Cour fédérale |
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Federal Court |
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 15 mars 2011
En présence de monsieur le juge Scott
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de David Manicom, gestionnaire du Programme d’immigration (le gestionnaire), du Haut‑Commissariat du Canada, présentée par Mohammad Anis Noor (le demandeur) en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi). M. Manicom a rejeté la requête du demandeur en réexamen de la décision défavorable qui portait sur sa demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (Fédéral). L’autorisation de contrôle judiciaire pour ce dossier a été accordée le 10 novembre 2010 par le juge Near.
I. Les faits
[2] Le demandeur est un citoyen de l’Inde, né à Mumbai le 3 janvier 1956. Sa demande de résidence permanente au Canada comprenait aussi son épouse, Noorjehan Noor, et leurs trois (3) garçons (nés en 1985, 1988 et 1989). Le demandeur a présenté sa demande dans la catégorie des travailleurs qualifiés (Fédéral) à titre de directeur des services financiers. La sœur du demandeur, Nadira Gopalani, est une citoyenne canadienne et habite au Canada depuis 2002.
[3] Le demandeur soutient qu’alors qu’il préparait sa demande en avril 2008, il a imprimé la trousse d’instructions spécifiques du Bureau des visas pour New Delhi, datée d’août 2008 (la trousse 08‑2008), sur Internet. Sous le critère « capacité d’adaptation », au sujet des points accordés pour la présence d’un parent au Canada, la trousse 08‑2008 présentait les exigences suivantes quant à la documentation :
a) Preuve de la parenté avec vos proches parents au Canada, comme des certificats de naissance, d’adoption ou de mariage;
b) Si votre proche parent est résident permanent du Canada : une photocopie du visa d’immigrant (IMM 1000), du visa de résident permanent ou de la carte de résident permanent;
c) Si votre proche parent est citoyen canadien : preuve de citoyenneté canadienne, comme une photocopie du passeport canadien ou de la carte de citoyenneté canadienne.
[4] À une date non précisée en avril 2009, une nouvelle trousse d’instructions spécifiques du Bureau des visas pour New Delhi (la trousse 04‑2009) a été affichée sur Internet. Les nouvelles exigences pour prouver qu’un proche habite au Canada comprenaient désormais les points suivants, en plus des exigences précédentes :
Les documents soumis comme preuve de résidence au Canada doivent être émis au cours des (6) derniers mois. Exemples de documents :
a) avis de cotisation d’impôt sur le revenu (Agence du revenu du Canada) pour votre parenté,
b) factures de téléphone,
a. relevés de carte de crédit,
b. documents d’emploi, et/ou
c. relevés bancaires.
[5] Il a fallu plusieurs mois au demandeur pour préparer les formulaires principaux pour la demande de sa famille, puis il les a présentés au Bureau de réception centralisée de Sydney (Nouvelle‑Écosse) le 10 juin 2009. Dans un courriel envoyé le 28 juillet 2009, le Bureau de réception centralisée a informé le demandeur que sa demande était admissible et qu’il devait présenter une demande complète avec des documents supplémentaires. Dans le courriel, on recommandait au demandeur de consulter la trousse d’instructions spécifiques du Bureau des visas sur le site Web de Citoyenneté et Immigration Canada pour obtenir plus de renseignements au sujet des documents requis.
[6] Le demandeur soutient que, comme il avait déjà préparé tous les documents nécessaires pour sa demande (c’est‑à‑dire lorsqu’il a imprimé les anciennes instructions en mars), il a simplement regroupé tous ces documents et les a présentés le 11 septembre 2009. Il a inclus une copie de la liste de vérification de la trousse 08‑2008.
[7] Le 19 novembre 2009, le demandeur a reçu une décision défavorable. L’agent d’immigration désigné a informé le demandeur qu’il ne satisfaisait pas aux exigences pour la résidence permanente à titre de travailleur qualifié. Le demandeur avait reçu les points suivants : âge : 2 points; études : 25 points; compétence dans les langues officielles : 16 points; expérience : 21 points; emploi réservé : 0 point; capacité d’adaptation : 0 point, pour un total de 64 points. L’agent a noté que ce total ne satisfaisait pas à l’exigence minimale de 67 points. L’agent a aussi noté que le demandeur n’avait reçu aucun point pour la capacité d’adaptation, parce qu’il n’avait présenté aucun document prouvant que sa sœur habitait actuellement au Canada, bien qu’on ait demandé au demandeur de présenter des documents supplémentaires le 28 juillet.
