Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 23 mars 2011
En présence de monsieur le juge Boivin
ENTRE :
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MARIA CONCEPCION CORONA GARCIA MIGUEL DIVINE LEYVA CORONA JORDY ALAN LEYVA CORONA
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ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi) à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (ci-après le Tribunal), datée du 6 mai 2010, selon laquelle Miguel Alvaro Leyva Flores, Maria Concepcion Corona Garcia, Miguel Divine Leyva Corona et Jordy Alan Leyva Corono ne sont ni réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.
Contexte factuel
[2] Le demandeur principal, Miguel Alvaro Leyva Flores, sa conjointe, Maria Concepcion Corona Garcia et leurs deux enfants mineurs, Miguel Divine Leyva Corona et Jordy Alan Leyva Corona sont tous citoyens du Mexique.
[3] Monsieur Flores travaille depuis 1990 pour l’entreprise Aves Libres de Patogenos Especificos S.A. (ALPES). Cette compagnie se consacre à l’élevage d’oiseaux libres de pathogènes spécifiques servant à la confection de vaccins.
[4] Durant le mois d’octobre 2007, monsieur Flores aurait été transféré de grange. À son nouveau lieu de travail, monsieur Flores aurait constaté qu’il y avait une mauvaise gestion financière et sanitaire. Il y aurait également eu vol de matériaux et d’aliments.
[5] Au mois de novembre 2007, monsieur Flores aurait pris des photos du matériel et des aliments volés. Il les aurait ensuite montrés à son superviseur, puis au responsable de la charge de production de la grange, Monica Vergara.
[6] À la fin de novembre 2007, monsieur Flores aurait été transféré à son ancien lieu de travail. Il aurait alors été rétrogradé à un poste de nettoyage. Ses conditions de travail se sont détériorées et, en décembre 2007, il aurait été faussement accusé d’avoir remis de la mauvaise nourriture à des poulets nouveau-nés. On aurait alors cherché à le congédier, mais sans succès.
[7] Suite à cet incident, le directeur agricole de la grange où il travaillait, Alphonso Valenzuela Perez, l’aurait obligé à signer une lettre qui stipulait que lors de la prochaine erreur, il serait congédié. Cette lettre prévoyait aussi une baisse de salaire.
[8] Quelques jours plus tard, monsieur Flores aurait été agressé et menacé de mort devant son domicile par trois individus. Une semaine plus tard, les mêmes individus l’auraient intercepté à un arrêt d’autobus et lui auraient demandé les négatifs des photos qu’il aurait prises à la grange. Monsieur Flores leur a dit qu’il ne les avait pas. Les individus l’auraient battu et menacé de « mal finir » s’il ne leur remettait pas les photos.
[9] Monsieur Flores aurait donc quitté son emploi et se serait réfugié chez ses frères, soit de janvier 2008 à avril 2008. Lors de la première semaine d’avril 2008, sa maison aurait été la cible de coups de feu. Son épouse, madame Garcia, aurait alors déménagée à Mexico, dans le District fédéral.
[10] Monsieur Flores a quitté le Mexique en direction du Canada le 13 avril 2008 et a demandé l’asile le jour même de son arrivée. Son épouse et ses enfants l’ont rejoint deux mois plus tard, soit le 17 juin 2008.
[11] Dans sa demande d’asile, monsieur Flores dit craindre les représailles d’Alphonso Valenzuela Perez, directeur agricole de la grange où il travaillait.
Décision contestée
[12] Le Tribunal a rejeté la demande d’asile de la partie demanderesse au motif que les allégations de monsieur Flores n’étaient pas crédibles. Le Tribunal a affirmé qu’il ne croyait pas que monsieur Flores avait été agressé et menacé de mort à cause des photographies qu’il aurait prises dans le cadre de son travail. Le Tribunal a également affirmé qu’il ne croyait pas que monsieur Flores avait eu des démêlés avec qui que ce soit.
[13] Afin d’illustrer ses conclusions quant au manque de crédibilité, le Tribunal a cité quelques exemples. D’abord, le Tribunal a questionné monsieur Flores sur le contenu des photos qu’il aurait prises et en quoi elles auraient pu être compromettantes pour la direction de la compagnie. Monsieur Flores a rapporté avoir pris des photos du matériel, des œufs, des tables, des outils et des portes parce qu’il devait faire un rapport. Il a allégué que certains matériaux ne s’étaient pas rendus et il voulait démontrer qu’il ne participait pas à cela. Le Tribunal a pris note de ces affirmations, mais a conclu qu’il y avait peu de lien entre les photos et les allégations de monsieur Flores.
