Cour fédérale |
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Federal Court |
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 4 février 2011
En présence de monsieur le juge O'Reilly
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Le contexte
[1] Mme Sela Tesfa Woldeghebrial a présenté une demande d’asile au Canada fondée sur sa crainte d’être persécutée en Éthiopie du fait de son origine érythréenne et du fait qu’elle est gravement atteinte de problèmes de santé mentale, à savoir la démence. Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande pour deux motifs : 1) le traitement sévère réservé aux personnes d’origine érythréenne en Éthiopie n’équivaut pas à de la persécution; 2) nonobstant les soins exécrables prodigués aux personnes atteintes de maladie mentale en Éthiopie et la façon dont elles sont traitées, Mme Woldeghebrial a là-bas des membres de sa famille qui peuvent s’occuper d’elle.
[2] Mme Woldeghebrial soutient que les conclusions de la Commission étaient déraisonnables. Elle sollicite une ordonnance de la Cour renvoyant l’affaire devant un tribunal différemment constitué de la Commission. À mon avis, la conclusion de la Commission, selon laquelle le traitement que Mme Woldeghebrial pouvait s’attendre à recevoir en Éthiopie n’équivalait pas à de la persécution, était déraisonnable à la lumière de la preuve dont elle disposait. Ainsi, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.
II. La décision de la Commission
[3] La Commission a accepté la preuve présentée par la représentante désignée de Mme Woldeghebrial, sa fille, Mme Amlest Kifle Dessu. Mme Dessu a expliqué que ses parents ont pu éviter d’être expulsés de l’Éthiopie vers l’Érythrée après que la guerre eut éclaté entre les deux pays en 1998. Ils avaient versé des pots-de-vin à certains fonctionnaires et avaient obtenu de faux documents d’identité. En 2008, cependant, lorsqu’un de ces fonctionnaires s’est mis à exiger plus d’argent et a menacé de les dénoncer, Mme Woldeghebrial a décidé de quitter l’Éthiopie tandis que son époux est parti se cacher. À ce moment-là, Mme Woldeghebrial était très malade.
[4] La Commission a examiné la question de savoir s’il y avait une preuve objective étayant la crainte de Mme Woldeghebrial d’être persécutée en tant que membre de la population érythréenne en Éthiopie ou en tant que personne atteinte d’une maladie mentale. La Commission a conclu que les Érythréens étaient traités sévèrement en Éthiopie et qu’on les privait de leurs droits fondamentaux. Les conditions de vie sont particulièrement mauvaises lorsque des affrontements surviennent le long de la frontière entre les deux pays, comme cela a été le cas au cours de la dernière décennie. À la lumière de cette preuve, la Commission a conclu que les Érythréens étaient victimes de discrimination en Éthiopie, mais pas de persécution. Elle a estimé que Mme Woldeghebrial n’avait pas un profil public qui attirerait sur elle l’attention des autorités éthiopiennes. La Commission a reconnu qu’il y avait un risque de persécution lors de périodes de tension entre les deux pays, mais que, pour Mme Woldeghebrial, ce risque n’était qu’au plus une simple possibilité.
[5] En ce qui concerne les soins prodigués aux personnes atteintes de maladie mentale en Éthiopie, la Commission a conclu que peu de services étaient offerts et elle a qualifié la situation d’« exécrable ». Un hôpital psychiatrique servait une population de 77 millions. De plus, les Éthiopiens voient généralement les personnes atteintes de maladie mentale comme étant possédées d’un « démon surnaturel ». La Commission a cependant conclu que l’époux et les deux filles de Mme Woldeghebrial en Éthiopie pouvaient prendre soin d’elle et la protéger.
III. Les conclusions de la Commission étaient-elles déraisonnables?
[6] La Commission semble avoir conclu que, en général, les Érythréens étaient victimes de discrimination en Éthiopie. La situation empire pour eux lorsqu’il y a des hostilités entre les deux pays, comme c’est le cas actuellement, mais il y avait peu de risque pour Mme Woldeghebrial, étant donné que son origine érythréenne n’était pas connue et qu’elle ne vivait pas près de la frontière.
[7] À mon avis, deux problèmes ressortent du raisonnement de la Commission. Premièrement, elle n’explique pas pourquoi le traitement réservé aux Érythréens devrait être caractérisé comme étant de la « discrimination », et non de la « persécution ». Deuxièmement, la Commission a fait abstraction du fait que Mme Woldeghebrial avait fui l’Éthiopie de peur que son origine érythréenne ne soit divulguée.
[8] La Commission semble aussi avoir accepté que la façon dont les personnes atteintes de maladie mentale sont traitées en Éthiopie puisse équivaloir à de la persécution, mais elle a conclu que le risque auquel Mme Woldeghebrial était exposée était minime, car elle pouvait compter sur les soins apportés par les membres de sa famille en Éthiopie. Cependant, la Commission n’explique pas comment la présence de ceux-ci la protégerait. Premièrement, il n’y avait aucune preuve que sa famille était en mesure de s’occuper d’elle. Deuxièmement, aucune preuve ne démontrait que Mme Woldeghebrial pouvait obtenir les soins et les médicaments dont elle a besoin en Éthiopie; en fait, la preuve démontrait plutôt le contraire.
[9] À la lumière de ces conclusions, je conclus que la décision de la Commission était déraisonnable, puisqu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
IV. Conclusion et dispositif
[10] Je conclus que la décision de la Commission est déraisonnable, puisqu’elle semble faire abstraction de la preuve dont elle disposait relativement à la façon dont les Érythréens sont traités en Éthiopie en général, et Mme Woldeghebrial en particulier, ainsi que de la situation médicale de celle-ci. J’accueillerai donc la présente demande de contrôle judiciaire et je renverrai l’affaire devant un tribunal de la Commission différemment constitué pour que celui-ci procède à une nouvelle audition de l’affaire. Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale en vue de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT
1. la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui-ci procède à une nouvelle audition de l’affaire;
2. aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
Juriste-traducteur et traducteur-conseil
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3514-10
INTITULÉ : WOLDEGHEBRIAL c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 18 janvier 2011
ET JUGEMENT : LE JUGE O’REILLY
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 4 février 2011
COMPARUTIONS :
Clifford Luyt |
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Margherita Braccio
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Helen S. Kim Avocate Toronto (Ontario)
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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