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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110302

Dossier : IMM-4040-10

Référence : 2011 CF 250

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 mars 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

ENTRE :

 

VIRGINIA VIOLA ST. CLAIR

SIANNA ELDWINA ST. CLAIR (mineure)

ISHMEL NEIL ST. CLAIR (mineur)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) par Virginia Viola St. Clair (la demanderesse principale) et ses enfants à sa charge, Sianna Eldwina St. Clair et Ishmel Neil St. Clair, visant une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a statué que les demandeurs d’asile n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Les demandeurs d’asile sont des citoyens de Sainte-Lucie. La demanderesse principale est née le 8 avril 1982. Sa fille est née le 6 mai 1999, et son fils est né le 7 janvier 2002. La demanderesse principale exploitait avec succès un salon de coiffure et de pose d’ongles à Sainte‑Lucie avant son départ. Elle a fréquenté M. Simon Citolyn pendant environ six ans, et elle a vécu avec lui en union de fait pendant les quatre dernières de leur fréquentation. Les demandeurs d’asile mineurs ont vécu avec eux pendant deux ans, mais la demanderesse principale allègue qu’elle les a placés chez leur grand-mère pendant les deux années précédant son départ, parce qu’elle craignait pour leur sécurité en présence de M. Citolyn.

 

[3]               La demanderesse principale allègue que, le 7 juillet 2008, elle est rentrée chez elle et a trouvé M. Citolyn et une autre femme dans la maison avec des sacs de cocaïne. Elle s’est battue avec M. Citolyn, qui l’a ensuite agressée, a tenté de l’étouffer et lui a donné un œil au beurre noir. Un voisin a appelé la police et, lorsque les agents sont arrivés, demanderesse principale leur a montré la cocaïne. M. Citolyn et la femme ont été arrêtés. La police a aidé la demanderesse principale à déposer une plainte officielle, elle l’a amenée à l’hôpital pour qu’elle reçoive des traitements médicaux puis elle l’a conduite dans un refuge pour femmes.

 

[4]               La demanderesse principale allègue que, le lendemain matin vers 3 h, deux connaissances de M. Citolyn sont venues à la maison à sa recherche. Son cousin et sa sœur étaient présents. Étant donné que la demanderesse principale et ses enfants étaient au refuge, aucun mal ne leur a été fait.

 

[5]               Après que le tribunal de la famille les eut aiguillés vers un centre d’aide aux femmes, le 8 juillet 2008, la demanderesse principale et ses enfants ont passé cinq jours au refuge, où ils ont reçu du counselling et du soutien concret. Le 9 juillet 2008, le tribunal de la famille a rendu une ordonnance de protection interdisant à M. Citolyn de communiquer avec la demanderesse principale, et leur ordonnant à tous deux de suivre une thérapie. Le tribunal de la famille a tenu une audience, et M. Citolyn y a assisté.

 

[6]               À l’audience de la demanderesse principale devant la Commission, la demanderesse principale a allégué que la juge du tribunal de la famille l’avait rencontrée en privé dans son cabinet et lui avait dit qu’elle devrait quitter Sainte-Lucie pour sa propre sécurité, parce que le pays ne pourrait pas la protéger.

 

[7]               La demanderesse principale a quitté Sainte‑Lucie sur-le-champ pour le Canada, laissant ses enfants auprès de leur grand-mère. Elle est arrivée le 13 juillet 2008, et elle a demandé l’asile le 14 juillet 2008.

 

[8]               La demanderesse principale allègue en outre que, le 2 février 2009, les enfants étaient en chemin pour l’école lorsque M. Citolyn et deux connaissances les ont accostés à bord d’une voiture. M. Citolyn a demandé aux enfants de venir avec lui, mais ceux-ci se sont réfugiés dans une boutique où ils se sont cachés. La demanderesse principale et sa mère ont décidé de ne pas appeler la police, mais les enfants ont pris l’avion à destination du Canada pour qu’ils rejoignent la demanderesse principale. Ils sont arrivés le 6 juin 2009, et ils ont demandé l’asile le 9 juillet 2009. Leurs demandes ont été réunies à celle de la demanderesse principale.

