comme étant les suivants :
(i) l’autorité investie du pouvoir de prendre le règlement mentionnant qu’il s’agit le plus souvent du gouverneur général agissant en conseil, c’est‑à‑dire sur l’avis du Conseil privé, ce rôle étant habituellement délégué au Comité spécial du Conseil ou à un autre comité du Cabinet, tel que le Conseil du Trésor;
(ii) le ministre et les fonctionnaires de l’organisme;
(iii) le greffier du Conseil privé;
(iv) le Secrétariat de la réglementation et des décrets du Conseil du Bureau du Conseil privé;
(v) le sous‑ministre de la Justice;
(vi) la Section de la réglementation du ministère de la Justice;
(vii) le Secrétariat du Conseil du Trésor.
[23] Le Guide indique de façon évidente, comme la LTR l’établit, que le greffier du Conseil privé et le sous‑ministre de la Justice ont tous deux un rôle à jouer lorsqu’il s’agit d’examiner un « règlement », que l’article 2 définit comme étant « un texte réglementaire pris dans l’exercice d’un pouvoir législatif conféré sous le régime d’une loi fédérale ». Il mentionne aussi que le greffier est appuyé dans son rôle par le Secrétariat de la réglementation et des décrets du Conseil (SRDC) du BCP et que le SRDC « est chargé de suivre les dossiers et de coordonner les politiques concernant la réglementation et les décrets et de donner des conseils à ce sujet; en outre, il assume la conformité de ces politiques avec les politiques économiques, sociales et fédérales‑provinciales ». Il précise que le Secrétariat a pour mission d’appuyer le Comité spécial du Conseil (CSC) en ce qui a trait aux affaires réglementaires et aux décrets. Tel que mentionné, le Guide indique que le Secrétariat compte deux divisions; la Division des affaires réglementaires et la Division des décrets du Conseil.
[24] Plus précisément, le Guide indique que :
Les principales activités de la Division des affaires réglementaires sont les suivantes :
· suivre les projets de réglementation;
· fournir un appui important au CSC au moyen d’analyses, de breffages et de conseils en ce qui concerne les projets de réglementation;
· appuyer la mise en œuvre et l’élaboration de la Politique de réglementation.
En termes plus précis, elle examine chaque proposition de
règlement en fonction de l’ensemble des orientations et peut
demander des renseignements ou des analyses supplémentaires au
ministère responsable avant que la proposition soit soumise au
Comité spécial du conseil.
Les principales activités de la Division des décrets du Conseil
sont les suivantes :
· gérer le processus d’approbation des décrets, règlements et autres textes réglementaires;
· assurer des services de secrétariat au CSC;
· donner des conseils touchant l’utilisation de décrets ou
d’instruments d’avis;
· produire et diffuser les décrets en Conseil;
· veiller à l’enregistrement et à la publication des règlements dans la Partie II de la Gazette du Canada
(voir http://canada.gc.ca/gazette/hompar2_f.html);
·
tenir à jour les dossiers des décrets approuvés,
l’index codifié des textes réglementaires et un certain nombre de registres de
serment (voir http://canada.gc.ca/howgoc/oic/oic_f.html)
[Notre soulignement]
[25] Le Guide décrit ensuite les activités du sous‑ministre de la Justice prévues par la LTR dont l’exercice est confié à la Division de la réglementation du ministère de la Justice, laquelle examine l’ensemble des projets de réglementation présentés par les ministères et organismes afin de s’assurer qu’ils sont conformes aux dispositions de la LTR et plus particulièrement à celles de l’article 3. Le Guide prévoit ce qui suit :
Une fois l’examen terminé, la Section de la réglementation estampille le projet de règlement. Si la solution apportée à certains problèmes juridiques comporte des risques, elle signale ceux‑ci au ministère ou à l’organisme. Lorsque des problèmes juridiques sérieux persistent, elle en informe le greffier du Conseil privé.