[8] Le 21 décembre 2009, le demandeur a présenté une demande de réexamen de la décision. Il avait appris l’existence des changements aux exigences pour les documents et il a annexé à sa demande de réexamen des preuves supplémentaires de la résidence de sa sœur au Canada, y compris des bordereaux de paie qui montraient le nom de son employeur à Toronto, ainsi que des factures de services et de téléphone pour sa résidence à Toronto.
[9] Comme il n’a pas reçu de réponse, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour (IMM‑236‑10). On l’a ensuite avisé que sa demande de réexamen ne serait pas traitée tant que le contrôle judiciaire était en cours. Il a retiré sa demande de contrôle judiciaire. En raison d’une certaine confusion, CIC n’a pas été avisée de ce fait avant que l’avocat du demandeur l’informe le 30 avril 2010. La décision de réexamen a, par conséquent, été rendue le 6 mai 2010.
II. La décision faisant l’objet du présent contrôle
[10] La décision de réexamen se trouve aux pages 5 et 6 des notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI). M. Manicom note qu’il a vérifié auprès du webmestre de CIC et que la trousse 04‑2009 était bien affichée en ligne en avril 2009.
[11] M. Manicom note, dans la partie de sa décision qui a été envoyée au demandeur (qui se trouve aussi dans les notes du STIDI), que le demandeur avait annexé la trousse 08‑2008 à sa demande, mais que la trousse 04‑2009 était disponible en ligne depuis quelques mois lorsqu’il a présenté sa demande originale au Bureau de réception centralisée de Sydney, et cinq mois avant la présentation de sa demande complète en septembre 2009. Il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur utilise la trousse 04‑2009, qui précisait que des documents à l’appui de la résidence de sa sœur au Canada étaient nécessaires pour obtenir les cinq (5) points. Les documents au dossier comprenaient des copies de sa carte de citoyenneté et de son passeport, sa fiche d’établissement de 2001 et son certificat de naissance indien. Par conséquent, il n’y avait aucune erreur dans la décision originale.
[12] Le gestionnaire n’a pas mentionné les nouveaux documents que le demandeur avait présentés.
III. Les dispositions légales pertinentes
[13] Les parties pertinentes de la Loi sont les suivantes :
Terminologie
2. (2) Sauf disposition contraire de la présente loi, toute mention de celle-ci vaut également mention des règlements pris sous son régime.
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Act includes regulations
2. (2) Unless otherwise indicated, references in this Act to “this Act” include regulations made under it.
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Visa et documents
11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.
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Application before entering Canada
11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.
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Immigration économique
12. (2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.
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Economic immigration
12. (2) A foreign national may be selected as a member of the economic class on the basis of their ability to become economically established in Canada.
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Les articles suivants du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, sont aussi pertinents :
Catégorie
75. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada, qui sont des travailleurs qualifiés et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec.
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Class
75. (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the federal skilled worker class is hereby prescribed as a class of persons who are skilled workers and who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who intend to reside in a province other than the Province of Quebec.
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Critères de sélection
76. (1) Les critères ci-après indiquent que le travailleur qualifié peut réussir son établissement économique au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) :
a) le travailleur qualifié accumule le nombre minimum de points visé au paragraphe (2), au titre des facteurs suivants :
(i) les études, aux termes de l’article 78,
(ii) la compétence dans les langues officielles du Canada, aux termes de l’article 79,
(iii) l’expérience, aux termes de l’article 80,
(iv) l’âge, aux termes de l’article 81,
(v) l’exercice d’un emploi réservé, aux termes de l’article 82,
(vi) la capacité d’adaptation, aux termes de l’article 83;
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Selection criteria
76. (1) For the purpose of determining whether a skilled worker, as a member of the federal skilled worker class, will be able to become economically established in Canada, they must be assessed on the basis of the following criteria:
(a) the skilled worker must be awarded not less than the minimum number of required points referred to in subsection (2) on the basis of the following factors, namely,
(i) education, in accordance with section 78,
(ii) proficiency in the official languages of Canada, in accordance with section 79,
(iii) experience, in accordance with section 80,
(iv) age, in accordance with section 81,
(v) arranged employment, in accordance with section 82, and
(vi) adaptability, in accordance with section 83;
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Capacité d’adaptation (10 points)
83. (1) Un maximum de 10 points d’appréciation sont attribués au travailleur qualifié au titre de la capacité d’adaptation pour toute combinaison des éléments ci-après, selon le nombre indiqué : […]
d) pour la présence au Canada de l’une ou l’autre des personnes visées au paragraphe (5), 5 points;
[…]
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Adaptability (10 points)
83. (1) A maximum of 10 points for adaptability shall be awarded to a skilled worker on the basis of any combination of the following elements:
[…]
(d) for being related to a person living in Canada who is described in subsection (5), 5 points; and […]
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Parenté au Canada
83. (5) Pour l’application de l’alinéa (1)d), le travailleur qualifié obtient 5 points dans les cas suivants :
a) l’une des personnes ci-après qui est un citoyen canadien ou un résident permanent et qui vit au Canada lui est unie par les liens du sang ou de l’adoption ou par mariage ou union de fait ou, dans le cas où il l’accompagne, est ainsi unie à son époux ou conjoint de fait :
(i) l’un de leurs parents,
(ii) l’un des parents de leurs parents,
(iii) leur enfant,
(iv) un enfant de leur enfant,
(v) un enfant de l’un de leurs parents,
(vi) un enfant de l’un des parents de l’un de leurs parents, autre que l’un de leurs parents,
(vii) un enfant de l’enfant de l’un de leurs parents;
b) son époux ou conjoint de fait ne l’accompagne pas et est citoyen canadien ou un résident permanent qui vit au Canada.
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Family relationships in Canada
83. (5) For the purposes of paragraph (1)(d), a skilled worker shall be awarded 5 points if (a) the skilled worker or the skilled worker's accompanying spouse or accompanying common-law partner is related by blood, marriage, common-law partnership or adoption to a person who is a Canadian citizen or permanent resident living in Canada and who is
(i) their father or mother,
(ii) the father or mother of their father or mother,
(iii) their child,
(iv) a child of their child,
(v) a child of their father or mother,
(vi) a child of the father or mother of their father or mother, other than their father or mother, or
(vii) a child of the child of their father or mother; or
(b) the skilled worker has a spouse or common-law partner who is not accompanying the skilled worker and is a Canadian citizen or permanent resident living in Canada.
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IV. Les questions en litige et la norme de contrôle
[14] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :
A. Le gestionnaire du Programme de l’immigration a‑t‑il entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne tenant pas compte de la preuve du demandeur au sujet de l’établissement de sa sœur au Canada et en maintenant la décision de l’agent d’immigration de rejeter sa demande de résidence permanente sans tenir compte de cette preuve?
B. Compte tenu des circonstances uniques en l’espèce, y a‑t‑il eu manquement aux droits du demandeur à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas eu l’occasion de présenter des preuves de l’établissement de sa sœur au Canada, compte tenu du fait que le Bureau des visas avait récemment modifié ses exigences à ce sujet?
[15] Les parties s’entendent au sujet du fait que la première question doit être contrôlée selon la raisonnabilité, en application de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47. Le demandeur note que l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les cours fédérales permet à la Cour d’intervenir lorsque le décideur a tiré des conclusions de fait sans tenir compte de la preuve dont il était saisi, et il cite les décisions Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, aux paragraphes 17 et 27, et Risco-Flores c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1412, au paragraphe 6.
[16] La deuxième question, qui en est une d’équité procédurale, doit être contrôlée selon la décision correcte. Le défendeur cite les décisions Lak c. Canada (MCI), 2007 CF 350, et Jonas c. Canada (MCI), 2006 CF 398, au paragraphe 9, à l’appui de la proposition selon laquelle un manquement à l’équité procédurale doit, en soi, entraîner l’annulation d’une décision, même si le résultat aurait été le même s’il n’y avait pas eu ce manquement.
