[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 2 mars 2011
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. INTRODUCTION
[1] Le présent contrôle judiciaire vise une décision en date du 12 août 2010 par laquelle un commissaire de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a ordonné la mise en liberté du défendeur à certaines conditions, principalement celle de se présenter tous les 15 jours à l’ASFC.
II. CONTEXTE
[2] Le défendeur est un citoyen indien dont le dossier d’immigration est assez chargé, ayant accumulé au cours des 15 dernières années les fausses déclarations et les supercheries. Il vit à l’heure actuelle au Canada avec sa conjointe de fait et deux enfants.
[3] Selon son dossier d’immigration, il aurait menti quant aux liens l’unissant à sa conjointe de fait et au premier mari de celle‑ci – son oncle; il aurait obtenu frauduleusement – sous un faux nom—un certificat de scolarité et un passeport; il aurait aussi obtenu, toujours sous un faux nom, un visa de travail, et employé de façon répétée son faux passeport et son faux permis de travail.
[4] Enfin, en mars 2010, l’ASFC a découvert la véritable identité du défendeur à la suite d’une dénonciation anonyme.
[5] Avant que l’enquête de l’ASFC ne soit terminée, la conjointe de fait du défendeur a parrainé une demande de résidence permanente qu’elle a présentée sous le faux nom du défendeur.
[6] Confronté par l’ASFC sur sa véritable identité, le défendeur a d’abord continué à mentir, puis a fini par reconnaître qu’il s’était donné une fausse identité. À ce moment, il déclaré à l’ASFC que, a) il ne craignait aucunement de retourner en Inde, (il s’y était rendu quelques mois auparavant); b) il braverait la loi canadienne pour rester au Canada; c) il s’opposerait aux mesures de renvoi. Il a été arrêté le 15 juin 2010.
[7] Un rapport d’interdiction du territoire a été établi conformément à l’article 44 et, à l’issue d’une enquête qui a eu lieu le 17 juin 2010, l’examen de la question a été reporté au 9 août 2010. Le défendeur a été mis en liberté sous condition avec l’ordre de se présenter à l’enquête prévue pour le 9 août 2010.
[8] Le vendredi précédant l’enquête du 9 août, le défendeur a présenté une demande d’asile. La demande d’asile a pour effet de rendre théorique la question de l’interdiction de territoire.
[9] Le défendeur ne s’est pas présenté à l’enquête.
[10] Le jour suivant, c’est‑à‑dire le 10 août 2010, le défendeur a été arrêté chez lui. Les motifs justifiant son arrestation étaient l’obtention et l’utilisation de faux documents. Lors de l’examen des motifs de détention qui a lieu le jour même, le tribunal a décidé de sa mise en liberté, insistant sur les facteurs suivants :
· l’obtention et l’utilisation de faux documents;
· la ferme volonté de rester au Canada;
· la participation à l’entrevue du 15 juin, et le fait qu’il ne soit pas visé par une mesure de renvoi;
· le peu d’importance que revêt son défaut de comparution à l’enquête du 9 août étant donné que celle‑ci était désormais sans objet.
[11] Le tribunal a donc ordonné la mise en liberté du défendeur, estimant qu’il ne risquait guère de s’enfuir.
III. ANALYSE JURIDIQUE
[12] Les questions de mise en liberté et de détention relèvent du paragraphe 58(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés :
58. (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :
a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;
b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);
c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux;
d) dans le cas où le ministre estime que l’identité de l’étranger n’a pas été prouvée mais peut l’être, soit l’étranger n’a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l’identité de l’étranger.
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58. (1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that
(a) they are a danger to the public;
(b) they are unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);
(c) the Minister is taking necessary steps to inquire into a reasonable suspicion that they are inadmissible on grounds of security or for violating human or international rights; or
(d) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national has not been, but may be, established and they have not reasonably cooperated with the Minister by providing relevant information for the purpose of establishing their identity or the Minister is making reasonable efforts to establish their identity.
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[13] L’alinéa 244a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés précise les facteurs mentionnés au paragraphe 58(1) :
244. a) du risque que l’intéressé se soustraie vraisemblablement au contrôle, à l’enquête, au renvoi ou à une procédure pouvant mener à la prise, par le ministre, d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi;
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244. (a) is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2) of the Act; |
L’article 245 énumère les facteurs dont il y a lieu de tenir compte :
245. Pour l’application de l’alinéa 244a), les critères sont les suivants :
a) la qualité de fugitif à l’égard de la justice d’un pays étranger quant à une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale;
b) le fait de s’être conformé librement à une mesure d’interdiction de séjour;
c) le fait de s’être conformé librement à l’obligation de comparaître lors d’une instance en immigration ou d’une instance criminelle;
d) le fait de s’être conformé aux conditions imposées à l’égard de son entrée, de sa mise en liberté ou du sursis à son renvoi;
e) le fait de s’être dérobé au contrôle ou de s’être évadé d’un lieu de détention, ou toute tentative à cet égard;
f) l’implication dans des opérations de passage de clandestins ou de trafic de personnes qui mènerait vraisemblablement l’intéressé à se soustraire aux mesures visées à l’alinéa 244a) ou le rendrait susceptible d’être incité ou forcé de s’y soustraire par une organisation se livrant à de telles opérations;
g) l’appartenance réelle à une collectivité au Canada.
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245. For the purposes of paragraph 244(a), the factors are the following:
(a) being a fugitive from justice in a foreign jurisdiction in relation to an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament;
(b) voluntary compliance with any previous departure order;
(c) voluntary compliance with any previously required appearance at an immigration or criminal proceeding;
(d) previous compliance with any conditions imposed in respect of entry, release or a stay of removal;
(e) any previous avoidance of examination or escape from custody, or any previous attempt to do so;
(f) involvement with a people smuggling or trafficking in persons operation that would likely lead the person to not appear for a measure referred to in paragraph 244(a) or to be vulnerable to being influenced or coerced by an organization involved in such an operation to not appear for such a measure; and
(g) the existence of strong ties to a community in Canada. |
[14] Le jugement Walker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 392, confirme que la norme de contrôle applicable à une décision rendue à l’issue d’un examen des motifs de détention est celle de raisonnabilité, mais qu’il faut faire preuve de retenue dans la mesure où cette décision est fondée sur les faits.
25 L’analyse de la Section de l’immigration est un aspect essentiel de son rôle de juge des faits. Ainsi, ses conclusions doivent être traitées avec grande déférence par la cour siégeant en révision. Les conclusions de la Section ne devraient être modifiées que si son raisonnement était erroné et que sa décision ne correspondait pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.
26 Dans un cas comme celui‑ci, il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour siégeant en révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (CanLII), 2009 CSC 12, [2009] A.C.S. no 12, au paragraphe 59.
[15] La Cour est en l’espèce appelée à se prononcer sur le caractère raisonnable de la décision voulant que le défendeur ne risque pas de s’enfuir – qu’il ne risque pas de se soustraire aux procédures d’immigration et aux mesures prises contre lui. Les supercheries auxquelles le défendeur a depuis longtemps recours n’ont de pertinence qu’à l’égard du risque qu’il ne se conforme pas aux mesures décrétées. Est également dénué de pertinence au plan de l’analyse des risques de fuite le fait qu’il ait si tardivement présenté sa demande d’asile, si ce n’est que cela confirme ce qui était évident, et ce qu’il avait lui‑même déclaré, à savoir qu’il entend tenter par tous les moyens de rester au Canada, loyaux ou déloyaux.
[16] La ferme volonté de demeurer au Canada ne suffit pas cependant à démontrer qu’il entend se conformer aux mesures décrétées. La volonté de rester au Canada doit certes être réelle (sans quoi, le défendeur quitterait le Canada et les procédures engagées contre lui deviendraient sans objet), mais cette volonté pourrait également l’inviter fortement à se soustraire aux procédures susceptibles de mener à son renvoi. C’est donc à tort que le tribunal a vu dans ce facteur une garantie que le défendeur ne se soustraira pas aux mesures le visant.
[17] La décision du tribunal est à plusieurs égards problématique, mais le principal reproche que l’on puisse lui adresser est que le tribunal n’a tenu aucun compte du fait que le demandeur reconnaissait lui‑même que, pour demeurer au Canada, il n’hésiterait pas à enfreindre la loi, et que si l’on décidait de le renvoyer en Inde, il n’obtempérerait pas. La décision ne contient pas un mot de cela, ni rien qui permette de penser qu’il n’a pas en fait prononcé les paroles qu’on lui a attribuées, ou que ses propos ont été pris hors contexte.
[18] Pourtant, les aveux du défendeur sur ce point sont importants, étant donné les efforts qu’il a faits dans le passé pour se soustraire à l’application de la loi canadienne, en prenant de fausses identités, en faisant de fausses déclarations, en produisant de faux documents, et en se soustrayant aux procédures d’immigration. Il ne suffit pas de présumer (aucune preuve n’ayant été produite à cet égard) que, si le défendeur ne s’est pas présenté à l’enquête du 9 août, c’est parce que celle‑ci n’avait pas lieu d’être.
[19] Plus un élément de preuve a d’importance, plus le décideur est tenu d’en faire état (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35). En ce qui concerne la question de savoir si le défendeur comparaîtrait lors des instances en immigration ultérieures, il convenait de tenir compte non seulement de son comportement antérieur, mais également des déclarations qu’il avait faites. Ces déclarations vont de pair avec sa manière d’agir.
[20] Par conséquent, le tribunal a commis une erreur en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve essentiels et a rendu une décision déraisonnable.
IV. CONCLUSION
[21] La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie, et la décision de mise en liberté est annulée. Il n’y a pas lieu de renvoyer le dossier au tribunal, car la question de savoir si le défendeur risque de s’enfuir pourrait se poser à nouveau si le défendeur est arrêté.
[22] Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, et que la décision de mise en liberté soit annulée.
Traduction certifiée conforme
Édith Malo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑4982‑10
INTITULÉ : LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
et
RAJWANT SINGH DHALIWAL
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie‑Britannique)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 25 février 2011
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : Le 2 mars 2011
COMPARUTIONS :
Marjan Double
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POUR LE DEMANDEUR
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Jasdeep S. Mattoo
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
MYLES J. KIRVAN Sous‑procureur général du Canada Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR LE DEMANDEUR
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KANG AND COMPANY Avocats Surrey (Colombie‑Britannique)
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POUR LE DÉFENDEUR |