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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110317

Dossier : IMM-4755-10

Référence : 2011 CF 324

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2011

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

 

BASTI SOFI SAMAD

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

  MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

  • [1] Pour commencer, sur consentement des parties, l’intitulé est modifié afin de changer le nom du demandeur à « Basti Sofi Samad ».

 

  • [2] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de l’immigration (la Commission) datée du 26 juin 2010, dans laquelle il était conclu que le demandeur, M. Sofi Samad, était interdit de territoire au Canada au sens de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Par conséquent, la Commission a rendu une ordonnance d’expulsion contre le demandeur, en application de l’alinéa 45d) de la LIPR et de l’alinéa 229(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement).

 

Le contexte factuel

 

  • [3] Le demandeur, M. Sofi Samad, est un citoyen de l’Irak. Il est arrivé au Canada le 1er avril 2003 et a présenté une demande d’asile.

 

  • [4] Sa demande a été suspendue en 2003 lorsque le ministre a établi un rapport, au sens du paragraphe 44(1) de la LIPR, dans lequel il soutenait que le demandeur était [traduction] « interdit de territoire pour des raisons de sécurité, au sens de l’alinéa 34(1)f), parce qu’il a été membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’instigatrice d’actes visant le renversement d’un gouvernement par la force et qu’elle se livre, s’est livrée ou se livrera au terrorisme, au sens des alinéas 34(1)b) et c) », et il a renvoyé l’affaire à la Commission pour enquête.

 

  • [5] Avant l’audition de l’affaire, le demandeur a présenté une demande d’exception ministérielle en matière d’interdiction de territoire, au sens du paragraphe 34(2) de la LIPR, et a demandé le report de l’enquête jusqu’à ce que le ministre rende une décision sur cette demande. L’agent d’audience a appuyé la demande de report.

 

  • [6] Le 15 février 2010, presque sept ans après le dépôt de la requête du demandeur en exception ministérielle, le directeur de la Section de l’immigration a rendu [traduction] « des motifs et une décision » refusant un ajournement supplémentaire ou un autre report de l’enquête en attendant la décision quant à la demande d’exception ministérielle.

 

  • [7] Le demandeur n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision du directeur de la Section de l’immigration rendue le 15 février 2010.

 

  • [8] La Section de l’immigration a alors procédé à l’enquête le 3 juin 2010.

 

La décision de la Commission

 

  • [9] La Commission a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR et a rendu une ordonnance d’expulsion contre le demandeur, en application de l’alinéa 45d) de la LIPR et de l’alinéa 229(1)a) du Règlement. Elle a conclu que le demandeur avait admis avoir été membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle a été l’instigatrice d’actes visant le renversement d’un gouvernement par la force.

 

  • [10] La Commission a rejeté la demande du demandeur de reporter l’ordonnance d’expulsion, concluant qu’il y avait déjà eu un délai important dans la tenue de l’enquête et que le délai supplémentaire dans l’attente de la décision du ministre pourrait être indéfini. Elle a conclu que lorsqu’une ordonnance de renvoi est rendue, la Commission n’a pas le pouvoir discrétionnaire de tenir compte de l’équité ou de la proportionnalité des conséquences qui en découleraient. Elle a conclu que « […] la question de savoir quand et où la personne visée sera renvoyée relève entièrement du ministre. » La Commission a aussi noté que le demandeur pouvait exercer divers recours avant l’application de l’ordonnance d’expulsion.

 

Les questions en litige

 

  • [11] Le demandeur ne conteste pas la conclusion de la Commission quant à son interdiction de territoire. Les questions soulevées portent seulement sur l’ordonnance d’expulsion que la Commission a rendue. Par conséquent, les trois questions suivantes sont soulevées dans la présente demande :

    1. Le demandeur pouvait‑il légitimement s’attendre au report de l’ordonnance d’expulsion?

    2. Les motifs de la Commission justifiant le refus de reporter l’ordonnance d’expulsion étaient‑ils adéquats?

    3. La décision de la Commission de ne pas reporter l’ordonnance d’expulsion était‑elle raisonnable?

 

  • [12] Je traiterai successivement chacune de ces questions.

