Cour fédérale |
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Federal Court |
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 18 février 2011
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RENNIE
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) à l’égard d’une décision du 13 mai 2010 par laquelle la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a décidé que la demanderesse était interdite de territoire par suite d’une mesure d’exclusion prise en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[2] La demanderesse est entrée légalement au Canada en provenance de la Chine en août 2005, munie d’un visa d’étudiant. Ce visa était valide jusqu’en septembre 2010. La demanderesse a fait la connaissance de Hao Lou au Seneca College lorsque la société pour laquelle M. Lou travaillait a tenu une activité promotionnelle dans le campus où elle étudiait. La demanderesse affirme que M. Lou et elle se sont fréquentés, puis se sont mariés le 16 mars 2008. Par la suite, Mme Li a déposé une demande de résidence permanente et M. Lou a déposé une demande d’engagement en sa faveur.
[3] En janvier 2010, des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) se sont présentés à la résidence de la demanderesse pour enquêter sur son statut au Canada. Selon les constatations qu’ils ont alors faites et les déclarations de Mme Li, les agents de l’ASFC ont conclu que celle‑ci ne vivait pas avec son époux et que de plus, Mme Li n’ayant pas informé l’ASFC de ce fait, elle était visée par l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Elle a ensuite été arrêtée, on l’a informée de ses droits, et son passeport a été saisi. L’affaire a ensuite été déférée pour enquête. Le 13 mai 2010, l’agent d’audience a conclu que Mme Li tombait sous le coup de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, après que Mme Li eut admis, par l’intermédiaire de son avocat, qu’elle et M. Lou ne vivaient plus ensemble. Une mesure d’exclusion a été prise contre la demanderesse.
[4]
L’avocat de Mme Li
affirme aujourd’hui que les agents de l’ASFC ont omis d’informer la
demanderesse de son droit d’être représentée par un avocat, au moment de son
arrestation, et il demande en conséquence à la Cour d’annuler la décision de la
CISR et d’ordonner une nouvelle enquête. Plus précisément, la demanderesse
sollicite l’annulation de la décision en alléguant qu’il y a eu manquement à l’équité
procédurale dans le cadre de l’interrogatoire à l’étape de l’enquête de l’ASFC,
que les droits qui lui sont garantis par l’alinéa 10b) de la Charte
canadienne des droits et libertés (la Charte) n’ont pas été
respectés et qu’elle n’a pas eu droit à une audition pleine et équitable devant
la Section de l’immigration.
[5] Les préoccupations de la demanderesse se rapportent à la conduite de l’enquête de l’ASFC. L’avocat de Mme Li avance que les agents procédaient à une vérification au hasard dans le cadre d’une enquête élargie sur les cas de mariages de complaisance, et qu’aucune preuve au dossier ne permet de savoir ce qui a amené les agents à se rendre chez la demanderesse et à lui poser des questions. De l’avis de l’avocat, le dossier doit comporter certains éléments justifiant les soupçons des agents pour faire naître le droit d’interroger un demandeur. Cet argument pose deux problèmes.
[6] Premièrement, les non‑citoyens n’ont pas un droit absolu de demeurer au Canada. Lorsque le fondement de la demande parrainée de résidence permanente au Canada présentée par la demanderesse a cessé d’exister, celle‑ci avait l’obligation d’informer les autorités de Citoyenneté et Immigration Canada du changement important survenu dans sa situation. Elle ne l’a pas fait. Deuxièmement, les articles 15 et 16 de la LIPR autorisent les agents de l’ASFC à vérifier si les critères de la LIPR régissant le droit au statut de résident permanent au Canada sont respectés. La jurisprudence ne permet pas de conclure que les agents sont tenus de consigner au dossier les motifs justifiant leur décision de vérifier la véracité d’une demande.
[7] La demanderesse plaide qu’elle a été privée de son droit à l’assistance d’un avocat de deux manières. Premièrement, elle prétend que puisqu’elle risquait l’arrestation et l’exclusion immédiate du Canada, le droit à un avocat a pris naissance dès l’arrivée des agents de l’ASFC à sa résidence. Deuxièmement, la demanderesse soutient que la mention [traduction] « l’intéressée a été informée de ses droits […] », dans les notes des agents, est insuffisante pour permettre de conclure qu’elle a bien été informée de son droit à l’avocat. De l’avis de son avocat, la preuve devrait établir à tout le moins qu’elle a été « mise en garde » [« cautioned »], forme abrégée habituellement utilisée pour désigner un avertissement donné en vertu de l’alinéa 10b) de la Charte.
[8] Il est possible de répondre rapidement à ce dernier argument. Celui‑ci n’est pas étayé par le sens ordinaire et courant de cette note. Le libellé [traduction] « l’intéressée a été informée de ses droits » est, suivant le sens ordinaire et littéral des mots, synonyme d’être « mis en garde ». La signification manifeste de ces mots ne fait aucun doute lorsqu’on les place dans leur contexte; en effet, ils sont inscrits immédiatement après la mention que la demanderesse a été informée de son arrestation pour [traduction] « fausses déclarations/enquête ». La fonction des mots est renforcée par le fait qu’à la suite de l’expression [traduction] « informée de ses droits », les notes des agents indiquent que la demanderesse [traduction] « dit ne pas comprendre les questions du rapport de l’enquêteur et agit comme si elle avait sommeil ». Quoi qu’il en soit, le rapport ne contient aucun aveu contre intérêt subséquent à la mise en garde donnée à la demanderesse.
[9] Le nœud de l’argumentation de la demanderesse est que les droits que lui garantissent l’alinéa 10b) de la Charte auraient dû s’appliquer dès le début de l’enquête menée par l’ASFC. Une telle exigence supposerait, naturellement, que l’avocat soit présent au tout début de la phase d’enquête et immédiatement avant l’arrestation. Le principe énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053, fournit des éléments d’orientation. Bien que l’affaire Dehghani ait mis en cause une personne interrogée dans le cadre d’un deuxième interrogatoire à l’aéroport, le principe formulé par la Cour suprême est pertinent :
[…] ni l’existence d’une obligation légale de répondre aux questions posées par l’agent d’immigration ni l’existence de sanctions criminelles tant pour l’omission de répondre aux questions que pour le fait de formuler sciemment une déclaration fausse ou trompeuse n’obligent à conclure que l’appelant a été détenu au sens de l’al. 10b). (paragraphe 41)
[10] Il ne fait aucun doute que Mme Li était sur le point d’être détenue lorsque les agents l’ont informée de leur intention de l’arrêter pour violation de la LIPR. Toutefois, avant que les agents d’exécution de la loi n’aient formé cette intention, ils n’étaient pas tenus d’informer Mme Li d’un droit à l’assistance d’un avocat pendant qu’ils l’interrogeaient. Ce droit n’a pris naissance qu’à compter de leur décision de procéder à son arrestation : Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, paragraphes 53 à 61; R c. Grant, 2009 CSC 32.
[11] Du point de vue de l’équité procédurale, il faut aussi tenir compte du fait qu’à la suite de l’arrestation, le demandeur a le droit d’être assisté d’un avocat, d’obtenir divulgation et d’appeler des témoins devant la Section de l’immigration. Dans ce contexte, et compte tenu de ce que les exigences relatives à l’équité procédurale sont moins strictes dans la procédure prévue à l’article 44 de la LIPR : Richter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 806, au paragraphe 18, l’équité procédurale n’emporte pas le droit à un avocat au stade de l’enquête de l’ASFC.
[12] La demanderesse avance un autre argument concernant son droit d’être pleinement représentée par un avocat. Bien qu’elle n’ait pas soulevé cet argument dans le mémoire des faits et du droit, elle a fait valoir dans ses observations orales que le fait d’avoir admis, devant la Section de l’immigration, avoir enfreint l’alinéa 44(1)a) de la LIPR, était inconsidéré. L’avocat qui la représente devant la Cour, qui n’est pas celui que la demanderesse avait retenu pour l’enquête devant la Section de l’immigration, soutient la demanderesse n’aurait pas dû admettre qu’elle avait enfreint les conditions de son droit de demeurer au Canada, parce que la signification de l’exigence de « vivre » avec son conjoint canadien est ambiguë. L’avocat plaide également que, la date à laquelle la demanderesse et son époux ont cessé de vivre ensemble n’étant pas connue avec précision, la preuve était insuffisante pour étayer l’admission.
[13] Mme Li était représentée par un avocat aussi bien à la conférence de gestion de l’instance, le 9 avril 2010, lors de laquelle les questions ont été discutées, qu’à l’enquête du 13 mai 2010. Il ne peut y avoir aucun doute que la demanderesse comprenait pleinement quelle était la question en litige dans le cadre de ces séances. Un interprète était aussi présent à l’enquête :
COMMISSAIRE : Oui, je vois qu’elle a de la
difficulté. Nous devrions donc peut‑être avoir recours à l’interprète, pour
plus de certitude.
CONSEIL : Oui.
COMMISSAIRE : Nous aurons donc une interprète.
INTERPRÈTE : Vous devez le dire si vous ne …
CONSEIL : Vous devez parler.
INTÉRESSÉE : Je pensais que (inaudible).
COMMISSAIRE : Vous – Dans quelle mesure comprenez‑vous l’anglais?
INTÉRESSÉE : Peut‑être à 80 p. cent.
COMMISSAIRE : 80 p. cent.
Pour une audience, toutefois, 80 p. cent, ce n’est pas suffisant. Nous aurons donc recours à l’interprète.
Cette compréhension à 80 p. cent convient peut‑être dans une conversation en anglais, mais, dans le cadre d’une instance, nous devons nous assurer que vous comprenez à 100 p. cent.
CONSEIL : Très bien.
COMMISSAIRE : Nous aurons donc recours à l’interprète.
INTÉRESSÉE : D’accord.
CONSEIL : D’accord.
COMMISSAIRE : D’accord.
Nous ferons donc appel à l’interprète à partir de maintenant, d’accord?
INTERPRÈTE: Oui.
[14] L’admission de la violation de l’alinéa 44(1)a) de la LIPR était claire et sans équivoque :
COMMISSAIRE : Les parties sont‑elles disposées à poursuivre l’audience aujourd’hui?
CONSEIL DU MINISTRE : Oui.
CONSEIL : Oui.
COMMISSAIRE : Très bien.
Normalement, nous commençons avec M. Greco, qui présente les arguments du gouvernement, mais, si j’ai bien compris, il y aura des concessions.
CONSEIL : Oui.
COMMISSAIRE : Commençons donc par les concessions.
CONSEIL : Oui.
Monsieur le Commissaire, Monsieur le Président, comme je l’ai indiqué plus tôt, je suis le conseiller juridique […] et je représente l’intéressée à la présente audience, Mme Shi Li.
Nous sommes prêts à concéder que Mme Shi Li ne vivait pas avec son répondant au moment où l’enquêteur s’est présenté à son appartement.
Et qu’elle n’en a pas prévenu directement les autorités de l’immigration, ce qui constitue un fait important.
Nous voulons toutefois qu’il soit inscrit au dossier que Mme Shi Li a contracté un mariage légitime et véritable, qui s’est soldé par un échec.
Et donc, comme vous le savez, selon mon interprétation de la loi, en particulier de la Loi sur l’immigration, cela n’empêche pas de conclure à l’application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi.
Et nous ne souhaitons pas contester ce fait. Nous admettons le fait qu’elle ne vivait pas avec son époux au moment de la vérification.
[15] Les clients sont censés avoir autorisé les déclarations de leur avocat, et ils sont liés par celles‑ci. C’est la règle fondamentale qui régit la relation entre un avocat et ses clients. La Cour n’essaiera pas d’évaluer si l’affaire aurait pu être présentée différemment ou s’il était peu judicieux, sur le plan stratégique, de faire des concessions. En terminant, je signalerai que Mme Li n’affirme pas, dans son affidavit, qu’elle n’avait pas confiance en son avocat, qu’elle n’a pas compris ce qui s’est passé à l’audience ou qu’elle n’a pas mandaté ou autorisé son avocat à prendre la position qu’il a prise.
[16] Les faits en l’espèce ne ressemblent pas à ceux de l’affaire Shirwa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 CF 51, invoquée par l’avocat de la demanderesse. Dans cette affaire, le demandeur était représenté par une personne qui prétendait être un avocat alors qu’il n’en était pas un, qui a omis de déposer des observations écrites quand il devait le faire et qui s’est borné à déposer un Formulaire de renseignements personnels (FRP) à titre d’arguments au nom de son client. La situation n’est tout simplement pas la même en l’espèce.
[17] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[18] La demanderesse a proposé que soit certifiée la question suivante :
[traduction]
Quelle norme de
contrôle ou d’équité procédurale devrait s’appliquer à la rédaction d’un
rapport établi au titre de l’article 44 relativement à une allégation de
mariage de complaisance?
[19] À mon avis, cette question ne répond pas aux critères rigoureux établis par la Cour d’appel pour la certification de questions : Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145. Ce que propose la demanderesse est une question générique qui, vu les faits, est hypothétique. Il n’est pas nécessaire de répondre à la question proposée pour trancher la présente affaire.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est par les présentes rejetée. La question proposée ne sera pas certifiée.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2983-10
INTITULÉ : SHI LI c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
DATE DE L’AUDIENCE : Le 19 janvier 2011
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE RENNIE
DATE DES MOTIFS : Le 18 février 2011
COMPARUTIONS :
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POUR LA DEMANDERESSE
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Nimanthika Kaneira |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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POUR LA DEMANDERESSE |
Myles J.
Kirvan Ottawa (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
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