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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date: 20110210

Dossier : IMM-4452-10

Référence : 2011 CF 157

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE NON-RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er février 2011

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

AHMAD MOUMIVAND

 

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par Ahmad Moumivand, de la décision du 25 avril 2010, par laquelle un agent d’immigration de Damas en Syrie a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur et de sa famille au titre de la catégorie des candidats des provinces et a refusé de réexaminer cette demande. La juge Mosley a autorisé le contrôle judiciaire le 5 novembre 2010. Est en cause en l’espèce l’étendue de l’obligation d’équité procédurale dont l’agent doit s’acquitter, lorsqu’il traite une demande considérée incomplète. Le demandeur sollicite plus précisément le contrôle de la décision de l’agent de ne pas rouvrir le dossier, après le prononcé de sa décision.

 

Les faits

[2]               Le demandeur a été désigné candidat de la province de l’Île-du-Prince-Édouard, le 27 août 2008, sous réserve de l’obtention d’un visa et de l’exécution des conditions d’investissement. Il a effectué les paiements nécessaires, investissant 200 000 $ dans une entreprise canadienne, fournissant 25 000 $ dans les coffres de la province à titre de dépôt de bonne foi, ainsi qu’un autre dépôt de bonne foi de 20 000 $ visant l’amélioration de ses compétences linguistiques. Dès qu’il a reçu le certificat de désignation, le consultant en immigration du demandeur, Hamid Naimi (M. Naimi), a présenté une demande de résidence permanente au nom du demandeur et de sa famille.

 

[3]               Au fil de son évaluation de la demande de résidence permanente, l’agent chargé du dossier s’est rendu compte que les incohérences et les omissions devaient être justifiées au moyen d’autres renseignements. Le 3 février 2010, l’agent a fait parvenir une lettre à M. Naimi afin d’obtenir ces explications, lettre dans laquelle il lui demandait une dizaine de documents ou suivis, dont des certificats de police iranien et indien concernant le fils du demandeur. La lettre mentionnait aussi : [TRADUCTION] « Veuillez s’il-vous-plaît rassembler ces documents et TOUS me les transmettre en même temps, dans un seul envoi. N’envoyez pas les documents un par un. » (En gras et souligné dans l’original.) On lui demandait également dans la lettre de répondre à ces demandes dans les 60 jours, sans quoi la demande serait évaluée sur le fond, sans les documents demandés.

 

[4]               Le 25 avril 2010, soit environ 21 jours après l’échéance des 60 jours, l’agent n’avait toujours rien reçu. La demande de résidence permanente a donc été rejetée au fond.

 

[5]               Le 24 mai 2010, M. Naimi a envoyé une lettre à l’agent dans laquelle il demandait la réouverture du dossier. Il a expliqué qu’il avait rassemblé la plupart des documents demandés, à l’exception des certificats de police. Monsieur Naimi a précisé qu’il avait fait la demande pour obtenir les certificats de police, [TRADUCTION] « immédiatement après » que l’agent les lui ai demandés, mais qu’il ne les avait toujours pas reçus. Le demandeur réclamait un délai supplémentaire de 30 à 60 jours pour la réception des documents. Monsieur Naimi a souligné également qu’il n’avait encore rien envoyé parce qu’on lui avait demandé de transmettre les documents dans un seul envoi.

 

[6]               L’agent des visas a reçu la lettre demandant la réouverture du dossier le 8 juin 2010. Le lendemain, l’agent y a répondu par une lettre expliquant que la période d’envoi des documents était échue et que la demande avait été rejetée au fond. Il a aussi précisé que M. Naimi pouvait soumettre une autre demande s’il désirait obtenir plus d’information.

 

[7]               À la suite de la décision de ne pas rouvrir le dossier, M. Naimi a envoyé une lettre en date du 12 juillet 2010 dans laquelle il demandait à nouveau la réouverture du dossier et avançait qu’il y avait eu manquement à l'équité procédurale, en plus de mentionner des précédents dans lesquels les dossiers avaient fait l’objet d’une réouverture.

 

[8]                En somme, l’agent a rejeté la demande au fond, 81 jours après l’envoi de la lettre demandant de l’information supplémentaire. Par l’entremise de son consultant en immigration, le demandeur a répondu près d’un mois après qu’ait été rendue la décision si l’on se fie aux dates inscrites sur les lettres. Dans sa réponse, le demandeur mentionnait que les documents requis avaient été réunis, à l’exception des certificats de police. Cette réponse est survenue près de quatre (4) mois après la demande d’information et près d’un mois après la décision. Il demandait aussi dans cette réponse un délai supplémentaire de 30 à 60 jours. Si l’agent avait accepté cette demande, les documents lui auraient été transmis environ cinq (5) mois, au mieux, après qu’on les lui ait demandés la première fois.

