Date : 20110321
Dossier : IMM‑3255‑10
Référence : 2011 CF 342
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 21 mars 2011
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BOIVIN
ENTRE :
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HARSIMRAN KAUR |
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et
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ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission), datée du 17 mai 2010, par laquelle elle a rejeté la demande d’asile des demandeurs. La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.
Contexte factuel
[2] Le demandeur principal Gurkaran Singh, qui est âgé de 27 ans et sa sœur, Harsimran Kaur, qui est âgée de 29 ans, sont tous les deux des citoyens indiens. À leur arrivée au Canada, ils ont sollicité l’asile en se fondant sur les faits que leur père, qui est arrivé au Canada en 2005, et qui a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention, avait alors invoqués.
[3] En avril 1995, la famille des demandeurs a été obligée d’héberger des militants sikhs pendant deux jours. Après leur départ, la police a arrêté le père et le grand‑père des demandeurs, et les a interrogés en vue de recueillir des renseignements sur les militants.
[4] Le père des demandeurs a été torturé pendant plusieurs jours, puis relâché après que sa famille ait soudoyé les policiers. Craignant pour sa sécurité, on a envoyé Mme Kaur vivre chez des membres de la famille à Majitha, au Penjab; M. Singh, le demandeur principal, l’a rejoint en 2003 parce qu’on craignait que les policiers le soupçonnent d’être un militant sikh.
[5] La police a continué à harceler le père des demandeurs jusqu’à ce qu’il quitte l’Inde et qu’il vienne au Canada. Chaque fois qu’il a été arrêté, il a été torturé et interrogé au sujet des militants sikhs, et chaque fois il a finalement été relâché après que sa famille ait versé un pot‑de‑vin.
[6] Le 11 novembre 2006, la police s’est rendue à Majitha et a arrêté M. Singh. Il a été torturé et interrogé au sujet des allées et venues de son père et de ses liens avec les militants sikhs. M. Singh a été libéré plusieurs jours plus tard, après le versement d’un pot‑de‑vin par son oncle. Le 17 novembre 2006, Mme Kaur a été arrêtée et interrogée, et elle aussi a été torturée. Après plusieurs jours de détention, l’oncle des demandeurs a versé un pot‑de‑vin à la police afin qu’elle soit relâchée.
[7] Une fois libérés, les demandeurs ont quitté Majitha et se sont installés chez un ami de la famille à Motipur, dans l’état d’Uttarnchal. Le 5 mars 2008, ils ont été arrêtés à Motipur et ils ont à nouveau été interrogés et torturés. Plusieurs jours plus tard, les demandeurs ont été relâchés après que leur grand‑père ait versé un pot‑de‑vin. Au moment de leur libération, ils ont décidé de quitter l’Inde et, de fait, ils ont quitté l pays le 20 mai 2008, après avoir obtenu de faux passeports.
[8] Les demandeurs sont arrivés au Canada le 24 mai 2008. Le 13 juin 2008, ils ont demandé l’asile, alléguant craindre d’être persécutés en raison de leurs opinions politiques et de leur religion.
La décision contestée
[9] La Commission a constaté que les demandeurs étaient arrivés au Canada sans passeports valides, mais elle a estimé qu’ils avaient établi leur identité au moyen d’une preuve documentaire et du témoignage de M. Singh. La Commission a conclu que ce dernier était crédible, et elle a accepté son témoignage quant à ce qui se qui lui était arrivé à lui et à sa sœur en Inde. Toutefois, la Commission a conclu qu’en ce qui concerne les actes de persécution de la part de la police et une possibilité de refuge intérieur raisonnable (PRI), sont témoignage était conjectural.
[10] La Commission a déterminé que les demandeurs n’avaient pas établi l’existence d’un lien entre leur crainte et les motifs reconnus dans la Convention et énumérés à l’article 96 de la Loi. La Commission a examiné la preuve visant à démontrer qu’en Inde les activistes sikhs sont victimes de persécution, mais elle a conclu que le profil des demandeurs ne correspondait pas à celui des militants sikhs, et donc que la police ne s’intéresserait pas à eux du fait de leurs opinions politiques.
[11] La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs avaient été la cible de policiers corrompus, cherchant à extorquer de l’argent. La Commission a fait remarquer que, en général, comme il ressort de la jurisprudence de notre Cour, les victimes de corruption ne réussissent pas à établir l’existence d’un lien entre leur crainte de persécution et l’un des motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention.
[12] La Commission a en outre fait remarquer que les demandeurs n’avaient que 12 et 15 ans lorsque les militants sikhs se sont amenés chez eux. Les demandeurs ne pouvaient donc avoir été des militants sikhs, actifs sur le plan politique. Là encore, la Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs n’avaient pas été ciblés ou persécutés par la police en raison de leurs opinions politiques, réelles ou présumées, ou de leur confession religieuse, mais plutôt parce qu’il était possible de leur extorquer de l’argent. La Commission a en outre statué que les demandeurs invoquaient à tort la crainte de persécution parce qu’ils sont des sikhs étant donné que la preuve ne montrait pas qu’en Inde les sikhs sont persécutés en étant empêchés de pratiquer leur religion.