 

L’attente légitime

 

  • [13] Le demandeur soutient qu’il s’attendait légitimement à obtenir une décision quant à sa demande d’exception ministérielle avant la tenue de son enquête. Le demandeur s’était fondé sur le comportement du représentant du ministre lorsque ce dernier a accepté de reporter l’enquête pendant des années. C’est le directeur de la Section de l’immigration qui a décidé le 15 février 2010 de ne plus retarder l’enquête. Comme je l’ai déjà mentionné, le demandeur a choisi de ne pas demander le contrôle judiciaire de cette décision.

 

  • [14] Il est bien établi que la doctrine de l’attente légitime ne peut pas servir pour créer un droit fondamental. La doctrine porte sur les mesures procédurales et, pour qu’elle s’applique, le demandeur doit démontrer « l’existence d’une pratique antérieure claire, nette et explicite de la part du décideur administratif en question ». Voir : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; et Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Lidder, [1992] A.C.F. no 212 (C.A.).

 

  • [15] Les circonstances en l’espèce n’établissent pas une telle pratique antérieure de la part de la Commission quant au report d’ordonnances d’expulsion à la conclusion d’une enquête. L’article 45 de la LIPR exige que la Commission doit « […]prendre la mesure de renvoi applicable contre l’étranger […] sur preuve qu’il est interdit de territoire ». L’article 229 du Règlement prévoit qu’une telle ordonnance de renvoi est une ordonnance d’expulsion. Dans les circonstances, et compte tenu du libellé contraignant de la LIPR, il n’y a aucun fondement factuel à l’appui de l’argument du demandeur quant à l’attente légitime. Par conséquent, l’attente légitime alléguée par le demandeur n’existe pas dans les circonstances.

 

Le caractère adéquat des motifs

 

  • [16] Le demandeur soutient que la Commission avait le pouvoir discrétionnaire de reporter l’ordonnance d’expulsion et qu’elle n’a pas donné des motifs adéquats pour justifier son refus. Il soutient que les motifs étaient abusifs parce qu’ils n’expliquaient pas de quelle façon les conséquences de l’ordonnance d’expulsion pouvaient être compensées par d’autres avenues et qu’ils ne traitaient pas de l’argument de l’attente légitime.

 

  • [17] Je reproduis ci‑dessous les motifs de la Commission au sujet de sa décision de refuser d’ajourner l’enquête sans rendre d’ordonnance d’expulsion :

[17]  M. Sofi Samad a fait valoir que, si je devais décider qu’il est interdit de territoire, je devrais ajourner l’enquête sans prendre une mesure d’expulsion jusqu’à ce que le ministre communique sa décision relativement à la demande présentée par M. Sofi Samad aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi. La Section a apparemment utilisé cette formule dans une autre affaire, dans laquelle l’enquête a été ajournée, après la décision du commissaire d’interdire le territoire à la personne en cause, mais avant la prise de la mesure, afin de permettre à celle‑ci de présenter une demande au ministre pour bénéficier de l’exception prévue au paragraphe 34(2). M. Sofi Samad a soutenu que, si sa demande était jugée irrecevable maintenant, la prise d’une mesure d’expulsion pourrait mener à son renvoi avant la décision du ministre relativement à la demande qu’il a présentée aux termes du paragraphe 34(2), malgré la suspension temporaire des renvois en Iraq et sans qu’il puisse bénéficier d’un examen des risques avant renvoi. Le renvoi éventuel de M. Sofi Samad dans de telles circonstances a été décrit comme [traduction] « une issue passablement draconienne ».

 

[18]  Les informations dont je dispose sur les circonstances particulières de l’affaire Soe ne sont pas suffisantes pour me convaincre qu’il serait indiqué d’ajourner la présente affaire plutôt que de prendre la mesure appropriée. Je ne peux présumer que, du seul fait que cette démarche a été utilisée une fois dans le passé, il convient de l’adopter de nouveau actuellement. Contrairement à la personne en cause dans cette procédure, M. Sofi Samad a présenté une demande pour bénéficier de l’exception prévue au paragraphe 34(2) plusieurs années avant l’enquête, et il attend toujours une décision. La présente enquête a déjà été ajournée pendant plusieurs années, et le délai additionnel dans l’expectative de la décision du ministre pourrait être indéfini.