 

Prétentions des parties

[9]               Le consultant en immigration du demandeur a volontiers reconnu avoir commis des erreurs en rédigeant son affidavit. Il s’est déclaré entièrement responsable des retards et du non-respect du délai de 60 jours ajoutant qu’il n’en avait pas informé son client, lequel ne devrait pas être pénalisé à cause de lui. Selon le demandeur, l’agent avait l’obligation de rouvrir le dossier, comme l’exige l’intérêt de la justice. Dans l’éventualité où la Cour décidait que l’agent n’est pas tenu de rouvrir le dossier, le demandeur allègue que son consultant en immigration ayant omis de demander un délai supplémentaire, il ne devrait pas être pénalisé à cause des erreurs de son consultant. Monsieur Naimi a supposé à tort que le délai de 60 jours n’était pas un délai de rigueur. Il affirme que ce type de délai est, selon son expérience personnelle, rarement respecté, et que c’est pourquoi il avait agi ainsi. L’agent n’a toutefois jamais reçu cette information. En bref, le demandeur affirme que les questions en litige portent sur l’équité procédurale.

 

[10]           Le défendeur fait valoir que la décision de rouvrir le dossier est discrétionnaire et que la Cour de révision ne devrait pas la modifier. De plus, il affirme que le demandeur était légalement tenu de présenter tous les documents pertinents, ce qu’il n’a pas fait. Le demandeur n’a pas demandé un délai supplémentaire et n’a pas mentionné que son consultant avait tenu pour acquis que le délai ne serait pas appliqué rigoureusement. La décision de l’agent de ne pas rouvrir le dossier était raisonnable et le demandeur est lié par la faute commise par son consultant. L’agent n’avait pas l’obligation de rouvrir le dossier ou d’accorder un délai supplémentaire. Le défendeur soutient en outre que la demande de réouverture n’a pas été faite en temps opportun.

 

Question à examiner et norme de contrôle applicable

[11]           La question à examiner est la suivante : l’agent des visas a-t-il raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a refusé de rouvrir le dossier? Cette question, pouvant être considérée comme étant au cœur même du mandat et du pouvoir discrétionnaire de l’agent, pourrait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Kurukkal, 2010 CAF 230). Comme il est mentionné dans Kheiri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2000 CanLII 15933 (C.F.), au paragraphe 8 : « J'estime qu'il est loisible à un agent des visas, dans des circonstances exceptionnelles, de reprendre l'audition relative à l'obtention d'un visa pour en proroger la période de validité lorsqu'il y va de l'intérêt de la justice. »

 

[12]           Toutefois, la Cour a estimé ─ dans le cadre d’autres procédures en matières d’immigration, il est vrai ─ que des questions similaires touchent à l’équité procédurale, emportant ainsi l’application de la norme de la décision correcte et, par souci de courtoisie judiciaire, j’en ferai autant (Sharma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 786; Khan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1312; Malik c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1283). Ainsi, la décision concernant la réouverture du dossier sera examinée selon la norme de la décision correcte, laquelle ne requiert aucune déférence.

 

Analyse

[13]           La décision de l’agent des visas était bien fondée et raisonnable dans les circonstances.

 

[14]           Comme le demandeur l’a lui-même admis, son consultant en immigration a omis de l’informer du délai de 60 jours applicable à la présentation des documents. Le conseil du demandeur a fait valoir que le consultant a cru à tort que le délai de 60 jours n’était pas un délai de rigueur, mais ce dernier ne l’a pas mentionné dans la lettre visant la réouverture du dossier. Quoi qu’il en soit, la chronologie des faits démontre que la décision a  été prise 21 jours après l’échéance du délai de 60 jours, ce qui indique que l’agent avait une certaine latitude. N’ayant reçu aucune réponse de la part du demandeur, l’agent a évalué le dossier sur le fond, comme le précisait la lettre de demande d’information supplémentaire. Il convient de souligner que le demandeur n’a joint aucun document à sa demande de réouverture du dossier. Qui plus est, il a demandé un délai supplémentaire pour obtenir les documents qui lui auraient manqué à ce moment-là.

