Cour fédérale |
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Federal Court |
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario) le 21 février 2011
En présence de Monsieur le juge Near
ENTRE :
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UNITED PARCEL SERVICE CANADA LTD.
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et
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MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par le ministre en application de l’article 129 de la Loi sur les douanes (la Loi). Le ministre a confirmé la décision par laquelle l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) avait déterminé que United Parcel Service Canada Ltd. (UPS) avait contrevenu à la Loi en omettant de donner à l’ASFC la possibilité d’inspecter 174 expéditions et a jugé que la pénalité réclamée de 522 000 $ était justifiée.
[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.
I. Le contexte
A. Contexte factuel
[3] La demanderesse, UPS, est une entreprise de messagerie qui livre un volume important de colis provenant de l’étranger à des destinataires au Canada.
[4] La Loi sur les douanes, L.R.C. 1985, ch. 1 (2e suppl.) donne à l’ASFC le pouvoir d’examiner les expéditions importées au Canada afin de s’assurer que les marchandises sont conformes aux dispositions législatives en matière de douanes. En qualité d’importateur, UPS est tenue de déclarer à l’ASFC toutes les marchandises importées au Canada.
[5] En vertu du Programme des messageries d’expéditions de faible valeur , qui s’applique aux marchandises importées ayant une valeur de 20,01 $ à 1 600 $, UPS présente chaque jour à l’ASFC des listes de fret et de mainlevée. Ces listes décrivent en détails toutes les expéditions qu’a reçues UPS ou qu’elle s’attend à recevoir ce jour-là. L’ASFC prend connaissance de chacune des listes et détermine quels articles elle souhaite inspecter à leur arrivée à l’entrepôt d’attente. Les articles en question sont isolés des autres colis, qui sont dédouanés et livrés. Chaque liste est d’abord remise sous forme électronique puis gravée sur un CD et acheminée à l’ASFC.
[6] Le 4 avril 2005, l’unité du ciblage et de l’analyse des risques de l’ASFC a mené une analyse des risques relatifs au fret décrit dans les listes de fret et de mainlevée de UPS gravées sur des CD. Les agents ont remarqué des numéros de repérage supplémentaires sous les rubriques [traduction] « Manifeste de marchandises passibles de droits – aucune donnée trouvée sur ce qui suit » et [traduction] « Dénombrement de colis scannés mais non codés (CSNC) ». L’ASFC s’est demandé si ces numéros avaient trait à des expéditions qui avaient été scannées à leur arrivée à l’entrepôt d’attente mais non déclarées.
[7] L’ASFC a communiqué avec UPS pour obtenir des renseignements sur les CSNC. L’entreprise a expliqué qu’il s’agissait de numéros créés à ses sites d’exportation. Cependant, elle n’a pu préciser pourquoi aucune information n’accompagnait ces numéros.
[8] Par conséquent, l’ASFC a procédé à une vérification au bureau sur les transactions impliquant l’entrepôt d’attente de Richmond (Colombie-Britannique) entre avril 2004 et avril 2005. On a relevé 9 789 CSNC pour la période. L’ASFC a décidé de se concentrer sur 20 CD correspondant aux mois de février, mars et avril 2005, qui comportaient 604 CSNC.
[9] Dans ses observations écrites, UPS a décrit en détail la procédure d’expédition et de repérage qui est appliquée pour les colis importés au Canada. Chaque colis est scanné au site d’exportation au moyen d’un scanneur à main. Afin de vérifier l’exactitude des données, un autre employé s’assure manuellement que toute l’information requise pour expédier le colis à l’étranger est bien entrée dans le système informatique de UPS. Cet employé va « coder » les données qui manquent. Les colis qui sont scannés mais non codés par le deuxième employé restent « en attente » dans le système.
[10] Un rapport de scan généré chaque jour par UPS indique tous les colis qui sont censés entrer au Canada ce jour-là. La liste comprend tous les colis scannés et entrés dans le système, peu importe qu’ils aient été codés ou non. La mention « en attente » est alors ajoutée. Le système informatique de UPS produit des avis d’exception quand l’information lue à partir d’une étiquette code à barres ne concorde pas avec les renseignements relatifs à un numéro de repérage. Ces avis d’exception figurent dans les rapports comme étant des CSNC.