[Notre soulignement]
III. La position des parties
a) Le demandeur
[26] Monsieur Quinn a soumis de nombreuses observations écrites qui peuvent être résumées comme suit :
(i) L’examen du projet de Règlement sur les animaux par le Greffier conformément au paragraphe 3(2) de la LTR ne constitue pas un document confidentiel du Conseil privé de la Reine parce que l’article 3 de la LTR n’exige pas la production d’un rapport devant être soumis au Cabinet ou préparé en vue d’être discuté au Cabinet et qu’il n’a pas été conçu à ces fins. L’article 3 de la LTR formule des normes communes applicables à l’ensemble de la réglementation et ne traite pas des politiques de base sous‑jacentes à un projet de règlement ou de sa teneur. Il soutient qu’un examen de cette nature ne vise pas des questions qui auraient trait aux discussions du Cabinet ou en feraient l’objet.
(ii) Il dit que l’examen effectué par le Greffier n’a pas été entrepris à la demande du Cabinet et que la LTR n’exige pas qu’il soit soumis au Cabinet, mais qu’il prescrit au Greffier de soumettre des commentaires à l’autorité réglementaire qui, selon lui, en l’espèce, est la CCN, et non le Cabinet. (Notre soulignement).
(iii) L’article 69, parce qu’il fait exception au droit d’accès prévu dans le LAI, devrait être interprété de façon restrictive et, plus particulièrement, l’alinéa f) ne devrait pas être interprété comme une catégorie en soi qui transforme l’ensemble des projets de règlements en des documents confidentiels du Cabinet. Il fait valoir qu’afin d’être reconnu comme un document confidentiel du Cabinet, le projet de règlement doit avoir été préparé pour le Cabinet, ou en vue d’être soumis à ses délibérations ou son examen. Il soutient que l’examen effectué par le Greffier n’est pas un avant‑projet de loi ou un projet de règlement.
(iv) Il fait en outre valoir qu’en vertu de l’article 3 de la LTR le Greffier ne procède pas à l’examen d’un projet de règlement, mais plutôt à celui d’un règlement proposé, où le mot « proposé » signifie qu’il s’agit d’un règlement devant être pris, et l’expression projet de règlement signifie qu’il s’agit d’une version écrite préliminaire.
(v) Il soutient de plus qu’avant que l’article 69 de la LAI puisse être appliqué, le défendeur devrait être tenu de fournir les mêmes renseignements que ceux qui seraient exigés pour la délivrance par le Greffier d’une attestation en vertu de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada (LPC). Il ne l’a pas fait parce qu’il n’a pas déposé d’affidavit devant cette Cour indiquant les renseignements visés par la demande de confidentialité tel que le requiert l’attestation prévue à l’article 39,et parce que le Greffier n’a pas non plus délivré en l’espèce l’attestation prévue à l’article 39 (LPC) confirmant que les documents liés à son examen du Règlement sur les animaux contenaient des documents confidentiels de la Reine. Il dit que le défendeur n’a pas transmis les documents soumis à cet examen à la Cour pour qu’elle les examine. Il soutient qu’en réalité la Cour n’a aucun motif pour conclure que l’alinéa 69(1)f) a été invoqué à juste titre et que le défendeur n’avait pas acquitté le fardeau qui lui incombe en vertu de l’article 48 de la LAI.
(vi) Citant la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Babcock c. Canada (Procureur général) [2002] 3 RCS 3 (Babcock), il fait enfin valoir que le défendeur était de tenu de soupeser le caractère nécessaire de la confidentialité et l’intérêt du public à ce que la divulgation ait lieu, et qu’il ne l’a pas fait.
b) Le défendeur
[27] Le Procureur général du Canada (PG) a avancé les arguments principaux suivants pour le compte du défendeur :
(i) Le projet de règlement sur les animaux et son examen par le Greffier échappent à l’obligation de production en vertu du paragraphe 69(1) de la LAI parce qu’ils ont été préparés en vue d’être examinés par le Cabinet et qu’ils concernent des décisions devant prises par le Cabinet dans le cadre du processus de publication préalable dans la Partie I de la Gazette du Canada et de leur adoption ultérieure par le gouverneur en conseil.
(ii) Les faits dans la demande de contrôle judiciaire dont la juge Simpson a disposée sont les mêmes qu’en l’espèce en ce qui a trait à la procédure suivie et qui a mené à l’adoption des modifications au Règlement sur les animaux. Les conclusions de la juge Simpson portant sur ce cheminement procédural sont des conclusions de fait exigeant que notre Cour fasse preuve de courtoisie judiciaire, particulièrement en raison du fait que M. Quinn n’a pas interjeté appel de cette décision et, plus important encore, qu’il a abandonné l’argument devant la juge Simpson portant sur la question de savoir si le Règlement sur les animaux constituait un document confidentiel du Cabinet. En outre, la juge Simpson a tenu pour avéré que la version préliminaire du Règlement sur les animaux et les documents connexes avaient été transmis au Comité spécial du Conseil.
