[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 25 mars 2011
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. LES FAITS
[1] La demanderesse est une citoyenne du Bangladesh dont la demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) a été rejetée. Un agent d’immigration du Haut Commissariat du Canada à Singapour a, par avis écrit, rejeté la demande au motif que la demanderesse ne répondait pas aux critères de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), puisqu’elle avait obtenu 64 points d’appréciation sur un total de 100 points. Le 3 décembre 2010, la demanderesse a obtenu l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision.
[2] Les documents et les titres de compétence de la demanderesse ont été évalués en fonction de l’interprétation donnée par l’agent aux normes applicables. La question centrale de la demande porte sur le fait que l’agent a attribué 22 points sur un total de 25 pour les diplômes d’études de la demanderesse. La demanderesse soutient qu’elle aurait dû obtenir 25 points. Ces trois (3) points de plus lui auraient permis d’obtenir la résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). À l’appui de l’appréciation des diplômes, l’agent a noté ce qui suit :
[traduction] Études – Selon la demande datée du 3 août 09, la DP a déclaré avoir 16 années d’études et une maîtrise. Elle n’a pas affirmé avoir obtenu une deuxième maîtrise. La DP a fourni une autre annexe 1 en janvier 2010 et a déclaré avoir complété des études de maîtrise de février 08 à août 09 à Darul Ihsan University. Je ne prends pas en compte ces renseignements puisque la DP a déjà obtenu une maîtrise en 95 et que les deux diplômes de maîtrise sont équivalents; ils n’attestent pas une réelle progression en matière de niveau de scolarité.
[3] Comme il a été indiqué précédemment, la demanderesse détient deux (2) maîtrises. En 1995, elle a obtenu une maîtrise ès arts (MA) et en août 2009 une maîtrise en administration des affaires (MBA en marketing). La décision de l’agent de ne prendre en compte que l’une de ces maîtrises s’appuyait sur l’interprétation des dispositions pertinentes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement). Ces dispositions sont rédigées en ces termes :
Définitions 73. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section, à l’exception de l’article 87.1. (…) « diplôme » “ educational credential ” « diplôme » Tout diplôme, certificat de compétence ou certificat d’apprentissage obtenu conséquemment à la réussite d’un programme d’études ou d’un cours de formation offert par un établissement d’enseignement ou de formation reconnu par les autorités chargées d’enregistrer, d’accréditer, de superviser et de réglementer de tels établissements dans le pays de délivrance de ce diplôme ou certificat.
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Definitions 73. The following definitions apply in this Division, other than section 87.1.
“educational credential” « diplôme » “educational credential” means any diploma, degree or trade or apprenticeship credential issued on the completion of a program of study or training at an educational or training institution recognized by the authorities responsible for registering, accrediting, supervising and regulating such institutions in the country of issue. |
Définitions 78. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article. « équivalent temps plein » “ full‑time equivalent ” « équivalent temps plein » Par rapport à tel nombre d’années d’études à temps plein, le nombre d’années d’études à temps partiel ou d’études accélérées qui auraient été nécessaires pour compléter des études équivalentes. « temps plein » “ full‑time ” « temps plein » À l’égard d’un programme d’études qui conduit à l’obtention d’un diplôme, correspond à quinze heures de cours par semaine pendant l’année scolaire, et comprend toute période de formation donnée en milieu de travail et faisant partie du programme.
Études (25 points) (2) Un maximum de 25 points d’appréciation sont attribués pour les études du travailleur qualifié selon la grille suivante : (…) e) 22 points, si, selon le cas :
(i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant trois années d’études et a accumulé un total de quinze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein,
(ii) il a obtenu au moins deux diplômes universitaires de premier cycle et a accumulé un total d’au moins quinze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein;
f) 25 points, s’il a obtenu un diplôme universitaire de deuxième ou de troisième cycle et a accumulé un total d’au moins dix‑sept années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein.
Résultats (3) Pour l’application du paragraphe (2), les points sont accumulés de la façon suivante :
a) ils ne peuvent être additionnés les uns aux autres du fait que le travailleur qualifié possède plus d’un diplôme;
b) ils sont attribués :
(i) pour l’application des alinéas (2)a) à d), du sous‑alinéa (2)e)(i) et de l’alinéa (2)f), en fonction du diplôme qui procure le plus de points selon la grille,
ii) pour l’application du sous‑alinéa (2)e)(ii), en fonction de l’ensemble des diplômes visés à ce sous‑alinéa.