[14] Le Tribunal a noté que monsieur Flores a été incapable d’expliquer pourquoi il avait omis d’indiquer dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) que les négatifs des photos qu’il aurait prises n’existaient plus parce que son épouse les avaient jetés.
[15] Ensuite, le Tribunal a constaté que monsieur Flores a changé une partie de son témoignage en rajoutant, plus tard durant l’audience, que sur certaines photos on voyait des gens en train de voler en chargeant des camionnettes de matériel et d’aliments.
[16] Or, le Tribunal a noté qu’il y avait des divergences entre le témoignage de monsieur Flores et son FRP. Le Tribunal a pris note que dans son FRP, monsieur Flores n’a jamais mentionné avoir pris en photos des gens en train de commettre l’infraction de vol. Il a plutôt écrit avoir pris des photos « des aliments que l’on vendait dans les étables, matériel de forgerie, des portes, des tables, des réservoirs d’eau, des emplettes, sacs de raphias, œufs, oiseaux, mauvaise gestion des oiseaux et des graphiques, des filtres qui n’étaient pas changés, essence, diesel ».
[17] Insatisfait des réponses de monsieur Flores, le Tribunal a conclu qu’il n’était pas un témoin crédible. Le Tribunal a trouvé invraisemblable que monsieur Flores n’ait pas pris soin des photos étant donné qu’il allègue qu’elles étaient très compromettantes pour l’entreprise où il travaillait. Puisque ces photos sont à l’origine des ses allégations, le Tribunal a trouvé qu’il était aussi invraisemblable que sa femme les jette en faisant du ménage et qu’il ait attendu jusqu’à l’audience pour révéler pourquoi il n’était plus en possession de ces photos ou de leurs négatifs.
[18] Le Tribunal a noté que monsieur Flores a eu de nombreuses occasions pour expliquer comment les photos qu’il aurait prises compromettaient les dirigeants de la grange où il travaillait, et qu’il a été incapable de donner d’explication sur ce point.
[19] Le Tribunal a également noté certaines disparités dans les dates à laquelle monsieur Flores aurait quitté la résidence familiale. Il a dit à l’agent d’immigration qu’à la suite de coups de feu aient été tirés sur le domicile familial, le propriétaire du domicile leur aurait demandé (incluant le demandeur) de quitter le domicile. Toutefois, lors de l’audience et dans son FRP, monsieur Flores a rapporté qu’il avait quitté son domicile pour se réfugier chez des membres de sa famille, pendant une période qui s’étendait du 1er janvier 2008 jusqu’à son départ en avril 2008. Le Tribunal a questionné le demandeur à ce sujet, et ce dernier a répondu qu’il ne savait pas pourquoi l’agent de l’immigration n’avait pas noté qu’il n’était pas présent quand les coups de feu ont été tirés.
[20] De plus, le Tribunal a relevé que la demanderesse, madame Garcia, a été incapable d’expliquer pourquoi elle a dit lors de l’audience qu’elle avait quitté le domicile familial le 14 avril alors qu’elle avait dit à l’agent d’immigration qu’elle avait quitté le 20 avril et qu’elle est allée à Mexico, District fédérale au mois de mars 2008.
[21] Le Tribunal a conclu que toutes ces informations contradictoires démontrait que le domicile de la partie demanderesse n’a jamais été la cible de coups de feu et que M. Flores n’a jamais eu de problèmes avec qui que ce soit, ni dans son travail ni à cause de photos qu’il aurait supposément prises à son travail. Le Tribunal a également soulevé que cette conclusion était confirmée par le fait que le demandeur n’a jamais cherché à obtenir la protection étatique.
[22] Le Tribunal a soulevé que la preuve documentaire démontrait qu’il y avait à leur disposition, diverses façons de demander la protection des autorités. D’ailleurs, le Tribunal a noté qu’il aurait pu s’adresser à la police lorsqu’il a été attaqué et agressé à deux reprises. Pour contester ces conditions de travail, le Tribunal a relevé que le demandeur aurait eu un recours auprès des tribunaux en droit du travail. Or, le Tribunal n’a pas retenu les excuses du demandeur à l’effet qu’il n’avait pas pensé à entamer ces démarches, que les avocats ont mauvaise réputation et qu’il faut de l’argent pour payer les pots-de-vin.
[23] Le Tribunal a finalement conclu que la partie demanderesse n’a pas réfuté la présomption qu’une protection étatique adéquate lui était disponible, ni justifié de manière crédible son omission de ne pas demander la protection aux autorités mexicaines.