(iii) En l’espèce, outre des copies estampillées du règlement, le Greffier n’a fait aucun rapport d’examen distinct du projet de règlement. Le paragraphe 3(3) de la LTR exige seulement du Greffier qu’il avise l’autorité réglementaire en lui signalant si, durant l’examen, des points sont soulevés sur lesquels, selon le sous‑ministre de la Justice, elle devrait porter son attention. Le fait que la version préliminaire du règlement ait été estampillée par le MJ confirme que le sous‑ministre de la Justice n’avait pas de préoccupations de cette nature. Il s’agit, en outre, du sens de la conclusion tirée par la juge Simpson.
(iv) L’attestation du Greffier prévue à l’article 39 de la LPC n’est pas nécessaire. La LAI définit ce qu’il faut entendre par document confidentiel du Conseil privé de la Reine et elle le fait en des termes identiques à ceux qui sont employés à l’article 39 de la LPC. De plus, à la suite de son enquête, le commissaire à l’information a été convaincu que les documents qui n’avaient pas été divulgués étaient des documents confidentiels.
(v) Le fait important en l’espèce est que le gouverneur en conseil était l’autorité réglementaire qui agissait suivant les conseils du CSC à qui le Greffier avait transmis une note documentaire ainsi que la recommandation ayant trait à la publication préalable du règlement proposé et à son adoption utlérieure, suivant la réception de commentaires. Ce sont là les conclusions tirées par la juge Simpson. Il est toutefois possible de soutenir que si l’autorité réglementaire avait été une institution autre que celle qu’incarne le gouverneur en conseil, telle que le CRTC, l’examen effectué par le Greffier ne constituerait pas une version préliminaire du projet de règlement. Cette question est sans importance en l’espèce étant donné que l’examen effectué par le Greffier a été transmis au CSC.
IV. Analyse
a) La norme de contrôle
[28] Il n’est pas contesté entre les parties que la norme de la décision correcte s’applique étant donné que la question cruciale à trancher est de nature juridique : le Directeur, Accès à l’information et protection des renseignements personnels du BCP, a‑t‑il invoqué à juste titre la clause d’exclusion prévue au paragraphe 69(1) de la LAI?
b) Analyse et conclusions
[29] Je suis d’accord avec M. Quinn que le PG a considéré sa demande d’accès à travers un prisme trop étroit. Il avait demandé les documents relatifs à l’examen effectué par le Greffier du Conseil privé du projet de règlement. Il ne cherchait pas à obtenir une copie estampillée du projet de Règlement sur les animaux, lequel a ultérieurement été publié dans la Partie I de la Gazette du Canada pour ensuite être adopté par le gouverneur en conseil, suite de la réception des commentaires formulés par le public.
[30] Je suis également d’accord avec M. Quinn que le Greffier avait l’obligation, en vertu de la loi, d’examiner la version préliminaire du règlement proposé, un examen à bien des égards différent de celui qui a été effectué par la Section de la réglementation du MJ, lequel a mené à son estampillage pour établir que le MJ avait examiné le projet de règlement tel que le requiert la LTR. La preuve documentaire qui m’a été présentée démontre que l’objectif de l’examen effectué par le Greffier n’est pas de répéter celui mené par le MJ, mais de s’assurer que cet examen a eu lieu et que les problèmes soulevés par le sous‑ministre de la Justice ont été résolus, et de façon plus importante encore, de s’assurer du respect de la politique du gouvernement du Canada en matière de réglementation, telle qu’exprimée dans le REIR qui ne fait pas partie du règlement proposé. Il ressort de la preuve produite que le Greffier est l’institution qui informe le CSC sur ce point.
[31] Je suis également d’accord avec lui que les copies estampillées de la version préliminaire du règlement ne sont pas nécessairement assimilables aux documents liés à l’examen effectué par le Greffier du projet de Règlement sur les animaux. Comme il l’a souligné, le Directeur, Accès à l’information et protection des renseignements personnels du BCP a refusé de divulguer 53 pages des documents liés à l’examen effectué par le Greffier.