 

[9]               L’audience a été tenue le 20 mai 2010. La décision défavorable de la Commission a été rendue le 8 juin 2010, et les demandeurs d’asile l’ont reçue le 28 juin 2010.

 

La décision visée par le présent contrôle judiciaire

[10]           La Commission a rendu une longue décision, dans laquelle les deux questions déterminantes étaient la crédibilité de la demanderesse principale concernant le caractère continu des mauvais traitements qu’elle avait subis aux mains de M. Citolyn et l’existence d’une protection de l’État adéquate et efficace envers les victimes de violence familiale. La Commission a tenu compte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe et des directives intitulées Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié. La Commission a affirmé qu’elle était au fait des difficultés qu’une victime de violence familiale peut avoir à témoigner, mais elle a noté que la demanderesse principale avait dit qu’elle n’était pas nerveuse.

 

[11]           Pour ce qui concerne la question de la crédibilité, la Commission a conclu que, selon la prépondérance de la preuve, la demanderesse principale avait effectivement subi des voies de fait de la part de son conjoint le 7 juillet 2008, mais elle n’a relevé aucun élément de preuve persuasif révélant qu’elle avait été victime de violence familiale de façon continue. La Commission a relevé d’importances incohérences, contradictions et omissions dans le témoignage de la demanderesse principale. La Commission a noté que le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) de la demanderesse principale et les notes prises lors de son entrevue avec Citoyenneté et Immigration Canada ne faisait état d’aucune agression physique ou sexuelle antérieure; ces documents ne mentionnaient qu’un seul incident (soit l’incident susmentionné) et ils révélaient qu’on avait communiqué qu’une seule fois avec la police.

 

[12]           Toutefois, à l’audience, la demanderesse principale a mentionné que M. Citolyn l’avait frappée, l’avait giflée et lui avait cogné la tête contre le mur environ deux ou trois fois par mois pendant quatre ans. Lorsqu’il lui a été demandé d’expliquer cette omission, elle a dit que M. Citolyn n’avait jamais été [traduction] « aussi violent » avant l’incident en question, et pourtant, plus tard, elle a affirmé qu’il l’avait agressée sexuellement plusieurs fois. La Commission a tiré une inférence négative du défaut de mentionner cela dans le FRP, dans lequel il était clairement mentionné que la demanderesse principale devait exposer « tous les événements importants et les raisons » pour lesquels elle craignait d’être persécutée. La Commission a noté que le témoignage concernant les agressions physiques et sexuelles continues contredisait l’explication selon laquelle M. Citolyn n’avait jamais été [traduction] « aussi violent » auparavant, et la Commission en a tiré une inférence négative.

 

[13]           La demanderesse principale a aussi parlé dans son témoignage d’au moins un autre incident à la suite duquel elle s’était plainte à la police mais n’avait reçu aucune assistance, et la Commission a noté que cela non plus n’apparaissait pas dans l’exposé circonstancié se trouvant dans leFRP, et ce, bien que celui‑ci prévoit les instructions suivantes à l’attention des demandeurs : « Précisez les mesures que vous avez prises pour obtenir la protection d’une autorité de votre pays et les résultats obtenus. »

 

[14]           Pour ce qui concerne la protection de l’État, la Commission a noté que, lorsqu’elle avait été appelée, la police était venue immédiatement chez la demanderesse principale, elle avait arrêté M. Citolyn et la femme, elle avait établi un rapport et elle avait amené la demanderesse principale à l’hôpital puis l’avait placée dans un refuge. La demanderesse principale a également bénéficié de l’assistance d’un travailleur social nommé par le tribunal, d’un aiguillage vers le centre d’aide aux femmes, de services de counselling et d’autres formes d’assistance concrète. Elle a obtenu une ordonnance de protection visant M. Citolyn et a eu droit à une audience dans les jours qui ont suivi l’agression. La Commission a conclu que tout cela tendait à démontrer l’existence d’une protection de l’État efficace à l’égard de la demanderesse principale.

 

[15]           La Commission a noté que la demanderesse principale avait allégué craindre que M. Citolyn soit un trafiquant de drogue ayant des contacts au sein de la police et que la police ne soit peut-être pas en mesure de la protéger adéquatement à l’avenir, mais la Commission a conclu qu’une crainte subjective non étayée par des éléments de preuve ne réfutait pas la présomption de protection de l’État dans un pays où la démocratie n’est pas remise en cause, surtout lorsque l’État est intervenu rapidement et efficacement dans le passé. La Commission a noté que la demanderesse principale n’avait fait aucune démarche de quelque nature en vue d’obtenir la protection de l’État à la suite de l’incident mettant en cause les enfants.

 

[16]           La Commission a noté que dans l’arrêt Ward c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada avait statué que le demandeur d’asile était tenu de demander la protection de l’État dans les situations où il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il puisse l’obtenir, et la Commission a exprimé l’avis que tel était le cas en l’espèce.

 

[17]           La Commission a examiné en profondeur les éléments de preuve documentaire, et elle a conclu que la violence familiale était reconnue comme un problème grave à Sainte-Lucie et que de nombreux organismes avaient été créés pour lutter contre la violence familiale et pour en aider les victimes. La Commission a noté que les victimes pouvaient obtenir une aide financière et que, malgré une pénurie de places dans les refuges, personne n’était obligé de quitter un refuge en l’absence d’une solution de rechange adéquate en matière de logement. La Commission a noté que l’État avait clairement pris au sérieux le cas de la demanderesse principale et qu’il lui avait offert une protection adéquate. La Commission a conclu que, selon la prépondérance de la preuve, la demanderesse principale bénéficierait d’une protection de l’État adéquate si elle devait retourner à Sainte-Lucie, et elle n’a pas relevé d’« éléments de preuve clairs et convaincants » que l’État serait incapable de protéger la demanderesse principale et ses enfants. Sainte-Lucie est une démocratie parlementaire multipartite, dont les autorités civiles contrôlent les forces de sécurité et dont l’État respecte généralement les droits de la personne selon le rapport de 2009 du Département d’État des États‑Unis.

 

Les dispositions légales pertinentes

 

[18]           Voici les dispositions pertinentes de la Loi :

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

Les questions en litige et la norme de contrôle

 

[19]           Il y a deux questions en litige dans le cadre de la présente demande :

a)         La Commission a-t-elle mal compris ou mal qualifié les éléments de preuve étayant l’élément central de la demande des demandeurs d’asile?

b)         La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas compte d’éléments de preuve essentiels dans le cadre de son analyse relative à la protection de l’État?

 

[20]           La norme de contrôle applicable aux conclusions d’un membre de la Commission concernant la crédibilité est la décision raisonnable, puisqu’il s’agit d’une question de fait, à l’égard de laquelle la Cour doit faire preuve de retenue, en applicationde l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 47, 53, 55 et 62; voir aussi Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2009] 1 R.C.S. 339, aux paragraphes 52 à 62 et Malveda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 447, aux paragraphes 17 à 21.

 

[21]           Dans la décision Paguada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 351, au paragraphe 19, la Cour a affirmé que la norme de contrôle applicable à une conclusion selon laquelle la protection de la Cour était adéquate – une question mixte de faits et de droit – était la raisonnabilité. La conclusion de la Commission doit appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

Analyse

A.        Qualification erronée de l’élément central de la demande

[22]           Les demandeurs d’asile soutiennent que la Commission a mal compris la nature de la demande, et ils allèguent que le groupe social auquel appartient la demanderesse principale n’est pas celui des femmes qui sont victimes de violence familiale, mais celui des femmes qui sont victimes de violence et la cible de menaces après avoir été témoins d’un crime. La demanderesse principale soutient que les cas de mauvais traitement ne constituaient pas le motif principal de son départ de Sainte-Lucie, et elle soutient que cela ressort clairement de son FRP et de son témoignage de vive voix. Elle rappelle que la juge du tribunal de la famille lui a dit de quitter Sainte-Lucie parce qu’elle ne pourrait pas y être protégée, et elle allègue que cela s’est produit dans le contexte où elle avait été témoin d’un crime et non victime de violence familiale.

 

[23]           La demanderesse principale cite plus d’une douzaine de décisions au soutien de son argument selon lequel la Commission a mal compris ses éléments de preuve et a ainsi commis une erreur susceptible de contrôle. La demanderesse principale soutient que, puisque l’erreur de la Commission porte sur un élément central de la décision, celle-ci doit être infirmée.

 

[24]           Le défendeur soutient que, peu importe comment les demandeurs d’asile qualifient maintenant leur demande, il est clair que la Commission a compris le fondement de la demande, soit la violence subie aux mains de M. Citolyn. Le défendeur allègue que la demanderesse principale n’a jamais mentionné, ni dans son FRP ni dans son témoignage de vive voix, que sa crainte découlait précisément du fait qu’elle avait été témoin d’un crime. Les faits allégués concernaient de la violence, notamment de la violence familiale. Le défendeur reconnaît que la crainte a atteint un sommet à la suite d’un incident précis, mais il soutient que la demanderesse principale avait une crainte généralisée d’être victime de violence, qui ne résultait pas uniquement du fait qu’elle avait été témoin d’un acte criminel. Le défendeur note que l’avocat de la demanderesse principale à l’audience a qualifié l’incident relatif à la cocaïne de [traduction] « goutte qui avait fait déborder le vase » dans le contexte d’antécédents de violence familiale, et il a attiré expressément l’attention de la Commission sur des éléments de preuve documentaire sur la violence familiale. Le défendeur soutient qu’aucun élément de preuve n’a été produit pour démontrer que la demanderesse principale serait tenue de témoigner contre M. Citolyn, et que les éléments de preuve documentaire invoqués par l’avocat à l’audience mentionnaient les victimes de la criminalité seulement à titre incident.

 

[25]           Le défendeur soutient que la crainte de la demanderesse principale est fondée sur le fait qu’elle sait que son ancien ami de cœur est un homme violent, et que le fait qu’il ait aussi été l’auteur du crime dont elle a été témoin n’est pas une coïncidence, contrairement à ce qu’elle allègue. Le défendeur soutient que, tout au plus, il s’agit d’une question mixte visant la crainte de l’incident allégué et les mauvais traitements continus allégués (la Commission n’a pas cru à ces derniers). Le défendeur cite la décision Suvorova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 373, paragraphes 56 à 60, au soutien de la thèse selon laquelle, lorsque le motif de persécution ou le risque allégué est mixte, la décision peut être confirmée à condition que la Commission ait traité comme il se devait les éléments de preuve dont elle disposait et qu’elle ait examiné tous les motifs possibles de protection. Le défendeur soutient que la Commission a tenu compte de l’ensemble de la preuve dont elle disposait. Le défendeur cite également la décision Arunasalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1070, au soutien de sa position selon laquelle, lorsque le demandeur principal lie expressément sa crainte à certains faits précis, il ne peut pas être reproché à la Commission d’avoir traité les éléments de preuve au regard de ce motif seulement.

 

[26]           Le défendeur soutient que la Commission n’a jamais qualifié expressément la demande de la demanderesse principale et qu’elle n’a jamais non plus exclu le risque d’être témoin, un risque qui, selon le défendeur, ne constitue pas un risque distinct. Le défendeur soutient que ce risque est seulement un risque de criminalité généralisée, qui n’est relié à aucun des groupes visés à l’article 96. Le défendeur soutient que, bien que cela puisse constituer le fondement d’une demande présentée en vertu de l’article 97, lorsqu’il n’y a aucun autre élément de preuve que ceux examinés dans le cadre de l’analyse effectuée au regard de l’article 96 qui pourrait établir que le demandeur d’asile est une personne à protéger, il n’est pas nécessaire – selon l’arrêt Prophète c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 31, et la décision Chikukwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1191, paragraphe 55 – de procéder à l’analyse fondée sur l’article 97. Devant la Cour, le défendeur a soutenu qu’aucun élément de preuve ne démontrait que la demanderesse principale était exposée à d’autres risques que ceux dont il était question dans les éléments de preuve concernant l’incident relatif à la cocaïne et les antécédents de violence de M. Citolyn, de sorte que la Commission n’était pas tenue de traiter ce motif séparément.

 

[27]           Pour ce qui concerne la crédibilité de la demanderesse principale, le défendeur note la prétention de la demanderesse principale selon laquelle puisque sa crainte était fondée uniquement sur l’incident relatif à la cocaïne, la violence subie dans le passé n’était pas pertinente. Le défendeur soutient que la demanderesse principale n’a jamais dit qu’elle n’avait pas fait état des antécédents de violence parce que ce n’était pas pertinent, elle a plutôt dit à l’audience que M. Citolyn n’avait jamais été [traduction] « aussi violent » auparavant. Ainsi, son témoignage contredit son argument. Le défendeur soutient que l’allégation visant les antécédents de violence, à laquelle la Commission n’a pas cru, est directement pertinente au regard de la question de savoir si M. Citolyn serait violent à l’égard de la demanderesse principale à l’avenir, et qu’il n’était pas déraisonnable que la Commission ait tiré cette inférence. Le défendeur soutient que la conclusion de la Commission au sujet de la crédibilité était raisonnable et que le témoignage de la demanderesse principale a changé en cours de route : elle a d’abord dit que M. Citolyn n’était pas [traduction] « aussi violent », puis elle a dit qu’il la battait deux ou trois fois par mois, et enfin elle a dit qu’il l’avait agressée sexuellement à plusieurs occasions. Le défendeur soutient qu’étant donné que le bien-fondé de sa crainte constituait un élément central de sa demande, les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité étaient déterminantes.

 

[28]           Premièrement, la Cour estime que, dans l’ensemble, les décisions que la demanderesse a invoquées dans son mémoire ne sont pas très pertinentes au regard des faits de la présente affaire. Chaque décision traite d’une situation où la Commission avait commis une erreur d’interprétation quant à un fait précis relié à l’affaire, plutôt que d’avoir mal compris dans un sens plus général le fondement de la demande, comme il est allégué en l’espèce.

 

[29]           L’avocat de la demanderesse principale a fait remarquer à la Cour que le FRP de la demanderesse principale décrivait seulement l’incident de la découverte de M. Citolyn en possession de cocaïne, et qu’il donnait des détails relatifs aux menaces que M. Citolyn avait proférées à ce moment, à savoir qu’il la tuerait s’il allait en prison à cause d’elle. Le FRP confirme également que les policiers ont amené la demanderesse principale à un refuge pour sa protection parce [traduction] « [qu’]ils étaient la recherche de preuves que M. Citolyn se livrait au trafic de stupéfiants et qu’il avait commis d’autres infractions ». Dans son témoignage à l’audience, la demanderesse principale n’a pas expressément fait savoir que sa demande était une demande de protection à titre de témoin, et elle n’a pas non plus affirmé qu’il s’agissait simplement d’une affaire de violence familiale. Je suis d’avis que les décisions Suvorova et Arunasalam, invoquées par le défendeur, ne sont pas vraiment pertinentes, puisque la Commission en l’espèce n’a pas traité le risque comme découlant de facteurs « mixtes », et la demanderesse n’a pas non plus omis de mentionner qu’elle avait été témoin d’un crime.

 

[30]           La Cour n’estime pas que la Commission a tiré une conclusion déraisonnable lorsqu’elle a conclu que le récit de la demanderesse principale soulevait des préoccupations distinctes relativement à la crédibilité. Il est vrai que, lorsque la question lui a été posée, elle a affirmé (transcription, dossier certifié du tribunal (le DCT) à la page 339) que M. Citolyn ne lui avait pas infligé de mauvais traitements physiques avant l’incident relatif à la cocaïne, mais avait seulement proféré des menaces, puis elle a carrément contredit cette affirmation plusieurs fois au cours de son témoignage. Cependant, dans l’ensemble, l’analyse de la Commission n’était pas centrée sur le risque auquel la demanderesse principale était exposée à titre de témoin d’un crime, de sorte qu’il n’aurait pas dû être aussi pertinent que le défendeur le soutient de se fonder sur les questions reliées au passé violent de M. Citolyn. La Commission a admis que l’incident relatif à la cocaïne était survenu (décision au paragraphe 15). La Cour n’est pas d’accord avec le défendeur pour dire que les conclusions de la Commission s’appliquent indépendamment de la nature du risque auquel la demanderesse principale est exposée, ou que la Commission avait en fait affaire à une cause « mixte ». Le fait que la Commission ait centré son analyse sur la question de la protection des victimes de violence familiale par l’État montre qu’il s’agissait du seul risque auquel la demanderesse principale était exposée selon la Commission. Celle-ci n’a pas traité de la possibilité de persécution du fait d’avoir été témoin d’un crime, alors qu’il s’agissait clairement d’une question pertinente. Dans une affaire similaire, soit l’affaire Vilmond c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 926, le juge Michel Beaudry a statué au paragraphe 17 que « [p]our que sa conclusion soit raisonnable, la Commission devait premièrement examiner la demande d’une façon qui tient compte des allégations présentées par la demanderesse ».

 

[31]           Je conclus donc, à l’instar du juge Beaudry, que les conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité sont erronées en ce que la Commission a commis une erreur quant à la nature de la demande, et que, par conséquent, elle n’a pas analysé correctement la preuve de la demanderesse principale et la vraisemblance du risque auquel elle était exposée. Dans ces circonstances, la décision de la Commission ne peut pas être considérée comme étant raisonnable.

 

B.         La protection de l’État

 

[32]           La demanderesse principale soutient que la Commission n’a pas tenu compte de la plupart des faits pertinents et a fait un emploi sélectif des éléments de preuve documentaire, tout en omettant de traiter la question primordiale, soit l’absence de programme de protection des témoins à Sainte‑Lucie. La demanderesse principale cite une réponse à une demande d’information de 2006 selon laquelle il « n’existe pas de législation ou de programme concernant la protection des victimes ou des témoins d’actes criminels à Sainte-Lucie. Le commissaire adjoint a ajouté que la protection de témoins ne s’effectue que rarement et au cas par cas, à la demande du témoin. » La demanderesse principale cite également le rapport du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (le CEDAW), publié en 2006, selon lequel les victimes de violence familiale à Sainte-Lucie ne reçoivent pas assez de soutien, que la loi n’est pas mise en œuvre efficacement et que les femmes obtiennent des ordonnances d’interdiction de communiquer qui ne peuvent pas être exécutées parce que la police manque d’effectifs et ne répond pas toujours aux appels.

 

[33]           La demanderesse principale note que la Commission n’a pas rejeté son témoignage concernant l’incident de la découverte de M. Citolyn en possession de cocaïne, et elle rappelle que ce dernier a été arrêté pour possession de drogue et qu’il a envoyé par la suite des membres d’un gang chez elle à sa recherche (elle était alors au refuge pour femmes). La demanderesse principale souligne que la juge du tribunal de la famille lui a dit de quitter le pays parce qu’elle ne pourrait pas être protégée. Elle invoque également l’existence d’une lettre du travailleur social nommé par le tribunal de la famille (le DCT à la page 225) et d’une autre lettre du centre d’aide aux femmes (le DCT à la page 273) au soutien de ses prétentions selon lesquelles elle a été témoin d’un crime, il n’existe aucun programme qui pourrait la protéger et elle devrait chercher asile à l’extérieur du pays.

 

[34]           Le défendeur soutient que les conclusions de la Commission s’appliquent tout autant aux victimes de violence familiale qu’aux témoins de crimes. La Commission est présumée avoir tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait (Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 NR 317 (C.A.F.)), et ces conclusions étaient logiques compte tenu des éléments de preuve, lesquels, en outre, étayaient ces conclusions.

 

[35]           Le défendeur rappelle que la police est venue chez la demanderesse principale, que celle-ci a pu faire une dénonciation, qu’elle a été amenée à l’hôpital puis à un refuge et qu’elle a bénéficié des services d’un travailleur social et du tribunal de la famille. Le défendeur souligne que lorsque les hommes de M. Citolyn sont venus à la maison à sa recherche, la demanderesse principale était en sécurité dans un refuge par suite de l’intervention de la police. Le défendeur soutient que la demanderesse principale n’a pas contesté les conclusions de la Commission concernant la protection de l’État envers les victimes de violence familiale, et elle affirme que les conclusions relatives à la non‑réfutation de la présomption de protection de l’État s’appliquent toujours.

 

[36]           Le défendeur soutient que les éléments de preuve révèlent que, malgré l’inexistence d’un programme officiel de protection des témoins, Sainte-Lucie est capable de protéger les femmes qui sont victimes de violence, familiale ou autre, et il souligne que le document invoqué par la demanderesse principale énonce que la protection des témoins est parfois disponible au cas par cas.

 

[37]           Pour ce qui concerne l’affirmation faite par la juge de Sainte-Lucie, le défendeur soutient que cela ne peut pas remplacer la décision de la Commission quant à la capacité de l’État à protéger la demanderesse principale. Le défendeur soutient que, selon la prépondérance de la preuve, l’État a fait des efforts sérieux pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, et le défendeur souligne que la demanderesse principale a pu bénéficier de ces programmes. Il était loisible à la Commission d’accorder une faible valeur probante à l’affirmation de la juge.

 

[38]           Le rapport du CEDAW date de 2006, mais une bonne part des documents sur lesquels la Commission s’est appuyée sont plus récents et datent de 2009. En outre, la Cour ne voit rien de déraisonnable dans la façon dont la Commission a soupesé les éléments de preuve concernant la protection des victimes de violence. Si la violence familiale avait effectivement constitué un élément central des prétentions de la demanderesse principale, la Cour conviendrait avec le défendeur que rien ne donne à penser que la conclusion de la Commission était déraisonnable, surtout étant donné les mesures prises par l’État saint-lucien dans le cas de la demanderesse principale avant qu’elle quitte le pays.

 

[39]           La Commission a examiné en profondeur la protection offerte aux victimes de violence familiale, et rien ne révèle que la Commission aurait omis d’examiner quelque élément de preuve que ce soit à cet égard. La Cour note toutefois que la Commission n’a pas traité de la déclaration que la juge avait faite à la demanderesse principale ni des lettres du travailleur social nommé par le tribunal et du centre d’aide aux femmes avisant la demanderesse principale que rien ne pouvait être fait dans sa situation et qu’elle devrait quitter le pays et chercher asile ailleurs. La Cour est d’avis que, vu l’importance de ces éléments de preuve, la Commission aurait dû expliquer pourquoi elle leur attribuait relativement peu de poids. Compte tenu de ces documents, dont la Commission disposait, la Cour ne conclut pas que la conclusion de la Commission au sujet de la protection de l’État était logique compte tenu des éléments de preuve et qu’elle était étayée par ceux-ci (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n1425 (C.F. 1re inst.)), dans ces circonstances.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie, et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen.

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4040-10

 

INTITULÉ :                                       VIRGINIA VIOLA ST. CLAIR

                                                            SIANNA ELDWINA ST. CLAIR (MINEURE)

                                                            ISHMEL NEIL ST. CLAIR (MINEUR)

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Odeleye

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jane Stewart

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard Odeleye

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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