Circonstances spéciales (4) Pour l’application du paragraphe (2), si le travailleur qualifié est titulaire d’un diplôme visé à l’un des alinéas (2)b), des sous‑alinéas (2)c)(i) et (ii), (2)d)(i) et (ii) et (2)e)(i) et (ii) ou à l’alinéa (2)f) mais n’a pas accumulé le nombre d’années d’études à temps plein ou l’équivalent temps plein prévu à l’un de ces alinéas ou sous‑alinéas, il obtient le nombre de points correspondant au nombre d’années d’études à temps plein complètes — ou leur équivalent temps plein — mentionné dans ces dispositions. |
Definitions 78. (1) The definitions in this subsection apply in this section. “full‑time” « temps plein » “full‑time” means, in relation to a program of study leading to an educational credential, at least 15 hours of instruction per week during the academic year, including any period of training in the workplace that forms part of the course of instruction. “full‑time equivalent” « équivalent temps plein » “full‑time equivalent” means, in respect of part‑time or accelerated studies, the period that would have been required to complete those studies on a full‑time basis.
Education (25 points) (2) A maximum of 25 points shall be awarded for a skilled worker’s education as follows: (…)
(e) 22 points for
(i) a three‑year post‑secondary educational credential, other than a university educational credential, and a total of at least 15 years of completed full‑time or full‑time equivalent studies, or
(ii) two or more university educational credentials at the bachelor’s level and a total of at least 15 years of completed full‑time or full‑time equivalent studies; and
(f) 25 points for a university educational credential at the masters’ or doctoral level and a total of at least 17 years of completed full‑time or full‑time equivalent studies.
Multiple educational achievements (3) For the purposes of subsection (2), points
(a) shall not be awarded cumulatively on the basis of more than one single educational credential; and
(b) shall be awarded
(i) for the purposes of paragraphs (2)(a) to (d), subparagraph (2)(e)(i) and paragraph (2)(f), on the basis of the single educational credential that results in the highest number of points, and
(ii) for the purposes of subparagraph (2)(e)(ii), on the basis of the combined educational credentials referred to in that paragraph.
Special circumstances (4) For the purposes of subsection (2), if a skilled worker has an educational credential referred to in paragraph (2)(b), subparagraph (2)(c)(i) or (ii), (d)(i) or (ii) or (e)(i) or (ii) or paragraph (2)(f), but not the total number of years of full‑time or full‑time equivalent studies required by that paragraph or subparagraph, the skilled worker shall be awarded the same number of points as the number of years of completed full‑time or full‑time equivalent studies set out in the paragraph or subparagraph. |
[4] Plus précisément, l’agent a jugé que, pour l’application du sous‑alinéa 72(2)e)(ii), la demanderesse a obtenu une maîtrise et accumulé 16 années d’études à temps plein, et qu’elle ne répondait donc pas à l’exigence relative aux 17 années d’études nécessaires pour obtenir 25 points. Comme nous l’avons vu, cela était confirmé par l’interprétation donnée par l’agent au paragraphe 73(3) du Règlement, selon lequel la demanderesse ne pouvait pas obtenir des points en double pour un « diplôme » du même niveau. L’agent n’a, à aucun moment, contesté la validité de l’un ou l’autre des diplômes de la demanderesse ni n’a fait remarquer qu’ils n’avaient pas été délivrés par des « établissements reconnus ».
[5] La demanderesse conteste cette interprétation du Règlement et fait valoir qu’elle aurait dû obtenir 25 points pour ses diplômes, puisque son MBA aurait dû être considéré comme le diplôme le plus élevé.
[6] Le défendeur soutient que l’interprétation donnée par l’agent au Règlement est conforme à la loi. Ainsi, il n’y a pas d’interprétation erronée ni d’erreur en l’espèce. Selon le défendeur, cette interprétation est également conforme à la jurisprudence.
II. LA NORME DE CONTRÔLE
[7] L’agent a clairement écarté la deuxième maîtrise de la demanderesse. Par conséquent, la question dont la Cour est saisie n’est pas de déterminer si les diplômes de la demanderesse attestent une progression en matière de niveau de scolarité ou si l’agent aurait dû tenir compte des normes nationales de scolarité existantes au Bangladesh, comme l’a indiqué la demanderesse.