[11] UPS affirme qu’il peut y avoir un CSNC dans plusieurs situations, notamment lorsque le client réutilise un emballage sans enlever les anciennes étiquettes codes à barres. Si un ancien code à barres est lu par inadvertance et que l’information relative à cet ancien code n’est pas supprimée, un CSNC est généré.
[12] Selon UPS, un CSNC ne désigne pas en soi un colis qui n’a pas été entré dans son système informatique, car il s’agit plutôt d’une création électronique ou d’une mention redondante d’un colis déjà déclaré à l’ASFC.
[13] Les listes quotidiennes de fret et de mainlevée acheminées à l’ASFC ne comprenaient pas la liste des CSNC. Selon UPS, ces derniers sont envoyés à son employé au sein du groupe de résolution des écarts qui est censé vérifier chaque CSNC. Toutefois, l’entreprise prétend que son personnel de l’entrepôt d’attente à Richmond (Colombie-Britannique) a inclus par inadvertance la liste des CSNC dans le CD contenant les listes quotidiennes de fret et de mainlevée.
[14] Néanmoins, le 25 avril 2005, l’ASFC a envoyé une demande écrite d’explications au sujet des CSNC et la preuve de la disposition légale de ces colis. Le défendeur donne diverses explications possibles des CSNC dans ses observations écrites : il peut y avoir un « déficit », quand un colis attendu n’arrive pas, ou un « surplus », quand un colis inattendu entre au Canada. Dans les deux cas, UPS pourrait fournir des justificatifs afin de convaincre l’ASFC qu’aucune marchandise non déclarée n’est entrée au Canada.
[15] UPS a pu fournir l’information demandée par l’ASFC pour 479 des CSNC repérés. Sur les 479, il y en avait 331 qui s’assortissaient d’une preuve quelconque de la disposition légale. Pour les 273 autres, l’ASFC a conclu que UPS n’avait pu transmettre les renseignements en temps opportun.
[16] UPS a pu fournir par la suite des justificatifs pour 110 autres expéditions, mais n’a pas été en mesure de prouver la disposition légale des 163 derniers colis.
[17] Le défendeur prétend que le propre système informatique de UPS montre que ces expéditions ont été soit scannées à leur arrivée à l’entrepôt d’attente, soit livrées à une adresse au Canada.
[18] Le 19 septembre 2005, le gestionnaire de UPS à l’aéroport de Vancouver a envoyé un courriel à l’ASFC expliquant que l’entreprise avait découvert la cause du problème et avait pris des mesures pour y remédier. Les catégories de colis générant des CSNC étaient : [traduction] « des marchandises égarées - destinées aux États-Unis ou exportées des États-Unis vers l’étranger et livrées au Canada en raison d’une erreur humaine »; [traduction] « des marchandises exportées initialement du Canada vers différentes destinations dans le monde puis renvoyées au Canada pour une raison ou une autre »; [traduction] « des marchandises canadiennes envoyées par erreur aux États-Unis et retournées au Canada ». Il semble que la plupart de ces colis aient été envoyés à destination sans être d’abord déclarés à l’ASFC.
[19] Le Régime de sanctions administratives pécuniaires (RSAP) a pour but de faire respecter les obligations de déclarations en matière d’importation de marchandises au Canada. En vertu du RSAP, toute personne qui néglige de déclarer comme il se doit des importations est passible de pénalités.
[20] Quand une personne se voit imposer une sanction en vertu du RSAP, elle reçoit un Avis de cotisation de pénalité (ACP) de l’ASFC décrivant l’infraction et la pénalité correspondante. Le 5 octobre 2005, l’ASFC a décidé d’établir un seul ACP à l’égard des 163 CSNC (la pénalité initiale). Les 163 CSNC ont été jugés entraîner une infraction C358, infraction spécifique créée dans le cadre du RSAP qui se produit quand un agent des douanes estime qu’une personne a retiré une expédition d’un bureau de douane avant d’obtenir l’autorisation ou la mainlevée de l’ASFC. Puisqu’il n’y a aucune information concernant la valeur exacte des colis qui étaient l’objet des CSNC, une valeur nominale de 1 $ a été attribuée à chacun.