V. Analyse
A. Le gestionnaire du Programme d’immigration a‑t‑il entravé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable?
[17] Le demandeur note d’abord que la Loi, le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés et le guide de traitement des demandes à l’étranger de CIC, OP6 : Travailleurs qualifiés – Fédéral et son guide d’instruction, Demande de résidence permanent, Travailleurs qualifiés – Fédéral, ne précisent pas quel type de preuve est nécessaire pour établir qu’un proche habite au Canada. Le seul endroit où les exigences en matière de documents sont établies sont les instructions spécifiques du Bureau des visas pour New Delhi qui se trouvent en ligne.
[18] Le demandeur note que s’il avait été en mesure de prouver que sa sœur habite au Canada, il aurait reçu cinq (5) points dans la catégorie de la capacité d’adaptation. Cela lui aurait donné un total de 69 points et il aurait pu obtenir la résidence permanente. Les documents au sujet de l’établissement de sa sœur étaient par conséquent très importants pour son dossier et ils auraient dû être appréciés lors du réexamen de la demande. Le demandeur note que, dans sa demande de réexamen, il avait expliqué pourquoi il n’avait pas été au courant des changements dans les exigences en matière de documents (c’est‑à‑dire la nature récente des changements et le manque de publicité au sujet de ces changements), et qu’il avait annexé les nouveaux documents qui, selon la trousse 04‑2009, devaient être suffisants pour prouver l’établissement de sa sœur.
[19] Le demandeur soutient que le gestionnaire du Programme d’immigration avait la compétence d’examiner cette nouvelle [traduction] « preuve », et qu’il a omis d’exercer sa compétence lorsqu’il n’en a pas tenu compte. Le demandeur cite la décision, dans laquelle il était écrit : [traduction] « [les] documents au dossier, que j’ai examinés, ne comprennent aucun élément qui démontre l’établissement au Canada ». Le gestionnaire ne s’est pas déclaré dessaisi, puisqu’il a réexaminé le dossier; il a donc soit commis une erreur en refusant d’apprécier la nouvelle preuve, soit commis une erreur en omettant de l’apprécier. Le demandeur soutient que le gestionnaire avait la compétence pour apprécier la nouvelle preuve et il cite la décision Chan c. Canada (MCI), [1996] 3 CF 349 (CF 1re inst.), au paragraphe 28, dans laquelle le juge Cullen a écrit :
Je crois plutôt que l'agent des visas a la compétence nécessaire pour reconsidérer ses décisions, particulièrement lorsque de nouveaux renseignements sont connus […] Si les nouveaux renseignements étaient convaincants, je ne doute pas que l'agent des visas aurait la compétence nécessaire pour rendre une nouvelle décision qui accorderait le visa.
[20] Dans la décision Nouranidoust c. Canada (MCI), [2000] 1 C.F. 123, la juge Reed a déclaré au paragraphe 24 : « Il est clair que les agents d’immigration et les agents des visas, dans la pratique, réexaminent souvent leurs décisions sur la base de nouvelles preuves. » Le demandeur se fonde aussi sur la décision Kurukkal c. Canada (MCI), 2009 CF 695, qui portait sur le refus d’un agent d’immigration de réexaminer une décision défavorable après que le demandeur ait soumis un certificat de décès au sujet de son épouse, en réaction à une décision défavorable fondée sur son défaut de fournir ce document lorsque l’agent le lui avait demandé. Au paragraphe 71 de la décision, après avoir résumé la jurisprudence, la juge Mactavish a déclaré :
Cependant, il ne s’ensuit pas de ce qui précède qu’un agent ne peut jamais examiner des renseignements supplémentaires fournis par un demandeur après que la décision CH initiale a été rendue. Ces décisions appuient plutôt simplement la proposition selon laquelle un agent d’immigration qui apprécie une demande CH n’est pas tenu de retourner au demandeur pour dénicher des renseignements supplémentaires à l’appui de la demande, lorsque le demandeur même n’a pas fourni ces renseignements.
[21] Le demandeur soutient que le raisonnement de la décision Kurukkal a été adopté dans le contexte d’une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (Fédéral) dans la décision Malik c. Canada (MCI), 2009 CF 1283, au paragraphe 41. Le demandeur soutient que, par conséquent, le gestionnaire avait non seulement le pouvoir d’apprécier la nouvelle preuve, mais aussi l’obligation de le faire, puisqu’il y avait une question grave en cause. Le demandeur cite la décision Cepeda‑Gutierrez, précitée, au paragraphe 17 :
[Plus] la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » .
[22] Dans son mémoire additionnel, le demandeur traite des conclusions de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kurukkal, 2010 CAF 230, où il a été conclu que les agents des visas ont en effet le pouvoir discrétionnaire de réexaminer une décision et que le principe de functus officio ne s’applique pas. Le demandeur répète que le gestionnaire a omis d’exercer son pouvoir discrétionnaire en refusant d’apprécier la nouvelle preuve, et que par conséquent, il n’avait pas été réceptif à la demande de réexamen. Le demandeur note que, dans sa demande, il avait clairement expliqué sa situation et il avait ajouté des nouveaux documents, mais il note que le gestionnaire a examiné le dossier tel qu’il était au moment de sa présentation originale, ce qui était totalement inutile, puisque le demandeur a déclaré dès le départ dans sa demande qu’il n’avait pas présenté les documents auparavant.
[23] Le demandeur note que M. Manicom a déclaré en contre‑interrogatoire que les changements à la trousse d’instruction n’avaient pas été publicisés de quelque façon que ce soit (transcription, page 15). Il a aussi déclaré qu’il était d’avis que son pouvoir se restreignait à l’appréciation des documents d’origine (pages 7 et 8) et qu’il a conclu qu’il n’y avait [traduction] « aucune raison d’apprécier les nouveaux documents » parce que [traduction] « le dossier était clos » (pages 12 et 13). Il a explicitement écarté la possibilité d’apprécier les documents présentés après que la décision eut été rendue, parce qu’il estimait que [traduction] « le système de traitement des visas à l’étranger ne serait plus fonctionnel » si des documents étaient acceptés de façon tardive (page 13). Le demandeur soutient que le pouvoir discrétionnaire du gestionnaire a perdu toute signification, parce que ce dernier était d’avis que de nouveaux documents ne devaient pas être appréciés dans le contexte d’une demande de réexamen (page 9). Le demandeur se fonde à nouveau sur les décisions Chan, Nouranidoust, Kurukkal (C.F. 1re inst.) et Malik. Le demandeur cite le paragraphe 23 de la décision Nouranidoust :
L'agent d'immigration a entrepris un réexamen de la demande d'établissement mais, pour une quelconque raison, il n'a pas tenu compte de la nouvelle preuve qui lui était présentée comme fondement de la demande de réexamen. En conséquence, la décision doit être annulée à moins que l'agent d'immigration n'ait pas le pouvoir d'entreprendre le réexamen.
[24] Le défendeur répond que le gestionnaire n’a pas omis d’exercer son pouvoir discrétionnaire lors du réexamen et qu’il a en effet réexaminé le dossier, mais qu’il n’a trouvé aucun manquement à l’équité procédurale dans la décision originale rejetant la demande, et par conséquent, il a refusé de rouvrir le dossier d’origine. Le défendeur cite aussi l’arrêt Kurukkal (CAF) et la décision Malik.
[25] Le défendeur cite le paragraphe 5 de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Kurukkal, et il soutient que l’obligation du décideur est de déterminer, selon toutes les circonstances pertinentes, s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire de réexamen. Le défendeur soutient que c’est ce qui a été fait en l’espèce et que le gestionnaire a décidé de ne pas rouvrir le dossier. Le demandeur avait la responsabilité de présenter les documents requis, et il ne l’a pas fait. La solution serait donc pour le demandeur de présenter une nouvelle demande de résidence permanente.
[26] Dans l’arrêt Kurukkal, la juge Layden‑Stevenson a conclu au paragraphe 5 :
La juge a ordonné à l’agent d’immigration de tenir compte d’un nouvel élément de preuve et de déterminer le poids à y accorder, le cas échéant. À notre avis, cette directive était inappropriée. La juge a conclu à juste titre que le principe du functus officio n’empêchait pas le réexamen de la décision négative concernant la demande fondée sur l’article 25, mais à cette étape‑là, l’obligation de l’agent d’immigration était de décider, compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes, s’il y avait lieu d’exercer le pouvoir discrétionnaire de réexaminer sa décision.