[8] Puisque l’agent a choisi de ne pas prendre en compte la deuxième maîtrise, la question dont la Cour est saisie soulève des points de droit et de fait : l’évaluation des diplômes aux termes des articles 73 et 78 du Règlement permet‑elle à l’agent de prendre en compte deux (2) diplômes du même niveau? Plus précisément, l’agent a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a attribué à la demanderesse 22 points pour deux (2) maîtrises?
[9] Compte tenu du son fondement factuel, il s’agit essentiellement d’une question mixte de fait et de droit qui commande l’application de la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9; McLachlan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 975). La Cour se demandera donc si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au par. 47).
III. ANALYSE
[10] La Cour souligne que des questions qui sont au coeur même de la présente affaire ont été certifiées dans les affaires Khan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 983; Kabir c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 995; Thomasz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1159; et Hasan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1206. Voici ces questions :
Lors de son attribution des points pour les études en vertu de l’article 78 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’agent des visas doit‑il attribuer des points pour le nombre d’années d’études équivalentes à temps plein qui n’ont pas contribué à l’obtention du diplôme qui fait l’objet de l’évaluation?
Quand le demandeur d’un visa dans la catégorie des travailleurs qualifiés a obtenu un diplôme mentionné dans un alinéa particulier du paragraphe 78(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, sans avoir suivi le nombre total d’années d’études qu’exige cet alinéa, le paragraphe 78(4) oblige‑t‑il les agents des visas à accorder le nombre de points en se fondant sur le diplôme le plus élevé obtenu par le demandeur ou en se fondant sur le nombre d’années d’études qu’il a suivies?
[11] La Cour fait observer qu’en l’état actuel le droit sur cette question est partagé. La juge Heneghan, invoquant la décision Bhuiya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 878, a affirmé dans Kabir, précitée, Khan, précitée, et Thomasz, précitée, qu’on ne peut pas se servir du paragraphe 78(4) « pour attribuer à un demandeur la totalité des points pour un diplôme dans des circonstances spéciales même s’il n’a pas terminé le nombre requis d’études » (voir notamment Khan, au par. 19). Ces décisions commandent donc une interprétation stricte du Règlement, nul ne pouvant recevoir des « points en double » pour un diplôme du même niveau.
[12] En revanche, le juge Campbell a conclu dans Hasan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1206, que les motifs du juge Mandamin dans McLachlan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 975, étaient déterminants sur ce point. Le juge Campbell a établi des distinctions, estimant que les faits dans Bhuiya étaient tels que le raisonnement qui y avait été suivi convenait mal aux faits de l’espèce. De plus, il a été décidé que la notion de « ligne de progression » entre les diplômes ne constituait pas un facteur pertinent pour l’évaluation des diplômes universitaires et que les antécédents d’études complets constituaient un meilleur critère pour évaluer la demande.
[13] Plus précisément, il existe une incertitude concernant la façon dont il convient d’évaluer deux (2) maîtrises aux termes du Règlement. Dans Kabir, la juge Heneghan a conclu que « [l]e libellé du paragraphe 78(3) est clair. Aucun point ne peut être attribué pour deux maîtrises ». Dans Hasan, le juge Campbell a statué que « si un demandeur, comme M. Hasan, a deux maîtrises et un total de 17 années ou plus d’études à temps plein dans ses antécédents d’études complets, la dernière maîtrise doit être évaluée avec les antécédents d’études complets du demandeur ».
[14] J’ai lu attentivement les motifs de mes collègues sur ces questions. Dans les présents motifs, je retiendrais les motifs du juge Campbell dans Hasan, mais avec certaines réserves. En raison d’un contexte factuel différent menant à une interprétation différente du droit applicable, je ne m’appuierai pas sur les motifs du juge Mandamin dans McLachlan. La Cour s’écartera également de l’interprétation du Règlement donnée par la juge Heneghan dans Khan, précitée.
[15] Premièrement, la Cour adopte l’opinion exprimée dans Hasan, où il a été souligné que le contexte factuel dans l’affaire Bhuiya ne pouvait s’appliquer aux affaires concernant les demandeurs détenant deux diplômes du même niveau. Comme l’a indiqué la juge Mactavish dans Bhuiya, au par. 19, « [l]e fait que Mlle Bhuiya ait pu suivre une année supplémentaire d’études après avoir obtenu sa maîtrise ne transforme pas sa maîtrise de 16 années en une maîtrise de 17 années ». Dans Bhuiya, la demanderesse avait obtenu un diplôme autre qu’une maîtrise et souhaitait le faire reconnaître dans l’évaluation de la durée de ses études.