 

[19]  Quant aux répercussions que pourrait avoir la mesure d’expulsion sur M. Sofi Samad, la Cour fédérale a affirmé ceci : « Lorsque le tribunal a pris une mesure de renvoi, la question de savoir quand et où la personne visée sera renvoyée relève entièrement du ministre […] On ne peut donc présumer, à ce stade, que la mesure d’expulsion sera exécutée par le Ministre. » Plusieurs recours s’offrent à M. Sofi Samad avant l’exécution de la mesure d’expulsion. Quoi qu’il en soit, la Cour fédérale a mentionné ailleurs ce qui suit :

 

L’enquête de la Section de l’immigration n’est pas l’occasion […] d’examiner l’équité ou bien la proportionnalité des conséquences qui découlent de la mesure d’expulsion. Ces conséquences résultent inévitablement de l’application de la loi, et la Section de l’immigration n’a aucun pouvoir discrétionnaire de les atténuer.

 

Par conséquent, je refuse d’ajourner l’affaire sans prendre une mesure d’expulsion.

 

[20]  J’ai l’obligation, au titre de l’alinéa 45d) de la Loi et de l’alinéa 229(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, de prendre une mesure d’expulsion contre M. Sofi Samad.

 

 

  • [18] Je suis convaincu que les motifs de la Commission sont adéquats parce qu’ils répondent aux critères fondamentaux des motifs que la Cour d’appel fédérale a articulés dans l’arrêt Vancouver International Airport Authority et al c. AFPC, 2010 CAF 158, au paragraphe 16. La Commission a expliqué pourquoi elle avait rendu cette décision. Selon les motifs, le demandeur pouvait décider s’il souhaiter exercer son droit de faire contrôler la décision par un tribunal de révision. En effet, le présent contrôle judiciaire est entièrement fondé sur le refus de la Commission d’ajourner la procédure sans rendre d’ordonnance d’expulsion. Les motifs étaient suffisants pour que la Cour puisse évaluer de façon raisonnable si la décision satisfaisait aux normes minimales de justice. Enfin, la décision satisfait à la norme de « la justification de la décision, [de] la transparence et [de] l’intelligibilité » énoncée dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.

 

La décision était‑elle raisonnable?

 

  • [19] Le demandeur soutient que le pouvoir discrétionnaire de la Commission était suffisamment vaste pour lui permettre de reporter la décision et que la Commission n’a pas tenu compte de l’accord précédent des agents d’audience qui avaient accepté d’ajourner l’enquête pendant sept ans. Le demandeur soutient aussi que la Commission n’a pas tenu compte de l’objectif et de l’effet d’une exemption accordée en vertu de la disposition sur l’exception ministérielle de la LIPR, ce qui rend la décision déraisonnable.

 

  • [20] Je rejette l’argument du demandeur. Rien dans la LIPR ne permettrait à la Commission de tenir compte des conséquences d’une ordonnance de renvoi rendue en application de l’alinéa 45(2)d) en tant que facteur pertinent quant à la question de savoir si une audience devrait être ajournée ou si l’ordonnance d’expulsion qui en découle devrait être reportée à une autre date. Je suis d’accord avec le défendeur, les implications et les conséquences possibles de l’ordonnance d’expulsion sont des questions que le ministre doit trancher. L’enquête de la Commission n’est pas l’endroit pour examiner l’équité ou la proportionnalité de telles conséquences. La Commission avait raison de tirer cette conclusion. Dans les circonstances, sa décision de ne pas reporter l’ordonnance d’expulsion était raisonnable.

 

Conclusion

 

  • [21] Le demandeur peut avoir d’autres recours quant au délai d’attente d’une décision sur sa demande d’exception ministérielle, qui approche maintenant les sept ans. Cependant, pour les motifs susmentionnés, quant aux questions soulevées dans la présente demande, la Commission n’a commis aucune erreur susceptible de révision. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission sera rejetée.

 

La question certifiée

 

  • [22] Les parties ont eu l’occasion de soulever une question grave de portée générale, au sens de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et elles ne l’ont pas fait. Je suis convaincu qu’aucune question grave de portée générale ne peut être soulevée dans le présent dossier. Je ne propose aucune question pour la certification.


JUGEMENT

 

  • [23] LA COUR ORDONNE :

  1.  L’intitulé est modifié pour changer le nom du demandeur à : « Basti Sofi Samad ».

2.  La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de l’immigration, du 26 juin 2010 est rejetée.

  3.  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  IMM-4755-10

 

INTITULÉ :  BASTI SOFI SAMAD

 

  - et -

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 10 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :  LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :  Le 17 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brenda J. Wemp

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Helen Park

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Brenda J. Wemp

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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