[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 9 février 2011
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RENNIE
ENTRE :
JOSE JAIR OROZCO FAJARDO
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 28 mai 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Pour les motifs exposés ci‑après, la demande est accueillie.
[2] Les demandeurs sont citoyens de la Colombie. Angela Alvarez est la demanderesse principale. Son conjoint de fait, qu’elle a rencontré aux États‑Unis, a également présenté une demande à la SPR, mais il a admis qu’il n’avait pas quitté la Colombie par crainte de persécution. La demanderesse principale a affirmé avoir été victime de violence, de graves menaces d’extorsion et de menaces de mort de la part des Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia (FARC) (Forces armées révolutionnaires de Colombie). La SPR a rejeté cette prétention en raison de son manque de crédibilité et du critère objectif de la crainte énoncé aux articles 96 et 97 de la LIPR. De plus, la SPR a conclu que Mme Alvarez avait une possibilité de refuge intérieur sûr en Colombie. Cette décision comporte deux erreurs susceptibles de contrôle.
[3] La première erreur découle de l’approche de la SPR à l’égard des éléments de preuve étayant la crainte de la demanderesse d’être persécutée ou de subir un préjudice. La SPR a établi ainsi que la question déterminante concernait la crédibilité :
[9] En l’espèce, la question déterminante est la crédibilité et, parallèlement, le bien‑fondé de la crainte de la demandeure d’asile. Le tribunal estime que les aspects importants du récit de la demande d’asile principale ne sont pas entièrement crédibles pour les raisons exposées ci‑après.
[10] La demandeure d’asile principale a dit que, en juin 2006, des collègues et elle avaient rencontré des membres des FARC à l’un de leurs barrages routiers dans la région. Ceux‑ci avaient examiné leurs cartes d’identité nationales (cedulas) et les avaient laissés partir. En apprenant cela, le maire leur avait conseillé de cesser leur travail social. Cependant, elle a dit que, bien qu’elle y ait mis fin, elle a reçu un appel des FARC en septembre 2006, qui lui ont dit qu’elle était une ennemie de leur organisation. Des membres des FARC l’ont battue et lui ont même envoyé une note de menace de mort. Soulignant qu’elle était simplement une adjointe ou une secrétaire dans ce programme de la mairie et qu’elle s’était effectivement pliée à l’exigence des FARC, le tribunal a peine à croire que les FARC lui accorderaient autant d’attention et continueraient à la harceler en la menaçant et en lui téléphonant même après son départ, puis à son retour à Medellin depuis le Costa Rica. [dossier de demande des demandeurs, p. 8‑9]
[4] Tout d’abord, en mettant l’accent sur le poste qu’occupait la demanderesse principale au sein de l’administration civile de la municipalité plutôt que sur les fonctions qu’elle exerçait à ce titre, la SPR s’est écartée des directives énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. La preuve dont disposait la SPR révélait que les responsabilités de la demanderesse principale consistaient notamment à travailler avec des personnes déplacées dans les régions où les FARC étaient actives, à visiter les régions antérieurement occupées par les FARC, à examiner les cadavres, à photographier leurs biens et à travailler avec les villageois, [traduction] « afin de s’assurer que les paysans avaient vraiment compris les conséquences désastreuses auxquelles ils s’exposaient en rejoignant les rangs de ces groupes illégaux ». En mettant l’accent sur le poste ou le rang qu’occupait la demanderesse principale au sein de l’administration civile de la municipalité, la SPR a fait abstraction de ses véritables responsabilités dans le cadre de la mise en œuvre d’un programme d’aide, notamment celles susmentionnées. La SPR a donc laissé de côté des éléments de preuve importants et a omis de se demander si ses activités seraient considérées par les FARC comme des activités politiques. Il s’agit là d’une erreur susceptible de contrôle.
[5] Quant à la seconde erreur, la demanderesse a déclaré avoir été enlevée et battue par les FARC. La SPR a insisté sur la « preuve absolue » de cette allégation. La SPR a également rejeté la prétention de Mme Alvarez parce qu’elle croyait, « selon la prépondérance des probabilités, qu’elle n’était pas une cible des FARC ». Aucune de ces conclusions ne repose sur la norme juridique applicable. Il n’incombait pas à la demanderesse principale de produire une preuve concluante ou une preuve selon la prépondérance des probabilités. Le critère consiste à déterminer s’il existe une possibilité sérieuse de persécution ou de préjudice. Comme l’a rappelé le juge O'Reilly dans Alam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 4, lorsque la Commission a rehaussé à tort la norme de preuve, ou que la Cour ne peut déterminer la norme de preuve qui a été effectivement appliquée, la tenue d’une nouvelle audience peut être ordonnée; voir également Yip c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1285. Il s’agit donc là aussi d’une erreur susceptible de contrôle.
[6] Pour les motifs qui précèdent, on ne peut dire que la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour réexamen par un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés. Aucune question à certifier n’a été proposée et la Cour estime qu’aucune ne se pose.
« Donald J. Rennie »
Traduction certifiée conforme
Jenny Kourakos, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3768-10
INTITULÉ : ANGELA DIANNE LEAL ALVAREZ, JOSE JAIR OROZCO FAJARDO c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 19 janvier 2011
DATE DES MOTIFS : Le 9 février 2011
COMPARUTIONS :
Michael Crane
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Deborah Drukarsh
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Michael Crane Avocat Toronto (Ontario)
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario)
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