[16] À l’évidence, la situation dans l’affaire Bhuiya est logique : un autre diplôme, non lié ou d’une valeur « moindre », ne correspond pas à un diplôme de niveau plus élevé. Bien que ces autres titres de compétence puissent s’avérer bénéfiques pour le Canada, l’agent doit évaluer le diplôme qui procure le plus de points (sous‑alinéa 78(3)b)(ii) du Règlement). Ce n’est pas le cas en l’espèce : qu’est‑ce qui fait de la première maîtrise obtenue « le diplôme qui procure le plus de points »?
[17] Comme nous l’avons vu, le terme « diplôme » est vaguement défini comme « [t]out diplôme, certificat de compétence ou certificat d’apprentissage obtenu conséquemment à la réussite d’un programme d’études ou d’un cours de formation » (art. 73 du Règlement). En toute déférence pour ma collègue, il ne convient pas d’affirmer, en ce qui concerne le paragraphe 78(3) du Règlement, que « [l]e libellé de cette disposition énonce clairement qu’aucun point ne sera attribué pour deux diplômes ou plus. Ainsi, bien que le demandeur détienne deux maîtrises, il ne recevra aucun point en double ». (Kabir, précitée, au par. 12).
[18] En fait, la question qui se pose en l’espèce ne porte pas sur le fait d’accorder le double des points, mais plutôt sur le fait d’accorder des points pour un diplôme qui procure le plus de points. Il ressort clairement du sous‑alinéa 73(3)b)(i) qu’il faut prendre en compte le diplôme qui procure le plus de points. Au pied de la lettre, cela signifie qu’il aurait fallu prendre en compte la deuxième maîtrise de la demanderesse : il s’agissait en effet du diplôme qui procurait le plus de points.
[19] L’analyse du juge Campbell porte sur l’intention du législateur et sur le fait que le nombre d’années d’études doit être considéré de manière disjonctive par rapport au diplôme obtenu. Par conséquent, il ressort de la décision Hasan que l’évaluation du nombre d’années d’études à temps plein doit prendre en compte les antécédents d’études complets.
[20] La Cour n’ira pas aussi loin, puisque ce raisonnement peut mener à de résultats illogiques. Par exemple, dans Bhuiya la demanderesse aurait reçu plus de points pour un diplôme d’une valeur sans doute moindre que le diplôme qui procure le plus de points. Là encore, la Cour souligne que le Règlement prévoit l’évaluation du diplôme qui procure le plus de points. Par exemple, dans Bhuiya, ce diplôme aurait été la maîtrise, et la demanderesse n’aurait pas obtenu des points pour le diplôme ultérieur. D’où peut‑être l’argument de la « progression logique » avancé par l’agent. Il aurait peut‑être été nécessaire de justifier, dans des affaires similaires à l’affaire Bhuiya, le fait d’écarter le diplôme de valeur moindre, plus récent, qui, comme l’a fait remarquer la juge Mactavish, « ne transforme pas [une] maîtrise de 16 années en une maîtrise de 17 années ». Cette préoccupation est atténuée lorsqu’on ne prend en compte que le diplôme qui procure le plus de points, comme l’exige le Règlement.
[21] De plus, la Cour ne saurait s’opposer aux conclusions du juge Mandamin dans MacLachlan, précitée, parce que, tel qu’il a déjà été mentionné, les faits dans cette affaire sont différents. La question consistait alors à savoir si on pouvait accorder des points pour un diplôme même si le nombre d’années requis n’était pas respecté. Cette question a été certifiée auprès de la Cour d’appel. En l’espèce, le nombre d’années requis est respecté si on tient compte de la maîtrise la plus récente. Là encore, la Cour souligne la question suivante : quels sont les motifs de droit permettant d’écarter un deuxième diplôme du même niveau universitaire?
[22] En fait et en droit, il n’y a aucun motif permettant d’écarter une deuxième maîtrise. Il est vrai que l’alinéa 78(3)a) du Règlement prévoit que les points « ne peuvent être additionnés les uns aux autres du fait que le travailleur possède plus d’un diplôme », mais la Cour renvoie à la définition du terme « diplôme », qui met l’accent sur le titre de compétence obtenu, non sur le niveau de scolarité ou le grade. Le problème qui se pose en l’espèce est l’interprétation du mot « diplôme ».
[23] Il est loisible à la Cour d’examiner la version française de la définition du terme « educational credential », à savoir la définition du mot « diplôme ». En français, l’utilisation du mot « diplôme » ne prête pas à confusion vu qu’il ne peut être défini comme « titre de compétence » ou « grade ». Puisque les versions anglaise et française font pareillement autorité (voir, notamment, Schreiber c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 62; R c. Sharpe, 2001 CSC 2), la Cour doit chercher le sens commun aux deux (2) dispositions, conformément à l’approche en matière d’interprétation bilingue adoptée par la Cour suprême dans Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, et R. c. Daoust, 2004 CSC 6. Dès qu’elle établit le sens commun aux deux versions, la Cour doit évaluer si celui‑ci est conforme à l’intention du législateur. En l’espèce, le sens commun correspond à l’interprétation la plus restrictive du terme « educational credential », renvoyant au titre de compétence lui‑même, soit le « diplôme », non à son niveau ou « grade ». Comme nous le verrons plus loin, c’est également l’interprétation qui donne pleinement effet à l’objet de la LIPR.
[24] De plus, une bonne interprétation des lois exige que, lorsqu’il est confronté à deux sens possibles d’une disposition législative, le tribunal doit choisir celui qui ne donne pas lieu à des résultats absurdes ou ne prive pas la disposition de son plein effet (R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S 686; Flavell c. Sous‑ministre M.R.N., Douanes et accise, [1997] 1 C.F. 640). C’est le cas en l’espèce. Si la Cour devait se limiter à entendre par « diplôme » le niveau de scolarité complété, soit une maîtrise (ou « grade »), le sous‑alinéa 73(3)b)(i) serait inutile : un demandeur ne pourrait jamais détenir plus d’un « diplôme » de même niveau étant donné qu’il est un diplômé de maîtrise peu importe qu’il détienne un ou deux diplômes de ce niveau. Par conséquent, le terme « credential » doit être interprété selon la définition du Règlement, à savoir comme le véritable diplôme, titre, certificat de compétence ou autre, obtenu à la réussite d’un programme d’études (« diplôme »).
[25] En ce qui concerne « le fait d’accorder le double des points » pour un diplôme de même niveau, le sens commun du paragraphe 78(3) permet de voir que les préoccupations exprimées dans la jurisprudence ne sont pas fondées lorsque le mot « diplôme » est interprété de la manière décrite dans les présents motifs. Lorsqu’on prend en considération le sens plus étroit de la définition de « diplôme », il ne peut pas y avoir attribution du double de points. L’alinéa 78(3)a) du Règlement empêche d’accumuler des points pour chaque « niveau universitaire » complété. Par exemple, le demandeur qui détient deux (2) baccalauréats et une maîtrise ne pourrait pas obtenir 22 points suivant le sous‑alinéa 78(2)e)(i) et 25 points pour la maîtrise, suivant l’alinéa 78(2)f), soit un total de 47 points. C’est ce qui est envisagé à l’alinéa 78(3)a) du Règlement. La version française de l’alinéa 78(3)a) confirme ceci et attire l’attention du lecteur sur l’aspect « addition » de l’alinéa 78(3)a), plutôt que sur l’aspect « diplôme du même niveau » (« ils ne peuvent être additionnés les uns aux autres du fait que le travailleur qualifié possède plus d’un diplôme », non souligné dans l’original). L’alinéa 78(3)a) confirme également que le « diplôme » s’entend du grade obtenu, plutôt que du niveau de scolarité, comme nous l’avons vu précédemment.
[26] Dans Hasan, précitée, le juge Campbell écrit ce qui suit, au par. 19 :
L’avocat de M. Hasan soutient que les décisions Khan et Kabir ne traitent pas de l’application du sous‑alinéa 78(3)b)(i), qui prévoit que des points doivent être accordés, y compris en application de l’alinéa 78(2)f), « en fonction du diplôme qui procure le plus de points ». En fonction de cet argument, pour que l’intention du législateur fournisse un avantage à un demandeur qui a deux maîtrises, les facteurs énoncés à l’alinéa 78(2)f) doivent être interprétés de façon disjonctive. C’est‑à‑dire que si un demandeur, comme M. Hasan, a deux maîtrises et un total de 17 années ou plus d’études à temps plein dans ses antécédents d’études complets, la dernière maîtrise doit être évaluée avec les antécédents d’études complets du demandeur. À mon avis, cette approche est la bonne.
