Cour fédérale
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Federal Court
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[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 9 mars 2011
En présence de monsieur le juge Mandamin
ENTRE :
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ALBERT LAWRENCE POTSKIN ET ROCHELLE MARIE POTSKIN
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SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le 1er mars 2011, j’ai tenu une téléconférence préparatoire avec les avocats des parties. À ce moment-là, l’avocat des défendeurs m’a informé qu’il venait tout juste d’apprendre que j’allais instruire le procès. Il était préoccupé parce que j’avais été l’avocat de la mère des demandeurs il y a seize ans. À cette époque, elle poursuivait au nom de ses enfants la même question en litige pour laquelle ses enfants maintenant adultes soulèvent dans la présente action.
[2] Je n’ai aucun souvenir de l’affaire. J’ai demandé à l’avocat des demandeurs de me fournir des copies des documents qu’il possédait. Il a entrepris de le faire et la conférence préparatoire a été ajournée à ce jour. Il a par la suite déposé plusieurs lettres que j’avais écrites aux fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien en 1995 soulevant la question et défendant la position de la mère au sujet de ses enfants. À la réception des copies de la correspondance, j’ai fait une demande semblable à l’avocat des demandeurs qui ne pouvait pas se libérer jusqu’à aujourd’hui. Il indique qu’il n’a rien à ajouter.
[3] La présente poursuite a été introduite par les enfants, maintenant de jeunes adultes, en 2001 après que j’ai été nommé juge de la cour provinciale en Alberta.
[4] L’avocat des défendeurs a dit que sa préoccupation est qu’il pourrait y avoir une crainte raisonnable de partialité, si j’entendais ce procès. Il a également indiqué qu’il demanderait des instructions puisque je préside le procès et il m’a depuis informé qu’il avait reçu des instructions pour déposer une requête en récusation.
[5] J’en suis arrivé à une décision de mon propre chef de me récuser pour les motifs qui suivent.
[6] Dans Bande indienne Wewaykum c Canada, 2003 CSC 45, [2003] 2 RCS 259 [Wewaykum], la Cour suprême du Canada a déclaré :
Premièrement, il convient de répéter que la norme exige une crainte de partialité fondée sur des motifs sérieux, vu la forte présomption d’impartialité dont jouissent les tribunaux. À cet égard, le juge de Grandpré a ajouté ces mots à l’expression maintenant classique de la norme de la crainte raisonnable :
Toutefois, les motifs de la crainte doivent être sérieux et je […] refuse d’admettre que le critère doit être celui d’« une personne de nature scrupuleuse et tatillonne ».
[7] La présomption d’impartialité dont jouissent les tribunaux repose sur le serment judiciaire. Le juge Teitelbaum a fait référence au serment judiciaire dans Samson Indian Nation and Band c Canada, [1998] 3 CF 3, avant de prendre sa propre décision sur une requête en récusation. Je ferai de même, bien que, dans ma situation, j’ai fait mon serment d’office sur une Bible et avec une plume d’aigle. Je maintiens mon serment :
[traduction]
Je, Leonard S. Mandamin, promets et prête serment solennellement et sincèrement que j’exécuterai consciencieusement et fidèlement, et au meilleur de ma capacité et de mes connaissances, les pouvoirs et la confiance qui m’ont été accordés à titre de juge de la Cour fédérale.
Que Dieu me soit en aide.
[8] La plume d’aigle ne change rien à mon serment judiciaire; elle informe de ce serment. La plume d’aigle me rappelle, du point de vue autochtone, un point de vue discuté par le juge en chef Lamer dans Delgamuukw c Colombie‑Britannique, [1997] 3 RCS 1010, aux paragraphes 148 à 150, que les juges doivent garder à l’esprit au moment de traiter de questions de droits ancestraux. Une telle perspective est appropriée en l’espèce étant donné que l’action présente soulève une question très importante concernant les droits des enfants indiens et de leur appartenance à une Première Nation.
[9] Je suis également conscient des Principes de déontologie judiciaire du Conseil canadien de la magistrature, lesquels offrent un guide selon lequel « Le juge ne devrait pas entendre d’affaires dans lesquelles lui‑même […] [a] agi directement, soit à titre de procureur inscrit au dossier, soit à un autre titre, avant sa nomination. »
[10] Enfin, la Cour suprême dans Wewaykum a reconnu que les juges sont souvent guidés par des raisons autres que l’exclusion en décidant de se récuser. Voici ce que la Cour a dit :
[…] On ne peut cependant faire abstraction, dans les spéculations sur la façon dont les juges réagissent lorsque la question de la récusation est soulevée au début de l’instance, de la prudence extrême qui guide bon nombre de juges, sinon la plupart d’entre eux, à ce stade précoce. Cette prudence produit des résultats qui pourraient ne pas être requis par l’application objective de la norme de la crainte raisonnable de partialité. À cet égard, il est fort possible que des juges se soient récusés dans des affaires où, à proprement parler, ils n’étaient pas légalement tenus de le faire […]
[11] L’autre considération est le besoin de faire l’économie de ressources judiciaires et d’éviter le retard et les frais de la requête en exclusion. Cette considération me ramène à la plume d’aigle. Le point de vue autochtone est global, prenant compte de la vue complète comme le fait l’aigle en plein vol. Ce ne sont pas seulement les ressources judiciaires qui sont touchées par le détournement d’une requête en exclusion; il s’agit aussi des ressources des parties.
[12] Je suis d’accord avec les observations du juge Blais, maintenant juge en chef de la Cour d’appel, en statuant sur la demande du jugement sommaire de la demanderesse dans Potskin c Canada (ministres des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2006 CF 1469, lorsqu’il a dit :
Enfin, selon la jurisprudence, la portée de l’obligation fiduciaire de la demanderesse, Sa Majesté la Reine, peut justifier une interprétation plus large que celle qui a été donnée par l’avocat de la demanderesse. À mon avis, cette question doit être examinée plus à fond par le juge qui présidera l’audience.
[…]
Nous avons devant nous un cas dans lequel trois enfants – par suite de l’application de différentes dispositions de la Loi, de l’écoulement du temps, du mariage de leurs parents et d’une décision par laquelle ces parents les ont reconnus comme leurs enfants lorsque ces derniers étaient peu âgés – ont subi un préjudice financier réel. Même si de nombreuses années se sont écoulées depuis que ces décisions cruciales ont été prises pour leur compte, je conclus qu’il n’y a pas lieu, à ce stade, d’accueillir la demande de jugement sommaire.
[13] Le procès devrait être axé sur ces questions en litige importantes entre les parties et non le juge à qui l’affaire est confiée. L’affaire doit donner lieu à un procès sur le fond du litige, sans la distraction et les frais d’une requête en exclusion. Cette considération est suffisante pour que je décide et je n’ai pas besoin d’entendre une requête en exclusion.
[14] Par conséquent, compte tenu de mon serment, de la plume d’aigle, et de mes obligations déontologiques, je rends l’ordonnance qui suit.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE qu’il se récuse d’entendre ce procès et que l’affaire soit renvoyée au juge en chef de la Cour pour que son audition soit fixée par un autre juge.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑1261‑01
INTITULÉ : DELVIN STEWART POTSKIN, KEVIN ALBERT LAWRENCE POTSKIN ET ROCHELLE MARIE POTSKIN
et
SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN
LIEU DE L’AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 9 MARS 2011
(PAR VIDÉOCONFÉRENCE)
ET ORDONNANCE : LE JUGE MANDAMIN
DATE DES MOTIFS : LE 9 MARS 2011
COMPARUTIONS :
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Me Kevin Kimmis
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POUR LES DÉFENDEURS
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocat
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Myles J. Kirvan
Sous‑procureur général du Canada
Edmonton (Alberta)
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POUR LES DÉFENDEURS
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