[13] La Commission a ensuite statué que les demandeurs ne s’étaient pas prévalus de la possibilité de refuge interne (PRI) qui s’offrait à eux. Pendant son témoignage, on a demandé à M. Singh si lui ou sa sœur aurait pu déménager à Mumbai. Il a répondu qu’il ne pensait pas qu’ils auraient été en mesure d’échapper à la police en déménageant parce que lui et sa sœur avaient tenté de le faire à deux reprises et qu’à chaque fois ils avaient été retrouvés. La Commission a conclu que bien que les demandeurs aient déménagé deux fois, ils s’étaient à ces occasions installés dans de petites villes relativement peu éloignées de leur ville d’origine, alors que Mumbai était une grande ville, où il serait beaucoup plus difficile de les trouver. La Commission a statué que les demandeurs n’étaient pas des personnes que les policiers chercheraient à retrouver s’ils quittaient leur secteur, et que leur crainte d’être repérés à Mumbai se fondait sur des suppositions. La Commission a en outre indiqué que les demandeurs n’auraient pas de difficulté à se trouver du travail à Mumbai étant donné qu’ils possèdent tous deux un diplôme d’études postsecondaires et qu’ils parlent deux des langues officielles de l’Inde.
[14] En fin de compte, la Commission a déterminé que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention parce qu’ils n’avaient pas établi l’existence d’un lien entre la persécution dont ils avaient été victimes et les motifs prévus à la Convention parce que leur crainte n’était pas fondée et qu’ils n’avaient pas démontré pourquoi ils ne pouvaient pas se prévaloir de la PRI. Vu la conclusion concernant la PRI, la Commission a statué que les demandeurs n’étaient pas des personnes à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la Loi.
Cadre législatif
[15] Les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés se lisent comme suit :
Les questions en litige
[16] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la seule question qui se pose est celle de savoir si la décision de la Commission se fonde sur des conclusions de fait erronées tirées, au regard de l’esprit et de l’objet de la Loi, de façon abusive ou arbitraire ou sans qu’il soit tenu compte des éléments de preuve dont la Commission disposait.
La norme de contrôle
[17] La conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’un lien est une conclusion factuelle, qui commande donc la déférence (voir Mia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 120, 94 ACWS (3d) 970, par. 16). De même, la conclusion quant à savoir si un demandeur d’asile disposait d’une PRI est aussi une conclusion de fait commandant la déférence (voir Navarro c, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CR 358, [2008] A.C.F. no 463, par. 12‑14).
[18] La Cour suprême du Canada a statué au paragraphe 53 dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick (2008) CSC 9, [2008] 1 R.C.S 190, que les conclusions de fait sont assujetties à la norme de la décision raisonnable. Ainsi, la Cour n’a pas à se demander si la décision de la Commission était correcte, mais plutôt si elle appartenait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au par. 47).
Analyse
[19] Les demandeurs contestent les conclusions de la Commission concernant l’absence de lien et la disponibilité d’une PRI. Ils contestent plus particulièrement la conclusion de la Commission portant qu’ils n’ont pas établi l’existence d’un lien entre leur crainte de persécution et les motifs prévus à la Convention. Ils font valoir qu’en reconnaissant que M. Singh était un témoin crédible, la Commission a nécessairement accepté son témoignage, à savoir que les demandeurs ont été détenus et torturés à plusieurs reprises parce que les policiers les soupçonnaient de détenir des renseignements concernant les allées et venues de leur père ou de certains extrémistes sikhs.
[20] Certes, la Commission a reconnu que le témoignage de M. Singh était crédible, mais elle a énoncé au paragraphe 9 de sa décision que « [l]es conclusions tirées par le demandeur d’asile principal en ce qui concerne les raisons pour lesquelles sa sœur et lui ont été emprisonnés par la police, leur persécution en raison de leur foi ou l’absence de PRI en Inde, ne sont que des suppositions ». De plus, la Commission a expressément écarté les motifs de détention invoqués par M. Singh. Elle a conclu que les demandeurs faisaient face à des policiers corrompus, en quête d’argent. La conclusion ultime de la Commission se fonde sur le fait que la preuve indiquait que les demandeurs avaient été détenus à des fins d’extorsion, et non en raison de leurs opinions politiques ou de leurs croyances religieuses.