[27] Comme il a été indiqué plus haut, la Cour ne croit pas qu’une lecture disjonctive des facteurs énumérés à l’alinéa 78(2)f) soit nécessaire. Encore là, la demanderesse détient effectivement une maîtrise nécessitant au moins 17 années d’études à temps plein ou l’équivalent temps plein. Le critère énoncé à l’alinéa 78(2)f) est ainsi rempli. Le seul « problème », s’il en est, porte sur le fait que les 17 années d’études découlent de la deuxième maîtrise. Puisque l’agent doit évaluer le diplôme qui procure le plus de points, il est confirmé qu’il fallait prendre en compte la deuxième maîtrise.
[28] Ne pas prendre en compte la deuxième maîtrise, ou un deuxième diplôme de même niveau, est absurde, car c’est ne pas reconnaître qu’une personne peut effectivement poursuivre des études de deuxième cycle dans un autre domaine après avoir obtenu un premier diplôme d’études supérieures. En l’espèce, la demanderesse a fait un MBA, après avoir obtenu une MA plusieurs années auparavant. Il est illogique d’écarter une deuxième maîtrise. En fait, le sous‑alinéa 78(2)e)(i) envisage clairement le cas où il faut prendre en compte deux diplômes de même niveau, en l’occurrence deux diplômes universitaires de premier cycle.
[29] L’objet de la LIPR confirme cette interprétation. Plus précisément, la Loi a pour objet « de permettre au Canada de retirer de l’immigration le maximum d’avantages sociaux, culturels et économiques » et « de favoriser le développement économique et la prospérité du Canada et de faire en sorte que toutes les régions puissent bénéficier des avantages économiques découlant de l’immigration » (article 3 de la LIPR). De plus, les critères à considérer aux termes de l’article 78 du Règlement visent à déterminer si « le travailleur qualifié peut réussir son établissement économique au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) » (non souligné dans l’original). À l’évidence, le fait de prendre en compte une deuxième maîtrise est compatible avec l’évaluation de la capacité d’un travailleur de réussir son établissement économique au Canada, ainsi qu’avec l’objet de la LIPR.
[30] Cette interprétation est confirmée par le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation ‑ DORS/2002‑227, Gazette du Canada, Partie II, vol. 136, no 9, où la grande valeur accordée aux études par le marché du travail canadien est clairement indiquée :
Au cours des consultations avec les intervenants, on est revenu sans arrêt sur l’importance pour le Canada de l’immigration des gens de métier qualifiés et on a encouragé le Ministère à ne pas accorder trop de poids aux études supérieures. Par conséquent, le maximum de points accordés pour un diplôme, un certificat de compétence ou un certificat d’apprentissage sera haussé de 13 à 22, selon le nombre d’années d’études ou de formation. Le maximum de 22 points, attribué pour un certificat de compétence exigeant trois ans d’études, équivaut au nombre de points accordés pour deux baccalauréats, ce qui reconnaît la valeur conférée à ce type de diplôme. De plus, le nombre maximum de points pour les études est passé de 16 à 25, pour reconnaître la grande valeur accordée aux études par le marché du travail canadien. (Non souligné dans l’original.)
[31] L’interprétation correcte du Règlement quant à l’évaluation des diplômes requiert de donner plein effet à l’objet de la LIRP ainsi que de prendre en considération la question importante de savoir si un travailleur qualifié (fédéral) potentiel peut réussir son établissement économique au Canada, suivant les facteurs énoncés à l’article 78 du Règlement. Par conséquent, la Cour ne voit aucune opposition à l’alinéa 78(3)a) et au sous‑alinéa 78(3)b)(ii) du Règlement lorsque le terme « diplôme » est interprété selon la définition de l’article 73 du Règlement. Il n’est pas nécessaire d’introduire le critère potentiellement imprévisible des « antécédents d’études complets », susceptible de conduire à des résultats contraires au Règlement. Le critère à retenir est plutôt celui du diplôme « le plus récent » et « de plus haut niveau ». En l’espèce, il s’agissait de la deuxième maîtrise, le MBA obtenu par la demanderesse après 17 années d’études.