 

[15]           Tout d’abord, il importe de souligner qu’un demandeur est lié par les erreurs de son conseil (Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 379). De plus, la Cour souligne qu’il ne s’agit pas d’une faute d’omission, mais d’une faute de commission : le consultant a effectivement agi, mais il n’a tout simplement pas diligemment prévenu son client des délais à respecter pour l’obtention des documents. Qui plus est, il est impossible d’affirmer que la demande aurait été accueillie si le conseil du demandeur n’avait pas commis l’erreur de ne pas l’informer du délai de 60 jours. Le demandeur n’a effectivement remis aucun autre document, pas même au soutien de sa demande visant à faire rouvrir le dossier. Non seulement ces documents n’ont-ils pas été fournis, mais une demande de délai supplémentaire a été présentée. Compte tenu de ces faits, la Cour souligne les commentaires suivants, tirés de Radji c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 100, au paragraphe 32 :

Le critère utilisé pour établir l'incompétence d'un avocat est très élevé. Il faut démontrer qu'il est raisonnablement probable que, n'eût été les erreurs commises par l'avocat par manque de professionnalisme, l'issue de l'instance aurait été différente.

 

[16]           Dans ces circonstances, comme le demandeur et son consultant ont eu à maintes reprises l’occasion de réparer leur erreur (c’est-à-dire 21 jours s’étaient écoulés depuis l’échéance et des documents au soutien de la demande visant à rouvrir le dossier auraient pu être présentés), le demandeur n’a pas répondu à l’exigence minimale qui lui aurait permis de racheter la faute de son conseil. Ainsi, le motif qu’il invoque pour infirmer la décision de l’agent ne saurait être retenu.

 

[17]           La jurisprudence est claire à propos des exigences nécessaires à la réouverture d’un dossier : Kheiri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2000 CanLII 15933, au paragraphe 8 : « J'estime qu'il est loisible à un agent des visas, dans des circonstances exceptionnelles, de reprendre l'audition relative à l'obtention d'un visa pour en proroger la période de validité lorsqu'il y va de l'intérêt de la justice. » En l’espèce, l’agent ne semble pas avoir été convaincu que l’intérêt de la justice était en jeu, ni qu’il était en présence de circonstances exceptionnelles. À l’évidence, l’agent n’était pas très sensible aux explications du demandeur et à ses retards dans l’envoi de l’information. Il a exercé son pouvoir discrétionnaire. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale et la décision de ne pas rouvrir le dossier ne devrait pas surprendre, surtout étant donné que le demandeur n’a pas envoyé les autres documents qu’il avait. Il a plutôt demandé un délai supplémentaire. L’agent a donc eu raison de dire au demandeur de présenter une nouvelle demande : il n’avait pas répondu à l’exigence prévue au paragraphe 16(1) de la LIPR, soit la présentation de tous les documents pertinents.

 

[18]           L’intérêt public et les conséquences pouvant découler d’un renvoi d’un dossier pour nouvelle décision ont peut-être joué un rôle dans certains dossiers (voir par exemple, Sharma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 786, au paragraphe 7). En l’espèce, les questions d’intérêt public sont d’une autre nature : la célérité et la fiabilité que requiert l’économie de la LIPR. L’équité procédurale a certainement des limites, comme nous l’avons vu en l’espèce. L’obligation de l’agent des visas de traiter les demandes incomplètes est restreinte et elle a été exécutée en l’espèce (voir, notamment, Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1998) 152 FTR 316; Malik c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1283; Trivedi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 422. Vu qu’aucun document nécessaire n’a été transmis avec la demande de réouverture du dossier et vu la demande de délai supplémentaire qu’elle comportait, la décision de ne pas rouvrir le dossier et d’exiger que le demandeur présente une autre demande était bien fondée. L’obligation de fournir à l’agent des visas tous les documents conformément au paragraphe 16(1) de la LIPR constitue le corollaire nécessaire des moyens qu’est tenu de prendre le demandeur pour immigrer au Canada.

 

[19]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[20]           Le demandeur a demandé que la question suivante soit certifiée : L’équité procédurale exige-t-elle la réouverture et le réexamen d’une demande de résidence permanente qui a été refusée, si l’intérêt de la justice l’exige? Le défendeur s'oppose à la certification de cette question.

 

[21]           La Cour ne certifiera pas cette question. Notre Cour d’appel a récemment établi des principes dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Kurukkal, 2010 CAF 230. Également, l’analyse de la question que la Cour devait trancher en l’espèce montre que la jurisprudence a reconnu que l’agent avait un pouvoir discrétionnaire et elle a décrit comment il devait être exercé dans ses nombreuses affaires. De plus, pour savoir si l’agent a bien exercé son pouvoir discrétionnaire de rouvrir le dossier, il faut examiner les faits et chaque cas est un cas d’espèce. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la Cour s’inspire des principes établis par la Cour d’appel pour arrêter sa décision.  

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1          La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Brisebois


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                         IMM-4452-10

 

INTITULÉ :                                        AHMAD MOUMIVAND

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 3 FÉVRIER 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 10 FÉVRIER 2011

 

 

 

COMPARUTIONS

 

Gabriel Chand

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Caroline Christiaens

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Chand & Company Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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