[32] Pour les motifs suivants, je dois cependant rejeter la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Quinn :
(i) Son dossier de preuve ne contient aucun élément ayant trait au déroulement de l’examen effectué par le Greffier du projet de règlement avant que l’autorisation de sa prépublication soit obtenue du CSC ou ayant trait aux étapes qui devaient être suivies avant que le gouverneur en conseil n’adopte le Règlemet sur les animaux. D’autre part, il est lié par les conclusions tirées par la juge Simpson qui se rapportent au processus suivi par le Greffier pour son examen du même Règlement sur les animaux et des avis qu’il a par la suite fournis au CSC et au gouverneur en conseil. Ces étapes démontrent clairement que le comité du Cabinet a été pris en compte lors de la prise du règlement proposé et qu’il a été conseillé à cet égard. Ces étapes sont, conformément à la définition législative et à la common law, des documents confidentiels du Conseil privé de la Reine dont les exigences en matière de confidentialité sont évidentes, selon l’opinion que la juge en chef McLachlin a exprimée au paragraphe 18 de ses motifs dans l’arrêt Babcock, précité. Conformément à l’article 39 de la LPC, le rôle du Greffier du Conseil privé consiste exclusivement à protéger les renseignements confidentiels du Cabinet. Son pouvoir d’attestation peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire (Voir Babcock, au par. 39).
(ii) En second lieu, je suis d’accord avec l’avocat du défendeur qu’il n’y a pas lieu d’obtenir l’attestation prévue à l’article 39 de la LPC. La LAI définit de façon non limitative la notion de document confidentiel du Conseil privé de la Reine. L’énumération figurant au paragraphe 69(1) ne constitue que des exemples de documents confidentiels de cette nature. Si une demande d’accès particulière relève de la définition de documents confidentiels du Conseil privé de la Reine, le droit d’accès n’est pas mis en cause parce que la LAI ne s’applique pas à une demande de cette nature. En d’autres termes, la LAI s’applique de façon indépendante et ne requiert pas l’appui de l’article 39 de la LPC.
(iii) Troisièmement, je ne trouve aucun fondement justifiant l’argument du demandeur selon lequel la version préliminaire d’un règlement n’est pas de la même nature qu’un projet de règlement. Il est bien connu que la prise d’un règlement constitue de la législation déléguée, c’est‑à‑dire l’établissement de règles en vertu d’une délégation.
(iv) Quatrièmement, le fait crucial en l’espèce est que l’autorité réglementaire du Règlement sur les animaux est le gouverneur en conseil et non la CCN, comme le prétend M. Quinn. Le gouverneur en conseil est une institution qui agit suivant les conseils du Cabinet ou d’un comité, tel qu’en l’instance. L’examen effectué par le Greffier fait partie de ce processus.
[33] En dernier lieu, après que la Cour eût pris l’affaire en délibéré, M. Quinn a porté à son attention la décision récente rendue par la Cour d’appel fédérale dans Appleby‑Ostroff c. Canada (Procureur général) 2011 CAF 84, accordant une attention particulière à son paragraphe 34. À mon avis, cet arrêt n’est pas pertinent parce que l’intimé avait invoqué la protection de l’article 39 de la LPC sans avoir obtenu l’attestation du greffier. Tel mentionné précédemment, le refus de divulguer des documents visés par une demande d’accès n’est pas tributaire de l’application des dispositions de l’article 39, mais découle directement des exigences de la LAI en soi.
JUGEMENT
LA COUR REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens.
Traduction certifiée conforme
Jean‑Jacques Goulet, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑592‑10
INTITULÉ : M.
ROBIN QUINN c.
LE PREMIER MINISTRE DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 15 décembre 2010
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE LEMIEUX
DATE DES MOTIFS : Le 29 mars 2011
COMPARUTIONS :
(Pour son propre compte)
|
LE DEMANDEUR
|
M. Alexander Gay
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
M. M. Robin Quinn, pour son propre compte
|
LE DEMANDEUR |
Myles J. Kirvan, Sous‑procureur général du Canada Ottawa (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
|