[32] L’évaluation des diplômes selon un système objectif d’attribution de points vise à assurer l’uniformité de l’évaluation des titres de compétence (Bhuiya, précitée, au par. 17; voir également le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation ‑ DORS/2002‑225, précité). Le Règlement vise donc à restreindre le pouvoir discrétionnaire de l’agent lorsqu’il évalue les diplômes universitaires. Cet objet serait beaucoup limité si la Cour devait accepter l’argument du juge Campbell selon lequel il faut prendre en compte les « antécédents d’études complets ». Il faut établir un équilibre entre le pouvoir discrétionnaire absolu dans l’évaluation des diplômes, que le système d’attribution de points permet d’éviter, et une analyse mécanique. Cet équilibre est atteint au moyen du système d’attribution de points, où il faut prendre en compte le diplôme qui procure le plus de points.
[33] En ce qui concerne les questions certifiées, la Cour a déjà souligné que des questions similaires soulevées avaient donné lieu à la certification de questions aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale. En termes d’équité et de justice, il est important qu’une question soit également certifiée dans la présente instance, puisque les faits sous‑jacents sont très similaires et que le jugement de la Cour offre un point de vue différent sur l’interprétation du Règlement.
[34] La demanderesse a présenté trois questions aux fins de certification, qui énoncent ce qui suit :
[traduction]
a. Pour l’application de l’alinéa 78(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, que signifie « un diplôme » lorsqu’il s’agit d’évaluer plus d’une maîtrise aux termes de l’alinéa 78(2)f), particulièrement dans le cas où l’un de ces diplômes est de plus haut niveau et/ou d’ordre professionnel plus élevé?
b. Pour l’application du sous‑alinéa 78(3)b)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, un agent des visas doit‑il considérer une deuxième maîtrise, aux termes de l’alinéa 78(2)f), comme « le diplôme qui procure le plus de points »?
c. Lorsqu’il détermine le nombre de points concernant les études aux termes de l’alinéa 78(2)f) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, un agent des visas doit‑il tenir compte d’une deuxième maîtrise?
[35] Le défendeur soutient que ces trois questions ne répondent pas au critère applicable à la certification. Selon lui, la Cour devrait plutôt certifier la question suivante :
Le demandeur a‑t‑il le fardeau d’établir les années d’études liées au diplôme qui procure le plus de points aux termes de l’alinéa 78(2)f) et du sous‑alinéa 78(3)b)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugié, ou un agent des visas doit‑il connaître le nombre d’années d’études liées à ce diplôme?
[36] Cette question ne convient pas à la certification, parce qu’elle ne découle pas des faits de l’affaire. En fait, selon la preuve, la demanderesse avait complété 17 années d’études au total, y compris son MBA. Par conséquent, la question proposée par le défendeur ne se pose pas en l’espèce.
[37] Compte tenu des motifs qui précèdent et de l’analyse en l’espèce, la Cour ne peut pas procéder à la certification des mêmes questions que celles certifiées par les juges Heneghan et Campbell dans Kabir, précitée, Khan, précitée et Hasan, précitée. L’analyse en l’espèce permet plutôt de certifier une question différente. Comme l’y a invitée la demanderesse, la Cour certifiera la deuxième question proposée aux fins de certification, vu qu’elle est à la fois une question déterminante quant à l’issue de l’appel et une question d’importance générale, conformément aux directives de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89. La Cour certifiera la question suivante :
Pour l’application du sous alinéa 78(3)b)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, un agent des visas doit‑il considérer une deuxième maîtrise, aux termes de l’alinéa 78(2)f), comme « le diplôme qui procure le plus de points »?
[38] Par conséquent, la demande est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen devant l’autorité compétente;
2. La question suivante est certifiée :
Pour l’application du sous‑alinéa 78(3)b)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, un agent des visas doit‑il considérer une deuxième maîtrise, aux termes de l’alinéa 78(2)f), comme « le diplôme qui procure le plus de points?
« Simon Noël »
Traduction certifiée conforme
Semra Denise Omer
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑2954‑10
INTITULÉ : KHATUN RABEYA
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 3 mars 2011
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 25 mars 2011
COMPARUTIONS :
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POUR LA DEMANDERESSE
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Tamrat Gebeyhu
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocate
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POUR LA DEMANDERESSE |
Myles J. Kirvan Sous‑procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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