[27] Une lecture attentive des décisions citées par le demandeur (Malik, Kurukkal, Nouranidoust) révèle que la question était celle de déterminer si, lorsqu’une première décision a été rendue, l’agent de réexamen était dessaisi et ne pouvait pas accepter de nouvelles preuves ou même réexaminer la décision. Les décisions citées déclaraient toutes que l’agent de réexamen n’était pas dessaisi. La Cour ne souscrit pas à la proposition du demandeur, en particulier compte tenu du paragraphe précité du jugement de la juge Layden‑Stevenson, selon laquelle le gestionnaire avait l’obligation légale de faire quelque chose de plus qu’exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider s’il rouvrait l’affaire ou non. Comme le gestionnaire a bien examiné cette question, a conclu que le Bureau des visas n’avait commis aucune erreur (puisque le demandeur avait utilisé une vieille trousse au lieu de la nouvelle qui se trouvait en ligne depuis cinq (5) mois lorsqu’il a présenté sa demande complète) et a décidé de ne pas rouvrir le dossier, il a exercé son pouvoir discrétionnaire. L’arrêt Kurukkal soutient qu’un agent de réexamen n’a pas l’obligation d’apprécier de nouvelles preuves, tant qu’il rend en effet une décision quant à savoir s’il rouvrira l’affaire ou non.
[28] L’affaire Malik était semblable à celle en l’espèce, un demandeur avait présenté des documents inadéquats pour prouver l’établissement au Canada d’un de ses proches. Dans l’affaire Malik, la lettre qui avait été envoyée au demandeur était plus explicite au sujet des documents requis (une liste avait été fournie, plutôt qu’un renvoi à un site Web). Le juge Mainville a conclu que rien ne démontrait que le demandeur avait fourni de nouveaux documents dans sa demande de réexamen, mais il n’a pas écarté la possibilité que, si le demandeur l’avait fait, l’agent de réexamen aurait dû apprécier les nouveaux documents (paragraphe 45). Il a aussi encouragé, sans toutefois rendre une ordonnance en ce sens, le défendeur à réexaminer la demande une fois de plus après le jugement, parce que le demandeur avait fourni des documents lors de la procédure de contrôle judiciaire (paragraphe 49). Il a précisé que ses conclusions étaient rendues sous réserve de la décision (à l’époque) future de la Cour d’appel dans l’affaire Kurukkal.
[29] Par conséquent, je conclus que l’agent n’a pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, puisqu’il a rendu la décision de ne pas rouvrir le dossier après avoir conclu que le premier agent n’avait commis aucune erreur. La Cour ne peut relever aucune obligation légale de la part du gestionnaire d’apprécier des preuves qui ont été présentées après que la décision eut été rendue, en application de l’arrêt Kurukkal. Bien que la Cour soit d’avis que le gestionnaire avait le pouvoir d’apprécier de nouveaux éléments de preuve, elle conclut aussi qu’il n’avait pas l’obligation de le faire.
B. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?
[30] Le demandeur note que son défaut de présenter les documents appropriés dans sa demande d’origine découlait des changements très récents à la trousse d’instructions spécifiques du Bureau des visas affichée en ligne. Il note qu’il s’agissait de changements majeurs et importants, qui n’avaient pas été publicisés, mais qui avaient plutôt été ensevelis dans une trousse d’instructions qui, autrement, n’avait pas été modifiée. Il note aussi que l’agent des visas savait clairement que le demandeur avait utilisé l’ancienne trousse, parce que le demandeur avait annexé à sa demande une copie de sa liste de vérification, mais que plutôt que de lui donner l’occasion de corriger sa demande, l’agent l’a rejetée. Le demandeur reconnaît que l’agent des visas n’est pas toujours obligé d’informer un demandeur des lacunes dans sa demande, mais il soutient que, compte tenu de la situation unique dans son dossier, l’équité procédurale exigeait que le demandeur ait l’occasion de présenter les documents manquants, compte tenu de la modification récente qui n’était constatable qu’à la lecture du point supplémentaire. Le demandeur note l’explication de l’agent selon laquelle il a refusé de modifier le dossier parce qu’il [traduction] « s’attendait raisonnablement » à ce que le demandeur vérifie les nouvelles instructions, mais le demandeur soutient que cela était déraisonnable vu les circonstances en l’espèce.
[31] Le demandeur note qu’aucune affaire portant sur l’obligation d’équité ne traite directement de la question soulevée en l’espèce. Cependant, il cite la décision Athar c. Canada (MCI), 2007 CF 177, dans laquelle la Cour a examiné la jurisprudence pour les affaires portant sur des demandeurs de résidence permanente qui, à l’audience, faisaient face à des réserves quant à leur crédibilité et sur la question de savoir si ces demandeurs devaient être avisés des lacunes de leurs demandes. La Cour a déclaré, au paragraphe 17 :
[L’agent] des visas pourrait quand même être tenu, dans certaines situations, de donner à un demandeur l’occasion de dissiper ses réserves, conformément aux règles de l’équité procédurale.
[32] Dans la décision Athar, la Cour cite aussi la décision Hassani c. Canada (MCI), 2006 CF 1283, dans laquelle le juge Mosley a écrit :
[Lorsque] les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister.
[33] Le demandeur soutient que les exigences en l’espèce ne découlaient pas de la Loi ou du règlement, qui ne précisent aucune exigence quant aux documents, mais plutôt d’un changement dans une politique en particulier. Il aurait été facile de donner au demandeur l’occasion de rectifier sa demande, surtout que l’agent des visas savait que le demandeur avait utilisé la mauvaise trousse, et que cela aurait satisfait à l’obligation d’équité vu les circonstances uniques en l’espèce.
[34] Le défendeur a répondu que, dans les décisions de l’agent des visas, le contenu de l’obligation d’équité lors de l’examen de demandes de visa se situe vers l’extrémité inférieure du registre, comme il a été déclaré dans l’arrêt Patel c. Canada (MCI), 2002 CAF 55, au paragraphe 10, et dans la décision Malik, au paragraphe 29. Comme le demandeur doit établir certains critères pour que sa demande soit accueillie, le défendeur soutient que le demandeur devrait supposer que les préoccupations d’un agent des visas découleront directement de la Loi et du règlement et que le demandeur a le fardeau de fournir les documents appropriés. En l’espèce, on a demandé au demandeur de présenter une demande complète, y compris les documents énumérés dans la trousse d’instructions spécifiques du Bureau des visas. Le défendeur soutient que le demandeur a eu la directive précise d’utiliser la trousse 04‑2009, et que cette trousse était disponible cinq (5) mois avant que le demandeur présente sa demande complète.
[35] Le demandeur a raison lorsqu’il note que les exigences quant aux documents ne sont pas établies dans la Loi ou le règlement, mais seulement dans la trousse d’instructions en ligne. Bien que la Cour ait conclu que les décisions Malik et Nouranidoust n’appuyaient pas les arguments du demandeur quant à la première question, les commentaires des juges dans ces décisions (précisant que de nouveaux documents devraient être acceptés dans certains cas) sont persuasifs dans le contexte de l’obligation d’équité envers une personne dans la situation précise du demandeur. L’agent des visas savait que le demandeur avait utilisé la trousse précédente, qui avait récemment été changée, pourtant il n’a donné au demandeur aucune occasion de rectifier cette simple erreur. De plus, le défendeur a tort lorsqu’il déclare que le demandeur avait précisément été avisé d’utiliser la trousse 04‑2009. La lettre envoyée au demandeur le 28 juillet (pièce B de l’affidavit du demandeur, dossier du demandeur, page 31) le renvoie simplement au site Web de CIC pour y trouver [traduction] « des formulaires précis du Bureau des visas et une liste de documents à l’appui demandés par le Bureau des visas ». Il n’y avait aucune précision au sujet du fait que ces exigences avaient changé.
[36] Le demandeur a clairement déclaré dans sa demande de réexamen qu’il avait utilisé l’ancienne trousse d’instructions. La Cour conclut que cela aurait dû être clair pour l’agent qui a rendu la décision initiale, puisque le demandeur avait mis en annexe une copie de la liste de vérification de la trousse. Même s’il y a une faible obligation d’équité, compte tenu des circonstances précises en l’espèce, l’agent des visas avait l’obligation d’apprécier les nouveaux documents.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un agent d’immigration pour nouvel examen. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.
Traduction certifiée conforme
Evelyne Swenne, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3586-10
INTITULÉ : MOHAMMAD ANIS NOOR
c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 8 février 2011
DATE DES MOTIFS : Le 15 mars 2011
COMPARUTIONS :
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Neeta Logsetty |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocats
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
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