[21] La décision d’établir un seul ACP au lieu de 163 avis différents a été prise suivant les conseils de plusieurs fonctionnaires de l’ASFC. Après plus amples consultations, l’ASFC a décidé qu’il était plus approprié d’établir un ACP pour chaque infraction. Le défendeur a expliqué que cette décision a été prise pour que l’ASFC puisse annuler complètement un avis si UPS était en mesure de fournir des preuves satisfaisantes de la disposition légale puisque, à cette époque, le système informatique de l’ASFC ne permettait pas l’annulation d’infractions individuelles visées par un seul ACP.
[22] La demanderesse soutient qu’un employé de l’ASFC, au début de novembre, a visité l’entrepôt d’attente et, sans autorisation, y a retiré la seule copie de la pénalité initiale se trouvant sur le bureau d’un employé de UPS avant que quiconque ait la possibilité d’en faire une photocopie.
[23] L’ASFC a déterminé qu’il y eu 11 autres infractions C358 postérieures à l’établissement de la pénalité initiale et a remplacé celle-ci par 174 ACP individuels le 11 novembre 2005 (les nouvelles pénalités). L’ASFC a réclamé une somme de 522 000 $. Dans le rapport de l’agent émetteur joint aux nouveaux avis de cotisation de pénalité, l’ASFC a expliqué qu’après avoir consulté la Division de politique et programme du RSAP, on a décidé d’annuler la pénalité initiale et d’établir des cotisations individuelles. Selon le rapport, l’annulation découlait d’une erreur administrative survenue durant le traitement de l’ACP initial.
[24] Conformément au paragraphe 129(1) de la Loi, UPS a présenté une demande en vue de faire rendre au ministre une décision concernant les nouvelles pénalités.
[25] L’ASFC a préparé un Résumé de l’affaire et motifs de la décision faisant état des observations de UPS et des réponses de l’ASFC au sujet des nouvelles pénalités.
[26] Dans une lettre datée du 4 décembre 2009, le ministre a communiqué sa décision indiquant qu’il y avait eu infraction à la Loi et au règlement sur les douanes et que les nouvelles pénalités établies au regard de l’infraction C358 étaient justifiées. Le ministre a réclamé la somme de 522 000 $. C’est ce montant qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
B. Décision contestée
[27] Le ministre a décidé qu’il y avait eu infraction à la Loi et que les pénalités établies au regard de l’infraction C358 dans les ACP étaient justifiées. Il a pris en considération plusieurs faits avant de décider de confirmer les pénalités. Même si UPS a soutenu que le montant de 522 000 $ était de nature punitive, le ministre a confirmé les sanctions établies parce que le processus de vérification avait été limité à la période allant de février à mars 2005 et à seulement 604 CSNC, alors que les vérificateurs avaient relevé 9 798 CSNC sur 237 CD entre avril 2004 et avril 2005. Le ministre a conclu que l’omission de UPS d’autoriser l’ASFC à examiner ces expéditions avait compromis le mandat de l’ASFC et que la pénalité était donc justifiée.
II. Les questions en litige
[28] La demanderesse considère que les questions suivantes doivent être tranchées :
(a) Le ministre a-t-il outrepassé son pouvoir légal :
(1) quand il a établi la pénalité initiale à un montant dépassant le plafond de 3 000 $ fixé dans le RSAP et le plafond légal de 25 000 $ énoncé à l’article 109.1 de la Loi?
(2) quand, après avoir annulé la pénalité initiale en vertu du paragraphe 127.1(1) de la Loi, il a établi les nouvelles pénalités visant les mêmes faits que la pénalité initiale, non pas pour annuler ou réduire celle-ci mais bien pour la majorer?
(b) Est-ce que le ministre a omis de respecter les principes d’équité procédurale en tenant compte d’éléments non pertinents (les CSNC) et en omettant des éléments pertinents, par exemple la nature indéterminée des CSNC et la véritable nature des infractions?
[29] Le défendeur, par ailleurs, fait valoir que les questions à trancher dans la présente demande sont les suivantes :
(a) Les limites acceptables d’une demande visant à contester une décision rendue en application de l’article 133 de la Loi sur les douanes;
(b) Le caractère raisonnable de la décision du ministre de confirmer la pénalité établie;
(c) L’effet de l’annulation de l’ACP initial et l’établissement d’ACP multiples.
[30] À mon avis, les questions à trancher se formulent comme suit :
(a) Les limites acceptables de la présente demande de contrôle judiciaire
(1) le caractère raisonnable de la décision du ministre de confirmer la pénalité établie;
(b) Le pouvoir légal du ministre au sujet :
(1) de la pénalité possible maximale;
(2) de l’annulation d’un ACP.
III. Arguments et analyse
A. Limites acceptables de la demande
[31] La demanderesse fait valoir que le ministre n’a pas respecté son obligation d’équité procédurale en déterminant que les 174 CSNC étaient la preuve d’une infraction C358. Elle est d’avis que le ministre, quand il a décidé qu’il y avait eu infraction à la Loi ou au règlement en ce qui concerne l’avis signifié, s’était appuyé sur des conclusions de fait qui découlaient de présomptions, qui étaient non corroborées et erronées de même que sur des conclusions de droit erronées. La demanderesse invoque à cet égard le fait que les CSNC n’établissent pas de manière indépendante que les marchandises ont été retirées de son entrepôt d’attente sans l’autorisation préalable de l’ASFC, ce qui est nécessaire pour qu’une infraction C358 ait été commise. La demanderesse soutient qu’en continuant de fonder la pénalité réclamée sur l’hypothèse incorrecte que les CSNC établissent de manière indépendante que les marchandises ont été retirées d’un entrepôt d’attente de UPS, le ministre s’est fié à des éléments non pertinents.
[32] Le défendeur souligne que cet argument revient, dans le fond, à contester la conclusion du ministre suivant laquelle, en vertu des dispositions de l’article 131, il y a eu infraction à la Loi. Il estime que cette contestation échappe à la compétence de la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.
[33] La demanderesse invoque l’article 129 de la Loi, qui dispose qu’une personne à qui un avis est signifié peut « présenter une demande en vue de faire rendre au ministre la décision prévue à l’article 131. » La structure de la Loi permet au ministre, quand il répond à une telle demande, de rendre deux décisions distinctes.
[34] Tout d’abord, en vertu du paragraphe 131(1), le ministre décide s’il y a eu infraction à la Loi ou au règlement. Le paragraphe 131(3) énonce un droit d’appel de cette décision selon les modalités prévues à l’article 135. La décision visée à l’article 131 n’est pas susceptible d’appel par voie judiciaire mais, suivant les modalités prévues à l’article 135, un appel doit se faire par voie d’action devant la Cour fédérale. Voici ce que prévoit le paragraphe 131(3) :
Recours judiciaire
(3) La décision rendue par le ministre en vertu du paragraphe (1) n’est susceptible d’appel, de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues au paragraphe 135(1).
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Judicial review
(3) The Minister’s decision under subsection (1) is not subject to review or to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with except to the extent and in the manner provided by subsection 135(1).
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[35] Le paragraphe 135(1) se lit comme suit :
135. (1) Toute personne qui a demandé que soit rendue une décision en vertu de l’article 131 peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la communication de cette décision, en appeler par voie d’action devant la Cour fédérale, à titre de demandeur, le ministre étant le défendeur.
[Non souligné dans l’original.] |
135 (1) A person who requests a decision of the Minister under section 131 may, within ninety days after being notified of the decision, appeal the decision by way of an action in the Federal Court in which that person is the plaintiff and the Minister is the defendant.
(emphasis added) |
[36] Si le ministre décide, en réponse à une demande de révision, qu’il y a eu infraction, il peut rendre une deuxième décision concernant le montant de la pénalité réclamée. L’article 133 lui permet de remettre une portion de la pénalité établie en vertu de l’article 109.3 ou de réclamer une somme supplémentaire.
[37] Selon le défendeur, par conséquent, la voie d’appel prévue par le législateur empêche la Cour de réviser une décision rendue en application de l’article 133 au moyen d’un contrôle judiciaire. Il affirme, avec raison selon moi, que UPS aurait dû intenter une action en vertu de l’article 135 dans un délai de 90 jours suivant la date de l’avis de décision afin de contester la conclusion du ministre au sujet de l’existence d’une infraction.
[38] À l’appui de sa thèse, le défendeur cite le jugement de la Cour fédérale dans ACL Canada Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), (1993) 68 FTR 180, 107 DLR (4th) 736 (C.F. 1ère inst.). Dans cette affaire, le juge Andrew MacKay s’est exprimé comme suit au paragraphe 54 :
À mon avis, le législateur a entendu protéger de tout appel l'amende prononcée après qu'il a été jugé qu'il y a eu contravention à la Loi. Cela pourrait surprendre puisque cette amende est souvent le principal sujet de préoccupation de la personne dont des marchandises ont été saisies sous le régime de la Loi ou à laquelle a été signifié un avis de paiement en application de l'article 124. Il ne s'agit cependant là que de la continuation d'un régime établi de longue date au fil des lois sur les douanes qui se sont succédé par le passé, du moins en ce qui concerne les marchandises saisies, car les marchandises sont confisquées au profit de Sa Majesté au moment de l'infraction (article 122), et une fois jugé qu’il y a eu contravention à la Loi ou aux règlements, les conditions de restitution, quelle qu'elle soit, échappent à la compétence de la Cour (Lawson et al. c. La Reine, [1980] 1 C.F. 767 (C.F. 1re inst.), jugement rendu par le juge Mahoney, page 772).
[39] La présente demande de contrôle judiciaire ne peut donc viser qu’à déterminer si la décision du ministre de confirmer le montant de la pénalité établie était raisonnable ou non. Il n’appartient pas à la Cour de réviser les observations de UPS au sujet de la violation supposée de l’obligation d’équité procédurale à l’étape de l’analyse de l’existence même d’une infraction. Cependant, quand on examine la pénalité infligée, pour reprendre les termes du juge MacKay dans ACL, précité, au paragraphe 55 :
Cela ne veut pas dire qu'en matière d'amendes, le ministre soit investi d'un pouvoir discrétionnaire illimité. La Loi et les règlements prévoient un maximum pour les amendes, et la fixation du montant d'une amende n'échappera pas au contrôle judiciaire de la Cour en tant que décision administrative, surtout au regard de l'obligation d'équité. Il s'ensuit que si l'article 135 ne donne pas à la Cour compétence pour se prononcer sur l'amende infligée après verdict de contravention à la Loi, elle tient néanmoins des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-17, modifiée par L.C. 1990, ch. 8, art. 4 et 5, la compétence voulue pour examiner si le pouvoir discrétionnaire d'imposer une amende pour contravention à la Loi, a été exercé conformément aux règles de droit.
(1) La norme de contrôle
[40] Le défendeur affirme que la décision du ministre devrait être révisée en fonction de la norme de la raisonnabilité pour les motifs suivants :
(i) Le législateur n'a pas prévu de droit d'appel d'une telle décision, et le seul recours contre la pénalité ou l'amende prononcée est le contrôle judiciaire, d'où il faut conclure à l'obligation d'un niveau élevé de retenue pour la Cour;
(ii) Le ministre possède des connaissances spéciales en matière d'administration des pénalités sous le régime de la Loi, et ces connaissances se rapportent à l'affaire dont il est saisi;
(iii) L’article 133 confère des pouvoirs discrétionnaires;
(iv) La Loi a pour objet de régler l'importation de marchandises au Canada et les droits de douanes applicables à ces marchandises. Elle prévoit aussi des pénalités pour sanctionner ses violations, ainsi que la prise de règlements pour faire respecter le système des douanes et assurer l'observation des dispositions douanières;
(v) L'affaire soulève principalement des questions de fait et met en jeu des problèmes plus généraux d'action publique.
[41] UPS fait valoir, et la Cour est d’accord, que l’équité procédurale devrait être l’objet d’un contrôle en fonction de la norme de la décision correcte. Toutefois, d’après le raisonnement décrit ci-dessus, l’argument de UPS relatif à l’équité procédurale n’entre pas dans les limites de l’examen effectué dans le cadre de la présente demande.
[42] Même si la Cour pouvait trancher les questions fondées sur l’équité procédurale, c'est-à-dire déterminer que le ministre a décidé de confirmer les pénalités établies, décision qui est susceptible de contrôle, en s’appuyant sur des renseignements non pertinents, UPS ne m’a pas convaincu que les CSNC étaient effectivement dénués de pertinence. Les CSNC résident au cœur de la vérification ainsi que des ACP et des pénalités établis subséquemment. UPS n’a pas pu convaincre l’ASFC dans les six années qui se sont écoulées depuis le début du processus que les CSNC n’étaient pas pertinents, et elle ne peut non plus convaincre la Cour maintenant – soit parce qu’une conclusion à ce propos n’entre pas dans la portée du contrôle judiciaire, soit parce que je ne peux voir où le ministre a failli à son obligation d’équité procédurale envers la demanderesse en se fondant sur les CSNC. La demanderesse a pu se faire entendre et savoir quelle preuve était présentée contre elle. La jurisprudence qu’elle cite (Elwell c. Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CF 943, 2004 DTC 6543) est à peu près inapplicable à la présente affaire. Dans cette décision, la Cour a conclu que l’ARC n’avait pas fait preuve d’équité procédurale envers le demandeur parce que le ministre n’avait pas produit de preuve documentaire indiquant qu’il avait envoyé au demandeur les avis qu’il prétendait lui avoir fait parvenir à de nombreuses occasions, dans un dossier où il y avait eu plein de problèmes de communication entre les parties et des délais considérables.
[43] Il reste donc à déterminer si la décision du ministre relative au montant de la pénalité était raisonnable.
[44] Le défendeur soutient que le ministre a fondé sa décision sur le fait que le montant imputé représentait seulement une fraction du montant qui aurait été vraisemblablement réclamé si l’ASFC avait effectué une vérification de plus grande portée. Il fait valoir que, étant donné l’envergure de l’infraction et sa gravité, le pouvoir discrétionnaire du ministre de confirmer le montant de la pénalité ne peut être considéré déraisonnable.
[45] Je souscris aux observations du défendeur sur ce point. La décision du ministre est transparente et intelligible. La Cour n’annulera pas cette décision parce qu’elle n’est pas conforme au critère de raisonnabilité.
B. Le ministre a-t-il outrepassé le pouvoir que lui confère la Loi?
(1) Pénalité maximale énoncée dans la Loi
[46] La demanderesse affirme que le ministre a outrepassé son pouvoir légal en annulant la pénalité initiale pour la remplacer par une pénalité plus élevée.
[47] La demanderesse est d’avis que le ministre a commis une erreur en réclamant une somme qui dépasse les sanctions maximales fixées dans la Loi et le RSAP. Selon le paragraphe 109.1(1) de la Loi, une personne qui omet de se conformer à une disposition de la Loi ou de certains règlements peut se voir imposer une pénalité d’au plus 25 000 $.
Dispositions désignées
109.1 (1) Est passible d’une pénalité maximale de vingt-cinq mille dollars fixée par le ministre quiconque omet de se conformer à une disposition d’une loi ou d’un règlement, désignée par un règlement pris en vertu du paragraphe (3). |
Designated provisions
109.1 (1) Every person who fails to comply with any provision of an Act or a regulation designated by the regulations made under subsection (3) is liable to a penalty of not more than twenty-five thousand dollars, as the Minister may direct.
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[48] Le Document-maître des infractions de l’ASFC prévoit, au regard de l’infraction C358, une pénalité pouvant atteindre au maximum 3 000 $ ou 20 % de la valeur en douane, selon le plus élevé des deux montants, à partir de la troisième infraction.
[49] Les pénalités infligées dans le cadre du RSAP prévues au paragraphe 109.1(1) sont établies en vertu du paragraphe 109.3(1), qui exige l’envoi d’un avis écrit de la cotisation à la personne tenue de payer la pénalité conformément à l’article 109.1.
Cotisation
109.3 (1) Les pénalités prévues aux articles 109.1 ou 109.2 peuvent être établies par l’agent. Le cas échéant, un avis écrit de cotisation concernant la pénalité est signifié à personne ou par courrier recommandé ou certifié par l’agent à la personne tenue de la payer. |
Assessment
109.3 (1) A penalty to which a person is liable under section 109.1 or 109.2 may be assessed by an officer and, if an assessment is made, an officer shall serve on the person a written notice of that assessment by sending it by registered or certified mail or delivering it to the person.
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[50] L’avis relatif à la pénalité initiale mentionnait un montant de 489 000 $. Selon la demanderesse, ce total est supérieur au maximum légal décrit à l’article 109.1.
[51] À la lecture du dossier, je comprends que la demanderesse a cherché à prouver durant le contre-interrogatoire de Robert Carmichael que l’ASFC a annulé la pénalité initiale quand elle s’est rendue compte qu’elle ne respectait pas le maximum fixé par le législateur. Quand la demanderesse a insisté sur ce point auprès de l’auteur de l’affidavit, ce dernier a émis l’hypothèse que les termes « erreur administrative » utilisés pour expliquer l’annulation étaient simplement l’expression générale la plus applicable qui pouvait être entrée dans le système administratif servant à annuler l’ACP. L’auteur de l’affidavit a soutenu que l’ASFC pouvait aussi bien émettre un seul ACP que plusieurs.
[52] Dans ses observations à ce sujet, le défendeur fait valoir que la demanderesse s’est attardée au sens technique du terme « pénalité ». Le défendeur est d’avis qu’un ACP peut viser un grand nombre d’infractions, et que c’est chaque infraction ou pénalité et non pas l’ACP en soi qui est visé par le plafond légal.
[53] Je suis d’accord avec le défendeur. Je ne vois rien dans la Loi, ni aucune justification dans les observations de la demanderesse, qui appuierait la prétention suivant laquelle chaque ACP ne peut viser qu’une seule infraction ou pénalité. Il est évident à la lecture du dossier que l’ASFC s’est interrogée sur la façon de procéder, soit au moyen d’un seul ACP qui couvrirait tous les CSNC, soit au moyen de plusieurs ACP portant sur chaque CSNC. Chacun des CSNC a reçu une valeur nominale de 1 $. Étant donné l’envergure de l’infraction, l’ASFC a ensuite appliqué à chaque CSNC le maximum permis par le RSAP, c'est-à-dire 3 000 $, pour arriver au montant réclamé.
[54] Je ne peux conclure que le ministre a outrepassé son pouvoir légal en confirmant la pénalité de 522 000 $.
(2) Effet de l’annulation de la pénalité initiale
[55] La demanderesse soutient que la décision du ministre d’annuler la pénalité initiale pour établir une nouvelle pénalité supérieure est régie par l’article 127.1 de la Loi. Cet article permet au ministre d’annuler une pénalité établie en vertu du paragraphe 109(1) :
Mesures de redressement
127.1 (1) Le ministre ou l’agent que le président désigne pour l’application du présent article peut annuler une saisie faite en vertu de l’article 110, annuler ou réduire une pénalité établie en vertu de l’article 109.3 ou une somme réclamée en vertu de l’article 124 ou rembourser un montant reçu en vertu de l’un des articles 117 à 119, dans les trente jours suivant la saisie ou l’établissement de la pénalité ou la réclamation dans les cas suivants :
a) le ministre est convaincu qu’aucune infraction n’a été commise;
b) il y a eu infraction, mais le ministre est d’avis qu’une erreur a été commise concernant la somme établie, versée ou réclamée en garantie et que celle-ci doit être réduite. |
Corrective measures
127.1 (1) The Minister, or any officer designated by the President for the purposes of this section, may cancel a seizure made under section 110, cancel or reduce a penalty assessed under section 109.3 or an amount demanded under section 124 or refund an amount received under any of sections 117 to 119 within thirty days after the seizure, assessment or demand, if
(a) the Minister is satisfied that there was no contravention; or
(b) there was a contravention but the Minister considers that there was an error with respect to the amount assessed, collected, demanded or taken as security and that the amount should be reduced.
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[56] Hormis l’article 127.1, il n’y a pas d’autre disposition dans la Loi qui accorde au ministre le pouvoir d’annuler des pénalités. L’article 127.1 ne l’autorise pas à établir de nouvelles pénalités pour la même infraction, et aucune autre disposition ne lui permet d’agir de la sorte. La demanderesse affirme donc qu’en annulant la pénalité en vertu de l’article 127.1, le ministre doit avoir décidé soit a) qu’il n’y avait pas eu d’infraction, soit b) qu’il y avait eu infraction mais qu’une erreur a été commise concernant la somme initiale établie et que celle-ci devrait alors être réduite. Par conséquent, le ministre a commis une erreur en établissant une nouvelle pénalité majorée.
[57] Le défendeur estime que la demanderesse présente un argument qui accorde une importance exagérée à la forme. Il n’y a pas eu d’annulation de la pénalité au sens de l’article 127.1, car le ministre a simplement établi de nouveau les mêmes pénalités pour le même montant et les mêmes infractions. À l’audience, le défendeur a précisé que les pénalités elles-mêmes n’avaient jamais été annulées, que seul l’ACP initial avait été annulé puis établi de nouveau sous forme d’ACP individuels. Les pénalités en soi sont toujours restées les mêmes. Il y a eu 11 nouvelles pénalités infligées pour des infractions mises au jour après l’établissement de la pénalité initiale. Le dossier indique clairement que le ministre n’a pas conclu à l’absence d’infraction et qu’il n’y a pas eu d’erreur qui justifierait une réduction de la pénalité. Le défendeur soutient que la raison pour laquelle l’ACP initial a été annulé n’est pas vraiment pertinente.
[58] Selon la preuve par affidavit, l’ASFC a décidé initialement d’établir un ACP visant 163 cas d’infractions afin de réduire le nombre de documents. Après réflexion, l’ASFC a décidé qu’il valait mieux établir 163 ACP individuels parce que son système informatique ne pouvait annuler des infractions à l’intérieur d’un seul ACP.
[59] Puisque j’ai conclu qu’aucune disposition de la Loi n’empêche d’établir un ACP visant plusieurs infractions, chaque infraction étant assujettie individuellement à la pénalité maximale prévue dans la Loi, je ne peux conclure ici que la demanderesse a subi un préjudice quelconque à cause de l’établissement de nouveaux ACP multiples qui infligeaient des pénalités équivalentes. Il se peut bien que le législateur n’accorde pas expressément à l’ASFC ou au ministre le pouvoir d’établir de nouvelles pénalités sous une forme administrative différente ou d’annuler des ACP, mais je m’inspire des principes modernes en matière d’interprétation des lois, soit –
Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution: il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
(cité dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, paragraphe 21)
Quand on lit les dispositions applicables de concert, rien ne laisse entendre qu’un ACP devrait être confondu avec une pénalité. Je ne peux souscrire à l’observation de la demanderesse quant au fait que le ministre aurait outrepassé sa compétence quand il a établi un nouvel ACP.
[60] Je soulignerai aussi l’observation du défendeur suivant laquelle la demanderesse n’a invoqué l’argument fondé sur l’article 127 que dans sa demande de contrôle judiciaire. Elle n’en avait jamais parlé avec le délégué du ministre quand elle a demandé au ministre de rendre une décision en vertu de l’article 129 de la Loi.
[61] Même si le ministre n’avait pas le pouvoir d’annuler la pénalité initiale en dehors du régime établi à l’article 127.1, je souscris aux observations du défendeur quand il affirme qu’il s’agit d’un vice de forme n’ayant entraîné aucun dommage important. Le défendeur demande à la Cour d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré au paragraphe 18.1(5) de la Loi sur les cours fédérales :
Vice de forme
(5) La Cour fédérale peut rejeter toute demande de contrôle judiciaire fondée uniquement sur un vice de forme si elle estime qu’en l’occurrence le vice n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice et, le cas échéant, valider la décision ou l’ordonnance entachée du vice et donner effet à celle-ci selon les modalités de temps et autres qu’elle estime indiquées.
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Defect in form or technical irregularity
(5) If the sole ground for relief established on an application for judicial review is a defect in form or a technical irregularity, the Federal Court may
(a) refuse the relief if it finds that no substantial wrong or miscarriage of justice has occurred; and |
[62] À mon avis, la présente affaire est tout indiquée pour l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire.
[63] Subsidiairement, si l’annulation de la pénalité initiale était une erreur, le défendeur fait valoir que la demanderesse exerce un recours inapproprié. La demanderesse estime que le ministre a agi en dehors de ses compétences en annulant la pénalité initiale et en établissant la nouvelle pénalité, de sorte que le montant réclamé devrait être annulé. Le défendeur, par ailleurs, soutient que, si le ministre a outrepassé ses pouvoirs, il est loisible à la Cour de défaire ce qui a été fait. Le cas échéant, cela signifierait qu’elle peut annuler l’annulation de la pénalité initiale. Si la Cour décide de le faire, il n’y a rien qui empêche le ministre d’établir des ACP pour les 11 infractions subséquentes. Par conséquent, le résultat est le même et la demanderesse est encore tenue de payer une pénalité.
IV. Conclusion
[64] Compte tenu de ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que :
1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucuns dépens ne sont adjugés.
Traduction certifiée conforme
Evelyne Swenne, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-5-10
INTITULÉ : UNITED PARCEL SERVICE CANADA LTD.
c.
MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
LIEU DE L’AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 24 NOVEMBRE 2010
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : LE 21 FÉVRIER 2011
COMPARUTIONS :
David E. Spiro
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POUR LA DEMANDERESSE |
Alexandre Kaufman
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
David E. Spiro Fraser Milner Casgrain LLP Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |