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Federal Court

 

Cour fédérale

 


Date : 20110317

Dossier : IMM-2982-10

Référence : 2011 CF 320

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2011

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

 

ENTRE :

 

FRANCISCO JAVIER LUNA

(alias FRANCISCO JAVIE LUNA)

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DEL A CITOYENNETÉ ET DE

L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

[1]               M. Francisco Javier Luna s’est enfui du Mexique en 2008 et a présenté une demande d’asile au Canada, disant craindre des représailles de la part des cartels de narcotrafiquants. Il avait signalé aux autorités le trafic de stupéfiants qui se pratiquait aux abords du bar où il travaillait. Des trafiquants ont été arrêtés après son départ du Mexique pour une visite à sa sœur au Canada. Il affirme qu’ils s’en prendront à lui s’il retourne dans son pays.

 

[2]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande au motif qu’il n’avait pas démontré qu’il ne pouvait se prévaloir de la protection de l’État au Mexique. M. Luna soutient que la Commission a commis des erreurs de fait et qu’elle a omis de tenir compte d’éléments de preuve importants se rapportant à la question de la protection de l’État. Il me demande d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. Je conviens avec lui que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle à l’égard de la question de la protection étatique. Sa demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

 

II.         Contexte factuel

 

[3]               M. Luna travaillait dans un bar de la ville de Juarez, où les cartels de narcotrafiquants et les groupes qui y sont liés sévissent avec violence. Un membre du cartel de Juarez, Sergio Castro, soupçonnait M. Luna de renseigner les autorités au sujet des membres du cartel et de leurs activités. De fait, avant de partir du Mexique, M. Luna avait, dans un appel anonyme aux autorités, décrit le commerce de stupéfiants qui se pratiquait dans le bar où il travaillait. Il semble que l’armée ait agi sur la foi de ces renseignements et qu’elle ait arrêté des trafiquants. Plus tard, M. Luna a appris que M. Castro le cherchait. Il craint que ce dernier le mette à mal s’il retourne au Mexique.

III.       La décision de la Commission

[4]               Suivant la Commission, la principale question soulevée par la demande de M. Luna était celle de la protection de l’État, mais avant de l’examiner elle a commis deux erreurs factuelles évidentes. Elle a d’abord indiqué que M. Luna venait de la ville de Jujuzi dans l’État de Chiguaga, au lieu de la ville de Juarez dans l’État de Chihuahua. Ensuite, elle a uniquement indiqué qu’il craignait le cartel des Aztecas, alors que M. Luna avait désigné ce cartel et celui de Juarez dans son témoignage. La Commission n’a pas mentionné le cartel de Juarez dans ses motifs.

 

[5]               La Commission a poursuivi en examinant la situation au Mexique en général. Elle a mentionné que ce pays :

·        est une démocratie (ce qui alourdit le fardeau de démontrer l’absence de protection de l’État pesant sur le demandeur);

·        est maître de son territoire;

·        dispose de forces de sécurité et déploie de sérieux efforts pour réprimer la criminalité, notamment le trafic de stupéfiants, et la corruption;

·        est aux prises avec des problèmes de criminalité, de corruption et d’inefficacité, mais s’emploie à y remédier.

[6]               La Commission a aussi mentionné que les autorités mexicaines ont donné suite à l’appel anonyme de M. Luna, ce qui démontre que les citoyens qui le demandent peuvent obtenir la protection de l’État.

 

IV.       La Commission a‑t‑elle commis une erreur sur la question de la protection de l’État?

 

[7]               M. Luna soutient que la Commission a commis de graves erreurs de fait et qu’elle a omis de tenir compte d’importants éléments de preuve en analysant la question de la protection de l’État. En raison des interrelations entre ces questions, je les examinerai ensemble.

[8]               La Commission n’a pas bien situé l’endroit où vivait M. Luna et elle n’a pas identifié correctement l’agent de persécution. La seconde erreur n’est pas aussi flagrante que la première car M. Luna a fait mention des Aztecas dans son témoignage et les a liés à la principale organisation qu’il craignait – le cartel de Juarez.

[9]               Dans les circonstances, les erreurs de la Commission l’ont tout de même amenée à ne pas tenir compte d’éléments de preuve se rapportant à la ville de Juarez et à la capacité des autorités de protéger les citoyens contre lesquels le cartel de Juarez cherchait à exercer des représailles. Au lieu de cela, la Commission s’est principalement appuyée sur des éléments de preuve de nature générale concernant l’état des institutions mexicaines et sur des exemples de réels efforts de la part des autorités pour contrer le crime et la corruption. Un seul exemple d’action étatique était pertinent pour la situation de M. Luna – la réaction à son appel anonyme – mais il n’était pas d’un grand secours pour déterminer si les représentants de l’État pouvait protéger une personne que les cartels de narcotrafiquants soupçonnaient d’être un informateur.

[10]           Il s’ensuit que l’analyse de la Commission n’a pas porté sur la situation particulière de M. Luna – où il vivait, qui il craignait et vers quelle institution de l’État il pouvait se tourner à cet endroit pour être protégé de cet agent de persécution particulier. Elle n’a donc pas pris en considération des éléments de preuve dont elle disposait et qui se rapportaient à ces points, en sorte qu’elle ne s’est pas acquittée de son obligation d’examiner la demande particulière dont elle était saisie : Medina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 728; Moreno c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 993; Velasquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1201.

[11]           À mon avis, la décision de la Commission est déraisonnable. Elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

V.                 Conclusion et dispositif

 

[12]           La Commission a erré dans son analyse de la protection de l’État et a formulé une conclusion déraisonnable parce qu’elle n’a pas pris en compte la situation particulière de M. Luna. Il me faut donc accueillir la demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a soumis de question pour certification, et aucune question ne sera énoncée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée devant la Commission afin d’être entendue de nouveau par un tribunal différemment constitué.

2.                  Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                         IMM-2982-10

 

INTITULÉ :                                        LUNA c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 18 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 mars 2011

 

 

Comparutions :

 

Patricia Wells

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Tamrat Geheyehu

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patricia Wells

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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