[21] Après examen de la preuve, la Cour estime que la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs n’ont pas établi qu’ils avaient été persécutés en raison de leurs opinions politiques était raisonnable. Ainsi, le demandeur principal n’a fait partie d’aucune organisation se livrant à des actes de subversion. La Cour note en outre que les demandeurs ne contestent pas la conclusion de la Commission selon laquelle en Inde les sikhs ne sont pas victimes de persécution fondée sur la religion. Les demandeurs n’ont donc pas établi qu’ils avaient été persécutés en raison de leur religion.
[22] Compte tenu du contexte factuel, bien que les demandeurs aient fourni une preuve selon laquelle les policiers les ont arrêtés en raison des liens que leur famille avaient entretenus par le passé avec un terroriste – qui a depuis longtemps été tué par les policiers – des éléments de preuve permettaient également à la Commission de conclure que le demandeur intéressait les policiers corrompus à des fins d’extorsion. La Commission a conclu que les demandeurs avaient été victimes d’un crime. Ainsi, le fait que les demandeurs aient indiqué dans leur témoignage que les policiers étaient [traduction] « juste en quête d’argent » (dossier certifié du Tribunal, p. 862) est révélateur. Compte tenu de la preuve, il était raisonnable que la Commission conclue que les demandeurs n’avaient pas établi que leur crainte de persécution reposait sur un fondement objectif. Il était donc loisible à la Commission de conclure que les demandeurs n’avaient pas établi l’existence d’un lien entre leur crainte de persécution et un motif prévu à la Convention.
[23] Reste maintenant la question du PRI. Les demandeurs contestent également la conclusion de la Commission selon laquelle ils ont omis d’expliquer pourquoi Mumbai n’était pas une PRI raisonnable. Les demandeurs font valoir qu’ils ont établi avoir le profil de personnes que les policiers décideraient de poursuivre au‑delà des frontières provinciales. Selon eux, cette preuve est incompatible avec la conclusion de la Commission selon laquelle il était peu probable que les policiers les poursuivent à Mumbai.
[24] Comme il a déjà été mentionné, la Commission a expressément rejeté la thèse selon laquelle les policiers auraient arrêté les demandeurs parce qu’ils croyaient qu’ils détenaient des renseignements concernant des militants sikhs, concluant plutôt qu’ils avaient été arrêtés à des fins d’extorsion. Prise dans ce contexte, la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs n’avaient pas le profil requis pour inciter les policiers de leur village à se rendre à Mumbai est raisonnable.
[25] La Commission a examiné la preuve documentaire concernant une réinstallation interne en Inde, et elle a conclu que les citoyens, y compris les sikhs, peuvent se déplacer librement à l’intérieur du pays. La situation doit être analysée de façon prospective et la Commission a fait remarquer que Mumbai est une grande ville comptant plus de 16 millions d’habitants. Certes, les demandeurs s’étaient déjà rendus dans les petites villes de Motipur et Majitha, mais il importe de souligner que lorsqu’ils ont été arrêtés à Majitha, ils habitaient chez des membres de leur famille, et que lorsque cela s’est produit à Motipur, ils habitaient avec une personne que leur père connaissait, ce qui rendait plus facile, pour des policiers corrompus, la tâche de les retrouver et d’en faire la cible d’extorsion. Il était en outre loisible à la Commission, compte tenu du passé des demandeurs, de conclure qu’ils n’avaient pas le profil requis pour attirer l’attention des autorités centrales de l’Inde. Et, vu les faits de l’espèce, il était également raisonnable que la Commission conclue que le fait que les demandeurs aient auparavant été repérés dans une petite ville ne signifiait pas qu’ils seraient nécessairement repérés dans la grande ville de Mumbai. De plus, la Commission a tenu compte du fait que les demandeurs parlaient deux des langues officielles de l’Inde (l’hindi et l’anglais) et qu’ils détenaient un diplôme d’études postsecondaires. La Commission a conclu qu’ils n’auraient pas de difficulté à se trouver du travail à Mumbai.
[26] Même si la preuve peut mener à une interprétation différente, notre Cour n’interviendra pas si les conclusions tirées par la Commission ne sont pas déraisonnables.
[27] En conclusion, les demandeurs n’ont pas établi que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en rendant sa décision. La conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs n’ont pas fourni d’explications satisfaisantes quant à savoir pourquoi Mumbai n’était pas une PRI est raisonnable. La conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger est elle aussi raisonnable. La décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir). Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[28] Aucune question à certifier n’a été proposée et le présent dossier n’en soulève aucune.
JUGEMENT
LA COUR statue comme suit :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Dossier : IMM‑3255‑10
INTITULÉ : GURKARAN
SINGH ET AL. c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 16 février 2011
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE BOIVIN
DATE DES MOTIFS : Le 21 mars 2011
Comparutions :
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POUR LES DEMANDEURS
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Alexis Singer
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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POUR LES DEMANDEURS
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Myles J. Kirvan Sous‑procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR
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