Dispositions législatives pertinentes
[24] Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés sont pertinentes en l’espèce :
Question en litige
[25] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la seule question en litige est celle de savoir si le Tribunal a commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité du demandeur.
Norme de contrôle
[26] Les parties n’ont fait aucune représentation quant à la norme de contrôle applicable. Dans la présente cause, le Tribunal s’est basé sur le manque de crédibilité de la partie demanderesse. Dans l’arrêt Malveda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 447, [2008] ACF no 527, au para 19, le juge Russell a réitéré que « La question de savoir si la Commission a oui ou non omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents comporte un examen des faits […] ».
[27] Dans l'arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au para 53, la Cour suprême du Canada a énoncé que lorsque le Tribunal entreprend un examen de questions de fait, la cour de révision fera preuve de déférence à l’égard du Tribunal. Par conséquent, puisque la crédibilité ou l’absence de crédibilité est une question de fait, la norme de contrôle applicable à la présente décision est celle de la raisonnabilité.
Analyse
[28] Le demandeur soutient que le Tribunal a erré dans son évaluation de sa crédibilité en ne retenant pas certains aspects de son témoignage. Par exemple, le demandeur soulève que lors de l’audience, il a bien expliqué que tout ce qui sortait de la grange devait être consigné dans un registre de grange où étaient notés les faits, déplacements de l’équipement et du matériel de la grange, mais que les employés qui prenaient ce matériel ne le notaient pas au registre. De plus, il ajoute qu’il a expliqué que le chauffeur de l’entreprise lui avait avoué que le matériel était livré chez le chef de la grange et non pas dans une grange ou ailleurs dans l’entreprise. Finalement, le demandeur soutient que les photos qu’il aurait prises mettaient en preuve la négligence du chef de grange, ce qui le mettait dans une situation compromettante, puisque ce dernier devait s’assurer de la qualité des services offerts. Le demandeur soumet que l’incompréhension du Tribunal sur ces points, qu’il allègue être essentiels, vicie la décision puisque ces points seraient à l’origine de la crainte du demandeur. De plus, la procureure du demandeur a plaidé lors de l’audience devant cette Cour que d’une part, les questions n’étaient pas claires et que d’autre part elles n’avaient pas été posées de façon raisonnable.
[29] Quant à la partie défenderesse, elle soumet que les allégations du demandeur sont nettement insuffisantes pour démontrer en quoi le Tribunal a erré. La partie défenderesse soutient que le mémoire de la partie demanderesse ne fait que fournir des explications ex post facto pour justifier les lacunes soulevées par le Tribunal. Or, il souligne avec raison qu’il ne suffit pas pour voir sa demande d’autorisation accordée et obtenir gain de cause sur le fond, d’affirmer simplement que la SPR a commis une erreur de fait ou de droit ou encore qu’il n’y a pas de contradiction. S’appuyant sur l’arrêt Chowdhury c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 1591, 32 Imm LR (2d) 250, au para 8, la partie défenderesse affirme qu’un demandeur doit prouver en quoi et comment la SPR s’est trompée en s’appuyant par les faits et le droit.
[30] À la lecture du dossier et de la décision motivée du Tribunal, rien ne permet à cette Cour de conclure que le Tribunal a commis une erreur dans son analyse de la crédibilité de la partie demanderesse. En fait, la partie demanderesse n’est pas d’accord avec la conclusion que le Tribunal a tirée de la preuve et aurait préféré une interprétation qui lui soit favorable. La Cour n’est pas convaincue que le Tribunal a rendu une décision déraisonnable, arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait dans son évaluation de la preuve testimoniale et documentaire et en tirant les inférences qui s’imposent d’elles-mêmes.
[31] En l’espèce, compte tenu des divergences entre le témoignage de M. Flores et son FRP, les contradictions et les omissions, il ressort clairement que le Tribunal a énoncé ses motifs avec concision et qu’il a tenu compte dans son analyse de toute la preuve et des explications de la partie demanderesse.
[32] En conclusion, la Cour est d’avis que le Tribunal était bien fondé de souligner les incohérences et les omissions importantes dans la preuve de la partie demanderesse et de douter de la véracité de leur récit. Compte tenu de ce qui précède, la décision du Tribunal était raisonnable et l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.
[33] Aucune question à certifier n’a été soumise et ce dossier n’en contient aucune.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
Aucune question n’est certifiée.
« Richard Boivin »
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3056-10
INTITULÉ : MIGUEL ALVARO LEYVA FLORES et al c M.C.I.
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 23 février 2011
DATE DES MOTIFS : Le 23 mars 2011
COMPARUTIONS :
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Evan Liosis |
POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec) |
POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE |