Cour fédérale |
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Federal Court |
Winnipeg (Manitoba), le 22 février 2011
En présence de Monsieur le juge Russell
ENTRE :
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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et
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et ALLIED SYSTEMS (CANADA) COMPANY
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 3 mai 2010 par laquelle un arbitre nommé en vertu de la section XVI, partie III, du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2 (le Code), a renvoyé au directeur régional du Programme du travail, pour nouvelle décision, un appel portant sur un recouvrement de salaire.
LE CONTEXTE
[2] Le premier défendeur, M. Schwark, est un ancien employé du second défendeur, la société Allied Systems (Canada) Company (Allied). Allied exerce des activités de transport interprovincial, extraprovincial et international, par camion, d’automobiles neuves et d’occasion.
[3] Après s’être blessé en 2004 dans l’exercice de ses fonctions, M. Schwark a subi une chirurgie du dos et perdu son aptitude à exécuter ses tâches de chauffeur de camion. À la suite de consultations entre la Commission des accidents du travail (CAT) et Allied, la société a offert à M. Schwark un poste différent, plus précisément un poste d’agent de sécurité de nuit, qu’il a accepté.
[4] Le 22 juin 2008, M. Schwark a déposé contre Allied une plainte pour non-paiement de salaire et autres indemnités sur le fondement de l’article 174 du Code. L’inspectrice Faye Lawson, de Travail Canada (l’inspectrice), a examiné la plainte, puis envoyé à M. Schwark une décision préliminaire de conformité, datée du 29 octobre 2008, et un avis de plainte non fondée, daté du 13 novembre 2008. L’inspectrice concluait qu’Allied entendait payer M. Schwark conformément à l’entente conclue durant ses consultations avec la CAT, qu’Allied avait payé M. Schwark comme le prévoyait l’entente et que l’entente était conforme au Code. L’inspectrice faisait aussi observer que, puisque la partie III du Code n’abordait pas la question de l’indexation, il n’y avait rien que le ministère pût faire à cet égard pour M. Schwark.
[5] Monsieur Schwark a fait appel des conclusions de l’inspectrice, et l’affaire a été portée devant l’arbitre Derek A. Booth. L’arbitre a annulé l’avis de plainte non fondée et renvoyé l’affaire au directeur du Programme du travail (de Travail Canada) pour qu’un autre inspecteur rende une nouvelle décision conforme aux articles 169, 171 et 178 du Code; à l’article 19 du Code des normes d’emploi du Manitoba; et aux articles 40 et 47 de la Loi sur les accidents du travail du Manitoba. La décision de l’arbitre est la décision contestée en l’espèce.
LA DÉCISION CONTESTÉE
[6] L’arbitre a jugé que l’employeur et l’employé avaient tous deux agi de bonne foi. Cependant, il a relevé que l’inspectrice n’avait pas abordé les questions de M. Schwark touchant la perte d’indexation et la perte de pension et ne lui avait pas indiqué précisément la manière dont il pourrait obtenir une majoration de son salaire. L’arbitre a aussi relevé que l’inspectrice n’avait pas tenu compte des dispositions suivantes ni dans la décision préliminaire de conformité ni dans l’avis de plainte non fondée :
a. le paragraphe 171(1) du Code canadien du travail, lequel prévoit que « le nombre d’heures que [l’employé] peut travailler au cours d’une semaine ne doit pas dépasser quarante-huit »;
b. l’article 169 du Code canadien du travail, lequel prévoit qu’« il est interdit à l’employeur de faire ou laisser travailler un employé au-delà [de 8 heures par jour et de 40 heures par semaine] »; et
c. le paragraphe 19(1) du Code des normes d’emploi du Manitoba, lequel prévoit que « les droits de gestion de l’employeur ne comprennent pas le droit implicite d’exiger de l’employé qu’il effectue des heures supplémentaires ».
[7] L’arbitre a annulé l’avis de plainte non fondée et a ordonné au directeur du Programme du travail de nommer un autre inspecteur pour qu’il calcule à nouveau les paiements, les salaires, les heures de travail et les avantages sociaux en conformité avec les dispositions susmentionnées du Code canadien du travail et du Code des normes d’emploi du Manitoba.
LA QUESTION EN LITIGE
[8] Le demandeur pose la question suivante :
L’arbitre a-t-il commis une erreur en ordonnant au directeur du Programme du travail de tenir compte de l’article 19 du Code des normes d’emploi du Manitoba au moment de statuer à nouveau sur l’appel concernant le recouvrement de salaire, étant donné que l’employeur est une entreprise fédérale qui relève de la compétence exclusive du législateur fédéral?
LES DISPOSITIONS APPLICABLES
[9] Les dispositions suivantes de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., ch. 3, reproduite dans L.R.C. 1985, Appendice II, n° 5, s’appliquent à la présente instance :
Pouvoirs du Parlement
91. Il sera loisible à la Reine, de l'avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclusivement assignés aux législatures des provinces; mais, pour plus de garantie, sans toutefois restreindre la généralité des termes ci-haut employés dans le présent article, il est par la présente déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi) l'autorité législative exclusive du parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir :
Et aucune des matières énoncées dans les catégories de sujets énumérés dans le présent article ne sera réputée tomber dans la catégorie des matières d'une nature locale ou privée comprises dans l'énumération des catégories de sujets exclusivement assignés par la présente loi aux législatures des provinces.
Pouvoirs exclusifs des législatures provinciales
92. Dans chaque province la législature pourra exclusivement faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir :
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Powers of the Parliament
91. It shall be lawful for the Queen, by and with the Advice and Consent of the Senate and House of Commons, to make Laws for the Peace, Order, and good Government of Canada, in relation to all Matters not coming within the Classes of Subjects by this Act assigned exclusively to the Legislatures of the Provinces; and for greater Certainty, but not so as to restrict the Generality of the foregoing Terms of this Section, it is hereby declared that (notwithstanding anything in this Act) the exclusive Legislative Authority of the Parliament of Canada extends to all Matters coming within the Classes of Subjects next hereinafter enumerated; that is to say,
And any Matter coming within any of the Classes of Subjects enumerated in this Section shall not be deemed to come within the Class of Matters of a local or private Nature comprised in the Enumeration of the Classes of Subjects by this Act assigned exclusively to the Legislatures of the Provinces.
Exclusive Powers of Provincial Legislatures
92. In each Province the Legislature may exclusively make Laws in relation to Matters coming within the Classes of Subjects next hereinafter enumerated; that is to say,
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LA NORME DE CONTRÔLE
[10] Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a affirmé qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse pour arrêter la bonne norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question que la Cour doit examiner est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette quête se révèle infructueuse que la cour de révision procédera à l’examen des quatre facteurs qui constituent l’analyse relative à la norme de contrôle.
[11] Le demandeur prie la Cour de dire si c’est la loi fédérale ou la loi provinciale qui s’applique dans l’appel portant sur le recouvrement de salaire. La Cour doit donc examiner le partage des pouvoirs établi par la Loi constitutionnelle de 1867. Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, la Cour suprême du Canada affirmait ce qui suit :
… il a été établi que la norme de contrôle applicable aux questions touchant au partage des compétences entre le Parlement et les provinces dans la Loi constitutionnelle de 1867 est celle de la décision correcte [...] Il ne pouvait en aller autrement pour ces questions et celles touchant par ailleurs à la Constitution…
[12] La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer est donc celle de la décision correcte.
LES ARGUMENTS
Le demandeur
[13] Le demandeur soutient que l’arbitre a commis une erreur en ordonnant au directeur régional du Programme du travail de tenir compte des lois provinciales régissant les relations de travail, plus précisément l’article 19 du Code des normes d’emploi du Manitoba, au moment de statuer à nouveau sur l’appel relatif au recouvrement de salaire.
[14] La société Allied Systems (Canada) s’occupe de camionnage interprovincial, extraprovincial et international, une activité relevant du droit fédéral. Le demandeur, se fondant sur le paragraphe 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 et sur la manière dont la Cour suprême du Canada a interprété cette disposition dans l’arrêt Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, soutient, en premier lieu, que le Parlement fédéral a compétence exclusive pour légiférer sur les entreprises relevant du droit fédéral, et, en second lieu, que les activités de transport de Allied satisfont aux critères prévus au paragraphe 92(10). En outre, la Cour suprême du Canada déclarait au paragraphe 20 de l’arrêt Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749, [1988] A.C.S. n° 41, que « cette compétence principale et exclusive empêche l’application à ces entreprises des lois provinciales sur les relations de travail et les conditions de travail ou d’emploi ».
[15] Compte tenu de ce qui précède, le demandeur affirme que, s’agissant de l’appel ‑ relatif à un recouvrement de salaire ‑ visé en l’espèce, c’est le Code canadien du travail qui s’applique et non les lois provinciales régissant les relations de travail.
[16] Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de l’arbitre ou, subsidiairement, modifiant ladite décision de telle sorte qu’il ne puisse être tenu compte de l’article 19 du Code des normes d’emploi du Manitoba dans l’appel relatif au recouvrement de salaire.
Le défendeur, M. Schwark
[17] Monsieur Schwark fait observer que des documents citant à la fois les dispositions fédérales et les dispositions provinciales sur le travail ont été versés en preuve. Il ajoute que, au moment de rédiger la décision préliminaire de conformité et l’avis de plainte non fondée, l’inspectrice, Mme Lawson, avait négligé de renvoyer à l’article 169 du Code et au paragraphe 19(1) du Code des normes d’emploi du Manitoba, malgré qu’elle se soit fondée sur les lois provinciales pour statuer sur la plainte.
[18] Monsieur Schwark soutient que le contrat de travail, auquel étaient parties M. Schwark, Allied et la CAT, a été modifié à son insu ou sans son consentement afin d’être rendu conforme aux dispositions du Code des normes d’emploi du Manitoba se rapportant aux heures de travail.
[19] Si la Cour devait conclure que l’arbitre a commis une erreur en disant que le directeur devait tenir compte notamment de l’article 19 du Code des normes d’emploi du Manitoba pour rendre une nouvelle décision , M. Schwark prie la Cour de modifier la décision de l’arbitre au lieu de l’annuler, étant donné que l’arbitre s’est donné beaucoup de peine pour [TRADUCTION] « démêler toutes les affirmations inexactes et les demi-vérités de Allied Systems ».
ANALYSE
[20] La Cour a été informée durant l’audience que le différend à l’origine de la présente demande a été réglé à la satisfaction de toutes les parties, de la manière suivante :
a) M. Schwark a conclu un règlement, dont les modalités l’obligent à abandonner ses poursuites contre Allied;
b) M. Schwark est d’avis qu’il n’y a pas lieu de débattre davantage la question puisque la demande est aujourd’hui théorique dans son intégralité;
c) M. Schwark s’est engagé à déposer un avis de retrait de sa plainte initiale et il en remettra un exemplaire prochainement au demandeur;
d) le demandeur reconnaît que la demande est maintenant théorique et il s’est engagé à déposer un avis de désistement de la présente demande devant la Cour fédérale, dès réception de l’avis de retrait de la plainte de M. Schwark;
e) Allied Systems (Canada) Company a fait savoir à la Cour, par l’entremise de l’avocate du demandeur, qu’elle acquiesce à ce résultat, et l’avocate du demandeur s’est engagée à déposer au dossier de la Cour un exemplaire de la confirmation écrite d’Allied Systems (Canada) Company en ce sens.
[21] Compte tenu de ce changement important dans les circonstances, la Cour convient avec les parties que cette demande est maintenant théorique.
LA COUR ORDONNE :
1. La demande est rejetée en raison de sa nature théorique.
2. Il ne sera pas adjugé de dépens.
« James Russell »
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-901-10
INTITULÉ : LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
c. ALAN SCHWARK et
ALLIED SYSTEMS (CANADA) COMPANY
LIEU DE L’AUDIENCE : Winnipeg (Manitoba)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 22 février 2011
MOTIFS DU JUGEMENT Le juge Russell
ET JUGEMENT :
DATE DES MOTIFS : Le 22 février 2011
COMPARUTIONS :
Christine Singh
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POUR LE DEMANDEUR |
Alan Schwark Allied Systems (Canada) Company |
POUR LES DÉFENDEURS |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Winnipeg (Manitoba) |
POUR LE DEMANDEUR |
Alan Schwark (agissant pour son propre compte) Winnipeg (Manitoba) |
POUR LE DÉFENDEUR, ALAN SCHWARK |
Hyde Legal Professional Corporation Mississauga (Ontario) |
POUR LA DÉFENDERESSE, ALLIED SYSTEMS (CANADA) COMPANY |